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L'ordinaire meurtri

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Message  Phoenamandre Mer 31 Juil 2013 - 8:34

Je marchais, aveugle au monde qui m'entourait, pris et épris de mon quotidien. Je prenais ce chemin que j'avais parcouru maintes fois sans jamais trop y prêter attention, sans rien noter de l'air qui sentait la chaleur, la lumière qui éclairait l'allée d'un halo serein, réconfortant. Sans le vouloir, mon regard se posa au loin, devant moi, et je la vis, silhouette titubante, floue. Je faillis passer mon chemin, ne pas la remarquer, ou l'ignorer, mais un instinct, une pensée me fit m'arrêter. Devais-je lui tourner le dos ? Je lui tournai le dos, mais j'attendis qu'elle me passe devant. Je ne savais que faire, je craignais qu'elle ait besoin de moi, mais n'être qu'un simple passant m'effrayait plus encore.

Une main se posa sur mon épaule, lourde et sans force, je me retournais, il y avait cette pauvre femme, haletante.
« Pardon, z'avez une cigarette ? M'a-t-elle demandé en reniflant bruyamment. »
Je ne fumais pas. Sitôt que je vis son visage je détournai mon regard, pudique, de cette misère dont on se cache.
Je savais tout de ce que je faisais, j'analysais mes actes, j'avais conscience de ce que je voyais, de ce que je pensais.
Je la vis s'éloigner, sans la regarder, du coin de l'oeil. J'aperçus son sac éventré qu'elle ne tenait que d'une main.
Malgré ma bêtise de l'avoir laissé partir sans daigner l'aider, je marchai vers elle, à distance, seulement pour vérifier ou simplement me déculpabiliser de ma faiblesse. Je la laissais disparaître derrière les murs gris d'un bâtiment austère, chassant mes idées noires dans cette boîte sombre que j'espérais close à jamais.
C'est à ce moment que je vis à quelques mètres de moi, entre mille graviers, un carnet marron qui souriait au sol. Je m'approchais discrètement, je ne voulais pas qu'elle me voie, stupide comme j'étais.
« Union Européenne
République Française »
C'était un passeport.
Je regardais l'immeuble. Ses pierres finement ont certainement été d'une grande beauté, il n'y a pas si longtemps. La pollution dévorait la pierre, ternissait les couleurs. On entendait des cris d'enfants, des voitures bruyantes, le linge pendait directement sur les barreaux des fenêtres qui laissaient entrevoir de petites pièces sombres d'où s'échappaient parfois quelques voix, quelques rires ou quelques pleurs.
Je n'avais jamais vu ce quartier jouxtant cette rue que je prenais chaque jour.
Mon attention ce porta à nouveau sur le passeport, que je tenais à la main, conscient de mon inconscience.
Je l'ouvris, et je tombais nez-à-nez avec cette femme que je venais tout juste de rencontrer. Plus jeune. Souriante. Belle et rayonnante. Les cheveux plus courts. Soigneusement coiffés. Le regard brillant. Vivante.
Frédérique Vignet.
Je me hâtai vers la porte de l'immeuble. Protégé par un digicode, il m'était impossible d'y entrer, alors je regardai à travers la vitre, espérant l'apercevoir, pouvoir lui faire un signe pour lui rendre ses papiers.
Je ne vis qu'un hall, grand mais sombre, et du carrelage poussiéreux.
Les sonettes, à ma gauche, n'étaient identifiées que par un numéro, pour celles qui n'avaient pas été arrachées.
Ne sachant que faire, je pris la décision de l'apporter au commissariat. Pas ce soir cependant. Comme bien des gens, je n'avais pas le temps.

Je repris mon chemin, pensivement, à nouveau sans prendre garde à ce qui m'entourait.
En arrivant chez moi, je posais mes clés d'appartement d'appartement sur ma table, je jetais mon sac dans un coin, je m'affalais sur mon lit. Je sentis alors le passeport, dans ma poche droite. Je le sortis et l'ouvris à nouveau. Toujours ce visage, qui semblait avoir pris vingt ans depuis la photographie. Je feuilletai quelques pages et je notai les nombreux tampons, chaque pays où elle s'était rendue.
Thaïland.
Brésil.
Canada.
Afrique du Sud.
Russie.
Mozambique.
Chaque tampon n'était séparé que d'un an. Le dernier voyage datait de cinq ans auparavant.
Je voyais cette figure, rongée par l'alcool, la fatigue, cette silhouette titubante, ses cheveux gras.
Je fermais les yeux. Beaucoup à faire. Je rangeai mes affaires et me plongeai dans mes cours d'étudiant, tentant d'oublier ce que je savais vraiment.
J'y parvins sans grosse difficulté.
Mon réveil fut identique aux autres le lendemain. Je me préparais ni plus lentement ni plus rapidement qu'un autre jour. J'observais l'horloge, évaluant comme à mon habitude l'heure exacte à laquelle je devrais partir afin de ne pas être en retard.
Naturellement, je gardais en mémoire, comme une pensée lointaine, ce passeport que je devais rapporter. Pas immédiatement, sinon je risquais de mettre en péril mon planning trop serré.
Une fois prêt à partir, je grappillais par paresse quelques minutes en me disant que par chance le professeur serait plus lent que moi, puis je me mis en chemin, augmentant ma cadence pour malgré tout ne pas faire figure de mauvais élève.
La rue me faisait face, identique, en apparence. Honteux, je baissais les yeux. Mais trop tard. J'avais vu, sur un banc, une silhouette endormie. Je m'approchais à pas feutrés, craignant le pire, et oui, c'était bien elle.
La première chose à laquelle je pensais de partir, de ne pas m'écarter de cette route que je connaissais si diablement bien.
J'eus tout de même l'audace de passer ma main devant son nez. Je ne sentis rien, aucun souffle chaud comme j'y serais attendu.
Que faire ?
Je vérifiais à nouveau en tentant de prendre son pouls à son cou. Rien.
Que faire ?
Appeler une ambulance ? Me rendre en cours ? Elle était sans doute vivante... Non, elle ne l'était pas, je le savais parfaitement. Je pris mon téléphone en tremblant, et je composais un numéro que je détestais avoir à écrire.
J'attendis la venue des secours.
Elle portait les mêmes vêtements que la veille. Les mêmes vêtements que l'avant veille. Elle n'avait pas quitté ces vêtements depuis bien longtemps.
Elle semblait froide, comme la brise matinale. Je n'osais vraiment la regarder, son visage scarifié, en souffrance, le temps qui semblait l'avoir prise de court.
Les minutes furent longues avant que ne surgissent le son d'une sirène et la lumière de gyrophares.
Je regardais mes pieds J'attendis qu'on m'interpelle avant de daigner me lever.
« Elle s'appelle Frédérique, Frédérique Vignet. Annonçai-je.»
Je vis un ambulancier s'approcher d'elle, et déclarer sa mort à une heure imprécise.
« Vous la connaissiez ? Me demanda-t-il. »

J'hésitai un instant. Est-ce que je la connaissais ?
« Oui. Répondit ma bouche avant je n'ai le temps de réfléchir. »
Je les regardai soulever le corps, le glisser dans un sac noir sur brancard, je vis l'éternelle silhouette s'engouffrer dans ce camion, qui serait son ultime voyage.
Je me retrouvais seul, après avoir refusé toute aide. Je restais à ne rien voir, comme à mon habitude. Je m'assis à même le sol, un peu choqué, un peu sonné. Et enfin j'aperçus cette enseigne, au loin, « Tabac ».
« Tabac » résonnait dans ma tête. Je l'entendis plusieurs fois, je lus ce mot encore et encore.
Je courus sitôt que je repris mes esprits. Derrière son tiroir caisse, l'homme eut un geste de recul, me dévisagea quelques instants.
Je n'attendis pas de reprendre mon souffle.
« Un paquet s'il vous plaît, un paquet de cigarette. Dis-je en agitant ma main au hasard.
- Celui-là ? Me demanda-t-il en me montrant une marque qui m'était parfaitement inconnue. »
J'acquiesçai.
Je payais.
Je repartis avec le paquet, ne sachant qu'en faire puisque je n'avais pas de briquet.

Phoenamandre

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Message  Sahkti Mer 31 Juil 2013 - 10:32

Petit détail : il manque un mot ici, non ?
"Ses pierres finement ont certainement été d'une grande beauté"

N’y a-t-il pas une légère contradiction, au sein du personnage, qui affirme au début "Je ne savais que faire" puis plus loin "Je savais tout de ce que je faisais, j'analysais mes actes, j'avais conscience de ce que je voyais, de ce que je pensais."
Peut-être pas, finalement, il se sent perdu face à cette situation sans doute.

Je ne sais pas pourquoi, j’ai été surprise de découvrir que le narrateur était étudiant. Pourquoi pas, bien sûr, rien ne le contre-indique, mais j’avais en tête la vision d’un homme adulte, doté d’une certaine expérience et fermé au monde de la pauvreté par les années de vie déjà traversées. Mais rien ne l’indique, c’est vrai, je ne sais pas pourquoi je l’ai pensé.


Tout ceci mis à part, j’ai lu ton texte avec un plaisir certain. Par moments, ça m’a semblé laborieux mais en même temps, ce cheminement de pensée me paraît assez en phrase avec ce qui doit se passer dans la tête de cet étudiant face à une situation nouvelle, délicate, qu’il doit apprendre à gérer. Et il a les réflexes que nous aurions sans doute aussi, pour une majorité d’entre nous : la fuite, le remord, les regrets, puis la tentative tardive et enfin, l’issue en forme d’un paquet rédempteur de cigarettes. Des comportements, des réactions, que trouve plutôt justes, pas caricaturales.
Tout comme j’apprécie la sensibilité pudique qui se dégage de tout ceci. Tu détailles beaucoup (parfois un peu trop de précisions, cela dit), mais tu ne verses pas dans le misérabilisme voyeur, tu ne franchis pas cette ligne et ça, c’est pas mal.
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Message  Invité Jeu 1 Aoû 2013 - 14:49

Toute la première partie ( première rencontre avec la femme et découverte du passeport) me donne l'impression qu'il y a de quoi élaguer, simplifier. Je trouve la narration trop diluée comme si tu avais voulu trop en faire, donner trop de précisions, tout inclure ; cela donne quelques phrases alambiquées et les sentiments de narrateur trop énoncés plutôt que laissés à comprendre.
Ensuite côté forme il y a quelques erreurs sur les temps, à revoir.
Sur le fond, l'idée n'est pas mal, on reconnaît bien ta patte sensible, altruiste et humaine.
Tout cela dit, je préfère quand même Cornichon.  C'est vrai que l'envergure du projet est autre.

Un petit mot manquant ici aussi je crois :  "Ses pierres finement ont certainement été d'une grande beauté,"

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Message  Invité Jeu 1 Aoû 2013 - 14:51

Oups mille excuses, je viens juste de voir le comm' de Sahkti au-dessus !

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Message  Invité Jeu 1 Aoû 2013 - 15:03

Voilà, j'ai retrouvé, il me semblait bien m'être arrêtée sur une autre phrase : "La première chose à laquelle je pensais de partir, de ne pas m'écarter de cette route que je connaissais"

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Message  Kash Prex Dim 4 Aoû 2013 - 18:13

Une petite relecture aurait été nécessaire avant de poster, pour rectifier quelques erreurs de forme, je pense.
Une confusion récurrente sur le passé simple à la première personne : on ne met pas de "s".

Sur le fond, j'ai plutôt aimé, je pense que l'état d'esprit de ton narrateur est très réaliste et reflète bien l'attitude de beaucoup de personnes dans la réalité. Et la chute m'a plu, elle est cohérente sans être trop attendue.

Sinon, je suis complètement d'accord avec ce commentaire d'Easter, je me suis dit la même chose :
Easter(Island) a écrit:Je trouve la narration trop diluée comme si tu avais voulu trop en faire, donner trop de précisions (...)
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Message  Janis Mar 6 Aoû 2013 - 11:31


Sûr qu'on ne retrouve pas totalement le mystère et la construction solide de Cornichon, difficile de se détacher DU texte qui a fait découvrir et aimer un auteur. Mais le charme, l'humanité y sont.

C'est vrai que ça gagnerait à être beaucoup plus concis, mais sans perdre cette façon que tu as d'explorer les mouvement interieurs de tes personnages, tes narateurs, qui demandent quand même de s'attarder.

Un détail pratique, visuel (de mémoire, j'ai la flemme de relire !)
C'est peut-être moi mais : j'attendis qu'elle me passe devant, je lui tournais le dos (on imagine qu'elle lui est passée devant ?) puis : une main se posa sur mon épaule, je me retournais. (alors elle ne lui est pas passé devant ?)
Peut-être suffit-il de changer le temps : j'attendais qu'elle me passe devant ?

Bon, détail mais comme c'est assez visuel
En tout cas, ravie de te lire à nouveau !
Janis
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