Col d'Aubisque – août 2013

[Jano]

Épuisé, écarlate, je parviens enfin au col après deux heures d'effort. Je pose mon vélo, le laisse tomber dans la pelouse plutôt, terrible engin de souffrance. À la recherche de mon souffle, je m'assois sur un rocher et attends mon ami bordelais. Il m'a demandé de lui faire découvrir les lieux mythiques du Tour de France dans l'ouest des Pyrénées. Le malheureux, il ne s'attendait pas à suer sang et eau sur des pentes aussi raides !

Mon corps revient doucement à son état normal et je commence à regarder autour de moi. C'est le milieu de la matinée, l'endroit est déjà bien animé.
Sur le parking se déplacent nonchalamment quelques chevaux à la grande joie des touristes, peu habitués à ce genre de rencontre. J'observe une femme aux cheveux bruns, à la fois craintive et amusée, qui pose sa main sur le front d'un de ces quadrupèdes. On dirait une petite fille impressionnée par ces grosses bêtes. J'entends alors son mari, pétri de guides de voyage, qui lui affirme : « Ce sont des pottoks, ils sont sauvages ! »
Je souris. Non, ce ne sont pas des pottoks,  sorte de poneys basque, mais de vulgaires chevaux destinés à la boucherie comme il y en a tant dans les monts béarnais. Ceux-ci, opportunistes, attendent le quignon de pain.

Au départ d'un chemin de randonnée, un couple de retraités, les mollets impatients d'en découdre, bâtons aux mains, file d'un bon pas vers les hauteurs.
Mais voici qu'arrive au compte-goutte un groupe de cyclistes anglais. Des images de montagne plein les yeux, ils deviennent euphoriques la ligne d'arrivée franchie.  Bruyamment ils se congratulent, rigolent,  puis sortent des appareils photos de leurs sacoches pour poser devant la borne sommitale : Col d'Aubisque : 1709 mètres.

Une joyeuse ambiance règne ici, avivée par un soleil rayonnant qui sublime ce cadre grandiose. À force de vivre ici, je ne me rends plus vraiment compte de l'exception des lieux. Il me faut de tels moments où dans les yeux admiratifs des gens je redécouvre la région.

Enfin, sur la route je distingue mon ami, suant, grimaçant, qui jette ses dernières forces dans l'ascension finale. C'est là que se joue le courage et la volonté. Comme tout bon cycliste qui se respecte, il tente de dissimuler son agonie physique, de ne pas montrer à ceux qui sont déjà arrivés qu'il est en réalité au bord de la syncope. Il s'agit de faire bonne figure !
Partir à l'assaut des géants pyrénéens sur un vélo c'est accepter de se lancer des défis impitoyables, de se livrer à des duels féroces avec les autres cyclistes, les pourcentages de la montée mais aussi et surtout contre soi-même.
Je félicite donc mon ami, exsangue, qui s'affale dans l'herbe en tétant sa gourde comme un mort de soif  :
- Bravo Paul, t'es un pro !
- Fichtre... c'est moins plat... que la Gironde.
- Sûr, c'est pas le bassin d'Arcachon ici.
- Ça...ça valait le coup. Que c'est beau !

D'une impassibilité millénaire, les sommets nous toisent, emportant nos regards vers des horizons de pureté. Une impression d'avoir laissé en bas un quotidien futile pour quelque chose de plus essentiel.

[Invité]

Il se dégage plusieurs thèmes de ce texte bien écrit, plaisant à lire.
Celui qui me paraît le plus intéressant est cette dualité du rôle (malgré lui) du touriste : celui qui suscite le mépris - palpable dans ce texte, quoique discret- des gens du coin ; et celui, paradoxal (ou complémentaire), par la grâce duquel on découvre d'un œil neuf l'endroit qu'on habite.
Le petit aparté sur l'amour-propre du cycliste au bout de ses forces m'a fait sourire : il en va de même pour tous les sports d'endurance.

[Invité]

ET quand on n’arrive pas en haut, ça fait bisquer. Si on y arrive, on peut se hausser du col. Je sais, c’est plus facile de gloser que de monter le col, surtout à vélo.
Un texte sympa, d’autant plus que je suis assis en le lisant… et pas du tout essoufflé.
:-)

[Raoulraoul]

J'aime cette tentative descriptive de faits ordinaires. Mais alors pourquoi ne pas essayer le "il" au lieu du "je" ? Affirmer une distance pour peut-être donner un ton plus généraliste à ces détails du réel. Avoir l'impression d'une cueillette d'observation par le narrateur... Dans ce cas le rare moment où le "je" serait utilisé trouverait un sens fort. Le point de vue actuelle me plonge trop dans le style du journal ou du carnet de route. Enfin ceci n'est que mon avis orienté ! Merci.

[Invité]

j'ai toujours parcouru tes textes, et celui-ci bien entendu, avec la certitude que tu es un excellent planteur de décor. On se retrouve à chacun de tes mots de fin avec une sorte de "matériel" plaisant à consulter, ponctué de remarques généralement humanistes pas vraiment orientées vers la guérilla mais l'apaisement. Tes nouvellettes mon font penser aux cinq premières minutes de certain long métrages mélangées avec leurs cinq dernières. Je me demande, en toute franchise, aussi, si on aura droit un jour à un grand roman bucolique dont l'assiette reposerait sur tes sujets favoris ?

[Invité]

Je n'avais pas été emballée quand vous aviez posté ce texte malgré la qualité, la justesse de votre écriture. Je relis et j'ai toujours cette impression de "racontez vos vacances". Mais ça vient certainement de moi, je ne fais pas de vélo et les pottocks je les mange (je plaisante). Peut-être, comme le dit Raoulraoul, en essayant le "il".
A une autre fois.

[Invité]

Jano, ce que je veux dire, c'est que j'ai l'impression que vous vous efforcez de produire une écriture très maîtrisée, du coup je me sens corsetée. Encore une fois ce n'est que mon ressenti. Comme dit moije, amitiés.

[Jano]

C'est un texte sans prétention qui ne fait que décrire une tranche de vie, rien de bien sérieux. J'avoue même que j'aimerais le supprimer tant il m'apparaît aujourd'hui extrêmement superficiel. Il n'empêche que je vous remercie tous beaucoup de vous y être arrêté.

Pandaworks a écrit :  "Je me demande, en toute franchise, aussi, si on aura droit un jour à un grand roman bucolique dont l'assiette reposerait sur tes sujets favoris ?"

Un grand roman j'en suis bien incapable, je n'ai le courage d'écrire que des nouvelles. Mes sujets favoris, qui mêlent réalité et fantastique, vous en avez un aperçu dans le catalogue. Quelques exemples :
http://www.vosecrits.com/t8417-cernunnos
http://www.vosecrits.com/t11531-le-soleil-d-adonai
http://www.vosecrits.com/t12229-le-silure
http://www.vosecrits.com/t13359-le-mont-perdu

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