Bouillon

[Docteur Banania]

Il est six heure du matin. Les feux de circulation sont fixes, en équilibre sur leur veilleuse orangeâtre, ni rougis ni verdis par les coulées de lave diésélique et par la nausée des embouteillages. C'est plutôt l'heure où l'eau bouillante effleure, de son avant-goût caféiné, les narines en somnolence. 

Le lever du jour s'annonce aux klaxons des portes-conteneurs des villes, des bennes à ordures. Les gens de maison, le visage froissé de sommeil, sortent dédaigneusement leur urne et les vident, sans une dernière pensée, dans la gueule du cachalot de Charon.

A l'approche du déjeuner, les ventres et les marmites bouillent en concerto. L'orchestre philharmonique de Dakar est soudé par la promiscuité. Partout, des chœurs de voix affamées s'échauffent, en cercle, en attendant le plat de résistance. 

Lorsqu'il fait sombre, les égouts font émerger leurs cafards et leurs anophèles, et les brousses préservées relâchent leurs rats et leurs serpents. Chacun résiste, comme il peut, à l'invasion. Ici, des coups d'insecticide sont tirés, et là-bas, des nuages de caoutchouc brûlé sont largués. 

 

[CROISIC]

Les conteneurs et les porte-conteneurs sont des mots de mon quotidien et je les devine avant de les lire.
Mon regard ne s'est donc pas égaré, de surcroît je vous lis depuis votre arrivée sur VE et votre plume me plait.
Ce regard "horloger" sur Dakar a tout pour me plaire : limpidité, sonorité, couleurs, odeurs et concision. Bravo.

[Jano]

Une transfiguration de la réalité poussée à l'extrême. Bien écrit mais au-delà de l'aspect descriptif il n'y a pas grand chose à se mettre sous la dent. Vous donnez une patine aux choses du quotidien sans viser la profondeur. Comment pensent les gens ? Quelles sont leurs joies, leurs peurs, leurs espoirs ?

[Invité]

C'est l'écriture du poète... 
Vrai que cette fois le regard donne l'impression d'effleurer, de glisser sur la surface des choses, de la ville et des gens... 
N'empêche, quel regard !

[Septembre]

J'ai lu la plupart de vos textes et j'y ai trouvé, comme dans celui-ci, de très belles images, une langue maîtrisée. Néanmoins je m'interroge sur vos intentions et sur votre envie de dire, car il y a bien une cohérence - de propos et d'esthétique - dans vos différents textes mais il semblent tous être des brouillons d'incipit amputés de leur suite. Je crois que quelqu'un a déjà parlé de carte postale, pour ma part je dirais plutôt "image" ou "photographie". Si tel est votre projet, alors il est réussi. Mais en tant que lectrice, j'ai besoin d'un petit plus à me mettre sous la dent, pas forcément de l'action ou des personnages non, juste une petite fissure ou un simple malaise.

[Docteur Banania]

Septembre et Jano ont pointé du doigt la part monstrueuse de mon écriture. C'est vrai, je regarde et j'écoute, mais je ne donne pas l'impression de voir et d'entendre des hommes. Le lecteur peut se dire que l'auteur n'a tenté de fixer que le timbre, que le mouvement d'ensemble, ne faire de Dakar qu'un ballet.  
Je ne crois pas avoir divulgué explicitement mes intentions (enfin j'ai parlé de la structure, pas du contexte). Il y a eu Gobu qui, je crois, a vu ce qui se cachait derrière mon pseudo. Ce dernier, en effet, fait référence à un stéréotype raciste qui a nourri la caricature du Noir au sourire niais, amis des enfants, par conséquent puéril et qui s'exprime extrêmement mal en français (ce qui est pas mon cas mais enfin :')). Il faudrait cliquer sur ce lien et lire pour mieux me comprendre : http://www.larevuedesressources.org/espoirs-negres,905.html. 
Ma principale tentative a été de constituer une espèce de négritude à rebours. J'en ai eu l'idée après avoir lu le Nazi et le barbier d'Hilsenrath, où le romancier juif se met dans la peau d'un nazi ( roman jubilatoire et très très drôle, il est nécessaire de faire cette précision). Une négritude qui se nourrirait des symboles qui lui accolent le racisme ou l'imbécillité. 
Quant à "mes brouillons d'incipit amputés de leur suite", j'y reviens encore, ils entrent dans le cadre de cette utopie d'existence en éternel recommencement, qui n'atteint ni maturité ni vieillissement. Elle me semblait coïncidé avec le cliché
Bon voila ce qu'il en est de mon affreux canular !

[Docteur Banania]

Et je ne remercierai pas assez Easter(Island) et CROISIC qui, au-delà du fond, ont appréciées la forme d'écriture, ça a aussi son importance

[Lucy]

Des petites notes, glissées comme cela, chaque semaine... J'ai l'impression que mes semaines vont prendre un rythme des plus agréables.

Encore un clin d'œil sur un ailleurs qui m'est inconnu et qu'il m'est possible de savourer à distance. Un mot : merci !

[Invité]

j'ai ressenti comme quelque chose de désincarné à la lecture de ce texte. ou alors une présence en tout, je ne sais pas.
pas désagréable, mais légèrement inquiétant: un manque qui plane et recouvre les choses, dans l'atmosphère écrasée de la ville.
je pense que c'est volontaire, cette façon de révéler en creux, c'est un style.
il y a une sorte d'abstraction de l'auteur, ou de soustraction plutôt, dans ce texte en tout cas.
un effacement pour laisser toute la place au reste.
et je fais partie de ceux qui en auraient bien lu davantage.

[Jano]

Votre explication n'est pas très claire, je ne vois aucune trace particulière dans votre texte qui pourrait le rattacher au concept de "négritude". Il pourrait tout aussi bien avoir été écrit par un blanc. Aucun caractère lié à la race ne s'en dégage si ce n'est l'évocation imagée d'une capitale africaine.
Il me semble que la "négritude" est d'abord une marque anticolonialiste, une émancipation qui revendique haut et fort la fierté d'être noir. Rien de tout ça dans votre texte qui se borne, avec qualité, à décrire un endroit.

[Invité]

Affleurer est le mot qui me semble convenir à ce que vous écrivez (par ailleurs fort bien), un peu comme une carte postale ou un touriste.

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