Temps retrouvé

[Nathanaël Zenou]

Je me souviens parfaitement de mon arrivée à Marseille et de la sensation que fît sur moi le pays de Pagnol, dont la palette de couleurs et le panel de parfums participent depuis de la mémoire commune. J’étais dans un train régional, un de ces trains où l’on peine presque à se tenir debout quand il est en marche, et où le bruit des tôles que le mouvement travaille forme une trame de fond sonore qui ponctue les conversations des uns et des autres quand les secousses sont plus prononcées qu’à l’accoutumée et suscitent de leur part une vague interrogation. Je n’avais jusqu’alors jamais mis un seul pied en Provence, aussi je fus dans un premier temps agréablement étonné par une odeur que je sentais dans l’air, une odeur de lessive très particulière, évoquant celle du linge humide et chaud de son temps de lavage étendu sur le fil une heure après midi, alors que le soleil s’attarde encore à essuyer les herbes de leur rosée, comme un barman frottant longuement avec son blanc torchon le dernier verre du service, ou celle d’un de ces savons de femme qui ornent si joliment les coiffeuses ou les étagères de leur salle de bain, et dont la beauté de la forme et l’éclat de la couleur en interdit tout usage, mais qu’elles aiment souventes fois approcher de leurs narines de tant en tant pour en capter les arômes d’antan défendus et secrets. Cette odeur me lançait une invitation au voyage telle que je ne raisonnais qu’après coup qu’elle fût bien réelle, et ce n’est qu’après l’un des innombrables arrêts de mon train et à travers le battant supérieur du hublot que j’avais ouvert à cause de la chaleur ( et alors que se brossait comme un tableau de Van Gogh un véritable paysage de carte postale, ciel bleu sans nuage et colline d’herbes brûlées flanquée de pinèdes et traversée d’un chemin ocre ) que je compris qu’il s’agissait d’un magnifique mélange de parfum de sève et de lavande dont on devinait les discrètes bandes de fusain violet crayonnées sur le vélin du val. Je vis au loin la mer sommeillant au-dessous des calanques, scintillant sous le soleil comme le souvenir heureux de son pays dans la mémoire d’un exilé, une mer scintillant comme un feu d’artifice muet mais qui sait être violent. Aussi je crois, parce que je partais également « recommencer ma vie », que cette nouveauté, moi, n’ayant jamais vu la mer, moi étant parti seul du haut de mes vingt ans, et moi pour la première fois bercé ainsi tel un petit enfant par les remuements du wagon et le chant des cigales, je crois que tout cela, par je ne sais quelle magie que s’octroient certains instants, a donné à cette réalité la tonalité d’un rêve, rêve qui me poursuit encore, et dont je suis habité, et m’a marqué au feutre d’un souvenir indélébile où je trouve repos.

[Invité]

C'est magnifique, je suis (j'ai été) transportée par les images et cela en dépit même de la présentation compacte et des phrases parfois plus longues que de raison.
Un très très beau texte néanmoins.


à revoir :

et dont la beauté de la forme et l’éclat de la couleur en interdit tout usage, ("interdisent")
mais qu’elles aiment souventes fois approcher de leurs narines de tant en tant ("de temps en temps")
telle que je ne raisonnais ("raisonnai", passé simple ici)
qu’après coup qu’elle fût bien réelle, et ce n’est qu’après (répétition)

[Mezkalator]

Un paysage aussi bien raconté donne des envies de voyage.
J'ai beaucoup aimé.

[Invité]

Je me demande pourquoi tu es si souvent oublié dans les commentaires, Nathanael, alors que ce que tu écris est si beau !
Peut-être si tu participais un peu plus , aux exo ou aux billevesées...
J'ai noté une erreur grammaticale ici

dont la beauté de la forme et l’éclat de la couleur en interdit tout usage,

Tu ne peux pas utiliser dont et en dans la même phrase.

[Raoulraoul]

Enfin une phraséologie justifiée par son propos. La longueur, la sinuosité, la relance par les surbordonnées permettent réellement de creuser la perception du narrateur. On s'enrichit à te lire. On accepte, tel un oignon, de nous dépecer de toutes nos peaux. Bien sûr Proust. Il n'en finit pas d'être le réceptacle sans fond de notre condition d'être. Il intéresse de plus en plus les scientifiques. Il t'a inspiré, Nathanaël, mais tu t'es approprié son regard, tu en as fait un outil de connaissance, pour te rerouver, jusqu'à l'égarement suivant... Evidemment, c'est une écriture qui prend son temps. Formidable !

[Camel]

T'écris comme parle les clochards du bistrot d'à côté de chez moi

[Camel]

parlent*

[Sahkti]

Un beau texte Nathanaël, dans lequel on devine, au gré de ces longues phrases lancinantes, le paysage qui défile, les souvenirs qui s'égrènent et ceux en construction, la nostalgie et la promesse d'un futur à venir. Tout cela est bien rendu, c'est une belle émotion.
J'apprécie notamment, par rapport à d'autres textes de toi, le fait que tu aies pu te défaire de certaines formes très luxuriantes dans la manière d'exprimer les sentiments au profit de quelque chose de plus sobre.

[Invité]

Que manque-t-il à ce texte pour qu’il soit parfait, sinon les cigales.
Quelques répétions néanmoins comme scintillant (brasillant à la place ?) et comme 4 fois (http://www.cnrtl.fr/synonymie/comme).
Vous me direz : les cigales, ça va en bande aussi ! :-)

[Invité]

Ah, oui ! pour les répétitions voir le répétoscope : http://www.babelweb.be/babel.acgi$Spc_fr?Session=S908910347&Skin=cla&serial=846634865

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