Héritage sentimental : l'Etna
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CROISIC
Arielle
Lucy
Docteur Banania
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Héritage sentimental : l'Etna
Mon père ne savait pas demeurer en repos et en silence dans une chambre. De lui, je n'ai gardé que le souvenir de son dos tourné et fuyant, barbelé de soliloques. Quand je le suivais durant ses sorties, j'en revenais frustré par le sentiment d'avoir déclaré forfait, d'avoir fini dernier à un marathon. Il me fallait continuellement courir pour le rattraper, et hélas, cela ne suffisait pas à rivaliser avec sa démarche précipitée et saccadée. Cette distance n'épargnait pas les moments de répit, les apartés en famille. Nos discussions étaient hantées par le silence, et surtout par les chuchotis que mon père se soufflait à lui-même. Fréquemment, il faisait abstraction de son interlocuteur et débutait sa pensée à voix basse.
Il répugnait à mon père de porter dans ses bras un nourrisson. Il n'arrachait ses rejetons du sein de leur mère que lorsque leurs jambes devenaient assez solides, et leur élocution claire. Ce n'était qu'après avoir passé cet âge, que ses enfants bénéficiaient du privilège de traîner derrière lui. Je ne fis pas exception, me résignai moi-aussi au sort de boulet. Cependant, à la veille de ma huitième année, se déroula l'événement qui défit le poids que mon père et moi étions l'un pour l'autre. Ce jour-là, à l'arrière de la voiture et je ne sais pour quelle raison, mon frère et moi en vînmes aux mains. Mon père, agacé, freina et nous intima l'ordre de foutre le camp. Nous nous exécutâmes et observâmes, laissés à nous-même, le véhicule s'éloigner et faire volte-face. Bien que la portière se rouvrit et que je m'y acheminai, il ne me sembla pas que je rentrai avec un père.
Il répugnait à mon père de porter dans ses bras un nourrisson. Il n'arrachait ses rejetons du sein de leur mère que lorsque leurs jambes devenaient assez solides, et leur élocution claire. Ce n'était qu'après avoir passé cet âge, que ses enfants bénéficiaient du privilège de traîner derrière lui. Je ne fis pas exception, me résignai moi-aussi au sort de boulet. Cependant, à la veille de ma huitième année, se déroula l'événement qui défit le poids que mon père et moi étions l'un pour l'autre. Ce jour-là, à l'arrière de la voiture et je ne sais pour quelle raison, mon frère et moi en vînmes aux mains. Mon père, agacé, freina et nous intima l'ordre de foutre le camp. Nous nous exécutâmes et observâmes, laissés à nous-même, le véhicule s'éloigner et faire volte-face. Bien que la portière se rouvrit et que je m'y acheminai, il ne me sembla pas que je rentrai avec un père.
Docteur Banania- Nombre de messages : 22
Age : 79
Date d'inscription : 22/05/2013
Re: Héritage sentimental : l'Etna
Ils m'ont manqué, ces petits textes. Un petit goût de trop peu.
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 46
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: Héritage sentimental : l'Etna
Un réel plaisir cette écriture précise, concise, efficace.
Pourquoi l'Etna ? A cause du caractère volcanique du père, je suppose ...
J'en aurais lu bien plus long !
Pourquoi l'Etna ? A cause du caractère volcanique du père, je suppose ...
J'en aurais lu bien plus long !
Invité- Invité
Re: Héritage sentimental : l'Etna
Ce texte prend pour moi toute son ampleur à travers le choix de certains mots et expressions si précis, si évocateurs (ciselés) que le récit se passe de plus ample démonstration. Tout est là, avec une économie de moyens, au mot près, concis, ciblé, d'une remarquable efficacité.
Quelques exemples :
"son dos tourné et fuyant, barbelé de soliloques."
"Nos discussions étaient hantées par le silence"
"Il n'arrachait ses rejetons du sein de leur mère que lorsque [...], et leur élocution claire. "
"Ce n'était qu'après avoir passé cet âge, que ses enfants bénéficiaient du privilège de traîner derrière lui."
Quelques exemples :
"son dos tourné et fuyant, barbelé de soliloques."
"Nos discussions étaient hantées par le silence"
"Il n'arrachait ses rejetons du sein de leur mère que lorsque [...], et leur élocution claire. "
"Ce n'était qu'après avoir passé cet âge, que ses enfants bénéficiaient du privilège de traîner derrière lui."
Invité- Invité
Re: Héritage sentimental : l'Etna
Un portrait sans concession de ce père glaçant, voire inquiétant dont le narrateur, sans apitoiement sur lui-même, semble très tôt s'être détaché.
"dos tourné et fuyant, barbelé de soliloques"
"(je) me résignai moi-aussi au sort de boulet"
Que j'aime ce genre de formulations concises qui placent si bien leur personnage !
"dos tourné et fuyant, barbelé de soliloques"
"(je) me résignai moi-aussi au sort de boulet"
Que j'aime ce genre de formulations concises qui placent si bien leur personnage !
Re: Héritage sentimental : l'Etna
J'attendais votre retour.
Ce texte est magnifique.
Aucun mot inutile, pas de larmes, j'ai beaucoup aimé.
Ce texte est magnifique.
Aucun mot inutile, pas de larmes, j'ai beaucoup aimé.
Re: Héritage sentimental : l'Etna
J'aime beaucoup ces instantanés, ces textes courts. Celui-ci est à la fois glacial et touchant. Je me suis demandée aussi pour l'Etna, je pense comme Embellie au caractère volcanique du père, au volcan qui sourd.
Invité- Invité
re : Héritage senti
Oui l'écriture est très juste. Portrait sûrement vrai. Je n'ai rien lu d'autre de toi.
L'autobiographie aide-t-elle à écrire "très juste" quand c'est vécu sincèrement ? Ta justesse fonctionne sur un texte court ! Tu me fais poser la question du rapport de la vérité sentie et du style, du ton, qu'elle peut produire ? Bien sûr tout le monde ne sait pas écrire son vécu. Ce n'est pas ton cas, du moins dans ce petit texte. Le père que tu évoques ressemble à beaucoup d'autres pères. C'est la qualité ce portrait. As-tu écrit de la fiction ? Ca donne quoi ? En somme pour moi, les questions sont entre réalité et fiction, quelles différences d'écritures sont convoquées, bien sûr ceci dans le but d'une crédibilité et émotion pour le lecteur. Merci à toi t'avoir agité "ma pratique" avec ton efficace portrait.
L'autobiographie aide-t-elle à écrire "très juste" quand c'est vécu sincèrement ? Ta justesse fonctionne sur un texte court ! Tu me fais poser la question du rapport de la vérité sentie et du style, du ton, qu'elle peut produire ? Bien sûr tout le monde ne sait pas écrire son vécu. Ce n'est pas ton cas, du moins dans ce petit texte. Le père que tu évoques ressemble à beaucoup d'autres pères. C'est la qualité ce portrait. As-tu écrit de la fiction ? Ca donne quoi ? En somme pour moi, les questions sont entre réalité et fiction, quelles différences d'écritures sont convoquées, bien sûr ceci dans le but d'une crédibilité et émotion pour le lecteur. Merci à toi t'avoir agité "ma pratique" avec ton efficace portrait.
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: Héritage sentimental : l'Etna
c'est très fort au niveau psychologique, et donc on a tendance à imaginer que c'est lié à une expérience réelle. Que ce moment d'un simulacre d'abandon fasse d'un père une personne, avec qui les choses ensuite ne pèseront plus. Comme une rencontre, finalement.
On se demande qui était le grand-père.
On se demande qui était le grand-père.
Re: Héritage sentimental : l'Etna
Oh, cette dernière phrase, pesante et suspendue comme une goutte d'acide!
C'est fort.
C'est fort.
Polixène- Nombre de messages : 3287
Age : 61
Localisation : Dans un pli du temps . (sohaz@mailo.com)
Date d'inscription : 23/02/2010
Re: Héritage sentimental : l'Etna
Noir et sans pathos, comme j'aime
Un détachement, une distance qui servent ce portrait sans concession
L'ironie est bienvenue.
Je remarque Mon père & Leur mère
comme si les enfants (je vois des garçons) une fois arrachés au sein de leur mère appartenaient définitivement au père, serait-ce en tant que boulets.
Enfin bref, j'ai aimé, comme les autres textes de toi que j'ai pu lire
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
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