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J'ai rencontré un jour monsieur Peter H.

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Louis
Raoulraoul
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J'ai rencontré un jour monsieur Peter H. Empty J'ai rencontré un jour monsieur Peter H.

Message  Raoulraoul Mer 13 Fév 2013 - 8:25

J’ai rencontré un jour monsieur Peter H.
Comment que ça aurait commencé ? Allez dis !
Comment que ça naît cette passion à toi ?
Mais qui es-tu toi, pour me demander comme ça ?
Une voix à l’intérieur de toi qui te demande.
Ca m’est venu un jour à cause de ses pièces.
A cause que dans ses pièces on causait mal,
ou pas du tout,
ou qu’on répétait toujours la même chose,
sans jamais dire la même chose.
Essayer de dire les choses c’est ce que dit son théâtre.
Tu t’emmerdais à son théâtre ?
Dans l’instant oui. Après il m’empêchait de dormir.
J’y suis revenu de mille façons.
Ensuite ce furent ses carnets, son journal.
Il écrivait un journal ?
Pas vraiment. Son journal c’était comme qui dirait ce qui ne rentrait pas dans le roman.
C’est toujours comme ça !
Ca aurait pu être le journal de tout le monde,
ou de personne, parce que personne comme lui ne savait regarder
ce qui crève les yeux et que pourtant on ne voit pas.
On l’appelle comment cet homme ?
Ecrivain.
Son nom d’écrivain ?
Etranger mais qui vous deviez familier.
Il habite où ?
Il marche. Sur les frontières de son pays d’abord,
pour s’acquitter de la mauvaise histoire de son pays.
Puis il repart pour les seuils, les intermédiaires, la périphérie,
qu’il décrit avec exactitude.
Exactitude ?
Exactement !
Puis je suis passé à autre chose.
Je le sais. Tu as pris une autre voie.
J’ai expérimenté la folie.
Je le sais aussi. En toi quelque chose de dingue, comme le mélange, le décloisonnement, l’excès.
Pendant ce temps il est tombé en disgrâce.
A cause de toi ?
A cause de la politique. Il a soutenu l’agresseur. Il est allé aux obsèques de l’agresseur,
une rose à la main. Parce que pour lui, l’Histoire et la subjectivité c’est pareil.
L’agresseur était du même peuple que celui de sa mère. Un femme simple suicidée.
Ca c’est tout lui.
Quoi c’est tout lui ?
Etre dedans et dehors à la fois. Plus dehors que dedans. Et c’est par le dehors qu’il parle le mieux de nous.
De toi ?
De tous les moi. Mais la vacherie, c’est la suivante.
Ses livres peuvent te tomber des mains.
Comme son théâtre, comme ses poèmes, comme ses essais, comme ses romans.
Ses récits ?
Ses récits justement. De la complexité il en fait le récit ordinaire.
Ils peuvent te tomber des mains, ses livres, si tu es fatigué ou si tu as picolé.
Ou alors il faut avoir énormément picolé pour que tu t’accroches au livre sans plus pouvoir t’en défaire. Tu es hors normes. L’exactitude de ses récits est limpide. Tu accèdes à ce que tu croyais ne pas savoir. C’est phénoménologiquement ça.
Ah tu veux un verre de cognac ?
La seule poésie qui vaille ne dit jamais son nom.
Un deuxième verre de cognac ?
Une page de lecture suffira.
Et il se renferma. L’autre partie de lui-même entendit des passages de l’écrivain.
Ils le conduisirent jusque devant la grille d’une maison de banlieue.
Un homme le reçut à peine.
Des chaussures étaient posées à ses pieds. Elles avaient parcouru l’Amérique et d’autres continents.
Dans la maison l’immanence évidente d’une enfant. Ses dessins sur les murs.
Et celle d’une femme improbable et plus secrète.
Sur le bout de la table, un livre. Sur la couverture du livre on pouvait lire ce titre :
« L’histoire du crayon ».
Le visiteur s’approcha. Il feuilleta le livre.
L’autre partie de lui-même lui fit se dire : Tiens tiens intéressant !
Il sortit de sa poche son stylo et recueillit quelques extraits de L’histoire du crayon.
L’homme l’observait, ce qui eut pour effet d’intimider le stylo.
Le stylo se sentit ridicule jusqu’à ne plus pouvoir écrire la moindre parcelle de L’histoire du crayon.
L’homme aurait pu offrir un café.
Puis une femme entra. Elle sembla comédienne. Elle dit ne pas avoir bien joué.
L’homme lui sourit au seuil d’une parole qu’on supposerait emprunte d’un accent pourtant de mieux en mieux maîtrisé.
D’autres détails absorbèrent L’histoire du crayon.
Ce fut dans la rue que le stylo et son utilisateur se retrouvèrent.
Lui, il se nommait « Rocky » avec un y. Il ne lui restait que ce nom ostentatoire.
Et une voix en lui qui lui revint.
Elle parlait d’une passion pour cet écrivain.
Comment l’incompréhensible vous guide.
Regarde à tes pieds. La saxifrage pousse sous les pierres.
Sors ton stylo et croque là. Ca marchera.
Dans la plume d’un stylo il y a toujours une naissance
Hein ? Tu me racontes quoi ?
Maintenant c’est toi qui me questionne ?
Ca va ça va, je t’écoute.
Mais la voix se tu.
Au coin de la rue une autre voix appela Rocky.
C’était Cerise. Elle embrassa Rocky.
Sur ses beaux seins il sentit son stylo s’écraser, dans la poche de sa veste.
Un peu d’encre tâcha la poitrine de ces amoureux là.

**
Raoulraoul
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Message  Invité Ven 15 Fév 2013 - 9:03

Peter Handke ?

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J'ai rencontré un jour monsieur Peter H. Empty Re: J'ai rencontré un jour monsieur Peter H.

Message  Invité Ven 15 Fév 2013 - 9:11

On dirait bien, Iris, tu as très certainement raison.

Bien aimé que Rocky et Cerise, auxquels on s'est habitués, reviennent faire un tour dans ce texte ; les quatre dernières phrases de la fin sont puissantes, et la tache finale tout un symbole.

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J'ai rencontré un jour monsieur Peter H. Empty Re: J'ai rencontré un jour monsieur Peter H.

Message  Louis Sam 16 Fév 2013 - 15:41

Un dialogue intérieur, entre soi et soi ; un dialogue intérieur pour s’interroger sur l’origine d’une passion : « Comment que ça aurait commencé ? Allez dis ! ». Une passion pour un écrivain.
Ça a commencé par ses pièces de théâtre, l’engouement pour l’auteur.
Qu’est-ce qui a suscité une telle admiration dans l’écriture de cet auteur ?
De subtiles répliques ? Un beau langage ? Une grande qualité d’écriture ?
Eh non, tout le contraire.
« A cause que dans ses pièces on causait mal ». On causait mal à l’image du dialogue intérieur du début du texte, son reflet dans un langage parlé.
Non seulement, on y « cause mal » dans ces pièces, mais on y répète la même chose :
« ou qu’on répétait toujours la même chose,
sans jamais dire la même chose. »
La répétition comporte la différence, en effet, et ce Même qui se répète est celui de la différence.
Ainsi ce n’est jamais la même chose qui se dit dans la répétition. L’auteur est maître de l’équivoque, de la polysémie, du sens fluctuant selon le contexte du discours ; du retour d’une parole qui est Répétition et différence selon les mots qui titrent le savant ouvrage de Deleuze.
« Essayer de dire les choses c’est ce que dit son théâtre. » Un théâtre donc qui ne serait pas simplement expressif d’une subjectivité ; un théâtre dont les mots ne renverraient pas à d’autres mots, dont les mots ne se contempleraient pas eux-mêmes dans leur littéralité, mais un théâtre qui renvoie aux choses, les accueille, les met au jour. Discours aussi du répétitif différentiel pour dire l’instabilité des choses, leur devenir fluent.

On se l’avoue à soi-même, l’abord de l’écrivain n’a pas été facile :
« Tu t’emmerdais à son théâtre ?
Dans l’instant oui. Après il m’empêchait de dormir. »
Le goût pour le théâtre de l’auteur entraîne le goût pour ses autres écrits, ses carnets, son journal, sa poésie, ses romans.
En authentique artiste, l’auteur sait révéler, il sait, voyant, faire voir ce que l’on ne sait pas voir, « parce que personne comme lui ne savait regarder
ce qui crève les yeux et que pourtant on ne voit pas. »

C’est un écrivain qui se tient sur les bords, qui court sur les lisières, jamais au centre de la vie de son pays, « Il marche. Sur les frontières de son pays d’abord,
pour s’acquitter de la mauvaise histoire de son pays. »
Il sait se tenir aux limites, justement dans ce qui dé-finit, dans ce qui délimite. Il cerne les contours, les « périphéries », il est par conséquent dans l’ « exactitude ».
Il se tient où tout commence, où tout se finit, aux « frontières » qui sont des « seuils », des « intermédiaires », entre un ici et un ailleurs étranger. Frontières qui permettent d’ :
« Etre dedans et dehors à la fois. Plus dehors que dedans. Et c’est par le dehors qu’il parle le mieux de nous. »

Cette passion pour l’écrivain ( Peter Handke ) conduit au récit d’une rencontre. Rocky rencontre Peter. Rocky, qui dialogue avec lui-même, rencontre l’auteur des œuvres pour lesquelles est née sa passion.
Rocky a son histoire de stylo ; il rencontre le carnet de P. Handke : L’histoire d’un crayon.
Un stylo rencontre un crayon. Le stylo est intimidé. Le crayon conta-mine, et le stylo se donne une plume.
On n’en saura guère plus sur cette rencontre.
Le dialogue intérieur à Rocky reprend et se poursuit, jusqu’ à ce qu’une autre voix l’interpelle, celle de Cerise.
Le stylo s’ « écrase », en sa présence. Près d’elle, il se tait.
Mais tous deux sont mouillés, mouillés par l’encre d’une écriture, tachés par elle, marqués par elle.



Louis

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Message  Ba Dim 17 Fév 2013 - 11:50

Passer derrière Louis et ne rien ajouter, facile ?
Facile de laisser le plus enrichissant prendre toute sa place...
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Message  Raoulraoul Dim 17 Fév 2013 - 16:55

"La répétition comporte la différence, en effet, et ce Même qui se répète est celui de la différence.
L’auteur est maître de l’équivoque, de la polysémie, du sens fluctuant selon le contexte du discours ; du retour d’une parole qui est Répétition et différence selon les mots qui titrent le savant ouvrage de Deleuze.
Un théâtre dont les mots ne renverraient pas à d’autres mots, dont les mots ne se contempleraient pas eux-mêmes dans leur littéralité, mais un théâtre qui renvoie aux choses, les accueille, les met au jour. Discours aussi du répétitif différentiel pour dire l’instabilité des choses, leur devenir fluent.
C’est un écrivain qui se tient sur les bords, qui court sur les lisières, jamais au centre de la vie de son pays.
Il sait se tenir aux limites, justement dans ce qui dé-finit, dans ce qui délimite. Il cerne les contours,
les « périphéries ».
Un stylo rencontre un crayon. Le stylo est intimidé. Le crayon conta-mine, et le stylo se donne une plume."

Je ne peux que reprendre ces extraits de Louis qui explicitent mieux que jamais mon texte. Merci Louis.
Merci aussi à vous, Iris, Easter, qui avez démasqué l'Ecrivain.
Raoulraoul
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Message  polgara Dim 17 Fév 2013 - 20:12

je n'avais rien démasqué et en plus je passe après Louis, autant dire que le boulet d'or, c'est moi. Je n'ai pas, de mémoire, commenté les aventures styl(o)istiques de rocky et cerise que j'ai pourtant bcp aimées : les retrouver ici est un plaisir. Les errements et interrogations de Rocky sont vraiment décrits, et hormis la forme on ne peut plus compacte qui a manqué de me faire reculer, c'est un vrai bon moment de lecture que j'ai vécu.
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Message  Lizzie Dim 17 Fév 2013 - 22:02

Je laisse également une trace de mon passage.
Moi aussi, je suis les aventures de Rocky, de son stylo et de Cerise.

Cet épisode se lit comme les autres, d'une traite. Il n'y a que sur l'adjectif "improbable" que j'ai fermé un oeil (l'improbable est si galvaudé...). Je ne suis pas sûre de tenir la lecture sur du long d'une seule traite, mais en épisodes de cette longueur, c'est une lecture enrichissante, j'aime beaucoup.

Lizzie

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Message  Invité Lun 18 Fév 2013 - 10:12

Pas lu Peter. Pas bu non plus. Mais j'ai bien aimé ce texte.

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Message  Lucy Lun 18 Fév 2013 - 17:50

Je pense avoir lu un texte de Rocky, mais ma cervelle embrumée n'est plus très sûre. J'ai aimé cette lecture. Le rythme, le ton, c'est du tout bon. Petit bémol sur la disposition du texte, mais vraiment, c'est pour pinailler. Je partirai à la recherche des autres opus.
Lucy
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Message  Invité Mar 19 Fév 2013 - 10:11

"Et une voix en lui qui lui revint.
Elle parlait d’une passion pour cet écrivain.
Comment l’incompréhensible vous guide.
Regarde à tes pieds. La saxifrage pousse sous les pierres."

"Au coin de la rue une autre voix appela Rocky.
C’était Cerise. Elle embrassa Rocky.
Sur ses beaux seins il sentit son stylo s’écraser, dans la poche de sa veste.
Un peu d’encre tâcha la poitrine de ces amoureux là. "


j'aime beaucoup...!

au delà de ça,
la suite, donc, des taraudages du stylo, dans cette ballade-dialogue qui arpente les frontières.
et toujours cette capillarité...!

je continue à suivre ses travaux: un beau chantier auquel nous assistons,
avec ses vis, ses boulons, ses rouages, ses chevilles et j'en passe.
chaque fois une nouvelle cerise sur le gâteau.







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