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Nuit de fête

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Raoulraoul
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Message  Raoulraoul Sam 31 Aoû 2013 - 15:53

Nuit de Fête


A Montauban, il fait doux encore sous le ciel étoilé du 31 octobre.
Tu tâtonnes. Tu connais l’emplacement de la commode, celui du placard, celui de la lampe éteinte sur la commode, les quatre iodes vertes de la livebox comme des balises dans le noir. Tes pieds nus font craquer les lattes du parquet flottant. Tu as pissé. Tu reviens. Mais tu t’arrêtes. Bruit de l’autre côté de la porte. Par l’œilleton filtre une lumière blanche. Tu colles ton œil à l’œilleton. Ah vision !
Une femme descend l’escalier quatre à quatre. Elle est en chemise. De nuit. C’est la nuit. Deux heures du matin passées. La femme n’est plus très jeune. C’est une femme demeurant dans l’immeuble.
Tu décolles ton œil. Dans la chambre tu retournes. Elle dort. Elle pose un bras sur toi. Ta poitrine. Ta respiration soulève sa main comme une montagne porte le ciel. Vous êtes ensembles. Ton souffle synchronisé au sien. Mais après…
Dans l’escalier l’éclairage blanc. Un jour artificiel. Sauf qu’il est trois heures. Tous dorment. Sauf toi. Rivé à l’œilleton. Chocs sourds qu’on entend. Partout dans l’escalier. Tu imagines que les autres voisins, comme toi, sont rivés à leur œilleton, derrière leur porte. Tout le monde suspendu à ce désordre qui dérange la nuit.
Des éclats de voix. Des mots incompréhensibles. Des éclats trop violents pour l’intelligence. Tu vois l’escalier désert et si lumineux par l’œilleton minuscule. Le minuscule de l’œilleton agrandit toujours les petites péripéties de la nuit.
La femme de l’escalier se dirige vers le parking. C’est une tache blanche qui se débat sous l’éclairage public. Elle va. Heureux que la nuit soit clémente en cette saison. Mais elle s’enfiche. Elle tournicote autour d’un break, cherchant les portes. Tambourine les vitres. Tape la tôle avec ses pieds. Puis elle s’effondre sur le capot.
Tu bénéficies largement de cette scène en te postant derrière ta fenêtre. Tu as le sentiment d’assister à une tragédie. Tu reviens dans la chambre. Tu caresses longuement le visage de celle qui habite ta chambre. Tu écartes le drap qui enveloppe les fesses de celle qui  partage ton lit. Tu penses à des mots tendres. Mais quelqu’un s’est arrêté devant la porte.  
L’œilleton t’offre une visée. Celle sur une femme stoppée là, sur ton palier. Elle respire bruyamment dans la chemise de sa nuit. Déchirée, maculée de taches. Elle est assise par terre, sur ton paillasson. Il te suffirait d’ouvrir la porte pour qu’elle bascule dans ton histoire. Qu’elle tombe, chavire chez toi, et que le sang qui pisse de sa figure abîme tes meubles, ta commode Louis XVI. Tu cours à ta fenêtre. Tu regardes le break sur le parking. Tu penses que la femme du parking est la même que celle sur ton paillasson.
Dans la chambre une voix endormie te demande :
– Qu’est-ce que c’est ?
– Rien. Une dame cherche les clés de sa voiture.
– Ah bon. Alors reviens te coucher.
– Je ne peux pas. La dame est mourante.
La voix endormie se rendort. Il est rare ici que les nuits soient troublées. Si ça arrive on suppose que c’est un rêve.
Tu sens presque au travers de la porte l’odeur acre de la femme. Tu vérifies que le verrou est fermé à double tours. Qu’est-ce qu’une porte ? Un morceau de bois qui vous sépare au lieu de vous unir.
Puis dans l’escalier quelqu’un d’autre descend. Tu te fixes à l’œilleton mais celui-ci ne montre plus rien. La minuterie s’est éteinte. Mais des paroles dans le noir deviennent compréhensibles. Tu entends qu’elles sont pleines de reproches et de colère. Elles se déversent sur la femme qui est au sol. Ces paroles sont comme des coups. Elles frappent la femme qui pleure. Tu réalises que ses paroles sont si déterminées que dans le noir elles atteignent leur cible. Paroles étranges pourtant. Tu voudrais que sur elle la lumière soit faite. Tout le monde est plongé dans le noir. Mais rien n’arrête les malheurs, la souffrance, la haine, même dans le noir.
Tu regagnes ta chambre à tâtons. Elle dort et tu sais qu’elle seule dans son sommeil aperçoit des images. Tu la serres dans tes bras comme un fruit, que tu presses, mais aucune de ses images tu ne peux extraire. Tu serres plus fort. Dans ton étreinte ses seins, ses cuisses, son ventre, ses fesses, une chevelure répandue tel un lac. Des portes existent toujours malgré la volonté d’amour. Dans la tiède obscurité tu murmures à celle que tu aimes :
– Il y a une histoire là, sur le palier. Une femme est battue. Elle voudrait s’enfuir. Et il faut que ça se passe devant notre porte. Elle aurait pu attendre le matin. Dans la journée, c’est plus facile pour avoir du secours.
Une voix songeuse te répond, avec douceur :
– Repose-toi. Demain tu vas repartir. La nuit, tout est démesuré. On entend que l’épouvantable. La vérité est plus simple. Couche-toi. J’ai besoin que tu viennes. Encore un baiser, après tout ira mieux.
Tu obéis à celle qui t’endort et que tu embrasses. Mais l’espace clair de la fenêtre maintient tes yeux ouverts, et c’est vers la fenêtre à nouveau que tu t’avances.
Dehors le parking est traversé par des ombres. Celle d’une femme délirante que poursuit une ombre sautillante. Et puis une autre tout aussi bougeante. Dans l’escalier tu entends débouler. Par l’œilleton en un éclair tu devines une silhouette grotesque que par la fenêtre tu retrouves déjà sur les traces de la femme. C’est une chasse stupéfiante qui s’organise entre les voitures. L’extravagance provient de l’allure des trois poursuivants. Dans l’éclairage des lampadaires ce ne sont que couleurs soudaines et déformation des corps qui s’agitent autour de la femme dépenaillée, à demi-nue. Quelle vision ! Tu reconnais Spider-Man et deux autres personnages effrayants, avec capes virevoltantes. Leur agilité est fantastique. Ils ont en main comme des armes ; trident, épée, massue… Sont-ils des anges ou des diables, monstres ou vampires, ou araignées folles ? Tu es le voyeur d’un ballet terrible. Les monstres sautent sur les carrosseries de voitures, puis capturent la femme. Tu découvres l’acharnement qui s’abat sur elle. Tu ne la distingues plus, masquée par les voitures. Mais tu l’écoutes crier, gémir, et la violence des gnomes est redoutable. Leurs bras massacrent une victime soustraite à ton regard. Les coups résonnent, à peine amortis par le corps mou de la femme. Tu remarques un bruit sec, cassant, puis plus rien. Les trois créatures reviennent lentement vers l’immeuble et grimpent l’escalier. Par l’œilleton tu les observes. Ils sont silencieux, attristés sans doute d’avoir achevé si vite leur besogne. Leur costume les rend méconnaissables. C’est comme le retour d’un horrible carnaval. Avant de te recoucher tu examines le parking mais plus rien ne bouge. Tu te demandes si tout cela est vrai. Tu te demandes si une femme est réellement morte, gisant là, entre les voitures régulièrement alignées. Le cadavre d’une pauvre femme.
Tes tâtonnements te ramènent dans la chambre. Tu n’oses pas avouer que tu as vu Spider-Man et d’autres compères assassiner une femme. Tu laisses respirer librement celle qui est la tienne. Tu ne sais plus trop bien qui tu es. Vampire, ogre, Terminator, Hulk ? Dans tes doigts fourmillent de curieuses tentations. Toutes caresses ne sont-elles pas le commencement d’une envie de meurtre ? Tu rougis de cette pensée. Mais dans le noir tout s’indiffère. Tu t’éloignes seulement de la dormeuse, tu t’allonges au bord du lit, comme le bord d’un précipice, l’unique voie de secours.
La nuit s’écoule. Très vite pour toi. Dès l’aube grise, il te faut renouer avec l’occupation des vivants. Leur travail. Pour cela prendre le train. Une réunion de la plus grande importance dans la capitale. Une brève embrassade avec celle qui partage  tes nuits et tu t’engouffres aussitôt dans le taxi qui t’attend au pied de l’immeuble, sans même pouvoir faire une vérification sur le parking. Vérifier le champ de bataille de tes insomnies. Vérifier si le visage de la femme est bien écrasé sur le bitume.
L’emploi du temps du jour va te distraire  de tes cauchemars de voisinage. Assemblée plénière, commissions, votes, élection du conseil, petits fours et champagne pétillant sont au menu de ce déplacement.
Lorsqu’enfin dans le train du retour, tu souffles, coincée sur ton siège de TGV. Sur la tablette baissée devant toi, ton quotidien régional est posé. A l’intérieur ton œil balaie les faits divers. Tu lis essayant de lutter contre une somnolence pourtant méritée : « Une femme est tuée par ses trois enfants. En pleine nuit, ceux-ci ont massacré leur mère sur un parking. En cette période des fêtes d’Halloween, ils étaient déguisé en Batman, sorcière et vampire, pour accomplir leur geste terrifiant. La mère, divorcée, vivait seule avec ses jeunes enfants. Ces derniers, semble-t-il, se plaignaient régulièrement de l’absence de leur père. Une enquête est ouverte pour recueillir des témoignages qui pourraient élucider les vrais mobiles de cet acte criminel… »
Tu refermes le journal. Esquisses un sourire.
« Tout ce que j’ai vu est donc vérité, penses-tu. Je détiens donc un secret. Mais mon témoignage serait sans importance. Qui peut prétendre percer un secret, d’autant plus celui de trois enfants ? Qu’ils aillent se faire foutre ! »
Tu te lèves, prends la direction du bar et tu commandes un double Armagnac. Sur la banquette, deux enfants te regardent. L’un est déguisé en momie et l’autre en démon rouge. Tu leurs souris, jaune.
On est toujours le père de quelqu’un, quand des enfants vous regardent.  

**
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Message  Ba Sam 31 Aoû 2013 - 21:39

On démarre dans le familier, les voisins dans la nuit que l'on épie comme au seuil d'une histoire à écrire, puis la machine se détraque, encore un coup de gosses mal élevés. J'ai bien aimé le passage de la fermeture des portes sur le confort propre des indifférents que nous demeurons.
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Message  Lizzie Dim 1 Sep 2013 - 11:56

Bravo ! Un texte qui démarre en intrigue de vaudeville, mais l'ambiance est bien différente, on est à la limite de l'excès, c'est noir et méchant, comme cette répartie:


"– Ah bon. Alors reviens te coucher.
– Je ne peux pas. La dame est mourante."
qui ne sera suivie d'aucune action.
J'ai apprécié les réflexions du narrateur dans la nuit, sa lâcheté, l'indifférence de sa compagne. L'emploi de la seconde personne du singulier est habile, elle nous implique.
Peut-être trop d'insistance sur l'œilleton, ce point est développé plusieurs fois. Pas compris pourquoi la femme, au départ, tapait sur la voiture en pleine nuit. Elle sait bien si elle a ses clés, non ? Idem pour les déguisements: j'ai pensé à des silhouettes mal discernées, non à des agresseurs vraiment déguisés, c'est la suite du texte qui m'a éclairée. La fin...  j'aime beaucoup. Je ne sais pas si c'est "réaliste", de la part d'enfants semblant si jeunes, mais c'est noir à souhait. La dernière phrase est parfaite.

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Message  Invité Lun 2 Sep 2013 - 13:47

Je suis déçue.
Et irritée en sourdine : la violence faite aux femmes, pour être une réalité, n'en est pas moins un thème racoleur.
Après, il est vrai que cette fiction apporte une légère variante sur le thème : la violence faite à la mère par ses propres enfants.
J'ai lu le coeur au bord des lèvres, perdu recul et humour - parce que à un moment c'était presque drôle, l'histoire des Batman et compagnie, mais de façon trop fugace pour effacer un goût de mauvais goût sous-jacent mais persistant.
En fait, je pense que ce que je désapprouve intuitivement, c'est le manque de compassion du narrateur pour le personnage de la femme battue, c'est certainement cela qui me dérange le plus.
J'ai aussi, et de façon moins "émotionnelle", perçu la première partie du texte comme trop longue, ça manque de cette nervosité dans l'écriture, de ce rythme qui auraient d'ailleurs à la réflexion peut-être contribué à amoindrir mon sentiment d'une certaine complaisance dans le voyeurisme morbide.
Je ne finirai pas sans établir que j'ai trouvé quelques éléments dignes du plus grand intérêt, comme l'histoire des portes fermées.


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Message  Lizzie Lun 2 Sep 2013 - 14:43

C’est rare, mais je n’ai pas la même opinion que toi, Easter. Pourquoi ne pas parler de la violence ordinaire faite aux femmes ? La traiter sous l’angle « noir et méchant », après tout, c’est encore la dénoncer, non ?  Le manque de compassion est, au contraire, ce qui rend ce texte intéressant : la lâcheté du narrateur, l’indifférence de sa compagne, des voisins. C’est aussi une manière de dire.
Pour le reste, on est d’accord : le manque de concision du début (pour moi, c’est la redondance dans l’œilleton), et les éléments intéressants.

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Message  Invité Mar 3 Sep 2013 - 7:42

Ah oui Lizzie, mais je crois que nos perceptions diffèrent vraiment dans ce cas.
Parler de la violence envers les femmes oui, bien sûr ; pour dénoncer et construire.
Je n’ai pas eu ce sentiment ici mais plutôt celui d’un voyeurisme passif qui, pour être démuni n’en donne pas moins à la lectrice que je suis l’impression d’une certaine complaisance pour ne pas dire (ré)jouissance consciente ou pas du narrateur.
La question du dire, du montrer et des résultats produits est d'ailleurs intéressante mais elle est trop vaste pour être abordée ici.

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Message  Raoulraoul Mer 4 Sep 2013 - 14:14

La cause de la violence ici est l'absence du père mal vécue par les enfants. La déconstruction du couple parental produit le chaos mental. La voix narrative est celle du "tu" ; elle s'adresse au lecteur autant qu'à celui qui écrit ce texte. Adresse collective et intime. Le narrateur se confond avec tous les témoins lâches, et spectateurs indifférents de la violence dès qu'elle borde la vie privée. Le voyeurisme existe. Il ne faut pas l'ignorer et il est insupportable. Sur ce point le texte est démonstratif. La problématique autre est celle de dénoncer un excès réel (les femmes battues entre autres) en faisant acte de fiction. Une fiction n'est pas un essai. Sa subjectivité narrative est autant sa force que sa faiblesse. Elle n'argumente pas elle met en scène.
C'est le spectateur-lecteur qui tire un cordon interprétatif avec le tissu de ses idées, traumas, opinions etc... On peut aussi supposer que "Nuit de Fête" est la nuit psychologique de son auteur de laquelle il veut sortir en écrivant. Les armes de l'écriture ne laissent jamais indemne l'utilisateur. Elles se retourneraient contre lui à son insu ?
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Message  Rebecca Mer 4 Sep 2013 - 17:47

C'est une problématique qui est souvent soulevée au cinéma.
Quand il assiste à la violence brute de décoffrage, et parfois sans tentative de justifications plus ou moins sociétales ou psychologisantes, le spectateur est souvent bien embêté car il se demande si derrière cette mise en lumière, il y a une dénonciation ou une apologie.
Orange Mécanique a soulevé des débats assez vifs sur ce sujet et aussi le film (je ne sais plus le titre) où l'on voit Monica Bellucci se faire violer.Et tant d'autres...
Essaie t on de traumatiser le spectateur afin qu'il ressente un peu de ce que ressent une victime ? Fait on oeuvre de salubrité publique en dévoilant la face noire de l'humain ? Peut on la mettre en scène, en mots ou en images la mettre en scène en gardant ses distances, comme un objet à contempler ou à analyser froidement ? Qu'est ce que l'artiste donne à voir en réalité ?
S'agit il de caresser un voyeurisme malsain qui serait secrétement à l'oeuvre en chacun de nous ?

A l'interface de la réalité et de la fiction, quel est le travail de l'artiste ? La violence relève t elle du champ artistique ? Est ce que le champ artistique c'est uniquement le bien le beau le doux le réconfortant l'acceptable le politiquement correct ?

Questions éternelles ma foi..

Mais l'auteur d'une fiction n'a t il pas tous les droits d'une part
et d'autre part est il responsable de la partie qui incombe au spectateur/lecteur : se positionner, lui, par rapport à l'oeuvre ?

Sachant que l'auteur lui même ne maitrise pas toujours son oeuvre, c'est à dire que parfois il a le sentiment d'avoir produit quelque chose avec une intention précise mais que ça peut être reçu parfois a l'opposé de ses intentions initiales

sachant qu'au final ni l'auteur ni le spectateur/lecteur ne maitrise ses affects forcément liés à son histoire intime et personnelle
et que d'une personne à l'autre la même proposition semblera traumatisante à l'une et rédemptrice à l'autre.

La violence de certains enfants à l'encontre de leurs parents est un sujet encore largement tabou car c'est ce qui nous fait peut être le plus frémir et pourtant c'est une réalité de plus en plus envahissante.

Pour moi l'auteur voire le narrateur n'est jamais obligé de se situer émotionnellement dans son récit. Ce n'est qu'une option. Pas forcément la plus efficace, ça dépend ce qu'on vise.

Sur le fond je trouve que justifier la violence de tes personnages par la simple absence du père n'est pas trés crédible. Et comme sur cette longueur de texte tu n'as pas vraiment la possibilité de nourrir tes personnages et de leur donner un back ground psychologique suffisamment explicite je trouve que ça affaiblit de tenter cette justification. Le personnage du voyeur plus ou moins indifférent est intéressant car il interpelle le lecteur sur sa vision du monde : est il dans le monde, dans la vie, comme un simple spectateur d'images, de scènes, un consommateur voyeur, quelqu'un qui tourne les pages sans jamais en tirer la possibilité d'un changement en lui , ou est il un lecteur actif qui tirant des leçons de ce qu'il voit et apprend décide de sortir de sa passivité pour entrer en action et se mêler de ce qu'il regarde ( et qui est censé ne pas le regarder ?)
Sur la forme je suis d'accord que c'est un peu long je veux dire les tergiversations les allers et retours du voyeur. Le thème méritait un peu plus de "percutance". Mais sinon à mes yeux le fait qu'il soit d'actualité ne rend pas ce sujet racoleur du tout. Et ton traitement non plus. Je le trouve même bienvenu .
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Message  seyne Jeu 5 Sep 2013 - 19:24

moi je l'ai trouvé très intéressant, parce que c'est, je trouve, une belle image de ce qui fait la différence entre un essai et une œuvre d'art.
Une œuvre d'art ce n'est pas un essai illustré, c'est quelque chose qui bascule ailleurs et par cette bascule apporte du nouveau dans la compréhension intime de ce qu'elle décrit. Et là, ces enfants déguisés, sortes de nains tout-puissants, coalisés jusqu'à la mort contre leur mère (pas des ados, des enfants), à cause du non-réalisme de la situation, ça prend une dimension presque de conte, de récit mythologique, pourtant enraciné dans la réalité sociale et familiale d'aujourd'hui, la violence, la passivité, l'isolement, la famille monoparentale etc......etc....
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Message  Raoulraoul Mar 10 Sep 2013 - 14:32

Merci Rebecca pour ton analyse très clairvoyante et Seyne pour ta compréhension... C'est vrai on peut écrire parfois des choses indéfendables, celles au fond de nous-même qu'on n'ose dire à personne. Elles sont là. Cet "indéfendable" est universel.
L'inconscient collectif ?... L'écriture parfois est comme le tranchant d'un couteau qui ne blesse que ceux qui consentent à reconnaitre une blessure.
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Message  seyne Mar 10 Sep 2013 - 15:16

oui, c'est vrai, mais pourquoi "indéfendables"? Si elles sont véridiques, que ce soit dans la réalité ou l'imaginaire, l'inconscient personnel ou collectif, et dites avec justesse, de quoi devrait-on les défendre sinon de la bêtise myope  et bien-pensante qui voudrait les faire taire ? Il ne s'agit ni de faire des choses ni de les prôner, il s'agit de les montrer.
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Message  Invité Jeu 12 Sep 2013 - 20:52

Il faut du courage pour rester dans cette position indéfendable, pour ne pas édulcorer ni noircir ( ce qui est l'autre manière d'échapper à l'indéfendable) Pour dire  la part de lâcheté qui nous habite tous à un moment ou à un autre ( car la même personne est tantôt lâche tantôt courageuse et peut-être héroïque si les circonstances  l'y incitent...)
Je trouve que les allers-retours du personnage traduisent bien l'espèce de tétanisation de sa conscience.
Ce texte profondément dérangeant ne verse ni dans la moralisation, ni dans la complaisance, ni dans l'indifférence journalistique, mais garde une position de vérité  qui le rend polémique.

Très impressionnée !
Juste un peu trop d'oeilleton, peut-être... on a bien compris, inutile de souligner...

Rebecca, tes questions  et tes réflexions  sont formidablement intéressantes...

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Message  Louis Ven 13 Sep 2013 - 17:30

Le narrateur est un homme fermé sur lui-même, fermé sur son intériorité. Il voudrait s'ouvrir au monde, s'ouvrir aux autres, au monde des autres, à leur vie dans sa diversité, dans ses facettes cachées, mais une porte le sépare des autres. Une porte toujours le sépare du monde. Il vit le rapport  à autrui et au monde comme un cloisonnement, entre un dehors et un dedans. L'univers des autres, il cherche à le découvrir, à le pénétrer, mais à travers ces petites ouvertures, un « œilleton »,  l'encadrement d'une fenêtre, qui ne laissent passer que le regard. Mais le regard est limité au dehors et ne pénètre pas l'intériorité d'autrui, close sur elle-même. Même les rêves de sa compagne aimée demeurent impénétrables, « Tu la serres dans tes bras comme un fruit, que tu presses, mais aucune de ses images tu ne peux extraire (... ) Des portes existent toujours malgré la volonté d’amour. », alors que cette personne est celle dont il peut être le plus proche, celle qu'il peut serrer de plus près. Dans la proximité la plus grande, on reste encore au dehors.

Un désir est manifesté de s'ouvrir au monde, d'y participer ( sinon pourquoi regarder par l’œilleton ? il n' y a  pas d'indifférence à ce qui se passe), mais quand  un œil est jeté sur ce monde, se découvre l'horreur. Cet extérieur horrible doit alors rester autre, l'autre, et dissuade d'y intervenir. L' autre prend la consistance des images, c'est un film. C'est une pièce qui se joue.
Le monde extérieur nocturne, le narrateur ne peut qu'en être le spectateur ; il ne conçoit pas de vivre en lui pour y être un acteur, un protagoniste des événements, ou l'auteur d'un acte. Le monde se situe derrière la porte fermée. Comment pourrait-il alors, quand une nuit il assiste à un événement terrible, en spectateur, intervenir dans le monde, et changer le cours dramatique des choses ?
Autant vouloir pénétrer dans un film pour en bouleverser le scénario.
Et le narrateur, effectivement, est au cinéma. C'est un film qui se déroule devant lui. Ce sont des images, mouvantes. Défilent les images cinématographiques sur l'écran noir de ses nuits blanches. Il assiste à une nouvelle version de  Halloween : La Nuit des masques de John Carpenter. Comment pourrait-il intervenir dans le scénario du film ? Il n'est pas auteur, pas acteur, ni metteur en scène, ni réalisateur ; il n'est que spectateur. Le narrateur n'est pas un voyeur, mais un spectateur.

Ce film, c'est pourtant une réalité. Une porte  permet d'entrer dans le film ; une porte pourrait s'ouvrir sur la réalité. « Il te suffirait d’ouvrir la porte pour qu’elle bascule dans ton histoire. Qu’elle tombe, chavire chez toi, et que le sang qui pisse de sa figure abîme tes meubles, ta commode Louis XVI.» Mais ouvrir la porte, ce ne serait pas sortir dans l'extériorité et prendre part à l'histoire qui se déroule, ce serait faire entrer l'extériorité dans son histoire propre, ce serait laisser pénétrer une souillure dans son propre au double sens du terme. La porte doit rester fermée. Le désir de s'ouvrir au monde entrevu aboutit à un repli sur soi, sur son propre.
Le narrateur aurait moralement le devoir d'intervenir, de faire quelque chose pour sauver cette pauvre femme dans la nuit, mais le texte se place d'un autre point de vue, non pas immoral, mais amoral, avec tout de même une pointe de cynisme : « Une femme est battue. Elle voudrait s’enfuir. Et il faut que ça se passe devant notre porte. Elle aurait pu attendre le matin. Dans la journée, c’est plus facile pour avoir du secours. »

Le narrateur décrit une « vision ». Le narrateur n'est qu'un regard, pas un protagoniste, pas un héros.
Il n'est pas superman. Un superman qui irait combattre et Batman et Spiderman.
Se trame, dans le film du réel, la répétition d'une vieille histoire. La fête renoue avec ses origines violentes, sa folie dionysiaque. Fête à l'aspect carnavalesque, reproduction symbolique d'un désordre, d'un chaos, qui ne prend fin que par un sacrifice violent. Fête d'Halloween, fête vengeresse, en son sens archaïque, dans ce temps lorsque font retour les esprits des morts ; retour du refoulé. Vieille histoire mythique, ancienne Orestie, la mère responsable aux yeux des enfants du père absent, de l'absence qui est une mort. Persistance de la tragédie.

Le narrateur refuse de pénétrer dans la tragédie. Dehors, les masques. La nuit. Derrière les masques, la violence. Une réalité masquée dans laquelle on ne veut pas, on n'ose pas entrer. Porte close.
Pour que la tragédie reste pur spectacle,  à distance. Cathartique. L' intérieur, propre. Tant pis pour la lâcheté, pas même envisagée comme une saleté.

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Message  obi Sam 14 Sep 2013 - 14:08

Je passe après Louis. C'est toujours confortable: il a dit beaucoup de ce que je pensais. Ce texte happe. Violent par sa passivité ou du moins celle du "Je" derrière l'oeilleton. Confort du dedans, chaud, aimant, rassurant. A quel prix? Peur du dehors, de la fatigue de penser, de juger avant d'intervenir. Parce qu'il aurait fallu, il faudrait mais heureusement les portes sont là. Elles protègent de la violence qu'autrui pourrait nous faire et surtout de celle que nous aurions à nous faire pour réagir si vraiment l'horreur était juste devant nos yeux.Presque tous les protagonistes sont pitoyables: méprisables pour x raisons, diverses mais aussi dont on doit avoir pitié parce qu'à un homme las, pas forcément heureux dans les bras de sa femme lasse elle aussi, à un homme inquiet qui ne sait pas vraiment ce qu'il aurait pu, dû faire, on ne peut demander d'être un batman, un spiderman: il essaie de survivre et a trouvé un compromis . Les seuls qui peuvent encore se permettre de porter le costume de Batman sont les vrais enfants qui ne connaissent pas la vraie et terrible vie ou les salauds complets qui le font par ironie. Justement, quelle est la catégorie des enfants -monstres du texte?
Rien de convenu dans ce texte et les atermoiements de l'homme derrière l'oeilleton me paraissent particulièrement signifiants: il ne peut ni ne veut se décider alors il attend...et se tait, parfaitement représentatif de l'homme social "moyen" de la société...
Texte prenant qui donne beaucoup à penser.

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Message  Pussicat Sam 14 Sep 2013 - 21:55

je ne reviens pas sur le thème du voyeurisme et le choix du "tu", vous avez tout dit. je n'ai lu que "analyse" et "réflexion", pas grand chose sur l'esthétique, le style, l'écriture, comme si ce texte ne donnait qu'à réfléchir, c'est cela qui m'a gênée, et le choix de la femme battue, assassinée, pourquoi ? encore et encore...
Je n'ai pas été emballée par ce texte, je n'ai pas trouvé de souffle, et puis il est long.
Il y a des choses que je retiens :
les portes, et les enfants qui se travestissent, se déguisent pour tuer leur mère, le costume comme pouvoir d'agir (?).

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Message  Raoulraoul Mar 17 Sep 2013 - 8:23

Très sincèrement intéressé par tous vos commentaires. Merci. Louis : tu as recréé la genèse possible de ce texte et donner lumière sur l'inconsistance troublante du narrateur... Aïe ! Coline Dé : la récurrence des "œilleton" ; tu me fais prendre conscience que parfois je ne parviens à écrire un texte que sous l'impulsion d'un mot unique, pour sa phonétique, son imaginaire etc... Il se fait catalyseur donc il m'est difficile de l'éluder. C'est lui la source caché du texte. Mais je peux comprendre que le lecteur qui n'est pas dans ce secret ressente la répétition du mot artificielle et fatiguant. Suis-je tout seul à fonctionner ainsi ?
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