Fichier bienveillant
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Fichier bienveillant
FICHIER BIENVEILLANT
Dans la lumière azurée
elles sont belles
elles dansent sans bouger.
Elles deviennent vermeilles parfois
quand la lumière les émerveille.
Leurs dents sont belles.
Leur peau est flasque
mais la flasquosité s’envole
dans le rire de leur mouvement.
Et leurs cheveux de plomb,
de plume, de crin, de frisettes rouillées
sont de feu et d’or semés d’étoiles,
sous les cintres, cet immense séchoir
dont un peuple de belles
recrée sa jeunesse, ses illusions et sa fierté.
Et de jolis textes elles émettent de leur gorge,
une langue qui déroule images et pensées,
comme un rouge tapis
où on aime s’abandonner
le temps d’une fête.
Elles crient elles chantent elles pleurent.
Elles rassemblent dans leurs pupilles
les électrons, parcelles, molécules,
qui restaurent leur chair.
Elles ont le verbe haut cru et encore vert,
leurs mains transpirent.
Elles se promènent quelques années
avant
dans un printemps-naphtaline,
leurs bijoux claquent plus fort que des cymbales,
à leurs oreilles que l’on croirait de Neandertal.
Si elles s’éloignent des feux,
souris boulimiques, elles rongent leurs chocolats
bonbons ou gaufrettes,
se soulent au crémant pétillant,
puis lèvent le doigt pour aller se soulager,
avant de revenir dans la lumière qui les divinise.
Les miroirs sont complices,
l’haleine chaude des belles les brouille,
quand ce n’est pas le rouge de leurs lèvres
qu’on nettoie le lendemain dans le matin glacé.
Ces toutes belles qu’il ne faut voir qu’au présent,
le présent qui les sort du cauchemar.
Elles ont des recettes.
Elles ont des secrets.
Dans leurs escarpins moisissent leurs pieds.
Elles sont somptueuses jusqu’au ras de leurs dentelles.
Puis un jour,
les ordinateurs ont voulu saisir la vie des belles.
Sur mon écran un courriel épais m’est adressé.
Elles sont là. Toutes alignées dans un fichier-photos.
Elles sont là. La lumière divine s’est éteinte.
Elles me sourient. Elles me tirent la langue.
Elles louchent. Elles grimacent.
C’est un concours de grimaces qu’elles m’envoient.
Chacune des belles a choisi sa plus horrible grimace.
Je pense méchamment :
« A partir d’un certain âge la grimace est naturelle »
De quoi les belles se vengent-elles ?
Jouer à grimacer c’est rester jeune.
Les belles déclamaient de la poésie, sous les cintres illuminés.
J’entends encore leur poésie.
Et je reçois leurs grimaces outrancières.
Poésie ou grimaces.
Les grimaces de la poésie.
Je dois me résigner. Les belles sont vieilles.
La poésie n’est que grimace.
Je scrute chaque photo. J’interroge les rides, les prunelles exorbitées,
les dents déchaussées, les cheveux clairsemés, les veinules sous la peau parcheminée.
Dans les pixels suinte pourtant une résistance.
Pixels ou épiderme ?
Et par leur langue grotesque, dans leurs narines troussées,
se tisse un nouveau poème.
Celui de la volonté de vivre jusqu’au bout la vie.
C’est un poème muet, dionysiaque.
Je referme le fichier.
Dans l’écran éteint de mon ordinateur
ne se reflète plus que mon image,
triste, seule, fuyante.
La laideur des belles dépassent toute beauté.
La prochaine fois je me promets,
à la corbeille, d’envoyer ce fichier.
J’avancerai alors vers ma mort,
légèrement,
puisque Poésie et Grimace tresseront le fil de mon linceul.
Ô belles, mes bienveillantes.
Dans la lumière azurée
elles sont belles
elles dansent sans bouger.
Elles deviennent vermeilles parfois
quand la lumière les émerveille.
Leurs dents sont belles.
Leur peau est flasque
mais la flasquosité s’envole
dans le rire de leur mouvement.
Et leurs cheveux de plomb,
de plume, de crin, de frisettes rouillées
sont de feu et d’or semés d’étoiles,
sous les cintres, cet immense séchoir
dont un peuple de belles
recrée sa jeunesse, ses illusions et sa fierté.
Et de jolis textes elles émettent de leur gorge,
une langue qui déroule images et pensées,
comme un rouge tapis
où on aime s’abandonner
le temps d’une fête.
Elles crient elles chantent elles pleurent.
Elles rassemblent dans leurs pupilles
les électrons, parcelles, molécules,
qui restaurent leur chair.
Elles ont le verbe haut cru et encore vert,
leurs mains transpirent.
Elles se promènent quelques années
avant
dans un printemps-naphtaline,
leurs bijoux claquent plus fort que des cymbales,
à leurs oreilles que l’on croirait de Neandertal.
Si elles s’éloignent des feux,
souris boulimiques, elles rongent leurs chocolats
bonbons ou gaufrettes,
se soulent au crémant pétillant,
puis lèvent le doigt pour aller se soulager,
avant de revenir dans la lumière qui les divinise.
Les miroirs sont complices,
l’haleine chaude des belles les brouille,
quand ce n’est pas le rouge de leurs lèvres
qu’on nettoie le lendemain dans le matin glacé.
Ces toutes belles qu’il ne faut voir qu’au présent,
le présent qui les sort du cauchemar.
Elles ont des recettes.
Elles ont des secrets.
Dans leurs escarpins moisissent leurs pieds.
Elles sont somptueuses jusqu’au ras de leurs dentelles.
Puis un jour,
les ordinateurs ont voulu saisir la vie des belles.
Sur mon écran un courriel épais m’est adressé.
Elles sont là. Toutes alignées dans un fichier-photos.
Elles sont là. La lumière divine s’est éteinte.
Elles me sourient. Elles me tirent la langue.
Elles louchent. Elles grimacent.
C’est un concours de grimaces qu’elles m’envoient.
Chacune des belles a choisi sa plus horrible grimace.
Je pense méchamment :
« A partir d’un certain âge la grimace est naturelle »
De quoi les belles se vengent-elles ?
Jouer à grimacer c’est rester jeune.
Les belles déclamaient de la poésie, sous les cintres illuminés.
J’entends encore leur poésie.
Et je reçois leurs grimaces outrancières.
Poésie ou grimaces.
Les grimaces de la poésie.
Je dois me résigner. Les belles sont vieilles.
La poésie n’est que grimace.
Je scrute chaque photo. J’interroge les rides, les prunelles exorbitées,
les dents déchaussées, les cheveux clairsemés, les veinules sous la peau parcheminée.
Dans les pixels suinte pourtant une résistance.
Pixels ou épiderme ?
Et par leur langue grotesque, dans leurs narines troussées,
se tisse un nouveau poème.
Celui de la volonté de vivre jusqu’au bout la vie.
C’est un poème muet, dionysiaque.
Je referme le fichier.
Dans l’écran éteint de mon ordinateur
ne se reflète plus que mon image,
triste, seule, fuyante.
La laideur des belles dépassent toute beauté.
La prochaine fois je me promets,
à la corbeille, d’envoyer ce fichier.
J’avancerai alors vers ma mort,
légèrement,
puisque Poésie et Grimace tresseront le fil de mon linceul.
Ô belles, mes bienveillantes.
**
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: Fichier bienveillant
Texte tout à fait étonnant, très beau, où le sarcasme et l'empathie, la fascination et la compréhension, le ricanement et la tendresse tourbillonnent et se superposent, dans une cascade d'images brillantes. Très humain, très profond aussi, comme une grimace au miroir de la vieillesse ennemie.
Je me suis un peu demandé (et peut-être c'est le reproche qu'on peut faire au texte, cette énigme trop présente pour ne pas garder la première place) , de quel bienveillant fichier il s'agit.....quand même pas un forum de poésie ? Hein ?
Je me suis un peu demandé (et peut-être c'est le reproche qu'on peut faire au texte, cette énigme trop présente pour ne pas garder la première place) , de quel bienveillant fichier il s'agit.....quand même pas un forum de poésie ? Hein ?
Re: Fichier bienveillant
Je lis, lis et relis et je ne sais que penser.
Internet (plutôt que ma culture perso, soyons honnête) me renseigne sur les Bienveillantes, mais je ne fais pas complètement le lien avec le texte, lequel m'inspire néanmoins avec Ronsard - et de façon assez indigente -, le fameux "cueillez, cueillez votre jeunesse".
Internet (plutôt que ma culture perso, soyons honnête) me renseigne sur les Bienveillantes, mais je ne fais pas complètement le lien avec le texte, lequel m'inspire néanmoins avec Ronsard - et de façon assez indigente -, le fameux "cueillez, cueillez votre jeunesse".
Invité- Invité
Re: Fichier bienveillant
Ce texte me heurte et me plaît. On n'aime pas savoir ce qu'Elles ont sous la robe, sous la peau. Et pourtant on respire avec Elles, en Elles, même si ce n'est pas toujours joli ni de tout repos. Besoin d'Elles comme Elles ont besoin de nous, les (belles?) lettres...
obi- Nombre de messages : 553
Date d'inscription : 24/02/2013
re : Fichier bienveillant
A Seyne : j'apprécie l'analyse nuancée que tu fais, elle répond tout à fait à mes intentions. A Seyne et Easter : votre questionnement sur le "bienveillant". Il s'agit tout simplement du fichier de photos bienveillant avec ses grimaces que ses "belles" envoient au narrateur... Il n'y pas d'autres connotations. Merci encore à vous et à Obi pour avoir ouvert ce fichier qui n'est surtout pas "malveillant" comme certains sur le Net.
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
re : Fichier bienveillant
Précision encore sur le "bienveillant" ; les photos du "fichier bienveillant" pour moi remettent les illusions de beauté à leur place, derrière l'apparente beauté lyrique il y a la grimace de la vie, le pied de nez au temps, l'éphémère. Ces photos sont des messages de lucidité. Elles relativisent.
Elles aident alors le narrateur à poursuivre son chemin vers la "finitude" dans la clarté de la poésie mais aussi avec les ombres, les déformations par les grimaces (de rire, de douleur, d'ironie...). Cette dualité lucide peut aider à supporter ce qui nous dépasse. C'est en cela que les "belles" pour moi sont bienveillantes, elles illusionnent, mais aussi leurs grimaces nous épargnent la niaiserie. Voilà, pardonnez-moi encore de tatillonner sur ces choses...
Elles aident alors le narrateur à poursuivre son chemin vers la "finitude" dans la clarté de la poésie mais aussi avec les ombres, les déformations par les grimaces (de rire, de douleur, d'ironie...). Cette dualité lucide peut aider à supporter ce qui nous dépasse. C'est en cela que les "belles" pour moi sont bienveillantes, elles illusionnent, mais aussi leurs grimaces nous épargnent la niaiserie. Voilà, pardonnez-moi encore de tatillonner sur ces choses...
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: Fichier bienveillant
Ne t'excuse pas Raoulraoul, cette exploration, à voix haute en quelque sorte, est intéressante et aide à mieux cerner le texte.
J'apprécie, ici et ailleurs, ton cheminement, ton travail de réflexion sur l'écriture, sur le sens de l'écriture, de la tienne propre.
J'apprécie, ici et ailleurs, ton cheminement, ton travail de réflexion sur l'écriture, sur le sens de l'écriture, de la tienne propre.
Invité- Invité
Re: Fichier bienveillant
moi j'entends bien tout cela, mais l'énigme persiste de ce " fichier bienveillant" et j'aimerais comprendre. Y-a-t-il un lien quelque part avec un fichier de photos? Ce qui est souligné dans le message précédent n'ouvre rien pour moi (IPad). Mr Google me renvoie ici, ou à des niaiseries publicitaires.
De façon plus générale, quelqu'un vient de me dire - ailleurs - à propos de "vacance", son agacement lorsqu'une référence (ici "Hearts and bones" de Paul Simon) apparaît dans un poème, divisant les lecteurs en deux catégories : ceux qui connaissent et ceux qui ne connaissent pas....et se sentent du coup ignorants. J'ai trouvé qu'il avait raison. Toute tentative artistique est censée s'adresser à tout le monde ; et les références explicites, est-ce qu'on ne devrait pas trouver les moyen de les remplacer par quelque chose qui parlerait à tous, au delà des évidences culturelles, des époques et des lieux ? Un poème n'est pas un jeu de piste, ou du moins - au départ - pas un jeu de piste. Il a une prétention naturelle à l'universalité.
Et ce texte parle merveilleusement au cœur et à l'esprit, à part cette foutue référence à un "fichier bienveillant" dont on ne cesse de se demander s'il existe vraiment quelque part.
De façon plus générale, quelqu'un vient de me dire - ailleurs - à propos de "vacance", son agacement lorsqu'une référence (ici "Hearts and bones" de Paul Simon) apparaît dans un poème, divisant les lecteurs en deux catégories : ceux qui connaissent et ceux qui ne connaissent pas....et se sentent du coup ignorants. J'ai trouvé qu'il avait raison. Toute tentative artistique est censée s'adresser à tout le monde ; et les références explicites, est-ce qu'on ne devrait pas trouver les moyen de les remplacer par quelque chose qui parlerait à tous, au delà des évidences culturelles, des époques et des lieux ? Un poème n'est pas un jeu de piste, ou du moins - au départ - pas un jeu de piste. Il a une prétention naturelle à l'universalité.
Et ce texte parle merveilleusement au cœur et à l'esprit, à part cette foutue référence à un "fichier bienveillant" dont on ne cesse de se demander s'il existe vraiment quelque part.
re : Réponse à Seyne
Tu ne trouveras pas le "fichier-photos bienveillant" sur le Net. Ce fichier fait parti de la fiction, l'histoire du narrateur, ce fichier est dans sa messagerie perso... Excuse pour toutes ces ambiguïtés entre réalité et fiction. Merci à toi pour m'avoir lu avec tant de soin.
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: Fichier bienveillant
Lorsque le texte a évoqué soudain la laideur, la vieillesse de ces anciennes belles qui maintenant grimacent pathétiquement pour se donner encore l'illusion d'un peu de vie, j'ai revu un tableau de Goya, je crois, cruel et dur, représentant des vieilles femmes.
Invité- Invité
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