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La faute du pêcheur

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Polixène
Raoulraoul
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Message  Raoulraoul Dim 30 Juin 2013 - 8:47


La faute du pêcheur

Un étang trop bleu dans le pays de Sologne ne serait pas raisonnable.

La barge du pêcheur flotte. Lui scrute la surface de l’eau avec une attention égale. Il s’appelle Théophraste Auger. Plus commode pour moi de le nommer T.O. Il est au milieu de l’étang. L’eau est grise même par ce temps de juillet.

T.O. habite le hameau. Sa vie est tranquille. Il est employé au service des Fêtes et Cérémonies de la mairie. Seulement en juillet il ne travaille pas. Alors il occupe ses journées au milieu de l’étang. Il prend son casse-croûte pour le midi et le soir il rejoint sa femme dans leur petit lotissement à l’entrée du hameau.

Il pêche. Mais je ne lui vois pas de ligne. Et si pas de ligne, pas d’appât. Il n’y a que l’ombre de T.O. que le soleil projette sur l’eau. Quand le soleil se montre. L’ombre de T.O. serait l’unique leurre pour amorcer le poisson. Quel poisson stupide se laisserait approcher par l’ombre d’un homme ?

T.O est patient. La superficie de l’étang est importante. Mais ce qui joue en la faveur de T.O. c’est l’étendue nécessairement fermée de l’étang. Là, aucune échappée possible pour l’espèce vertébrée et bronchiale qui batifole dans l’onde opaque. Comme dans une forteresse d’eau, T.O. guette un étrange fretin, sur lequel il se voit déjà triomphant, malgré l’attente ultime que lui inflige sa proie.
Attendre. Stagnation de l’eau. Immobilité des herbes. Arrêt du vent. Alors que dans le dessous, grouillent continûment planctons, larves, sangsues, tritons sous le ciel trouble et nauséeux de Sologne.

Depuis plusieurs jours T.O. surveille sur sa barge l’étendue lisse de l’étang. Si un brochet crève le silence moite, par un saut de vie, T.O. ne bouge pas. Les autres pêcheurs se font rares et T.O. de l’aube au crépuscule est bien ce veilleur solitaire, suspendu entre ciel et eau, dans une barge aussi plate qu’une assiette.

Quel promeneur s’attarderait sur cette silhouette pensive, prostrée dans ce paysage emmêlé de fougères et de bosquets, hostile à la flânerie et l’insouciance ?
La femme de T.O ne vient jamais le voir, comme si l’activité de son mari était chose secrète, et susceptible du plus profond respect.

C’est soudain, au matin du neuvième jour, que je suis alors le témoin d’un événement singulier. Encore une écharpe de brume s’étire sur l’étang. La fraîcheur égayent les sarcelles au milieu des roseaux. T.O., son béret en accent circonflexe sur le front, se penche imprudemment au-dessus de l’eau que des bulles d’air criblent dans une pétarade sinistre. Un remous fait tanguer la barge. T.O. va et vient sur la frêle embarcation. On ne sait où l’événement va surgir. Un oiseau rapace subitement s’est approché de l’eau, son vol dessinant  de formidables cercles au-dessus des bulles d’air. T.O. tient en main une impressionnante gaffe, il est maintenant debout, dressé, pareil à ces pêcheurs de baleines, dans leur doris, brandissant leur harpon, prêts à assaillir le monstre des mers. Ce moment paraît interminable.
Puis l’onde se calme. Un mystérieux flux se devine. Comme si l’animal rampait sous la fine couche de l’eau. Le flux conduit vers une touffe de massettes dont les pointes piquantes surplombent l’étang. T.O. suit le courant. Dans l’enchevêtrement des plantes, le flux se disperse. T.O. plonge ses bras nus dans la vase.
Un sourire extatique l’illumine. Longuement ses mains accèdent à de l’inconnu, touchent enfin ce qui semble être l’objet de sa quête. Son  béret tombe et dérive, libérant une chevelure aussi rousse qu’un éclatant soleil de brousse. Puis il tire à lui une forme qu’on pourrait croire poissonneuse. Elle flotte à présent sur l’eau, se heurte à la barge. Le crochet de la gaffe s’est planté dans le flanc, décollant un morceau de chair.

Il y a des poissons dont la peau satinée ressemble à une robe. Dans leur œil brille une flamme humaine. Ils ne leurs manquent que des mains et des pieds, bien que les nageoires puissent parfois exprimer l’intention d’un doigt ou d’un pouce tendu dans la direction du vent. Quant à leur bouche, elle ne peut se priver de révéler deux lèvres minces et fragiles que souvent la morsure de l’hameçon a déchirées et ensanglantées sauvagement. C’est ainsi que le baiser de l’homme touche mortellement les frétillantes créatures.
J’imagine cette scène en observant T.O. s’échinant à embarquer sa prise dans la barge. L’oiseau rapace, un auguste épervier, est perché sur la proue, surveillant le pêcheur. Je crois que c’est le regard prédateur de la bête qui enlève toute force à T.O. Il se résigne à laisser son incroyable capture, sur l’eau, flottante, inoffensive, mais soumise désormais à la curiosité croissante de T.O.

Moi seul peut entendre dans le froissement de l’air et l’espace visqueux de l’étang, ces bribes de paroles avec un fond de malice :
« Ce n’est pas de ma faute. Tu le sais. Tu as beaucoup souffert. Ce n’est pas une raison. Tu t’es jetée et …tu as glissée… »
Si je me fais très attentif, les paroles de T.O. prennent une tournure surprenante :
« A la maison, ma femme dit que je te ressemble. C’est insupportable. Tous les jours, il fallait que je m’occupe de toi. C’est plus une vie ça. Mais jamais un geste de trop, ni une parole. Tu peux pas dire le contraire. Hein ? Tu peux pas dire le contraire ! Dis-moi donc quelque chose ! »
T.O. a haussé le ton. Une nichée de bécasses s’est envolée d’un fourré voisin. Mais l’épervier n’a pas bronché, toujours à la proue. Le bec acéré, l’œil perçant.
« C’est triste tout ça. A l’hôpital, ils ont cru que tu faisais une crise de démence. Moi je te trouve encore très belle. L’eau a calmé ton visage. Tu as pris soin de t’habiller. Cette robe je la reconnais. C’est elle que tu avais sur les photos quand tu étais jeune fille. Avant que je naisse. Maintenant, c’est les boyaux qui remontent à la surface. Ton intérieur. Tout ton intérieur, là, répandu. Il faut que tu me pardonnes mes colères. Mon harpon t’a perforé le foie. Il n’y a plus que moi pour te reconnaître »

L’épervier commence à agiter ses ailes. Il s’est approché de T.O.
Je pourrai arrêter toute cette histoire, courir dénoncer T.O. à la police. Mais T.O. est penché sur le corps noyé. Il l’enlace et couvre de baisers la visage vert et gonflé à fleur d’eau. Des insectes entament une danse nerveuse sur les lambeaux qui surnagent.
« Ma petite maman. Maintenant il va  falloir que je continue seul. Retourner à la maison. Retourner à la mairie, pour que j’organise les fêtes et les cérémonies. Maintenant je peux faire bonne figure… »
T.O. soudain se tait. Il scrute le fond des yeux de la noyée. Après un long silence il dit :
« C’est vrai que t’as la gueule béante d’un poisson mort, maman chérie, avec tes quenottes»

Et l’épervier se soulève, brutalement il fonce sur les globes blancs de la femme. A coups de bec, il déchire les yeux. Sa voracité est sans frein. Le visage de la femme se disloque, emporté par la gloutonnerie de l’oiseau. T.O. est impassible, démuni. Il tient encore la main, décharnée et sans ongles, de la femme, dans la sienne. Une main légère, légère. A l’autre bout le corps s’est détaché.
Je comprends enfin que T.O., jamais ainsi, n’avait pris la main de sa mère, et peut-être aussi que la mère, jamais ainsi, n’avait tenu la petite main de son fils. Cette pensée m’envahit, sans envie de la chasser.

Seulement alors, un bruit assourdissant suspend ma rêverie. De l’horizon proche, surgit un hélicoptère. Il descend vers l’étang, cernant dans le filet de ses ronds concentriques sur l’eau, la barge et son pêcheur.
Je m’enfuie à toutes jambes, puisque personnellement je n’ai rien à voir avec cette affaire.

**
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Message  Polixène Dim 30 Juin 2013 - 9:28

Moins prenant que les textes où tu es "directement concerné" pour te reprendre! Je ne retrouve pas ce halètement d'une écriture d'urgence, d'une écriture vitale qui me plaisait tant dans tes premiers textes. Ceci dit, celui-ci ne manque pas d'intérêt, mais souffre de nombreuses erreurs de langue, d'une part, et le point de vue "voyeur" du narrateur me déplait. J'aurais préféré être impliquée dans la lecture, là , je suis restée au bord, sans me mouiller, c'est le cas de dire.
Et puis la fin "retour brusque à la réalité" n'ajoute rien au propos , à mon sens.
L'oiseau carnassier...bof.
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Message  Invité Dim 30 Juin 2013 - 16:20

De mon côté, j'ai bien aimé.
D'une part la précision des détails, des descriptions, qui sonnent juste, renseigné.
Ensuite, le suspense, vraiment je lisais avec une tension croissante : où on va ? qu'est-ce que c'est ?
Pour finir, j'ai bien accroché au narrateur extérieur (littéralement, je me suis accrochée au narrateur extérieur), qui en effet ne se mouille pas ; cette distance induit à mon avis une complicité avec le lecteur en le dédouanant en quelque sorte d'être lui-même voyeur, et lui permettant ainsi d'autant mieux d'entrer dans l'histoire, en toute impunité, puisqu'il n'y a plus d'auto-censure (le voyeur est le narrateur, pas le lecteur).
Après, sur le sens profond du récit... non, ce n'est finalement pas surprenant, mais on a fait pire, bien bien pire sur ce genre de sujet.

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Message  elea Ven 5 Juil 2013 - 21:27

Prise de suite dans la lecture, j'ai poursuivi avec l'envie de savoir, de comprendre de quoi il retourne, tel le narrateur scrutant T.O pour découvrir ce qu'il fabrique sur sa barque.
Je trouve donc cette partie vraiment bien faite.

Plus mitigée sur la suite, pas dans le fond mais dans la forme, d'une part parce que je trouve le dialogue du "pêcheur" trop explicatif sur le pourquoi et le comment, et que j'aurai aimé un peu plus de mystère, avoir plus de place pour imaginer moi-même, et d'autre part parce que je trouve une presque complaisance dans les détails morbides qui ne me dérangent pas mais n'apportent rien non plus (pour moi) et semblent un peu gratuits.

Mais dans l'ensemble, bien aimé cette lecture.

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Message  Bakary Sam 6 Juil 2013 - 9:16

Ce que j'ai apprécié : Le jeu du narrateur aligné et distant.
Ma réserve : Je reste curieux quant au mobile de l'acte de T.O
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Message  Raoulraoul Dim 7 Juil 2013 - 8:50

Merci à vous pour vos commentaires. Polixène, tu soulèves pour moi une question importante ; les points de vue. Le "je" ou le "il" etc... Apparemment tu aimes bien le "je", l'identification du lecteur avec le narrateur, comme on prétend. Tu relèves avec justesse une urgence de l'écriture avec le "je". Je suis d'accord. Par contre, Easter, dans ce texte, apprécie le point du vue du "il" et l'écart encore creusé par l'observateur au "je". Tu as très bien saisi mon intention par ton commentaire sur ce dispositif. Bravo et merci. Ca fait toujours plaisir une lectrice qui décrypte à merveille tes choix. Je dois ajouter que le choix de ces points de vue m'ont été guidés par le thème (cruel et "immoral"...). Parfois je suis timoré par rapport à mes pulsions... Bakary pose la question du mobile de T.O. A vrai dire aucun mobile n'est clair, explicite, conscient... Justement c'est ce trouble qui motive mon écriture. Eléa, aurait préféré davantage de mystère... Voilà qui contredit peut-être un peu Bakary... Par contre, je note ta remarque sur les détails morbides et complaisants. C'est vrai. Mais comment faire autrement, j'ai l'impression (donc erronée) que la saveur du texte peut aussi venir de là... Ta remarque alors est à considérer pour de prochains textes qui risqueraient de glisser vers cette complaisance mortifère.
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Message  amarilys Dim 7 Juil 2013 - 20:49

Les asyndètes, agaçantes au début, trouvent leur sens dans la construction en thriller hitchkokien  de la suite du récit avec un narrateur témoin qui ne m 'a pas gêné  car il facilite les descriptions et  bizzarement en distancie l 'horreur.
j 'ai aimé la métaphore de "la robe satinée de la peau"  du poisson, et le baiser de la mort par l 'hameçon,  entre Eros et Thanatos, mais nettement moins les boyaux jaillissant et l ' intervention de l' oiseau charognard!
 Ceci dit, le sens  de cette nouvelle m 'échappe un peu...   psychanalytique?
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Message  bruxlee Ven 19 Juil 2013 - 7:54

Beaucoup "d'effets de manche" dans la description qui font perdre en efficacité. Des à-coups dans la narration qui nuisent à la fluidité. Un final qui laisse perplexe quant aux motivations de l'auteur... Et enfin trop de mots pour décrire un drame qui n'a vraiment rien de dramatique! Ronflant et pataud. Quelques métaphores bien choisies mais à mon sens, noyées dans une plume prétentieuse. Je ne suis pas entré dedans une seconde en dépit d'une lecture attentive. Dommage!
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Message  Raoulraoul Sam 20 Juil 2013 - 10:01

Merci Bruxlee pour ton commentaire radical. Toutefois pour m'améliorer il me faudrait quelques exemples. Des "effets de manches". Lesquels ? "Des à-coups qui nuisent la fluidité de la description" ; quelques exemples. Tu dis que "le drame n'a vraiment rien de dramatique" ; il est possible quand même que T.O. soit le responsable de la noyade de sa mère !... Sur les motivations de l'auteur ; il est vrai que je reste un peu ambigu, c'est un choix voulu. Tu évoques aussi une "plume prétentieuse" ; là aussi j'aimerais  quelques exemples. Je ne veux pas t'embêter avec ces détails, mais je pense que lorsque les critiques sont négatives, et c'est très bien ainsi, celles-ci exigent d'autant plus des précisions, simplement pour que ton commentaires soit constructif. Merci d'avance de ta réponse
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