Exo anonyme « Ce que je fais » : Le bruit de la neige

[Modération]

Le bruit de la neige

— Ce que je fais, c’est…
— Rien !
— Pardon ?
— Tu dis « Ce que je fais », mais en réalité tu ne fais rien !
— Je débutais à peine ma phrase.
— N’empêche que tu ne fais rien, rien de toute la sainte journée.
— Je peux finir, oui ?
— Ce serait bien la première fois que tu finis un truc que tu commences.
— T’es mal luné ?
— Non, je fous le camp.
Disant ça, je regarde alentour, c’est la pagaille, Dutroux n’y retrouverait pas une môme de dix piges. Les bouteilles s’amassent comme un lendemain de baptême. Le linge s’empile, menace de s’écrouler. La pièce est saturée de volutes de cibiches, créent un rideau bleu Gauloise à couper au couteau. La regardant elle, étalée sur le canapé, me revient en mémoire un film de Lasse Hallström : What's Eating Gilbert Grape. Je revois ces deux adolescents étayant le plancher niveau cave, pour supporter le corps grassement reposé sur ledit canapé, lascif, quasi inactif, niveau rez-de-chaussée. Un étai tous les mètres, peut-être moins que ça encore.
— Infiniment moins, peut-être, dis-je.
— Infiniment moins que quoi ? Je t’ai donné toute ma vie. Comment elle s'appelle ?
— Quelle importance.
— C’est important !
— Elle s’appelle pas, je suis bien dans ses bras et j’en ai marre de tout ça.
Dans moins de dix minutes, je vais refermer une porte crasseuse sur une vie crasseuse.
— Éh, elle dit. Avant de t’en aller tu peux m’ouvrir une bouteille de rosé. J’ai du mal avec le tire-bouchon.
Mon sac est prêt, dix-huit ans de souvenirs ça pèse que dalle. Moins le tire-bouchon que je laisse là : watt-millions de kilos de quiproquos et d’emmerdes.
Elle boit une gorgée, deux, trois, finit son verre, s’en ressert un autre, dit, avant de s'endormir sur canapé et devant la télé : « Allez, tu peux me le dire, elle s’appelle comment ta Dulcinée ? »
Je réponds pas.
Je claque la porte derrière moi.
Il fait froid, il neige.
Je regrette rien, je souris de la situation.
Faut dire que je n’ai pas plus de Dulcinée que maman a lu Cervantes.
J’entends, peut-être : tu vas me manquer mon fils.
J’entends, peut-être, ce que raconte la neige lorsqu’elle crisse sous les pas.
Et le soleil se lève, blafard comme un départ.

[Invité]

Bon : du Yali sombre, à mon avis.
Ou un bon faussaire : les dialogues, watt-millions, la phrase qui continue ce que le héros a en tête mais qui n'a pas de rapport avec ce qui se disait juste avant, une situation de crise... mais pas de jolie fille ( on sent le père de famille, sérieux et tout !!!)
Ouais, du Yali !

[Yali]

Le style est injuste !

[Invité]

Et puis surtout le titre gras en italiques, les cadratins, les dialogues enlevés.

[Rebecca]

Une ambiance lourde, pesante, remplis de rêves avortés, de non dits, de rancoeurs
On croit à une scène de ménage
C'est toute une vie de famille résumée en quelques mots, une enfance déçue, une mère déchue
Le départ comme une bouffée d'oxygène , mais dehors n'est pas moins blafard en fin de compte et la neige crisse comme ces mots qu'on lance en l'air et qui s'écrasent au sol , ou comme ces mots qu'on voudrait entendre et qui resteront tus, pour former la gadoue qui pourrait rendre l'échappée belle, moche .
Mais si la neige nous parle, peut être le monde sera-t-il réenchanté ...
Ce texte me parle beaucoup. Terrible et beau.

[Invité]

whaouw!
c'est puissant, ce qu'il y a dans ce bagage de 18 ans...!

il envoie, ce texte!!!
par ci par là quelque tournures de phrases ont fait légèrement crisser ma lecture, mais rien de grave.

beau texte, vraiment.

[Lizzie]

Une vraie nouvelle, ce texte. Rien de très neuf dans l'intrigue ni dans les personnages (la mère alcolo et démissionnaire, le gentil fils qui se révolte), mais tout est dans l'évocation, le dialogue. Du bon boulot, une lecture prenante: bravo !

[Invité]

Moi aussi je dirais Yali. Mais je me plante à chaque fois.

[Janis]

Ah j'ai bien aimé
le rythme, le dialogue, la neige (en vrac), le soleil

et en particulier l'humour bourrin (pardon à l'auteur) : dutroux, cervantes...

a priori pas difficile de deviner l'auteur, mais sait-on jamais, ya peut-être un(e) petit(e) malin(e) qui s'amuse

[polgara]

comment faire d'une situation tristement banale un petit bonheur de lecture?
j'en ai envie de plus! Parce que c'est diablement efficace. Cela donne l'impression que chaque terme est choisi sciemment pour faire mouche. Rien n'est laissé au hasard, tout est maitrisé.
Alors oui, Yali m'a traversé l'esprit.

[Invité]

Bonjour l'ambiance !
C'est sombre, limite sordide. Ça raconte une histoire. Et c'est bien.

[Yali]

comment faire d'une situation tristement banale un petit bonheur de lecture?
j'en ai envie de plus! Parce que c'est diablement efficace. Cela donne l'impression que chaque terme est choisi sciemment pour faire mouche. Rien n'est laissé au hasard, tout est maitrisé.
Alors oui, Yali m'a traversé l'esprit.

Pas mieux…

[Invité]

Vraiment, je n'accroche pas trop dès qu'il s'agit de micro nouvelles (c'est mon goût personnel, bien sûr)
La consigne est là aussi adaptée aux besoins de l'histoire.
Et surprise ! la dernière partie est super, elle correspond tout à fait à ce que j'aime lire! (j'ai bien fait de rester accrochée)

[Kilis]

Évidemment !
Évidemment, y’a pas, ça roule.
Ou plutôt , ça tourne, comme les images d’un film.

Il y a juste cette référence à Dutroux que… qui… un brin audacieuse, non ?

Et les trois phrases de fin sont d’une grande beauté:

« J’entends, peut-être : tu vas me manquer mon fils.
J’entends, peut-être, ce que raconte la neige lorsqu’elle crisse sous les pas.
Et le soleil se lève, blafard comme un départ. »

[Pussicat]

Je lis : "dialogues enlevés."... "ambiance lourde"... "puissant"... "efficace"... 'maîtrisé"... je me dis : je vais casser l'ambiance... alors je casse l'ambiance. Je ne trouve rien dans ce texte qui m'emballe au point d'écrire autre chose que : j'aime les trois dernières lignes.

Et puis question : "dialogues enlevés.", là faudra m'expliquer.

[Yali]

Je lis : "dialogues enlevés."... "ambiance lourde"... "puissant"... "efficace"... 'maîtrisé"... je me dis : je vais casser l'ambiance... alors je casse l'ambiance. Je ne trouve rien dans ce texte qui m'emballe au point d'écrire autre chose que : j'aime les trois dernières lignes.

Et puis question : "dialogues enlevés.", là faudra m'expliquer.

Pas moi qui vais me coller à l'explication de texte :-P

[Janis]

Je lis : "dialogues enlevés."... "ambiance lourde"... "puissant"... "efficace"... 'maîtrisé"... je me dis : je vais casser l'ambiance... alors je casse l'ambiance. Je ne trouve rien dans ce texte qui m'emballe au point d'écrire autre chose que : j'aime les trois dernières lignes.

Et puis question : "dialogues enlevés.", là faudra m'expliquer.

bah oui mais j'ai pas vu écrit "dialogues enlevés"

sinon, le dialogue roule, non ?
moi j'aime bien les dialogues sans incise, comme ça, cash

[Pussicat]

bah oui mais j'ai pas vu écrit "dialogues enlevés"

sinon, le dialogue roule, non ?
moi j'aime bien les dialogues sans incise, comme ça, cash

Et puis surtout le titre gras en italiques, les cadratins, les dialogues enlevés.

[Sahkti]

Ce que j'apprécie, c'est qu'en peu de lignes, des moments ciblés, des détails mis en avant, il y a une véritable scène de vie qui s'offre à nous, dans tout ce qu'elle peut avoir de juste, de cruel, de touchant aussi. Oui, c'est vraiment ce que j'aime ici, cette absence d'effets inutiles, on va à l'essentiel et tout est là, riche, bien mené.

[Invité]

Et puis surtout le titre gras en italiques, les cadratins, les dialogues enlevés.

J'utilise « enlevé » dans cette acception :

B. Au fig.
1. Transporter, soulever d'enthousiasme. Cet orateur enlève son auditoire (Ac. 1878-1932). Cette péroraison enleva l'auditoire. Tout le monde en fut charmé, excepté moi (ABOUT, Roi mont., 1857, p. 226).
Emploi abs. L'air du matin, l'entrain de la besogne, la vision de la justice, cela enlève. La fureur d'une chanson le jetait de l'avant. Et il commençait de chanter (POURRAT, Gaspard, 1930, p. 90).
2. LITT., MUS. Composer ou exécuter une œuvre avec rapidité ou puissance et justesse de ton, à la manière d'un virtuose, et de façon à susciter l'enthousiasme. Enlever un morceau de piano. C'est ainsi que le travail du Dictionnaire dit « de Richelet » fut enlevé en quinze ou seize mois (SAINTE-BEUVE, Causeries lundi, t. 5, 1851-62, p. 290) : J'écris avec toutes sortes de lenteurs la dernière scène dont le mouvement est extrêmement rapide. Je me suis toujours méfié de ce qui était « enlevé ».
GREEN, Journal, 1935, p. 45.

Car s'il y a bien un talent que je reconnais à Yali, et il n'est pas des moindres, c'est d'écrire des dialogues qui sonnent juste.

[Invité]

(Modération pourra-t-elle, dans son immense bienveillance, corriger mon couac avec les balises « [justify] » ? Grand merci d'avance.)

[CROISIC]

très visuel... ça me plait.

[elea]

Joli, bien amené, bien truandé avec le début qui laisse penser à un couple et j'aime la fin.

[Invité]

Un texte efficace qui "campe" toute une situation.
"J’entends, peut-être : tu vas me manquer mon fils".

[Pascal-Claude Perrault]

Lu, mais ouaouuh... dodo, po la force de commenter.

C'est bien.

Si si, je trouve.

[Janis]

Là aussi, y a pas photo !

[Sahkti]

Bon, toi, je t'avais reconnu :-) Mais même si tu voulais te cacher, t'y arriverais pas. "Le style", m'avais-tu expliqué un jour et t'as raison, le style il est là, ça fait mouche, je confirme mon impression positive.

[Zou]

Pareil que Kilis pour Dutroux :-) Mais c'est peut-être notre sensibilité de belge à fleur de peau par rapport à ça.
Sinon rien à dire sauf que j'aime bien aussi ce personnage sans Dulcinée mais avec mère encombrante. Ca change, en tout cas sur le fond de ce que j'ai eu l'habitude de lire, mais je reconnais n'avoir pas tout suivi non plus.
Les dialogues eux pareils à eux-même, efficaces. Et puis ce que j'apprécie c'est que, même quand tes personnages sont peu sympathiques (je parle de la mère), tu arrives malgré tout à les faire aimer un petit peu parce que ta manière d'écrire est tellement Humaine.

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