Racisme ?

[Anne Veillac]

Racisme ?

Elle monta dans le train de banlieue et s’assit dès qu’elle trouva une place. Son voisin se tourna vers elle en souriant.
— Vous, au moins, ça ne vous gêne pas de vous asseoir à côté d’un noir. Ça fait plaisir.
Elle resta quelques secondes sans savoir quoi dire.
— Non… pourquoi ça me gênerait ?
— Parce qu’il y a une dame, tout à l’heure, qui s’est arrêtée ici. Elle m’a regardé, et elle est allée s’installer ailleurs.
Elle s’étonna de cette remarque et répondit d’une voix douce et très calme. Plus calme qu’elle n’elle n’en avait l’habitude. D’un ton plus bas aussi.
— Peut-être qu’elle a trouvé une meilleure place, où elle pouvait être seule, où elle était dans le sens de la marche, où elle était près de la fenêtre. Ou peut-être qu’elle n’a pas aimé l’odeur de votre eau de toilette. Ou qu’elle n’aime pas s’asseoir à côté d’un homme. Ou… je ne sais pas… il y a plein de raisons de se mettre à une place et pas à une autre. Il ne faut pas voir le racisme partout.
Elle fut elle-même surprise par sa longue tirade.
Elle respira.
— Vous ne croyez pas qu’il y a des gens qui refusent de s’installer à côté de quelqu’un pour une simple couleur de peau ? Vous croyez que ça n’existe pas ce genre de phénomène ? lui répondit-il.
— Si, je sais que ça existe des gens comme ça. Mais n’empêche, vous ne pouvez jamais savoir ce que les autres passagers ont dans la tête. Si quelqu’un ne se met pas à côté de vous, ça peut être du racisme, mais ça peut être tout à fait autre chose. Vous ne savez pas…
— Oui, vous avez sans doute raison.

Elle lui fit un sourire puis sortit son livre et commença à lire. Elle se rendit compte, qu’ainsi, elle avait mis fin à la conversation. C’était bête de sa part. Elle aurait aimé parler encore avec lui. Elle le trouvait charmant. Et son sourire… Mais il y avait un côté gênant à discuter trop longtemps avec un inconnu. Et puis, il y avait en elle un fond de timidité. N’empêche, et s’il allait s’imaginer qu’elle refusait le dialogue parce qu’il était noir…
— Excusez-moi d’avoir coupé court à notre discussion. Je n’aurais pas dû sortir mon livre. Vous allez croire que je suis raciste…
— Pourquoi vous me charriez comme ça ? Pourquoi j’imaginerais un truc pareil ? Non, vous avez pris votre roman parce que vous aimez lire. Je l’ai lu aussi, je l’ai beaucoup aimé.
— C’est vrai ?
— Pourquoi ce ne serait pas vrai ? Les noirs ne lisent pas ?
Ils éclatèrent de rire, ensemble.
— Non, c’est plutôt les hommes en général qui ne lisent pas beaucoup de littérature.
— Vous voyez, vous aussi vous faites dans les clichés…
— Pas tant que ça. Regardez les gens dans le train, dans le métro. Les hommes et les femmes ne lisent pas la même chose. Les hommes ont plus souvent un journal ou un magazine dans les mains, et les femmes un roman.
— Pas remarqué. J’y ferai attention dorénavant et comme ça je penserai à vous. Mais c’est là que je descends… Au revoir.
— Euh… au revoir.

Pourquoi avait-il fallu qu’il descende bien avant elle ? Ca aurait été si bien qu’ils se soient arrêtés à la même gare, qu’il soit un de ses voisins. Mais bon, dans la vraie vie, il n’y a jamais autant de hasard.
Au moins, il repensera à leur discussion. Et il se souviendra d’elle.
Mince consolation.

[Invité]

Tout le paragraphe de fin (après "Au revoir") me paraît inutile, ce qui précède est largement évocateur, la démonstration est parfaite ainsi, tout est dit, inutile d'en rajouter et de risquer d'affaiblir le texte.

Du très bon travail, je trouve, qui soulève des points essentiels sur les clichés et préjugés que nous abritons tous dans divers domaines d'une part, mais aussi, et c'est ça qui est bien, rend parfaitement compte de l'espèce de questionnement sans fin et parfois contradictoire qu'induit la conscience de ces clichés.
Un texte qui va bien plus loin que l'anecdote que tu as si bien su conter en quelques lignes.

[Jano]

Dès la troisième phrase (« Vous, au moins, ça ne vous gêne pas de vous asseoir à côté d’un noir ») vous vous placez dans un registre irréaliste. Vous pensez vraiment qu'un tel dialogue est possible ? S'il est possible, il se situe dans l'exception. S'il est exceptionnel, il ne peut rien dénoncer. On ne peut défendre une cause en utilisant une situation rarissime, il faut au contraire se servir d'une répétition d'actes.
Autrement dit, ce monsieur noir qui s'adresse ainsi à cette dame blanche est un fait tellement improbable qu'il ne peut être pris au sérieux. Vous vous inscrivez dans de la pure fiction, dans de la littérature déconnectée du réel. Votre texte qui se veut antiraciste en perd du coup l'essentiel de sa force.

[Septembre]

Pourquoi jugez-vous ce récit irréaliste Jano ? Je l'ai lu deux fois et j'ai plutôt eu la sensation d'être dans ce train, à quelques siège de là, et d'attraper au vol cette conversation qui m'a parue très naturelle (d'ailleurs qu'est-ce qui vous dit que la narratrice est blanche de peau ?)

C'est pour moi un très bon dialogue car, dans son apparente simplicité, il aborde avec finesse le thème des préjugés, de la difficulté de l'aborder dans une conversation anodine, de la suspicion (l'homme et la dame) mais également de la délicatesse timide (la narratrice et l'homme) qui peut survenir entre deux inconnus.

On pourrait aussi en faire une lecture goffmanienne et dire que nous avons là un bel exemple d'une situation de contact mixte dans lequel "l’individu stigmatisé présente à autrui un moi précaire, exposé à l’injuge et au discrédit" ;)...

Par ailleurs je suis d'accord avec Easter pour le dernier paragraphe.
Bref un texte riche et intelligent.

[Titia_____]

Je trouve ce texte sympathique et bien écrit.
« Plus calme qu’elle n’elle n’en avait l’habitude »
Peut-être qu’enlever la toute fin comme suggéré plus haut ferait gagner le texte en dynamisme, ça ferait moins délayé. Une fin un peu brutale comme la fin de la rencontre. Mais j’imagine que l’auteur tient à marquer la déception de la narratrice!
Perso, je ne trouve pas la situation invraisemblable. C’est peut-être que je discute facilement avec les gens, et qu’il m’est effectivement arrivé de nombreuses fois d’engager des discussions intéressantes avec des inconnus-es.
Au plaisir de vous lire à nouveau…

[Rebecca]

Un papa que j'avais invité à venir parler avec moi des problèmes scolaires de sa fille me sortit tout à trac : "Ah oui je vois ! Vous êtes raciste "
Eh bien non il ne voyait pas , les préjugés rendent aveugles et il ne pouvait voir l'institutrice en moi tant à ses yeux j'étais surtout une personne qui n'avait pas la même couleur de peau que lui.
Cette différence de point de vue, ce lieu où on est rapté de force dans l'imaginaire d'autrui, ou dans une problématique sociétale qui nous enferme, voilà un thème que je trouve passionnant d'explorer à tout point de vue, et en ce sens ton texte me parait trés interessants.

J'aime bien tout ce qui sous tend aussi la deuxième partie , où l'on voit affleurer ce qui en plus des préjugés qui nous sont infligés vient gacher une communication qui se voudrait naturelle et amicale : la timidité, la peur de passer pour ce qu'on n'est pas, la gêne de poursuivre une conversation avec un inconnu
La somme de tous nos empêchements en fin de compte, d'où qu'ils viennent, le fossé entre ce qu'on pense, ce qu'on désire et ce qu'on peut ou qu'on ose réellement.

Un terreau trés riche en littérature.

[Anne Veillac]

Merci de vos remarques. Je vais réfléchir à la fin. L'enlever ou trouver une seule phrase qui peut montrer la déception de la narratrice Cet homme lui plaît. Mais, dans le fond, c'est peut-être une autre histoire et cela n'a peut-être pas beaucoup d'intérêt ici.

[Legone]

Le dialogue est tout à fait possible. Par contre je supprimerais le dernier paragraphe, oui. Il me semble qu'on pourrait expliquer davantage pourquoi l'usagère décide de ne pas s'asseoir à côté du protagoniste. Juste "regardé", ça ne suffit pas, à mon sens.

[polgara]

décidément, j'aime beaucoup chacun de tes textes par la justesse de tes propos et les thèmes abordés. Je regrette que cela soit si court finalement, parce que l'analyse des personnages, les dialogues aussi, créent un plaisir de lecture que j'aimerais vraiment faire durer. (oui, bon, 2013 ne sera pas l'année du commentaire qui sert hein...).

[Jean Lê]

Belle écriture. Je fais le parallèle avec cette histoire arrivée dans un transport en commun de la ville d'Alabama en 1955. La femme était noire, s'appelait Rosa Parks et refusa de laisser sa place assise à un homme blanc. Son geste de désobéissance aboutit à l'abolition des lois ségrégationnistes en 64.

[andrewalyacoub]

C'est un beau petit texte bien écrits et je me rajoute aux personnes qui disent que la fin est inutile. Et sinon cela m'a fait rappeler a certains personnes qui se posent toujours des questions alors la réalité est complètement différente de ce qu'il aurai imaginé.
Au plaisir.

[Ba]

Et pourquoi les uns et les autres ne parleraient pas ensemble ?
D'un autre côté, je trouve que " Candide " manque aussi de réalisme ;-)

[midnightrambler]

Il lui sourit.
Il lui fait un compliment.
Il la drague, quoi ... peu importe le sujet, celui-là lui est immédiatement venu à l'esprit, ou peut-être le peaufine-t-il à chaque fois que l'occasion lui en est donnée quand une femme blanche vient s'asseoir à côté de lui.
Ce soir ça a presque marché parce qu'elle n'est pas insensible à son charme et à sa façon d'être ... en deux ou trois minutes ils étaient loin de la confrontation entre les races, ils parlaient des habitudes de lecture ...
Rien d'exceptionnel donc dans ces comportements ... et le dernier paragraphe prend toute sa signification car elle va désormais essayer consciemment ou non de le retrouver demain, dans une semaine, dans un mois sur la même ligne.

[Polixène]

Sympathique et vif dialogue, desservi par son titre-panneau...sans lequel le lecteur trouverait son propre questionnement. Tel quel ça fait un peu mise en scène pédagogique pour débat au collège ; La teneur littéraire vient de la qualité du dialogue mais y trouve aussi sa limite. Pour le dire autrement je vois ici une peinture en "à-plats", qui, j'en conviens, garde un certain charme en plus de l'efficacité.

[Contenu sponsorisé]