Oublié quelque chose là-bas
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Oublié quelque chose là-bas
Oublié quelque chose là-bas
Tourne en rond dans maison. Rangé valises. Vidé intestins.
Caresse gros chat noir européen. Vent souffle toujours. Neige tombée.
Retrouve clés. Rebranché télé. Préparation cours au bureau. Rouvrir classeurs.
Acheté journaux, magazines. Salué visages. Arrose pensées mortes.
Reprendre stylographe sec. Rechargé réservoir. Entendu hommes politiques. Encore crise avec chômage. Pape nouveau.
Couché dans même place défoncée du lit. Répare fenêtre. Regarde photographies.
Se rappeler.
Veux caresser cul rose de Cerise. Rebande. Cerise bien malade.
Reconduire auto. Faire budget dépenses. Répondre au téléphone. Voir concierge. Subir tondeuse du jardinier. Lavé caleçons. Offrir loukoums d’Istanbul.
Erre dans villes françaises. Cerise attrapée froid. Ecouté bandas sur la place. Bu café mauvais.
Reçu tramontane comme une gifle.
Monte dans un train Intercités. Rêve dans un train Intercités. Lu Bachelard dans un train Intercités. Cité Bachelard « Nous ne sommes plus que le sujet mécanique d’un geste mécanique ».
Causé. Revenu. Reconnu le pays. Neige de mars tombée. Bavardé français.
Dire « je t’aime ».
Renoué avec le feuilleton de vingt-heures trente. Mange des légumes frais. Constate que plus personne ne tient ses promesses.
Dialogué avec Rocky. Son stylo. Sa vérité vraie. Corrige des brouillons. Amène chez le cordonnier une chaussure trouée. Profité des jasmins. Suis rentré à temps pour eux.
Cerise reprend son roman. Fumons cigare.
Gonflé pneus. Cherché ordonnance. Surveillé le prochain opéra sur Arte. Refusé les compromis.
L’écho des muezzins de minaret en minaret.
Des plants de fraisiers à l’infini sous les serres.
La brume lumineuse.
A peine fleuris les tamaris sur le bord de la mer Egée.
Un âne tire charrette sur l’autoroute.
Du ventre de la terre, les sources chaudes à Pamukalé.
Les pharmaciens ont des enseignes pleinement rouges.
Ô ! parfum d’Eau de Cogne citronnée sanctuarisant chaque maison.
Dans un rayon de soleil la bibliothèque d’Ephèse.
La course criarde des mouettes au-dessus du ferry.
Au Grand Bazar le marché aux épices.
Cet autel en l’honneur de Zeus entre trois oliviers.
Le nombril brillant des filles dans les rues à Constantinople.
La pluie tiède, le ciel noir.
Toutes ces plaines sans homme, défilant au pied des Monts Taurus.
Les tramways rapides et sonores à l’assaut de la ville nouvelle.
Et ce mystérieux village de Sirince, que la fin du monde épargna, où tu m’as longtemps cherché, parce que là je me suis perdu.
Dans l’autobus, sur les routes tortueuses, Cerise ne revint qu’avec une partie de moi-même.
Avec difficulté Cerise essaie de dire à Rocky : «…Oublié quelque chose là-bas… ».
Rocky qui ne sait plus écrire que des phrases sans sujet, avec son stylographe impersonnel.
**
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: Oublié quelque chose là-bas
Sans sujet et sans articles.
La transition au moment du voyage est frappante, et permet à ce point précis de remonter le fil de cet oubli, de cette perte - je pense au mot ablation, dans le sens éloignement, séparation.
Un voyage à rebours où l'on se trouve en se perdant, où l'on se perd en se trouvant.
La transition au moment du voyage est frappante, et permet à ce point précis de remonter le fil de cet oubli, de cette perte - je pense au mot ablation, dans le sens éloignement, séparation.
Un voyage à rebours où l'on se trouve en se perdant, où l'on se perd en se trouvant.
Invité- Invité
Re: Oublié quelque chose là-bas
ah j'aime beaucoup ce genre d'expériences textuelles que tu fais, comme avec Apéritif binaire...
"Dialogué avec Rocky. Son stylo. Sa vérité vraie"
"Rocky qui ne sait plus écrire que des phrases sans sujet, avec son stylographe impersonnel."
je lis ce texte comme un flip book, à partir du retour de voyage de Rocky et puis...ça:
"Et ce mystérieux village de Sirince, que la fin du monde épargna, où tu m’as longtemps cherché, parce que là je me suis perdu.
Dans l’autobus, sur les routes tortueuses, Cerise ne revint qu’avec une partie de moi-même.
Avec difficulté Cerise essaie de dire à Rocky : «…Oublié quelque chose là-bas… »."
"Dialogué avec Rocky. Son stylo. Sa vérité vraie"
"Rocky qui ne sait plus écrire que des phrases sans sujet, avec son stylographe impersonnel."
je lis ce texte comme un flip book, à partir du retour de voyage de Rocky et puis...ça:
"Et ce mystérieux village de Sirince, que la fin du monde épargna, où tu m’as longtemps cherché, parce que là je me suis perdu.
Dans l’autobus, sur les routes tortueuses, Cerise ne revint qu’avec une partie de moi-même.
Avec difficulté Cerise essaie de dire à Rocky : «…Oublié quelque chose là-bas… »."
Invité- Invité
Re: Oublié quelque chose là-bas
Je prends ce texte comme un texte fonctionnant seul, sans lien éventuel avec un texte précédent.
Une panique s'installe avec la juxtaposition d'actions au passé, de phrases télégraphiées, de présent à remplir, de résolutions qui jaillissent. Toute une mosaïque tronquée...
jusqu'au moment où Cerise reprend son roman et où un souvenir resurgit par bribes.
Un voyage et une lecture dont on ne revient pas entier.
Une panique s'installe avec la juxtaposition d'actions au passé, de phrases télégraphiées, de présent à remplir, de résolutions qui jaillissent. Toute une mosaïque tronquée...
jusqu'au moment où Cerise reprend son roman et où un souvenir resurgit par bribes.
Un voyage et une lecture dont on ne revient pas entier.
Invité- Invité
Re: Oublié quelque chose là-bas
Le sujet du texte me semble être l’absence de sujet. De sujet personnel. De narrateur.
La place vide du sujet se traduit par l’absence de sujet grammatical. Lui seul, en effet, est élidé ; quand le sujet n’est pas personnel, il est explicitement présent, à l’exemple du vent : « vent souffle toujours ».
D’autres élisions encore, mais elles concernent les articles, et aussi les possessifs et les démonstratifs.
Le style alors, sans articles devant les mots, en est plus vif ; il indique que l’on ne s’appesantit pas sur les choses du quotidien, valises, clés, classeurs etc., qui sont juste évoquées rapidement ; elles sont événements plus que substantifs. Ainsi le nom commun n’est plus tout à fait le substantif, indiquant une substance, ce qui subsiste, ce qui demeure dans la durée, mais un événementiel, de l’ordre de l’accidentel, de l’inessentiel. Choses-événements : ponctuations d’un temps accéléré, discontinu, resserré sur l’instant.
Mais qu’est-il advenu du sujet ?
Le texte semble illustrer cette pensée de Bachelard dans la citation qui en est faite : « Nous ne sommes plus que le sujet mécanique d’un geste mécanique ».
Le geste mécanique est mouvement, automatisme ; il se fait sans conscience, sans sujet conscient. Le « sujet mécanique » est alors sujet, agent du mouvement, et non un sujet, auteur personnel d’un acte. L’agent est pris dans un enchaînement de gestes, dans un fonctionnement machinal ; il n’est plus que jeu dans les rouages d’une mécanique et se perd en tant que « je » ; il n’est plus sujet auteur, mais sujet assujetti au fonctionnement d’un processus machinique.
On comprend alors l’effacement du sujet, sa disparition du texte. Sa disparition du fonctionnement du texte.
Cette disparition pourtant n’est pas due au seul mécanisme des gestes quotidiens.
La place vide laissée par Rocky, - car c’est bien lui le personnage absent-présent, comme l’indique la dernière phrase, et la présence de sa compagne, Cerise – c’est aussi l’effet d’un « oubli ». Cerise exprime l’idée : «…Oublié quelque chose là-bas… »
Rocky n’est pas là, faute du seul fonctionnement mécanique du quotidien, mais aussi parce qu’il est resté là-bas. Sur le lieu de son voyage.
Une partie de lui-même est restée en Anatolie. « Cerise ne revint qu’avec une partie de moi-même. »
Si les gestes du quotidien ne sont plus qu’une mécanique, c’est qu’ils sont désaffectés par l’âme de Rocky, demeurée sur les terres anciennes de l’Anatolie.
Au temps ponctuel, succession d’instantanés du quotidien, s’oppose la durée d’une mémoire qui sauvegarde le temps passé, le temps d’un séjour sur des terres elles-mêmes chargées de mémoire.
Rocky semble s’être perdu, là-bas, « ce mystérieux village de Sirince, que la fin du monde épargna, où tu m’as longtemps cherché, parce que là je me suis perdu. » Paradoxalement perdu, Rocky, dans le lieu qui devait être épargné, avec Bugarach, par la perte générale du monde dans l’apocalypse prévue fin 2012 ; ainsi perdu là où l’on pouvait être sauvé.
Perdu alors ou retrouvé ?
Rocky s’est si bien trouvé là-bas, que là-bas en Anatolie, il y est encore présent, et qu’ici où son corps s’agite mécaniquement, il est absent.
Ce voyage en Anatolie, Raoul, ne doit pas être imaginaire. Il était déjà évoqué dans le texte précédent. Je suppose qu’il s’agit d’un voyage réel, or celui-ci semble t’avoir beaucoup marqué…
La place vide du sujet se traduit par l’absence de sujet grammatical. Lui seul, en effet, est élidé ; quand le sujet n’est pas personnel, il est explicitement présent, à l’exemple du vent : « vent souffle toujours ».
D’autres élisions encore, mais elles concernent les articles, et aussi les possessifs et les démonstratifs.
Le style alors, sans articles devant les mots, en est plus vif ; il indique que l’on ne s’appesantit pas sur les choses du quotidien, valises, clés, classeurs etc., qui sont juste évoquées rapidement ; elles sont événements plus que substantifs. Ainsi le nom commun n’est plus tout à fait le substantif, indiquant une substance, ce qui subsiste, ce qui demeure dans la durée, mais un événementiel, de l’ordre de l’accidentel, de l’inessentiel. Choses-événements : ponctuations d’un temps accéléré, discontinu, resserré sur l’instant.
Mais qu’est-il advenu du sujet ?
Le texte semble illustrer cette pensée de Bachelard dans la citation qui en est faite : « Nous ne sommes plus que le sujet mécanique d’un geste mécanique ».
Le geste mécanique est mouvement, automatisme ; il se fait sans conscience, sans sujet conscient. Le « sujet mécanique » est alors sujet, agent du mouvement, et non un sujet, auteur personnel d’un acte. L’agent est pris dans un enchaînement de gestes, dans un fonctionnement machinal ; il n’est plus que jeu dans les rouages d’une mécanique et se perd en tant que « je » ; il n’est plus sujet auteur, mais sujet assujetti au fonctionnement d’un processus machinique.
On comprend alors l’effacement du sujet, sa disparition du texte. Sa disparition du fonctionnement du texte.
Cette disparition pourtant n’est pas due au seul mécanisme des gestes quotidiens.
La place vide laissée par Rocky, - car c’est bien lui le personnage absent-présent, comme l’indique la dernière phrase, et la présence de sa compagne, Cerise – c’est aussi l’effet d’un « oubli ». Cerise exprime l’idée : «…Oublié quelque chose là-bas… »
Rocky n’est pas là, faute du seul fonctionnement mécanique du quotidien, mais aussi parce qu’il est resté là-bas. Sur le lieu de son voyage.
Une partie de lui-même est restée en Anatolie. « Cerise ne revint qu’avec une partie de moi-même. »
Si les gestes du quotidien ne sont plus qu’une mécanique, c’est qu’ils sont désaffectés par l’âme de Rocky, demeurée sur les terres anciennes de l’Anatolie.
Au temps ponctuel, succession d’instantanés du quotidien, s’oppose la durée d’une mémoire qui sauvegarde le temps passé, le temps d’un séjour sur des terres elles-mêmes chargées de mémoire.
Rocky semble s’être perdu, là-bas, « ce mystérieux village de Sirince, que la fin du monde épargna, où tu m’as longtemps cherché, parce que là je me suis perdu. » Paradoxalement perdu, Rocky, dans le lieu qui devait être épargné, avec Bugarach, par la perte générale du monde dans l’apocalypse prévue fin 2012 ; ainsi perdu là où l’on pouvait être sauvé.
Perdu alors ou retrouvé ?
Rocky s’est si bien trouvé là-bas, que là-bas en Anatolie, il y est encore présent, et qu’ici où son corps s’agite mécaniquement, il est absent.
Ce voyage en Anatolie, Raoul, ne doit pas être imaginaire. Il était déjà évoqué dans le texte précédent. Je suppose qu’il s’agit d’un voyage réel, or celui-ci semble t’avoir beaucoup marqué…
Louis- Nombre de messages : 458
Age : 68
Date d'inscription : 28/10/2009
Re: Oublié quelque chose là-bas
Très intéressant, même si je n'en lirais pas des dizaines de pages...
Invité- Invité
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