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Stylomania Rock (et suite : Stylo-thérapie)

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Yoni Wolf
Raoulraoul
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Message  Raoulraoul Mer 16 Jan 2013 - 8:24

STYLOMANIA ROCK
Cerise avait offert un stylo à Rocky.
Pour leurs 10 ans de mariage Cerise avait offert un stylo à Rocky, un stylo d’encre.

D’abord au début Rocky ne voulait pas.
Puis Cerise devant le magasin avait répété tu veux voir les stylos ?
Rocky, disant mollement ce n’est pas la peine, était entré dans le magasin, et déjà à la vendeuse il demandait avec de l’encre violette il pourra écrire votre stylo, et aussi avec de l’encre sépia, la vendeuse disant à Rocky que l’encre sépia on ne l’a faisait plus, alors Rocky répondit que l’encre sépia était la plus belle de toutes les encres, tandis que Cerise penchait pour dire que l’encre violette aussi était jolie, alors enfin Rocky finit par regarder les stylos d’encre que la vendeuse devant lui dévissait, avec pompe et cartouche. Quelle plume il vous faudra, comment donc est votre écriture elle demanda à Rocky qui ne savait pas comment était son écriture, comment donc est mon écriture, c’était la question que la vendeuse posait au client, comment un client peut-il répondre à une vendeuse pour lui dire comment est son écriture, mon écriture elle est comme ça annonça Rocky !
Epaisse ? Non. Minuscule ? Oui. Illisible ? Oui. Patte de mouche ? Oui.
Donc la vendeuse montra des stylos d’encre qu’on pouvait mettre entre les pattes d’une mouche, une écriture bien fine ça vous fera, monsieur, mais je n’ai pas une écriture fine se défendit Rocky, mon écriture est grossière, obscène, malpropre, poétique, mon écriture est dégueulasse, elle fait vomir d’ennui, elle voltige au-dessus des arbres, elle est voleuse et elle dévoile tout ce que vous ne voulez pas me montrer !
La vendeuse prit peur.

Heureusement Cerise, qui avait du goût, insista pour que Rocky choisisse un stylo d’encre qui lui convienne. Quelque chose qui donne du style à Rocky parce que Rocky en manquait mais ce que Rocky sentait le mieux dans le cœur de Cerise c’était le geste. Ce geste que faisait Cerise rien que pour célébrer les 10 ans de mariage qui la liaient à Rocky.
Le stylo sera de marque américaine, pas Mont Blanc parce que c’était trop haut.
Le stylo était garanti à vie. A vie, Rocky pourra écrire. Suffira d’acheter de l’encre. Avec de l’encre on peut écrire à vie. La plume était remplaçable. Suffira de remplacer la plume. Avec une nouvelle plume Rocky pourra écrire à vie. Rocky se posa la délicate question pour savoir s’il devait se fournir en bouteille ou en cartouche. Avec l’une c’était l’ivresse, avec l’autre c’était la mort. L’ivresse de la mort lui semblait convenir. Boire de l’encre ou se tuer.
Ecrire ne permet pas d’échapper à cette alternative. Mais Cerise dit à Rocky qu’un encrier plein lui restait à la maison. Une encre émeraude. Pour se remettre à l’écriture, Rocky trouva que ce serait une bonne couleur.
En sortant du magasin il embrassa sa Cerise, ne pouvant plus contenir sa joie. Il savait ce que ce stylo d’encre représentait de sacrifice. Il devait donc s’y remettre. Il ne voulait pas décevoir Cerise.

Un stylo crée le besoin.

Tenir entre pouce et index cette barre d’encre et penser à cet arbre de Chine, duquel poussaient les amandes, et imaginer que de ces amandes écrasées coulait un jus, et voir que de ce jus d’amande, l’huile deviendra l’encre par laquelle j’exprimerai mes joies, mes colères, mes tourments, ma grossièreté…
Rocky était tout ému. Il ne pourra plus avec un tel stylo écrire ses grossièretés.
La plume fine écrira finement.
Il lui faudra écrire des pensées fines.

Et puis écrire avec l’encre d’un stylographe, tudieu, où avait-il pêché ce mot, avec un stylographe on écrit surtout pour les autres, puisque les autres liront tes mots dans l’encre qui aura coulé du stylographe. Il y avait des mots qui préféraient une encre plus qu’une autre, comme les humains ne boivent pas tous le même vin. Il y avait des mots qui s’étalaient, se diluaient, se mélangeaient, se mariaient mieux avec une encre brune, verte, noire, rouge, blanche.
Rocky aurait aimé écrire avec une encre blanche, sur papier blanc, comme ça seulement pour les initiés, les amoureux, les philosophes, les saints, les révolutionnaires. Mais si Rocky voulait écrire maintenant pour les autres avec son stylographe américain, tout les autres pour Rocky, c’était aussi chacun d’entre eux. Il ne savait écrire qu’au singulier.
Un stylo c’était singulier, un stylo c’était intemporel, un stylo c’était silencieux, comme le frottement d’une plume sur la neige.
Il se dit Rocky, qu’il écrira à Cerise, même quand Cerise étaient dans ses bras, parce que dans ses bras Cerise étouffait tous ses mots.

Alors avec le stylo d’encre, il se fera une cérémonie pour que chaque mot redevienne difficile, lointain, fatigué d’avoir parcouru un si long chemin dans le tuyau du stylo, où chaque particule d’encre recomposera le mot pour que le mot arrive sur la feuille comme une vague lentement sur la plage, rempli de tous les chants du monde, bruissant de toutes les langues du monde, épuré par tous les voyages, et que ce mot devienne le bon, le vrai, le seul, l’unique parce qu’il aura vaincu les mauvaises routes, les pièges, les mensonges, les illusions de ceux qui savent bien écrire.
Rocky, c’était des mots avec des lettres vivantes,
des mots mille-pattes,
des mots vermiculaires,
des mots papillons de nuit,
des mots que seuls les stylos pouvaient graver, et qu’il faut déchiffrer,
les mots ne se liront plus,
les mots devront être déchiffrés,
ce ne sera qu’à ce prix que Cerise pourra lire Rocky.

Lorsque dans leur maison ils étaient revenus, le coffret sur la table de Rocky fut déposé, le coffret renfermant le stylo, la notice internationale par Rocky fut dépliée, et entre l’arabe, le russe, le polonais, Rocky reconnu le français qui lui expliqua comment pomper correctement. De la bouteille de Cerise l’encre émeraude fut alors aspirée par Rocky, une fois son réservoir gorgé, il ne put se retenir d’avantage d’essayer l’écoulement couleur de mer sur divers papiers.
Ce fut d’abord des chèques bancaires en attente qu’il remplit, avec chiffres, signatures, ordres, l’encre émeraude de Cerise faisait tout cela, avec insouciance, puis dans l’échauffement du stylo, où l’encre à présent commençait à apprivoiser le langage, Rocky poursuivit. Des cartes de vœux, il rédigea à la pelle, à la plume, des cartes pour des vœux à des anciens parents, famille, gens qu’il ignorait depuis Mathusalem. Le stylo pissa des formules si chaleureuses qu’il fut étonné qu’elles existassent encore pour cette catégorie de personnes. Par son poignet, Rocky sentit se reconstruire les liens. L’arrondi des caractères s’amplifiait. Sa phrase même osa des compléments et des subordonnées, relatives certes, mais que Rocky n’aurait jamais inventé tout seul sans l’aide de son stylo d’encre.

Dans le tréfonds de Rocky sommeillait aussi un drôle de loup. Une de ces bêtes qui le rongeait. Le souvenir d’un vieux copain de prime jeunesse. Un copain qui connaissait également l’encre, le stylo, le papier. Et comment ! Ils s’en étaient échangé entre eux des lettres couvertes d’encre, bleue à l’époque, des lettres pensives, réfléchissantes, sur la vie, la politique, la poésie, des lettres à l’encre, alignées, avec marges, majuscules, points, virgules, et suspension… Mais le loup était toujours là, resté dans la caverne de l’âme de Rocky. Un vieux bon loup. Il gardait le portail. Une amitié en suspension… Rocky avait son bâton d’écriture en main. Il lui suffisait de revenir dans la caverne. Affronter de sa plume les yeux du loup. S’il laissait courir le bâton, Rocky se rappellerait là où ils avaient cesser, le copain et lui, de croiser leur écriture. Rocky plongea, écartant le loup de l’amitié qui lui faisait peur, et fit confiance au bâton. Ne plus le lâcher. Il le guidera jusqu’au retour.

Le lendemain la lettre partit.
Le stylographe avait parfait l’adresse finale sur l’enveloppe.
Quand Cerise s’approcha de Rocky, elle lut sur l’écran ce que Rocky écrivait. Ses doigts d’aventurier couraient encore sur le clavier. Elle demanda à Rocky si le stylo marchait bien. Il dormait, posé sur la table.
Il dort, ma Cerise, il se repose, il a beaucoup travaillé. Et maintenant je voudrais qu’il ne se fatigue que pour nous, je voudrais qu’il garde ses forces pour l’essentiel. Tout ce que tu liras sur l’ordinateur, ce n’est pas de lui. Sur l’ordinateur, rien n’a d’importance. On supprime.

Le stylographe était heureux. Il était à sec. Il attendait son flacon.
Mais jamais de cartouche. Rocky avait banni les cartouches.
Et Cerise elle sentait bon, se balançant à l’épaule de son Rocky.
Nous faudra encore beaucoup d’encre, avant les noces de Papier, elle avait dit.


(Suite probable la semaine prochaine)


Raoulraoul
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Message  Yoni Wolf Mer 16 Jan 2013 - 9:32

Putain ! Re ! C'est superbe, tu écris bien, très bien, ça n'est pas la première fois que je te le dis mais putain ! Ce texte, c'est de l'or.
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http://lespigeonsecrases.blogspot.com/

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Message  Invité Mer 16 Jan 2013 - 11:38

Je partage l'enthousiasme de Yoni, un vrai bon texte encore.
Les idées fusent, exprimées ou suggérées, au rythme de une par phrase dans certains passages.

Je ne vais pas entrer dans le détail de ce que j'ai aimé, ça ferait trop, aussi me contenterai-je d'isoler ceci, aussi simple que grandiose : "Rocky se posa la délicate question pour savoir s’il devait se fournir en bouteille ou en cartouche. Avec l’une c’était l’ivresse, avec l’autre c’était la mort."

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Message  Camel Mer 16 Jan 2013 - 14:50

Parfaitement nul
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Message  Invité Mer 16 Jan 2013 - 17:32

J'ai aimé ce texte, et surtout, le caractère des deux personnages qui se dessine au fil de la lecture. Cerise, touchante, dans sa douceur et son désir d'être agréable, et Rocky, dans son détachement, son indifférence, son indécision, et finalement son secret qui refait surface, grâce au cadeau de Cerise.

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Message  Invité Jeu 17 Jan 2013 - 14:04

ah ce début heurté, par à coups, entrechocs...prémices au déblocage qui suit!

je me suis sentie proche de ce texte qui m'a touchée pour plusieurs raisons
j'y reviendrai...

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Message  Raoulraoul Sam 19 Jan 2013 - 17:59

Merci pour vos commentaires. Igloo, qu'est-ce qui t'a "touché pour plusieurs raisons" ? Si tu veux bien y revenir ? Le stylo t'attend.
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Message  Raoulraoul Mer 23 Jan 2013 - 7:40

STYLOTHERAPIE
Mais malheur s’ensuivit.
L’instant précis où il arriva échappa à Rocky.
Quelle chance pour lui ! Toutes ces minutes, ces heures, une nuit entière même l’avait séparé de cet instant et de celui où il découvrit le triste événement. Toutes ces plages d’instants où le corps et la tête de Rocky auraient pu se libérer, jouir, chanter, boire davantage avant que l’événement ne vienne fracasser sa joie de vivre !
A ce point là ?
Chez Rocky, c’était comme ça. Rocky était entier, comme un atome, une molécule insécable. Surtout en matière de sentiment. Envers sa Cerise, il était sans mesure.
Comment annoncer à Cerise l’événement ?
– Non, ma Cerise, je n’y suis pour rien !
– Pour rien ? Ca n’existe pas pour rien. A chaque fois c’est pareil. C’est un signe ça, Rocky !
– Tu ne veux pas me comprendre.
– Dis-moi la vérité Rocky !
– La vérité, c’est celle-là ! C’est tout !
Rocky s’en doutait. Il la connaissait sa Cerise. Elle mettait toujours un petit tas de sens et d’interprétations, derrière chaque mot ou chaque geste qu’on faisait. Ce petit tas comme un dur sable mouillé bloquant la relation d’amour.
Dommage, dommage. Un signe, un signe, se demanda Rocky. Signe de quoi ? Rocky ne croyait pas aux invisibles, l’insaisissable qui vous saisit, les invisibles qui vous voient et qui savent tout. Quelqu’un qui vous poursuit, mais reste toujours innommable. Si c’était arrivé, c’était parce que… Justement, c’était là que ça butait. Parce que « le parce que » à cet instant lui avait échappé.
– Tu ne sais jamais ce que tu fais, continua Cerise, mécontente là visiblement.
– Je ne sais jamais ce que je fais !?...
Aie aie, que répondre, avait-elle raison ?
Si on savait on ne ferait rien, trop savoir c’est être mort un peu, on sait seulement après, mais trop tard, d’abord savoir quoi, savoir que Rocky ne faisait jamais assez attention, alors que Cerise faisait attention à tout ce que faisait Rocky, sauf que cette fois Cerise n’avait pas fait attention à tout puisque ce malheur survenu par la faute de Rocky, à en croire Cerise, serait-il arrivé si Cerise avait mieux veillé à Rocky ?
La source d’un malheur les éclaboussait tout deux.
Rocky tournait en rond dans l’appartement. Cerise était attablée devant son ordinateur. Facile l’ordinateur. C’était la tierce personne. Dans ces cas là, un tiers est utile. Il pompe, il éponge, il tamponne, il ordonne les tempêtes afin qu’elles ne séparent pas les couples, et que les amarres résistent entre les cœurs. Cerise pouvait écrire, ses doigts vernis papillonnant sur le clavier. Rocky ne pouvait plus écrire, à cause du malheur.
Il n’avait pas imaginé pareille chose. Il s’en mordit les doigts, ses doigts qui ne lui servaient plus à rien. Pas musicien, pas cuisinier, pas peintre, de ses mains Rocky il ne savait qu’écrire, écrire pour savoir qui était Rocky ? Qui était Cerise ? Ecrire, comprendre. Tiens, le chat passait entre ses jambes, il le caressa. Bon !
Le malheur était-il réparable ? L’heure de dormir approcha. Il s’allongea près de Cerise sans pouvoir la toucher. Encore une histoire de mains qui ne pouvait aboutir. Le lit grinçait. Depuis si longtemps déjà il devait en resserrer les vis. Il se releva, empoigna le tournevis et revissa. S’il ne pouvait plus écrire, ce soir, au moins, il avait muselé le lit de ses interminables grincements. Ses doigts étaient rouges d’effort. Cerise eut un fin sourire qu’elle dissimula. Mais Rocky ne dormit plus.
Le lendemain il courut voir la vendeuse.
– Comment déjà ?
– Oui, un accident.
Et Rocky revit l’instant, ce jour qui suivit le malheur. Sur la feuille de papier blanc, les horribles griffures. L’émeraude comme deux rails déchirant le papier. Le bec tordu picorant atrocement la fibre du cahier. Ecrire des mots de la sorte était un supplice, pire qu’un fer rouge sur la peau.
La vendeuse avec un étonnement ravi :
– C’est arrivé comment ?
– Par terre, tombé.
Nom d’un chien, pourquoi piquer du nez, il aurait pu s’abattre sur le flanc, atterrir sur le cul comme tout le monde, se demandait Rocky. Il ne s’était pas planté vraiment, mais il avait morflé. Suffisamment pour refuser de recracher son encre correctement.
– C’est toujours comme ça, vous savez ! Ils tombent sur la tête.
– Sur le moment j’ai rien vu. J’ai roupillé la nuit sur mes deux oreilles. Mais le lendemain.
– Rainure écartée, l’œil dévié, et la pointe foutue. L’iridium n’a pas résisté.
– Le quoi ?
– Plus résistant que l’or, mais la chute a du être brutale.
Brutale brutale, comme elle y va ! Rocky n’acceptait pas le mot. Brutal ! Comment pouvait-il avoir été brutal avec le stylo d’encre de sa Cerise ? Bien sûr Rocky s’était peut-être levé trop brusquement pour aller bouffer une tablette de chocolat, dans la cuisine, sans avoir déposé le stylo. Et vlan ! le stylo avait piqué sur le parquet flottant. C’était tout, pas besoin d’en faire un opéra.
– Alors qu’est-ce qu’on fait ?
– On le renvoie au fabriquant.
– En Amérique ?
– Non, je ne sais plus où. Mais vous aurez une plume neuve.
– Quand ?
– Un mois au moins.
– Et combien ?
– Je ne peux pas vous le dire.
Rocky était blême. Un mois sans stylo. Et la surprise pour le rachat et réparation d’une plume en or et iridium. Rocky se préparait maintenant au face-à-face avec Cerise.
– Bonjour Cerise. Il m’est arrivé un pépin. Le stylo est tombé par terre. La vendeuse m’a dit qu’il ne serait pas réparé avant un mois.
– Ah ! Tu as eu raison alors de le ramener vite au magasin.
Ca avait été aussi simple. Cerise n’avait pas fait d’histoire. C’était Rocky qui s’inventait des histoires, c’était Rocky qui construisait l’épopée, c’était Rocky le rockeur au stylo, car sans stylo, Rocky était comme un rockeur sans guitare. Alors.
Un mois sans guitare, Rocky devait bien se composer une longue chanson, le temps de réaccorder son stylo d’encre, pour qu’au retour la mélodie coule dans le phrasé.
Pendant ce temps, l’armée française débarquait à Bamako. Les homosexuels descendaient dans la rue pour défendre le mariage. Un vieillard mettait le feu à sa Maison de Retraite. Il neigeait à Colmar. Deux mille treize sera le trois centième anniversaire de la naissance de Diderot. Cerise acheta une boîte de Cialis à Rocky. Le lit ne grinçait plus. Un cyclone avait ravagé une île dans l’Océan Indien. La fin du monde avait raté sa sortie le vingt et un décembre deux mille douze. Des pilules contraceptives bousillaient les jambes des filles. Le chat passa une patte derrière son oreille. Araignée du matin, chagrin. Vedettes de cinéma et patrons d’entreprises fuyaient le fisc jusqu’en Russie. Le monde tournait, sans pouvoir se laisser écrire. Mais il restait à Rocky ses deux mains pour caresser Cerise.
Cerise suggéra :
– Si tu coupais les comprimés en deux, la boîte durerait plus longtemps.



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Message  Janis Mer 23 Jan 2013 - 8:14


Super texte (sauf peut-être le titre de la deuxième partie, trop explicatif, non ?)
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Message  Invité Mer 23 Jan 2013 - 16:36

Toujours très chouette, cette deuxième partie.

Particulièrement apprécié le dialogue avec la vendeuse et la fin du passage en première lecture.
Puis en relecture, l'espèce de mise en abyme du passage où Rocky s'imagine avouant la faute à Cerise ; apprécié l'audace du choix de temps, du mode indicatif pour une scène imaginée ("–Tu ne sais jamais ce que tu fais, continua Cerise, mécontente là visiblement. ").

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Message  Invité Mer 23 Jan 2013 - 19:18

Disons que dans ce texte déjà en lui même très dense, le style rapide et soutenu crée une tension dans la lecture, qui correspond à toutes celles qui traversent Rocky.
Encore une fois ton écriture secoue. Ici le mot qui me vient en tête c’est…tectonique. (bon, hum C’est très émotionnel en profondeur, et ça remonte en nombreuses pistes qui s’ouvrent, se déroulent, et qu’il faut suivre au fil de l’histoire. Une histoire qui semble avancer par ricochets, (ou par vases communicants ?) parce que ça va vite dans la tête de Rocky qui semble être en permanence dans l’urgence, mais en même temps justement on ne perd pas fil. Parce que l’émotionnel s’ancre instantanément aux détails concrets, quand ce n’est pas imagé. Et puis la trame du récit suit son cours.
Le début m’a un peu fait penser au débit de David Helfgott interprété par Geoffrey Rush dans le film « Shine ». Bon tout ça pour dire qu’on se retrouve directement projeté à l’intérieur de la tête de Rocky par le biais de ce style « heurté » comme je disais. Je ne sais pas si ce que je raconte est clair, mais voilà en tout cas comment je l’ai ressenti.

A part les deux titres que je ne trouve pas au niveau du texte, pour la première partie j’ai été touchée entre autres par des choses comme par exemple ça :

« Il se dit Rocky, qu’il écrira à Cerise, même quand Cerise étaient dans ses bras, parce que dans ses bras Cerise étouffait tous ses mots. »

« Tenir entre pouce et index cette barre d’encre et penser à cet arbre de Chine, duquel poussaient les amandes, et imaginer que de ces amandes écrasées coulait un jus, et voir que de ce jus d’amande, l’huile deviendra l’encre par laquelle j’exprimerai mes joies, mes colères, mes tourments, ma grossièreté… »

« Alors avec le stylo d’encre, il se fera une cérémonie pour que chaque mot redevienne difficile, lointain, fatigué d’avoir parcouru un si long chemin dans le tuyau du stylo, où chaque particule d’encre recomposera le mot pour que le mot arrive sur la feuille comme une vague lentement sur la plage, rempli de tous les chants du monde, bruissant de toutes les langues du monde, épuré par tous les voyages, et que ce mot devienne le bon, le vrai, le seul, l’unique parce qu’il aura vaincu les mauvaises routes, les pièges, les mensonges, les illusions de ceux qui savent bien écrire.
Rocky, c’était des mots avec des lettres vivantes, »

« les mots ne se liront plus,
les mots devront être déchiffrés, »

« Par son poignet, Rocky sentit se reconstruire les liens. L’arrondi des caractères s’amplifiait. »


mais ce commentaire ne concerne pour l’instant que la première partie.

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Message  polgara Jeu 24 Jan 2013 - 7:04

oh oui alors je ne peux que suivre les commentaires précédents tant j'ai été emballée par cette lecture. Un super texte vraiment !
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Message  Louis Sam 26 Jan 2013 - 14:53

Le stylo à Rocky, c’est un cadeau. Marque de dix années de mariage, avant d’écrire, avant de tracer des signes sur le papier, le stylo déjà est signe : signe d’union, signe de mariage qui dure. « Ce geste que faisait Cerise rien que pour célébrer les 10 ans de mariage qui la liaient à Rocky. »
Cerise écrit la première avec ce stylo à encre qu’elle offre ; elle écrit un trait d’union. Sans encre.

Le stylo est déjà un mot. Signe producteur de signes. Mot à engendrer des mots.
Cerise attend une parole. Elle attend une réponse.
Elle transforme Rocky en stylo vivant. Un homme-stylo. Un homme de lettres. Quelle parole attend-elle ? Que veut-elle lire de Rocky ?
Rocky devenu plein d’encre, ivre de l’encre et de l’alcool des mots, ou fusil aux cartouches qui flinguent les phrases dans leur outrageuse originalité, et par lesquelles on tue sa singularité ? « Rocky se posa la délicate question pour savoir s’il devait se fournir en bouteille ou en cartouche. Avec l’une c’était l’ivresse, avec l’autre c’était la mort. L’ivresse de la mort lui semblait convenir. Boire de l’encre ou se tuer. » Le babil bavard de l’ivresse en taches d’encre volubiles, en phrases ni claires ni nettes, saoules à ne pas tenir debout, ou une mort blanche dans l’écriture impersonnelle ?

Cerise attend de la couleur.
C’est la couleur qui importe d’abord. La couleur de l’écriture, la couleur, métaphore du style. Il faut du style à Rocky, et du stylo coule le style, du stylo ruissellent les couleurs.

Rocky aime la teinte « sépia », couleur du passé, ton de la nostalgie, teinte d’autrefois.
Tenté de mettre un peu de la couleur du temps révolu sur feuillet blanc, voudrait-il rappeler une période évanouie du temps de Cerise, de son temps avec elle ? Attend-elle, Cerise, que la vie vécue ensemble, écrite dans l’étoffe du quotidien, soit redoublée dans l’écriture des mots, photographiée dans les mots couleur sépia pour durer toujours, coloriée de façon indélébile, ainsi soustraite au temps qui efface tout ?
Mais l’encre « sépia » ne se fait plus, elle appartient au passé ; la nostalgie, c’est du passé ; la nostalgie, c’est passé et dépassé.

Cerise propose à Rocky une encre autre, plus intime, une encre viride : « Cerise dit à Rocky qu’un encrier plein lui restait à la maison. Une encre émeraude. » Emeraude : une encre qui aime, forcément. Une encre précieuse, une encre bijou, pour former un collier de mots pour Cerise, une alliance de paroles délicates à la main donnée par Cerise.

Les mots ont, avec les couleurs, des affinités électives, « Il y avait des mots qui préféraient une encre plus qu’une autre, comme les humains ne boivent pas tous le même vin ». Les voyelles ne sont pas seules à se « marier » aux couleurs, comme l’avait vu Rimbaud, « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles », mais les mots entiers ont une teinte de préférence, avec laquelle ils sont en harmonie, en laquelle ils trouvent une correspondance.
Rocky doit dire cette parole teintée qui célèbre une union : union des mots et des couleurs, union de Rocky, l’homme de lettres, et Cerise, femme au nom si coloré.
La parole écrite trouve plus de force expressive dans la couleur, elle-même significative : langage des mots, langage des couleurs. Mais la couleur de l’écriture, c’est avant tout le style.

Rocky avait une préférence pour le blanc : « Rocky aurait aimé écrire avec une encre blanche, sur papier blanc, comme ça seulement pour les initiés, les amoureux, les philosophes, les saints, les révolutionnaires. » L’écriture blanche, bien que sympathique, est l’écriture pour tous, le langage commun, le langage de l’universalité et de l’objectivité, sans subjectivité et sans singularité ; blanche sur blanc, l’écriture est transparente, ne laisse voir que les vérités universelles, s’oublie elle-même pour ne laisser paraître que les réalités désignées. Ainsi, sans couleur et sans style, elle oublie l’homme dans sa particularité, car le style fait l’homme, « le style est l’homme même » écrivait Buffon.

Cerise invite Rocky à la couleur. Et désormais, « Rocky voulait écrire maintenant pour les autres avec son stylographe américain, tous les autres pour Rocky, c’était aussi chacun d’entre eux. Il ne savait écrire qu’au singulier. » Le style en couleur d’écriture n’est pas seulement, pour Rocky, ce qu’on appelle la « touche personnelle » de l’auteur, il n’exprime pas sa seule singularité, à lui, auteur, mais il est moyen, vecteur par lequel une singularité s’adresse à une autre singularité, il est partage d’une coloration du monde, entre l’auteur et le lecteur.
La teinte est ce par quoi l’on s’atteint, dans sa particularité. Teindre sa parole, c’est s’atteindre.
La couleur ne laisse pas les mots s’échapper au-delà d’eux-mêmes, elle les retient, et les fait pénétrer dans l’intime coloration de chacun, dans cette teinte en halo où l’Un s’unit à l’Autre.

Cerise invite Rocky à lui écrire les mots de couleur qu’il ne sait pas dire :
« Il se dit Rocky, qu’il écrira à Cerise, même quand Cerise était dans ses bras, parce que dans ses bras Cerise étouffait tous ses mots. » Elle l’invite à peindre leur vie commune par les mots en couleur, à styliser leur vie pour empêcher qu’après dix années communes, leur vie devienne fade, ternie, déteinte, que leur vie se décolore. Empêcher que Cerise soit flétrie. Un stylo, c’est « intemporel », il écrit les mots pour toujours, il installe la vie dans le toujours, le toujours du temps ensoleillé des amours, le temps des Cerise.

Il faut donc de l’encre de couleur à Rocky, il lui faut du style, « Quelque chose qui donne du style à Rocky parce que Rocky en manquait ».
Outre la couleur, le style donne aux mots et aux lettres plus d’épaisseur, et toute une vie nouvelle. Le mot sera « rempli de tous les chants du monde, bruissant de toutes les langues du monde, épuré par tous les voyages ». Le mot devient porteur de mille échos, s’enrichit de sens, de polysémie, dénotations et connotations ; il devient moins banal, quand il passe par le stylo du style. Il devient « le bon, le vrai, le seul, l’unique » quand il passe hors du droit chemin, très réglé, trop réglé, de « ceux qui savent bien écrire ».

Le stylo anime les mots, le style engendre des anim-mots : « mille-pattes ; vermiculaires ; papillons de nuit ». Des mots grouillants, rampants ou volants, aux multiples tentacules, aux mille antennes communicatives. Alors « Les mots ne se liront plus, les mots devront être déchiffrés », alors les mots, notes animées, devront être jouées, interprétées, comme une partition, une composition musicale vivante.
Alors « Cerise pourra lire Rocky », Rocky musicien animateur des mots, « Rocky le rockeur au stylo »

Rocky découvre pourtant que la richesse polysémique n’engendre pas nécessairement harmonie et concorde, mais dissonance et mésentente. Cerise, « elle mettait toujours un petit tas de sens et d’interprétations, derrière chaque mot ou chaque geste qu’on faisait. Ce petit tas comme un dur sable mouillé bloquant la relation d’amour. »

Quand le « malheur » survient au stylo, Rocky serre les vis, il serre les vis de leur union avec Cerise, il serre les vis de leur lit conjugal. Il caresse les formes de Cerise, réécrit ses formes, les invente à nouveau sous ses mains qui tenaient un stylo, sous ses mains qui ont désormais gagné du style, sous ses mains qui donnent de la couleur aux effleurements du corps.

Il est très riche, ce texte, Raoul, et son style ne manque pas de couleur.




Louis

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Message  Raoulraoul Lun 28 Jan 2013 - 15:10

Merci à vous d'avoir lu la suite de Stylomania. A Janis : d'accord avec toi concernant mes titres un peu trop accrocheurs. Pour le 2ème texte je pensai à "L'intérieur de ma Cerise".
A Igloo : "écriture tectonique, avançant par plaques". Très juste. Je n'y avais pas pensé.
A Easter : tu soulignes la mise en abîme, quand Rocky imagine la réaction de Cerise. Pour moi c'est la pensée essentielle de ce 2ème texte ; comment parfois nous avons des a priori envers les êtres qu'on aime et que nous croyons connaître. Nos projections envers eux. J'apprécie ta mise en exergue.
A Louis : ton art à créer des concepts. Des nodules significatifs et à partir d'eux développer un rhizome de signifiés que parfois je découvre et d'autres que je confirme. Surprise aussi quand, un thème que je croyais important pour moi, passe inaperçu. C'est en cela aussi qu'on constate combien nous sommes dupés par notre subjectivité dès que nous avons un stylo en main... D'où la "remise à niveau" nécessaire par le lecteur distancié.
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Message  Invité Lun 28 Jan 2013 - 15:37

Moi j'ai beaucoup aimé le fait de sentir concrètement le plaisir que tu as eu à écrire ça. Il y a de nombreuses trouvailles anti-novlangue là dedans. Tu as trouvé ici un ton de liberté subversif.
Je suis d'accord pour dire avec toi (et Céline) que c'est le stylo qui écrit et non la main ou la tête.

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