Un homme trop simple

[Phoenamandre]

Un homme fume, avachi sur un tabouret, il tremble.
Cette nuit, il voulait sortir, s’aérer l’esprit, mais il pleuvait, il faisait froid, il reste là.
« J'ai raté.
J’ai pas envie de crever ici.
J’ai pas envie de voir passer cette année comme j’ai vu passer les autres en ne sachant toujours rien faire de mes dix doigts. J’ai besoin d’être sûr de quelque chose, de me sentir infaillible, j’ai la trouille de mes faiblesses, de mes failles, je suis un mur lézardé, on croit qu’il tient, ce n’est pas un mur porteur, alors tant pis. »
Ridé. Il n’y croit pas. Voilà longtemps qu’il n’a pas vu de miroir. Sa glace détourne le regard, a honte de l’image qu’elle renvoie. Il sourit, le verre lui lance un regard noir.
« Qu’il aille se faire voir. »
Rauque, son souffle le retient, il n’a pas la force de s’élever, il préfère laisser faire. Dire qu’il est fatigué serait mentir, pourtant s’il fermait les yeux il s’endormirait, sans repos, il sait qu’il n’est jamais vraiment éveillé.
«  Mes mains ne m’obéissent pas, mon cerveau ne répond pas, je me cherche des excuses, sans cesse des excuses qui pourraient justifier que je sois moins bon que les autres, j’essaye, j’échoue, c’est pas grave, c’est parce que… Et merde ! Foutaise ! Baliverne !  »
Ni virtuose, ni intelligent.
Il est passé par tout.
Il s’est cru musicien, il a tenté les mathématiques, la littérature, et sa vie, ses amours, il n’évoque même plus l’amour.
Jamais mauvais, toujours moyen.
« Tu n’as pas trouvé ta voie. Quelle voie connard ? »
Livide, il panique. C’est son premier choix, il brave l’inconnu.
« Ne suis-je pas fou d’avoir de pareilles pensées ?
Ne vais-je pas le regretter ? »
À quoi bon savoir. Se projeter dans le futur. Il n’a jamais été prévoyant.
Celui qui n’est pas prévoyant vit au jour le jour. Ce n’est même pas son cas.
« Je vis dans un rêve, un rêve perpétuel, je suis l’enfant chouchouté persuadé d’être quelque chose (mais quoi ?) qui ne se casse jamais les dents mais qui s’effrite. »
Cette nuit, il voulait sortir, s’aérer l’esprit, mais il pleuvait, il faisait froid, il reste là.
Il n’y a pas de choc brutal, seulement des tremblements, parfois quelques à-coups. La réalité se laisse entrevoir, il n’est jamais certain de l’avoir cernée. La poussière le fait tousser, il étouffera dans son nuage bien avant de toucher terre.
Il finit sa clope, debout sur son tabouret, il regarde le tabac s’envoler, une boule au ventre, la gorge nouée.

[Polixène]

Ton texte perd de sa puissance car on est balloté entre un point de vue intérieur et extérieur, et ce va-et-vient pour moi ne fonctionne pas. Dommage, il y a une force, une férocité à exploiter.

[Invité]

De mon côté, j'aime assez ce va-et-vient entre le monologue intérieur et le regard extérieur.

Je trouve l'analyse lucide, pas gaie mais sans concession. D'ailleurs, j'ai souri ici : "Jamais mauvais, toujours moyen.", bienvenue au club :-)

Et la fin fait froid dans le dos.

Sinon, peut-être bien que le texte est trop condensé, il donne une impression de rapidité, de saccadé aussi, alors que j'imagine que le personnage n'est pas pressé de mettre sa décision à exécution...

[Phoenamandre]

Merci Polixène et Easter pour vos commentaires !

Oui Polixène, je suis d'accord, il y a une sacrée coupure entre le monologue intérieur et la narration, je devrais revoir ça...

Easter, tu dis vrai aussi, tout est un peu trop rapide. J'en avais écrit plus, mais j'ai préféré enlever certaines choses que je trouvais trop bancales ou peu claires, donc il y a comme un manque...

[Jano]

Je trouve le propos un peu fade, sans grande originalité. Cet homme qui se trouve bon à rien et décide du coup d'en finir avec la vie ne dégage pas assez de détresse, de renoncement, de dégoût de la vie.
Il fait juste le constat que c'est un type banal et se passe la corde au cou comme s'il allait se laver les dents. Tout ceci manque d'émotion, de puissance suggestive. Une personne au bout du rouleau doit être dans des états certainement plus exacerbés pour arriver à de telles fins.

[Marine]

Au fur et à mesure que je te lis je trouve que tes textes dans l'ensemble souffrent peut-être de l'utilisation que tu fais des images ; je les trouve un peu attendues, un peu molles ; je loue la simplicité à condition qu'elle ne devienne pas banalité, et c'est cet équilibre qui, je pense, est dur à trouver. "Le mur lézardé" en est un parfait exemple : ce n'est pas mauvais, mais c'est un lieu commun. Je trouve que ce genre d'images revient surtout dans tes débuts de textes, comme si, ne sachant pas vraiment par où commencer, tu n'osais pas, tu n'étais pas encore emporté ; je ne te conseillerais pas l'extrême-inverse, car je sais que mes propres textes souffrent au contraire d'un excès de lyrisme dans lequel je cache d'autres banalités. J'aime mieux "il étouffera dans son nuage", un peu artificiel peut-être, mais on sent un effort - peut-être encore un peu (trop) visible.

Le terme "verre" pour désigner le "miroir", est-ce pour éviter la répétition ? Personnellement ici je préférerais que le terme "glace" soit répété plutôt qu'il soit ainsi remplacé ; verre c'est vague, ce n'est pas très beau, on ne comprend si tu parles d'un verre d'alcool ou de miroirs.
Je trouve intéressant que tu utilises à la fois "qu'il aille se faire voir", au lieu d'une expression telle que "aller se faire foutre" et "crever" en même temps, terme pour lequel tu n'hésites pas à coller un peu de vulgarité, un peu de tripes. Tu me diras si je me trompe mais j'y vois justement une dualité du personnage lui-même, comme si ce "aller se faire foutre" était une sorte d'excellence, justement, dans le sens où il oserait aller jusqu'au bout de lui-même, de ce sentiment, et qu'il continue à le retenir alors que "crever" lui échappe. C'est la même chose pour moi que ce "moyen" dont il se qualifie : ce moyen devient un politiquement correct, une restriction que le personnage s'impose, et dans laquelle je vois un manque d'ambition en quelque sorte ; comme s'il avait fait la même chose pour les maths ou la musique ; un manque "d'aller à fond", un manque de se "jeter à corps perdu" qui parfois permet quand même d'aller plus loin ou au moins de ressentir une intensité, et donc par là-même une sorte de "je suis fais pour ça, je m'y donne complètement", qui peut donner l'impression à d'autres de vivre vraiment. C'est pour cela que je ne suis pas sûr que le mal-être du personnage soit fondé ; il est peut-être lucide au contraire, mais le cercle vicieux fait qu'il se bride en ayant conscience de ne jamais être dans l'intensité.

Autre chose : la clope, ça me fait rire. J'ai l'impression qu'elle a été rajoutée, comme pour fixer sur ce sentiment de mal-être un symbole de la perdition, de façon presque allégorique. En lisant j'ai eu l'impression que tu faisais par là rentrer le personnage dans une catégorie littéraire ; je ne l'aurais pas mise, cette cigarette, je pense que la figure peut s'en passer. "Il regarde le tabac s'envoler" me paraît être à cet égard très représentatif : l'image commune, assez clichée, de celui qui médite sur lui-même, de la perdition, etc... ; la dimension de réalité est mal apportée ici ; un fumeur ne le fait pas tant que ça, ou en tout cas ce n'est pas le plus important, ce n'est pas "la touche de vérité" à apporter, en tout cas pour moi, à ce texte.

Le discours indirect est intéressant pour marquer la distance mais il semble presque avoir été rajouté entre les morceaux de dialogue. Je me trompe peut-être. Le thème m'a plu en tout cas.

[Janis]

Ce que je préfère : le dernier paragraphe : il n'y aura pas de..., et l'image de la fumée, c'est beau

je crois aussi que tu peux retravailler le rythme, en gardant ce dedans-dehors que j'aime bien. J'y reviendrai (j'ai faim !)

[Invité]

La dernière phrase est un petit chef d'oeuvre : " la gorge nouée"...!

Le personnage que tu dépeins me semble très représentatif de notre époque qui exalte
" l'intensité" comme le seul critère d'une vie ( intérieure) réussie, alors qu'il est sûrement beaucoup plus banal d'avoir des humeurs en montagnes russes que de parvenir à un équilibre. Ca explique d'ailleurs la plupart des dérives et addictions...
Ce qui me semble intéressant dans ton texte, c'est justement cette absence d'intensité, cette sous-tension qui l'amène à chercher l'extrême de lui-même, et non, là non plus, à part une boule au ventre et " la gorge nouée"... Ce sentiment d'être " en-dessous" est caractéristique de la dépression, les affects paraissent pâlis, vidés de leur substance. Je retrouve ici un peu de ce que Houellebecq ne cesse de travailler : l'homme en deçà de ses rêves...
Supprime quelques clichés ou alors travaille le texte en rond, en les reprenant, en les clichetonnant ( je viens de relire "Soie" et j'ai de nouveau été frappée par cette façon minimaliste et redondante à la fois de décrire le voyage)
Pour moi, tu as une matière très intéressante à travailler. Mais ce n'est pas facile d'aplatir ton personnage tout en donnant au lecteur l'envie d'aller plus loin de voir après...
Je ne sais pas si j'ai été claire, mais pour une fois il me semblait voir avec précision dans quel sens il fallait bosser ça !

[Phoenamandre]

Merci à tous pour vos commentaires

Jano :
Oui c'est vrai que le texte manque d'une certaine puissance parfois, disons que c'est étouffé, il manque de douleur
Merci beaucoup pour la lecture et la critique !
Marine :
Comme d'habitude, tu vises juste, c'est fou parce que ton analyse est exact, ce que tu dis être des ajouts sont des ajouts, les corrections sont des corrections, tu es vraiment douée, c'est fou !
J'ai pas mal de clichés à corriger.
Je te remercie du fond du cœur
Janis:
Bon appétit ! :-D
Je pense que oui, le dernier paragraphe est un peu mieux. Plus calme, plus posé, mais aussi plus fataliste...
Merci pour ton avis !

Coline :
Très claire !
Et de très bon conseil !
(et puis aussi bonne analyse du personnage)
Merci pour ta lecture et ton avis !

Je vais le reprendre avec toutes ces bonnes idées, et puis avec un peu plus de recul. Pas tout de suite, je retravaille un peu Cornichon en ce moment, dès le début: la première page a bientôt un an, pour le coup il y a du recul.

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[Raoulraoul]

J'aime assez. Justement l'alternance entre monologue et descriptif. J'apprécie surtout le blabla psychologique que tu nous épargnes. Pas besoin de te répandre en justifications. C'est comme ça. Les justifications psycho
sont souvent les faiblesses de l'auteur, sa mauvaise foi, ses lâchetés. Relire en se sens L'Etranger de M.C. admirable par son comportementalisme. Les raisons d'un acte sont plus intéressantes quand tu permets au lecteur de les déduire. Tu fais travailler le lecteur, et ton oeuvre continue dans sa tête. C'est chouette. Maintenant je pourrais émettre une réserve sur le thème : une fois de plus, la désespérance, le non-sens des choses... Il n'y aurait-il pas à creuser pour complexifier notre attitude ? L'affiner. Que l'écriture soit aussi objet de connaissance, d'apprentissage, pour déplacer l'angle de vue ?... Merci à toi.

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