Les lambeaux de Nikè

[Attila]

Bonsoir à tous.

Cela fait bien longtemps que je ne suis pas revenu sur ce forum, par manque de temps. Je vous propose aujourd'hui un texte qui serait une sorte d'incipit de courte nouvelle. Je vous laisse en juger.

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Les phares ne brillaient plus du même éclat. A la lumière rassurante s’était substituée, depuis sept ans maintenant, la terne lueur de l’œil inquiet qui scrute l’horizon marin. Ces ruines séculaires, sur lesquelles venaient aujourd’hui s’accrocher tant bien que mal de vieilles ossatures métalliques, relevaient de la juridiction militaire, tout comme moi. Jeune officier récemment gradé, je ne m’étais pas plaint de l’offre qui m’avait été faite.

Le Stratège Nikolaios avait été, sur ce point, des plus clairs. La surveillance de nos rivages constituait, assurément, une nécessité maintes fois justifiée par nos échecs cuisants, puis nos brillantes victoires sur le vieil ennemi qui, au-delà de l’océan, convoitait nos richesses. Et la tournure récente qu’avait prise la guerre, les négociations avortées de Sinope, la méprise de Trapézonte, ne justifiaient en rien qu’un jeune officier ne méprisât une telle tâche.

C’est donc avec un sérieux certain, que je ne manquais pas de manifester devant mes supérieurs, que j’acceptai ce nouvel ordre des choses, que je résumais alors en mon for intérieur – et Dieu sait que je me trompais alors – selon les termes suivants : solitude, humilité, mais ardeur sereine dans le modeste exercice de ma fonction.
Je quittai donc Sinope, où j’étais en attente de ma mutation depuis plus d’une semaine. J’y avais retrouvé de vieilles connaissances, des odeurs et des atmosphères de mon enfance : la couleur jaunâtre des murs du vieux bazar de Bayezid, recouverts d’une mince, mais tenace, pellicule de cumin, que balafraient ça et là les trainées noires de quelque cigare écrasé par un passant trop pressé ; les eaux vertes du quartier des Vieux Quais, la lumière bleue et l’odeur de chaudron des crépuscules pluvieux, qui ruisselaient sur les toits de zinc avant de se poser comme un fantôme humide au bord des bouches d’égout fumantes.

Pendant un peu plus d’une semaine, j’avais pris plaisir à marcher dans cette boue que j’aimais. Cependant, il ne me paraissait plus acceptable que, depuis vingt ans, des rues de cette ville très ancienne fussent encore boueuses, que des enfants y marchassent encore pieds nus, et que les murs du bazar se fissent de plus en plus ternes. Car depuis que cette guerre trainait en longueur, le commerce des épices périclitait, le budget était dévoré par la soldatesque, et le moral, lentement, se teintait de la couleur de nos routes.

J’étais ainsi partagé entre l’ardente envie d’en finir avec cette guerre, en brillant dans je ne sais quel fait d’armes décisif, et le sentiment de participer, à travers le poste qui m’était proposé, à la lente et méticuleuse préparation d’une victoire finale que nos cadres nous promettaient depuis cinq ans. Mon rapide passage à Sinope et les sentiments que j’y développais prennent aujourd’hui des accents de prophétie, tant ce conflit intérieur s’affirma tout au long de mon séjour dans le phare d’Abyssos, face à l’île d’Izra, sur la côte occidentale du Grand-Pont.

Il était d’autant plus violent que le général Gracque lui-même avait proposé ma mutation. Elle devenait dès lors l’une de ces propositions qui ne se déclinent pas, mais s’acceptent comme un honneur, ou comme un fardeau. Quant à moi, je l’acceptai tout entière.

A mesure que je m’éloignai de la ville, je contemplai sa lente extinction dans la lagune, jusqu’à ce que l’horizon ne devienne qu’une mince couche de gris, sous un ciel de plomb, que quelques tours antiques du cœur de ville accrochaient comme des agrafes. Quelques jours de voyages, quelques arrêts dans des auberges délabrées où l’on ne servait plus de vin, puis la côte ouest vint rompre en s’esquissant la monotonie des lignes horizontales. Je distinguai le port de pêche, accoté à l’un des rares bosquets qui vivotaient encore dans nos campagnes, et dominé par cette vieille bâtisse de granit : c’était le quartier général de l’état major du district occidental, où de vieux capitaines jouaient aux cartes en fumant la pipe, et refaisaient la guerre dans leurs écrans de fumée. Je les voyais d’avance, ces vieux marins, serrés dans leur uniforme qu’ils entretenaient méticuleusement, tous les matins, en vue du jour de gloire. Je m’attendais à une vieille carne, observant le rabat des cartes, trichant un peu, relatant sans cesse ses exploits à Sinope. Je distinguais aussi, au fond de la salle fumante, accoudé au rebord d’une fenêtre étoilée, un jeune premier qui, les yeux sur la mer, entretenait encore l’illusion du danger imminent.

Mais je me trompais. C’est ce dont j’allais prendre conscience en franchissant les lourdes arcades de pierre du bastion.

[Invité]

Une belle ampleur, une facture classique ( tu dois être un admirateur des Mémoires d'Hadrien ?) mais si c'est seulement l'incipit, ce ne sera pas tout à fait ce que j'appelle une courte nouvelle !!! Je ne suis pas fan de ce genre, mais ça se lit agréablement.
Dans les points négatifs : tu devrais sans doute alléger un peu certaines phrases qui sont lourdes ( en particulier avec des "que" qui s'enchaînent)

C’est donc avec un sérieux certain, que je ne manquais pas de manifester devant mes supérieurs, que j’acceptai ce nouvel ordre des choses, que je résumais alors en mon for intérieur – et Dieu sait que je me trompais alors – selon les termes suivants : solitude, humilité, mais ardeur sereine dans le modeste exercice de ma fonction.

et j'ai noté une erreur ici :

ne justifiaient en rien qu’un jeune officier ne méprisât une telle tâche.

: deux négations s'annulent !

[Invité]

Je me disais aussi que pour une nouvelle, le début prend beaucoup de place... Je ne sais pas ce que réserve la suite, il va peut-être falloir tailler dans le gras, accélérer le rythme.
On sent que tu prends plaisir à écrire, à dérouler le phrasé, mais n'oublie pas le lecteur !

Sur le plan formel, outre les remarques faites par Coline, il y a à plusieurs reprises confusion entre le passé simple et l'imparfait et vice versa :

"C’est donc avec un sérieux certain, que je ne manquais pas de manifester devant mes supérieurs, que j’acceptai ce nouvel ordre des choses, que je résumais alors en mon for intérieur –"

"Mon rapide passage à Sinope et les sentiments que j’y développais prennent aujourd’hui des accents de prophétie, tant ce conflit intérieur s’affirma "

"A mesure que je m’éloignais de la ville, je contemplais sa lente extinction dans la lagune "

"Je distinguais le port de pêche, accoté à l’un des rares bosquets qui vivotaient encore dans nos campagnes, et dominé par cette vieille bâtisse de granit "

[polgara]

Alors, je ne vais pas dire que je n'ai pas aimé, l'écriture est précise, on ressent la recherche du détail, tout est cadré. Mais du coup un peu trop pour moi. j'ai un peu de mal à entrer dans le vif, à m'attacher au personnage, à l'univers : il manque ce petit quelque chose de "spontané", la petite accroche qui aurait rendu moins hachée ma lecture à certains moments.
A suivre donc :-)

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