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Avant Fukushima

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Jano
Lizzie
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Message  Lizzie Jeu 17 Oct 2013 - 11:22

Spoiler:


Aujourd’hui, Ils ont apporté une chaise pour moi. Hier soir, je suis restée debout, je n’ai pas osé m’assoir sur le lit à tes côtés. J’ai à peine effleuré le drap, puis ton bras, mou, tiède. Tu ne te ressemblais pas. J’étais face à un corps inconnu, une chose inerte, sans âge. J’ai du me faire violence pour t’approcher. L’infirmière à mes côtés n’a pas souri. De toute façon, je ne sais pas ce que signifie sourire dans ce pays. J’ai lu que certains autistes sont incapables de déchiffrer les émotions des visages. Incapables de déchiffrer la colère, la peur, la bienveillance. Je suis autiste à Tokyo. Qu’es-tu donc venu faire ici, Jérôme ?

J’ai contemplé mon frère encore un long moment. De l’autre côté du lit, derrière le rideau blanc, un homme marmonnait, entre plainte et colère. Je n’osais faire le moindre bruit. L’angoisse, ce voyage interminable dans l’air sec du Boeing, le choc de la ville, la somme de ces épreuves me tombaient dessus. La débauche d’énergie de ces derniers jours pour maitriser ce qui pouvait l’être ne parvenait plus à masquer mon désarroi. À quoi bon ?

Une femme est entrée sans frapper. Elle s’est arrêtée dans son élan en me découvrant, s’est inclinée devant nous avant de franchir le rideau. Elle m’a dévisagée au passage, comme la plupart de ceux qui cherchent ce qui dérange chez moi avant de repérer la tache bleue dans ma pupille noire. Les deux voix se sont mêlées, chuchotis féminins, âpres réponses de l’homme. J’ai levé les yeux vers l’horloge, je me suis levée. C’était assez pour aujourd’hui. Dehors, j’ai rallumé mon portable, mais seul s’affichait un message de ma mère.

Le brouhaha de la ville m’a sauté à la figure. Je traversai l’avenue en direction du parc, à quelques rues de l’hôtel où logeait Jérôme. Ils n’avaient émis aucune objection à me donner sa chambre, ni à prolonger la réservation. Après tout, ils avaient déjà appelé les secours lorsque leur client s’était écroulé devant la réception, c’était une question d’honneur : l’Hôtel Tokyo Inn se devait d’être efficace.
J’entrai dans le parc. La veille, je l’avais longé, si peu confiante en mon sens de l’orientation que suivre le tracé des rues s’était imposé. Mais à présent, ce détour me paraissait absurde : il existait certainement une issue de l’autre côté.
Derrière les grilles, les haies amortissaient les bruits. Un chemin de terre serpentait entre des bosquets à courtes feuilles charnues. Les arbres dénudés n’en étaient pas moins beaux, écorces blanches ou noires, ramures tendues vers la lumière déclinante. Le soir tombait déjà…  Je croisai un homme âgé, emmitouflé dans une veste épaisse, puis deux femmes pressées, chacune poussant en silence un landau. Paris, Tokyo… le temps était le même, froid, venteux, d’une luminosité de zinc. Quelle idée de venir ici passer ses vacances !  Jérôme n’en faisait qu’à sa tête. Rien ni personne ne l’influençait : ni les femmes - aucune n’avait résisté à son caractère - ni les employeurs - il avait fini par s’installer à son compte -  ni même, semblait-il, les éléments. Pourtant, il était aujourd’hui à la merci de machines.

Le chemin vira abruptement vers la gauche pour offrir une vue dégagée sur un étang. Un homme en costume était assis sur un banc, une mallette à ses pieds. Je songeai à une toile de Magritte, une toile qui peut-être n’existait pas, un petit homme dans le parc dans la ville dans le monde. L’homme regardait fixement la berge. Je ne voulus pas le déranger : je pris une allée qui m’évitait de passer devant lui, en contournant l’étang par la droite pour gagner la sortie. Mon chemin n’était qu’une suite de bifurcations imposées par d’autres, songeai-je. Ou que je m’imposais, peut-être.

La chambre était d’une banalité à pleurer. Ils avaient changé le linge. Pourtant, cela ne m’aurait pas ennuyé de dormir dans les draps de Jérôme. Ses affaires débordaient de la valise ouverte, il n’avait pas pris le temps de les ranger, seule sa trousse de toilette était posée dans la minuscule salle d’eau. J’ouvris la penderie, quelques cintres oscillèrent. Je défis mon sac : des pulls, des vêtements chauds, je me doutais bien que j’aurais froid, ici. Mon ordinateur. Laurent m’avait-il envoyé un mail, à défaut d’un sms ? Avait-il seulement pensé à moi ?

***

J’ai appelé maman, hier soir. Je lui ai dit que je t’avais vu, que tu étais bien soigné. Parce que c’est vrai, tu sais, je crois que tu es bien soigné, ici. Tu as eu de la chance d’être à Tokyo quand ça t’es arrivé, et non dans un village perdu de Tanzanie. Tu te souviens de la Tanzanie, l’an passé ? Tu nous avais envoyé des photos. Jérôme, m’entends-tu ? Le médecin m’a demandé, dans son anglais parfait, de te parler, de beaucoup te parler. Eux, ils ne peuvent pas, enfin, pas comme moi. En même temps, te parler, mais mon dieu, de quoi ? Je suis certaine que si tu m’entends, tu l’admettras : nous avons si peu à nous dire, ou nous ne savons plus comment…
L’homme d’à côté est parti : ils ont tiré le rideau, tu as davantage de lumière, t’en rends-tu compte ? J’ai pensé que je pourrais te lire un roman, petit, tu aimais quand je lisais à voix haute. C’est idiot, j’ai quitté Lyon précipitamment, et ici, pour trouver un bouquin en français… je n’ai emporté que mon livre en cours, un auteur japonais, justement, mais je ne sais pas s’il va t’intéresser.


Alors, je me suis assise et j’ai commencé à lire à voix haute les mots d’un autre. J’aimais le ton de Murakami, son phrasé et le rythme particulier de son écriture, sa musicalité qui me berçait au point de perdre parfois le sens de ses mots. Jérôme ne réagissait pas, je percevais simplement sa respiration, régulière, légère. Un carré de soleil se découpait sur le carrelage. Je m’interrompis à la fin du chapitre, j’avais soif, je perdais patience.
Dans le couloir, on ne pouvait ni fumer, ni boire, ni téléphoner. Les infirmières me contournaient comme un objet encombrant posé là en dépit du bon sens.
Dehors, le soleil brillait encore, un froid soleil de début mars. Mon gobelet de thé à la main, j’observais la buée qui s’en échappait. Laurent devait dormir. Il m’avait envoyé un mail, quatre lignes, amicales, réconfortantes. C’était douloureux. Je lui avais répondu que je tenais le coup, bien entendu, et puis nous avions échangé quelques plaisanteries idiotes. Lorsque ce matin j’avais relu nos messages, je m’en étais voulu, comme d’habitude.

Une infirmière me fit comprendre que cet après-midi, les visites ne seraient pas autorisées. Des soins, des examens ? Impossible d’obtenir une réponse compréhensible.  Je me penchai vers le visage de mon frère, il ne m’effrayait plus.
Je ne savais comment occuper cette liberté. Visiter la ville me paraissait incongru, presque inconvenant. Je n’aimais pas les rues tokyoïtes, la foule opaque des cols blancs, les grappes d’étudiantes à la parade sur toute la largeur du trottoir, en procession gloussante.
J’ouvris avec soulagement la porte de ma chambre. De l’extérieur m’agressait encore un annonceur, un homme qui vantait les mérites d’une enseigne quelconque à grands coups de mégaphone. J’en avais assez de ce pays, je maudissais Jérôme de m’avoir entrainé dans cette galère, de ne pas être rapatriable avant plusieurs jours, pour me reprocher aussitôt de telles pensées.
La valise de mon frère béait dans un coin de la pièce. Je décidai de la ranger. Un vêtement, ce n’est jamais qu’une pièce de tissu, si on y songe, des fils tissés, des boutons piqués, me répétais-je en étalant pulls et tee-shirts sur le lit pour mieux les replier. Soudain, alors que je défroissais un sweat, une bouffée de chaleur me submergea. J’enfouis la tête dans le coton épais, je pleurai, je n’en pouvais plus de tout ça, je voulais la paix, rien d’autre que la paix. Je finis par m’endormir, le décalage horaire sans doute. À mon réveil, la chambre était plongée dans l’obscurité, j’avais faim.
À court de monnaie, je cherchai le portefeuille de Jérôme. Au fond de sa valise, une chemise contenait une liasse de papiers et de l’argent. Je comptai treize mille yens, environ cent euros, que j’empochai. Le reste attendrait.
Les rues étaient aussi fréquentées à cette heure tardive qu’en pleine journée. Je n’avais pas l’intention d’aller bien loin, le premier snack ferait l’affaire. J’avançais sur l’avenue, étourdie par les néons et la foule qui me bousculait. Je ne voulais pas de karaoké, je redoutais les izakayas dont on m’avait parlé, bars à beuverie pour travailleurs exténués. J’entrai enfin dans un bâtiment sans charme, dont l’enseigne « café » me rassura tout autant que les hamburgers présentés en photo. Mes pensées revinrent à Jérôme, à ses absences, à ses engouements, aux contraintes que je m’imposais alors qu’il ne savait qu’être immature selon ma mère, libre selon lui. Se sentait-il seul, parfois, le soir ? Lorsqu’Isabelle, sa dernière petite amie, l’avait quitté, lassée d’attendre, d’espérer un engagement, une sécurité, un enfant sans doute, avait-il ressenti ce vide au creux du ventre, cette solitude qui était mon lot ?
La serveuse me tendit l’addition, ses yeux indifférents contredisaient son sourire.

***


J’ouvris la chemise plastifiée. La suite du périple de Jérôme était là : un billet de train pour Fukushima,  « l’Ile de la bonne fortune ». Avait-il réservé un hôtel, devais-je annuler, expliquer ? Je ne trouvai qu’un plan de la région sur lequel il avait souligné un village côtier, Sōma, et un mail d’une certaine Yoko Taekwo, joint d’une photo de classe scannée dont une petite tête était entourée, avec ces mots : « voici Ayumi ». Jérôme avait ajouté une adresse : « M. Soshiko, 114 route Naori, Sōma »
Qui était cette petite ? Jérôme était-il venu jusqu’ici pour la rencontrer ? J’envoyai un mail à Yoko Taekwo, mais au message automatique en retour, je compris qu’elle était absente pour plusieurs jours.
Je scrutai la photo, cherchant un indice dans les traits flous : ce n’était pas une fille cachée, tout de même ?

Le lendemain, on me refusa l’accès à sa chambre. Je crus au pire, incapable de comprendre ce que les infirmières m’expliquaient dans leur anglais suraigu. Un médecin accourut, alerté par mes éclats de voix, et me prit par le bras. Jérôme était en soins intensifs. Il avait fait un nouvel AVC. Je ne pouvais pas le voir. On me tiendrait au courant, mais je ne pouvais pas le voir. Pas avant un jour ou deux, le temps de le « stabiliser ». Le médecin me tendit sa carte : « appelez-moi, je vous donnerai des nouvelles, je vous dirais quand vous pourrez venir. Inutile de rester. »

Je rentrai à l’hôtel, accablée. Même ça, parler à mon frère, m’était désormais refusé. Je me jetai sur le lit, avec l’envie désespérée d’agir, de brusquer le destin. Le billet de train… Fukushima était à moins deux heures de Tokyo. Si je partais ce matin…
Je ne dis rien de ma décision, ni à ma mère, ni à Laurent, demandai simplement à l’hôtel de garder ma chambre.
Je pris le train, puis un bus pour Sōma. La route était large, je somnolais dans le car surchauffé. Autour de moi défilaient champs et collines de chênes lièges, panneaux publicitaires aux idéogrammes incompréhensibles et aux visages radieux. J’étais partie sur un coup de tête, l’envie de mettre mes pas dans ceux de mon frère, de comprendre et peut-être même d’accomplir ce qu’il venait faire ici.

Ayumi… Je cherche, mais non, jamais je n’ai entendu ce prénom. Ni aucun autre à consonance asiatique.  Je tente de me souvenir, tes récits de voyage, les photos, parfois une fille à tes côtés, rarement la même, souvent brune, mince, prête à te suivre au bout du monde… jusqu’à ce que tu te lasses, n’est-ce-pas ? Que tu lui fasses comprendre que tout cela n’était que plaisir sans conséquence. Nous en riions, les premières années, maman et moi. Je triomphais presque d’être la seule, celle à qui tu offrais des berlingots de chez Larue, que tu emmenais au théâtre. Et puis, de moi aussi tu t’es lassé, n’est-ce-pas ? Lorsque je me suis mariée, peut-être. Casée, embourgeoisée… Je croyais à la fidélité, à l’amour d’une vie, de quoi rire aujourd’hui… Pourtant, j’y crois encore, c’est consternant. Qui a raison, de nous deux, à présent que nous sommes aussi seuls l’un que l’autre, toi qui butines de fille en fille, moi qui suis incapable de faire le deuil de Laurent ? Laurent, oui, mon ex, tu ne t’en doutais pas ? Je ne l’ai jamais voulu, ce divorce. J’ai ravalé ma honte d’être délaissée, j’ai fait bonne figure, mais si tu savais comme c’est cuisant, comme c’est pitoyable. Trois ans. Toi, l’indépendant, dis-moi, comment fait-on pour se détacher ? Pour renoncer ?

La poste était ouverte et un employé me renseigna : l’adresse indiquée était celle de Natsume Soshiko, le médecin du village, et, oui, une auberge pouvait m’accueillir une nuit ou deux.

L’hôtel était un petit bâtiment tourné vers les terres, sans même une fenêtre sur la baie, pourtant toute proche. Pas de plage ici, la mer n’était qu’une étendue de plomb, une masse puissante cantonnée derrière la digue de béton, une odeur douceâtre d’algues et de sel, une mine dont on extrayait la matière première, le poisson, et certainement pas une mer de vacanciers insouciants, de sable roulé entre les doigts, de ballons et de serviettes. Une femme me reçut chaleureusement, m’accompagna dans ma chambre, une pièce étroite dont la baie vitrée s’ouvrait sur un jardin intérieur. Je pouvais prendre mon petit déjeuner dans la pièce commune, me précisa-t-elle, à l’européenne ou à la japonaise, avec du riz et une soupe miso, ce qui me fit sourire, moi qui ne supportais que le café noir au point du jour. Je la remerciai, posai mon sac puis partis à la recherche d’Ayumi Soshiko.



(à suivre)

Lizzie

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Message  Invité Jeu 17 Oct 2013 - 15:44

J'ai un peu de mal avec le fait que la narratrice en ait si vite assez de Tokyo, qu'elle ait déjà une idée si catégorique de la ville, qu'elle renonce si vite alors qu'elle vient d'arriver.
Je comprends bien que les circonstances y soient pour beaucoup mais je trouve son sentiment trop affirmé pour être totalement réaliste dans les circonstances.
C'est ma seule réserve et ce n'est pas très important, je crois.
J'ai lu avec plaisir, beaucoup de plaisir, aimé suivre le récit.
Une écriture qui flirte avec la sagesse mais d'une grande douceur ; et, comme j'avais déjà eu l'occasion de le constater dans les textes d'avant, de tes débuts : une justesse, une précision du vocabulaire et des images (sans que le détail submerge le lecteur) qui me font vraiment apprécier le résultat.

Côté forme :

Une phrase que j'adore, elle m'a sauté aux yeux :
"Je songeai à une toile de Magritte, une toile qui peut-être n’existait pas"
parce que c'est exactement ça ; on reconnaît quelques chose qui n'existe pas ! expérience partagée (et bien rendue ici).
Une phrase,ou plutôt une expression que je n'ai pas aimée, je la trouve ... trop banale, attendue, réchauffée en quelque sorte :
"La chambre était d’une banalité à pleurer."

Et deux petites choses, l'écriture est tellement soignée que je me permets de les mentionner :

Tu as eu de la chance d’être à Tokyo quand ça t’es arrivé,
« appelez-moi, je vous donnerai des nouvelles, je vous dirais quand vous pourrez venir. Inutile de rester. »

Prête pour la suite (et fin ?!).

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Message  Invité Ven 18 Oct 2013 - 7:51

Bonjour Lizzie.
J'ai vriament beaucoup apprécié l'ambiance qui se dégage de ce texte. J'ai pensé à "lost in translation", peut-être parce uqe je n'ai pas beaucoup de référents sur Tokyo. C'est une atmosphère lourde, lente, déshumanisée, que je trouve très bien rendue, avec un style remarquable.

Deux points, par contre, m'ont un peu gêné :

1. Insister tant sur le rythme et les sonorités de cet auteur japonais. Ce qu'elle lit, c'est bien une traduction, n'est-ce pas ? (ou alors je n'ai pas compris) Donc justement, l'aspect phonologique du texte devrait lui échapper, à moins qu'il ne s'agisse d'une traduction géniale.

2. D'après ce qu'on m'a dit du Japon, les gens ne parlent pas bien du tout l'anglais. Je me trompe peut-être, je n'y ai jamais été en personne.

Voilà. Sinon, je trouve ça vraiment bien. Et au niveau narratif, c'est bien amené, on est vraiment intrigués.

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Message  Invité Ven 18 Oct 2013 - 8:33

Lizzie, j’ai beaucoup aimé ton texte que je vois comme une nouvelle, c’est vif et très imagé dans les descriptions et j’ai tout de suite été happée par le récit, par l’étrangeté de la situation qui donne envie d'en savoir plus. Contrairement à Easter, je n’ai pas été gênée par le ressenti de la narratrice sur la ville étant donné les circonstances, je me dis que moi aussi j’aurais pu réagir comme ça. Je reste très intriguée et moi y'en a vouloir lire la suite. Ah et j'aime le titre aussi.

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Message  Invité Ven 18 Oct 2013 - 11:09

Ah oui, j’en redemande ! Voilà un texte d’excellente facture. On y est. L’auteur sait nous immerger dans son récit. Je comprends que la narratrice en ait rapidement assez de cette ville (moi qui n’aime pas les villes modernes à l’américaine, N.Y compris. Elles n’ont pas d’âme et pas d’histoire). Les descriptions, la précision du vocabulaire, les réflexions qui émaillent le texte, tout contribue à ce qu’il se lise avec plaisir.
J’attends donc la suite (les suites ??).

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Message  Jano Ven 18 Oct 2013 - 17:16

Au début j'ai pensé au film d'Almodovar "Parle avec elle" où se jouent des relations complexes entre des vivants et des personnes plongées dans le coma. On retrouve un peu cette situation dans ce texte, fort bien écrit par ailleurs, quand l'accident d'un être cher oblige à reconsidérer son existence. Il y a ainsi des disparitions, ou des silences, qui perturbent plus que d'autres parce qu'ils nous laissent seuls face à nous-mêmes et à nos blessures.
Je vois donc la narratrice qui part en quête de la petite amie (?) de son frère, davantage à la recherche de liens perdus qu'à la rencontre d'une inconnue. Ayumi Soshiko n'est qu'un alibi qui dissimule un retour sur soi, dans une contrée étrangère qui plus est, où les repères, dilués, se prêtent à la métamorphose.
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Message  Invité Ven 18 Oct 2013 - 19:43

Je suis toujours bluffée par la facilité que tu as à décrire l'ambiance d'un lieu où tu n'as jamais mis les pieds ( enfin,je suppose) avec une justesse, une précision qui nous y transporte !  Tu mets en place un suspense qui  tient à la fois  au lieu et aux relations des personnages entre eux, qui  semblent n'être pas simples...
Bref, une histoire  qui s'annonce palpitante et pleine d'imprévus. La suite !

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Message  Rebecca Sam 19 Oct 2013 - 6:07

Un texte de qualité dans lequel on s'immerge facilement et rapidement ce qui prouve qu'il y a là un vrai sens de la narration. Un sentiment d'étrangeté du au lieu, à la situation un peu particulière, au suspense amené et en même temps mêlé d'une impression de familiarité car on a tous connu de ces moments un peu spéciaux, à la fois hors du temps comme suspendus par rapport au quotidien de nos vies et où pourtant il y a précipitation des évènements.
Bravo tu as su me captiver, je lirai la suite avec plaisir.
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Message  Invité Sam 19 Oct 2013 - 7:51

L'alternance de descriptions, souvent empreintes de poésie quand ce n'est pas de réalisme précis, et des réflexions de la jeune femme, nous fait entrer au cœur de son vécu. Nous voyons, nous sentons et ressentons avec elle. Nous sommes prêts à suivre sa quête d'un quelque chose qui, nous le pressentons, va la, va nous mener sur des pistes inattendues.
A aucun moment le récit ne s'essouffle.
Une belle écriture rend la lecture fluide et agréable.

asseoir

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Message  Sahkti Dim 20 Oct 2013 - 9:12

Ho Lizzie, quel agréable et émouvant moment-lecture, merci pour tout cela, vraiment. Dès les premiers mots, je me suis retrouvée dans cette chambre, à Tokyo, ressentant l'hostilité pour cette ville, ce besoin de hurler, cette colère teintée de tristesse... oui, tout est là, palpable, à portée de main et ça étreint l'estomac.
Ton écriture est fluide, soignée et le rythme choisi, lent déroulement de gestes et de pensées, me paraît coller partaitement à cette notion d'attente, de temps qui passe tout en étant arrêté. Cela me fait penser à Sofia Coppola et son Lost in translation.
J'ai hâte de lire la suite !
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Message  Lizzie Dim 20 Oct 2013 - 13:53

Un grand merci à vous pour ces nombreux retours. Je suis le fil de discussion sur les commentaires, et je dois dire que ceux reçus sur mon texte sont à la fois constructifs et bienveillants, qu’espérer de mieux ?
Je réponds sur quelques points particuliers évoqués dans les commentaires:

Easter : je pense que la narratrice est dans un tel état d’esprit que la ville est perçue comme une agression. Elle est en décalage avec elle. Vincent.M et Sahkti citent « lost in translation », je n’y avais pas pensé, mais c’est exactement ça, en fait.
Pour Magritte, contente de partager les mêmes sensations étranges que toi !
Et enfin, merci pour tes remarques sur les phrases banales ou lourdes, sur les fautes : je l’ai déjà dit ailleurs, j’attends de l’aide de ce côté-là. VE joue bien un rôle d’atelier d’écriture, je ne poste pas un texte « achevé », mais un objet dont je doute et sur lequel je souhaite des avis.

Vincent.M
Pour Murakami : tu as raison, elle le lit forcément en Français. Est-ce-à dire que les auteurs traduits perdent leurs caractéristiques de rythme, de sonorités ? Sans doute un peu, mais pourtant, quelque chose demeure, je suppose que c’est là le talent du traducteur ? J’aurais pu prendre un autre auteur, l’idée était celle d’un récit lent, introspectif, accordé au rythme de ce qu’elle vivait ; Murakami semblait convenir.
Pour l’anglais des japonais… aucune idée. Mais je me suis heurtée assez rapidement à cette difficulté : comment rendre compte de la communication entre ces personnes ? Passer par une troisième langue me semblait mettre une barrière supplémentaire bienvenue entre eux. J’ai supposé que, comme en France, certains parlaient anglais, d’autres pas…

Vertigo, Luluberlu, Rebecca, Iris
Merci, et merci pour le titre, Vertigo. J’ai lonnnnnnnguement hésité.
Ce qui est chouette, c’est d’écrire que vous auriez pu réagir comme ma narratrice. C’est donc que quelque chose fonctionne, une empathie, une reconnaissance.

Jano
Tu as bien cerné ce que je voulais faire passer dans cette partie, le repli sur soi dans une ville étrangère. Toujours « lost in translation », en fait.

Coline
Ben non, je n’ai jamais mis les pieds au Japon. J'ai besoin de projeter mes histoires dans des lieux très précis, que j’imagine d’ailleurs sans doute de façon erronée, malgré mes recherches. Je suis incapable de partir dans un décor flou, j’ai besoin de « terre » pour ancrer mes personnages. Ici, j’ai passé quelques heures sur internet, à étudier des cartes, des articles, des blogs d’expatriés… Cette partie de l’écriture me plait. Il m’est arrivé de passer du temps sur un thème (l’ouest des Etats-Unis, par exemple), et finalement de ne jamais écrire l’histoire. Tant pis.
Quant aux personnages, ta remarque sur la complexité de leurs liens est juste. C’est presque un défaut, ça me bloque : je ne sais pas inventer un personnage « simple », ils sont toujours « gris », en interaction les uns avec les autres, complexes. Au point que souvent, je renonce, trop compliqué à écrire.

Vous m’avez mis la pression, parce que la suite, pff. Mais bon, j’attends la semaine réglementaire et je poste (courageusement) !
:-)

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Message  Invité Lun 21 Oct 2013 - 19:23

un trésor d'équilibre, ce début nouvelle. que mon intérêt croisse ou s'éteigne avec la suite bientôt ne change rien à la donne ; c'est une des plus belles prose cette année parmi mes lectures. Et si l'appréciation n'a pas valeur de commentaire, je tiens tout de même à te féliciter.

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Message  Invité Mar 22 Oct 2013 - 12:26

Je partage l'avis de Panda.
Je suis prêt à lire un roman entier écrit comme ça. Aucune affectation, un récit fluide, un style qui se fait oublier.
Je me demande qui est Ayumi Soshiko.
Rien d'autre.

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Message  seyne Mar 22 Oct 2013 - 21:29

Oui, beau et constamment juste, avec une force narrative qui fait qu'on entre immédiatement dans l'histoire, et qu'on a envie d'y rester.
Cette justesse et cette légèreté narrative, attentive, un certain vide relationnel aussi, c'est un peu ce que me font ressentir les auteurs japonais que j'aime : Muramaki, Ogawa, un désarroi sans cri.
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Message  Invité Mer 23 Oct 2013 - 9:22

Admirable !
Un texte très bien écrit, très convaincant. J'aime les auteurs japonais (pas tous...), j'aurais aimé aller plus loin, lire la suite, connaître la fin... comme lorsque, adolescente, je passais une nuit blanche pour terminer un livre qui me passionnait.

Merci pour ce beau moment de lecture, Lizzie. Je viens rarement côté prose, je ne pense pas t'avoir lue avant. Je vais réparer.

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Message  Invité Jeu 24 Oct 2013 - 2:26

Lizzie, pardonne moi
pour des raisons personnelles je ne peux commenter ce texte-là
mais à bientôt de te lire,
et de te commenter!
(car vraiment ceci n'est pas un commentaire, mais un simple acte de présence)

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Message  Lizzie Jeu 24 Oct 2013 - 13:20

Quelques blablas avant de poster la suite (et fin) :

En relisant vos commentaires, je m’aperçois que j’ai mal précisé un élément : l’âge d’Ayumi. Elle apparait sur une photo de classe récente, c’est une toute jeune enfant. Je préciserai dans une version retravaillée, parce que je souhaite que le lecteur en sache autant que la narratrice.

Merci pour vos commentaires, Panda, Narbah, Seyne, Dusha : je suis toute rouge. Igloo : je te remercie d’avoir laissé ce mot, je comprends parfaitement.

Une dernière chose, importante, peut-être :
J’ai ajouté la dernière partie en italiques juste avant de poster. J’avais besoin de cette conclusion, je crois.

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Message  Lizzie Jeu 24 Oct 2013 - 13:32

Le silence de la rue, les cris aigres de goélands perchés sur les toits, les voix agressives d’une radio échappées d’une fenêtre entrouverte. Des échoppes aux vitrines colorées, des lumières roses autour d’un autel dressé au carrefour. Le village s’étirait en une rue principale, coincée entre l’océan et une colline boisée qui préfiguraient les monts de Fukushima. Une salle communale, un stade, des boutiques de mode. Et puis, tout au bout de la grand-rue, une maison encadrée de deux pins : la demeure de Natsume Soshiko. Je sonnai. La porte s’ouvrit automatiquement, une pancarte fléchée désignait une pièce, la salle d’attente supposai-je. Vide. Je m’assis, les mains moites, soudain consternée par l’absurdité de ma démarche : qu’allais-je dire à cet homme ?

Natsume ouvrit la porte, referma la main sur la poignée en me découvrant. Je me levai :

— Bonjour monsieur, je m’appelle Nina Lampesini. Je souhaiterais parler à la mère d’Ayumi Soshiko, s’il vous plait.
— Wakaba? Elle n’habite plus ici. C’est à quel sujet ?
— Eh bien… Je préférerais m’entretenir directement avec elle, si possible. Je viens de Tokyo, où mon frère est hospitalisé. Je crois qu’il souhaitait rencontrer Ayumi.

L’homme fronça les sourcils, ouvrit la bouche, se ravisa. Son regard pesait sur moi, incrédule ou peut-être méfiant. Enfin, il me proposa :

— Entrez. Je suis le grand-oncle d’Ayumi. Elle est à l’école. Elle ne pourra pas vous parler, elle ne connait que le japonais.

Puis il me fit signe de le devancer vers la salle d’examen.

— Asseyez-vous, je vous en prie.

Je me posai au bord d’une chaise. Natsume vint s’assoir à mes côtés, genoux écartés, mains calées sur les cuisses.

— Pardonnez mon insistance, mais qui êtes-vous, exactement ?

J’étais venue en quête de réponses, et voilà qu’on m’en réclamait. Natsume leva une main vers moi, comme pour m’encourager à parler. Ses doigts étaient courts et épais, sa paume striée de lignes brisées. Attentif, il ne m’interrompit pas, reformulant parfois un mot dans son anglais rauque. A la fin de mon récit, je haussai les épaules : j’avais révélé tout ce qui concernait Jérôme, le reste m’échappait. Je l’observai à mon tour. De près, il paraissait plus âgé, il avait quelques rides au coin des yeux, des cheveux noirs et drus, des épis qui pointaient ça et là. Lorsqu’il me répondit, je remarquai qu’il lui manquait une dent, en bas. Plus tard, il me raconta comment son cousin et lui s’étaient roués de coups pour le privilège de monter un cheval, comment sa canine était restée sur le champ de bataille, mais qu’il avait finalement chevauché lors de la grande fête du Sōma nomaoi, la chasse aux chevaux sauvages, et n’avait jamais regretté la dent sacrifiée.

— Je crains que votre visite ne soit stérile. Ayumi a quatre ans, je ne peux que vous conseiller de rencontrer sa mère, Wakaba, mais sachez qu’elle ne souhaitera sans doute pas vous recevoir. Ma nièce n’aime pas les étrangers.
— Et le père d’Ayumi ? Se pourrait-il…

Je laissai ma phrase en suspens, mais Natsume se leva sans me laisser une chance :

— Je suis désolé, ce n’est pas à moi de vous parler. Je vais vous donner l’adresse de Wakaba. Mieux vaut aller la voir ce soir, elle travaille jusqu’à dix-huit heures. Je vais la prévenir de votre visite.

Il ajouta en me raccompagnant à la porte, alors que je me sentais plus perdue que jamais :

— Votre frère est venu de loin, et le sort a voulu que sa volonté soit contrariée. N’ayez pas trop d’espoir, même si je vous souhaite de rentrer chez vous l’esprit en paix.

Je remontai la grand-rue vers l’hôtel. Plusieurs heures à attendre, des heures cruelles, à laisser s’emballer une unique pensée : cette petite était-elle la fille de Jérôme ? Je voulais la voir, quelles que soient les conséquences : mon frère flottait entre la vie et la mort, que pouvait-il arriver de pire ?
Je cherchai l’école, m’adressai à un premier passant qui s’écarta, me tournai vers une jeune femme, mimant les gestes, un enfant, lire, écrire. Elle hocha la tête, me répondit en anglais, tout droit, au pont à gauche, la grille verte.
C’était là : une cour avec un toboggan et des jeux montés sur ressorts, un bâtiment à larges fenêtres. Restait à attendre la récréation. Une haie de thuyas bordait le grillage de la cour, mais deux arbres morts n’avaient pas été remplacés, ouvrant la vue sur l’aire de jeux. Enfin, une sonnerie stridente, des nuées d’enfants s’égayèrent, impatients, les garçons déjà sur le toboggan, les filles par groupes de quatre ou cinq, une adulte à la porte du préau. J’attirai l’attention d’un petit : « Ayumi ? Ayumi Soshiko ? Ayumi ? ». Il parut surpris mais pas effrayé, se retourna et cria à la cantonade. Mon cœur battait la chamade. Je vis alors deux petites filles s’approcher en se tenant par la main. Elles portaient l’uniforme de l’école, leurs cheveux étaient attachés, couettes pour l’une, queue de cheval pour l’autre. Elles s’arrêtèrent à quelques pas de moi. De l’autre côté de la grille, je m’accroupis, les doigts agrippés au métal, répétai en forçant la voix pour qu’elles m’entendent : « Ayumi ? Ayumi Soshiko ? ». La petite aux couettes s’avança, sérieuse. Elle tenait toujours la main de son amie, laquelle approcha en me dévisageant, lui murmurant sans doute une mise en garde. Bientôt Ayumi fut à ma hauteur, nos visages face à face. C’est alors que je la vis, la tache bleue dans sa prunelle. C’est alors qu’elle la vit, identique, dans l’œil de l’étrangère, que ses yeux s’écarquillèrent, qu’elle lâcha la main de son amie pour fuir vers la maîtresse.


***

— Comment avez-vous osé ?

Wakaba se tenait sur le pas de sa porte, fluette, dressée de toute sa hauteur pour m’interdire le passage, alors que par-dessus sa tête – elle mesurait bien cinquante centimètres de moins que moi-, je distinguais un couloir et des cloisons coulissantes.

— Comment avez-vous osé terroriser ma fille ? Partez ! Partez !

J’avançai, tentai une nouvelle fois de m’expliquer :

— Madame Soshiko, écoutez-moi… Je vous en prie, laissez-moi vous expliquer…
— Je ne veux rien savoir ! Partez, ou j’appelle la police !

Elle me repoussa violemment, claqua la porte. J’entendis le bruit d’un verrou, des pas qui s’enfuyaient. Je sonnai plusieurs fois, le doigt pressé en vain sur le carillon, avant de me résigner.
Les magasins fermaient, les rideaux métalliques tirés avec fracas me repoussaient. Pourtant, Ayumi portait la marque des femmes de la famille, cette prunelle vairon que ma grand-mère avait transmise à ma mère et dont j’avais hérité. Ce ne pouvait pas être une coïncidence : Jérôme, mon frère, l’éternel célibataire, mon frère que je ne voyais pas plus d’une fois par an, tant nos vies étaient éloignées, mon frère avait un enfant, et nous ne le savions pas. On pouvait donc vivre les uns avec les autres, de même sang, avec les mêmes souvenirs d’enfance, la même chambre partagée pendant des années, les mêmes révoltes et complicités nouées contre les parents et ensuite, bien après, découvrir que tout ça ne pesait rien, que l’autre nous avait caché sa vie, maintenu à l’écart, avec gentillesse, délicatesse, par son silence et sa nonchalance, justifiés par cette sacro-sainte « liberté » revendiquée comme allant de soi, oui, Jérôme aurait pu, après tout, avoir femmes et enfants, être un tueur en série ou un terroriste, qu’en aurions-nous su, nous, sa mère et sa sœur qu’il appelait de loin en loin et n’embrassait que distraitement à Noël ?
La banalité de la situation était amère. Les secrets d’un proche, les doubles vies : les quotidiens débordaient de ces faits divers. Mais lorsque cela vous arrivait, alors n’était-ce pas si anodin.

J’étais revenue chez Natsume. Les volets de la salle d’examen étaient fermés, mais il répondit  à mon coup de sonnette. Il soupira devant mon visage défait : « Je sais, j’ai appelé Wakaba. Entrez…  Je me doutais que ça se passerait mal… Vous n’auriez pas dû chercher à rencontrer Ayumi. »

Il me précéda dans son salon, désigna un canapé.

— Vous m’avez l’air mal en point. Asseyez-vous.
— Ayumi… Ayumi est ma nièce, n’est-ce-pas ?
— Vous l’avez vue. Lorsque vous êtes entrée dans mon cabinet, tout à l’heure, j’ai su, moi aussi. Votre frère a-t-il les mêmes yeux ?
— Non.

Je passais une main sur mon visage. J’étais épuisée. Natsume me jaugea, sembla se décider :

— J’allais diner. Voulez-vous partager mon repas ? Une simple collation.

Il n’attendit pas ma réponse, sortit deux verres et une bouteille de coca-cola du frigo. Il me laissa me servir pour se diriger vers la kitchenette au fond de la pièce, empoigna une casserole, alluma le gaz. Ses gestes étaient  apaisants. Il coupa un oignon en lamelles sous l’eau du robinet, versa des nouilles dans l’eau frémissante. Je le vis ouvrir un paquet brun, des algues wakame me dit-t-il, plonger cette mixture dans de l’eau, puis du vinaigre. Il revint vers moi avec un plateau, deux assiettes creuses, des cuillères et un flacon de sauce soja. Enfin, il sortit du tofu du réfrigérateur. Il s’installa à mes côtés, me fit signe de manger avant de parler d’une voix basse :

— Mes parents ont eu deux fils : Haruki, et moi, six ans plus tard. Haruki travaille pour la coopérative de pêche, il possède un bateau. Il s’est marié jeune, deux filles sont nées : Mori, qui vit à Tokyo et Wakaba. Moi, je suis devenu médecin, je me suis installé au village. J’ai fait mes études à Fukushima, mais je n’aime pas la ville. Je suis bien, ici. Je n’ai jamais ressenti la solitude, l’isolement dont parlent les jeunes qui préfèrent déménager. Je suis très différent de ma nièce Wakaba.

Il s’interrompit pour enfourner quelques bouchées. Je mangeais lentement, ce n’était pas très bon mais j’aurais pu manger des algues en silicone sans sourciller pour écouter son histoire. Il reprit :

— Adolescente, Wakaba voulait quitter Sōma. Elle a réussi à obtenir de ses parents l’autorisation d’aller à l’université de Fukushima. Elle étudiait l’anglais pour travailler dans le tourisme. Elle est partie en stage, en échange plutôt, avec une autre école, à Bali. Elle y est restée quatre mois. Quand elle est revenue, elle était enceinte. Elle ne pouvait pas poursuivre ses études avec un enfant : elle est rentrée ici, habitait chez moi, parce qu’Haruki  ne voulait plus entendre parler d’elle. Ensuite, leurs relations se sont améliorées, Wakaba a trouvé un travail à la centrale, puis un logement. Nous n’avons jamais su qui était le père, un étudiant, un touriste... Elle est très en colère, encore aujourd’hui, et sans doute honteuse. Voilà, vous savez tout.

— Je ne comprends pas : pourquoi mon frère n’est-il pas venu plus tôt ? N’a-t-il appris l’existence d’Ayumi que récemment ? Et comment ?

Natsume haussa les épaules :

— Si vous ne le savez pas, moi non plus. Wakaba élève seule sa fille. Elle a gardé une amie du temps de Bali, une jeune femme qui travaille pour une société d’export à Tokyo. Peut-être…
— Mon frère a monté une entreprise de logistique dans le transport international. Vous croyez... Cette jeune femme, ne s’appellerait-elle pas Yoko, Yoko Taekwo ?
— Si, je crois me souvenir de ce nom…

Nos regards se croisèrent, tant de fils lancés au hasard dans le monde, de personnes croisées et oubliées, de rencontres fortuites.

— Que dois-je faire, Natsume ? Lorsque j’ai vu Ayumi, j’en ai voulu à mon frère, j’ai cru qu’il nous l’avait cachée. Vous comprenez ? Nous sommes une toute petite famille, mon père est mort, il ne reste que ma mère et moi. Jérôme est célibataire, et moi… moi, je n’ai pas d’enfant, je suis divorcée et vous voyez, le temps passe... Une petite dans la famille, ce serait une telle joie. Peut-être ne savait-il pas, tout simplement. Peut-être attendait-il de la rencontrer pour nous prévenir ?
— Mais Ayumi est la fille de Wakaba. Et Wakaba ne souhaite pas de contact avec vous, n’est-ce-pas ?

Que répondre ? Il avait raison : la vie de Jérôme, Wakaba, Ayumi, pourquoi m’en mêler ? M’aveugler une fois encore ? Je levai la tête, j’étais restée silencieuse si longtemps. Natsume s’inquiéta :

— Ça va aller ?
— Oui, oui. C’est la fatigue.
— Je vais vous raccompagner. Vous avez besoin de dormir, vous êtes épuisée.


Nous avons marché le long des rues. Natsume me tenait le coude pour me guider dans la pénombre. Au détour d’une place, le vent apporta l’océan, sa rumeur sourde, effrayante. Nous longeâmes la digue, je distinguais la silhouette basse de l’hôtel derrière laquelle un phare, au loin, découpait sa silhouette de veilleur, et plus loin encore, les lueurs à peine perceptibles de la centrale atomique, la vapeur d’eau qui montait lentement des cheminées, colonnes plus sombres que la nuit. Natsume s’arrêta, sortit de sa poche un paquet de chewing-gum qu’il me tendit, puis reprit mon bras en silence. J’avais envie de m’appuyer sur lui, de lâcher prise. D’oublier Laurent. Peut-être était-il temps de cesser de croire aux chimères, d’admettre que Wakaba n’avait pas davantage envie de fonder une famille avec Jérôme que mon ex-mari avec moi. Notre couple n’existerait plus jamais, Laurent n’avait aucune attitude ambigüe, je le savais depuis longtemps, évidemment. Natsume ralentit, nous étions arrivés.

— Quand repartez-vous ? demanda-t-il.
— Je ne sais pas. Demain. Après-demain.

Je serrai le poing.

— Je voudrais revoir Ayumi. S’il vous plait. Prendre une photo d’elle, au moins, pour Jérôme, pour ma mère. Et puis, qu’elle sache… qu’elle sache que nous existons, si, plus tard…

Il ouvrit la porte d’entrée en hochant la tête.

— J’ai compris, ne vous inquiétez pas. Rentrez, à présent. Demain… je tenterai de convaincre Wakaba. Mais pour l’heure, reposez-vous. Nous nous verrons demain, je vous le promets.

Natsume ne put tenir sa promesse ; mon portable me réveilla à six heures, Jérôme était mort dans la nuit, je devais venir dès que possible. La date resterait gravée dans mon esprit : nous étions le 6 mars 2011. Le premier car partait une heure plus tard, j’envoyai un texto à Natsume et quittai Sōma.

***

L’aéroport de Tokyo bruissait comme si tout était normal. Pourtant... Natsume m’avait répondu, et son message augurait un dialogue entre nous, un fil ténu, porteur d’espoir. Je n’avais pas parlé d’Ayumi à ma mère, il était bien trop tôt. Je n’avais pas écrit à Laurent. Depuis trois jours, tout se précipitait.

L’avion décolla. Par le hublot, je contemplai le ciel de cendres dans le petit matin. Nous survolâmes la côte de Fukushima, avant de virer sur l’aile et de disparaitre dans les nuages.  





***



Octobre 2013

Je referme l’écran de l’ordinateur, je lève les yeux. Natsume pianote de son côté, déroule le récit de la journée pour Mori qui attend, de l’autre côté du monde, des nouvelles. Par l’entrebâillement des portes, j’aperçois une petite main sur mon lit. Ayumi, épuisée par le voyage, dort comme une bienheureuse. Elle est si belle, Jérôme… notre survivante.


Lizzie

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Message  Invité Jeu 24 Oct 2013 - 15:24

Oui, c'est très beau, implacable et serein.
Un des textes récents que j'ai eu le plus de plaisir à lire.
Un subtil mélange d'écriture d'ici (je ne sais pas comment dire autrement, trouver le terme adéquat ) et de l'ambiance de là-bas, qui rappelle à propos Yôko Ogawa mais plus encore à mon sens, Yuko Tsushima, que Gaëlle m'avait d'ailleurs fait découvrir.

Sur le dernier passage en italiques, je ne sais pas vraiment.
Je l'avais loupé en première lecture, j'aimais bien que ce voyage - ce cheminement - prenne fin dans les hauteurs, "le ciel de cendre", le rappel de Fukushima.
L'ajout ne me gêne pas mais il n'apporte pas grand-chose à ma lecture personnelle.

Une question que je me pose (souvent, ici et là, ailleurs) : qu'est-ce qui t'a donné l'idée de ce récit ? Je suis épatée par la minutie du détail et pourtant, j'ai cru lire plus haut que tu ne connaissais pas le Japon. Or, "on ne parle (écrit) bien que de ce qu'on connaît". Alors ?

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Message  Invité Jeu 24 Oct 2013 - 15:52

Cette fin me va très bien, y compris les lignes en italiques.
Seule remarque, l'ellipse (Easter aime trop ça puisqu'elle se serait passé d'explications complètement !) est un peu abrupte.
Vivre Fukushima a Tokyo et ne se réveiller que dans l'avion : il me manque quelque chose.
Comment cet enfant se retrouve dans l'avion? On enlève pas un enfant comme ça, avec pour seul passeport une tache dans un œil. Il y a un truc qui me chiffonne.
Jérôme meurt le le 6 mars 2011, “l'incident“ de la centrale du 13 au 15 mars je crois, et entre temps ? Et après ?. C'est un moment trop chaud pour que j'accepte de m'en passer totalement.

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Message  Invité Jeu 24 Oct 2013 - 15:58

Une lecture passionnante, et si bien écrite !

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Message  Lizzie Jeu 24 Oct 2013 - 16:16

juste un petit mot pour Narbah:

La narratrice n'a pas vécu Fukushima: elle part 3 jours après le 6, soit le 9, seule (avec les cendres de son frère, ou sa dépouille, je ne sais pas). Les 3 jours sont ceux nécessaires aux formalités avant son départ.
Elle laisse sur place Ayumi et sa famille, évidemment: comment aurait-il pû en être autrement ?
Sans les italiques, peut-être de trop, la fin est ouverte. A chacun d'imaginer le destin de ces êtres qui se sont effleurés. Une certaine idée du destin.
J'ai eu un accès de faiblesse en me relisant avant de poster, j'ai voulu imaginer qu'au moins deux personnes avaient survécu, que des retrouvailles, même quelques années plus tard, étaient possibles.
Sans italiques, l'ellipse n'existe pas, le texte est sans doute plus équilibré. Vos commentaires me le diront... :-)


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Message  Invité Jeu 24 Oct 2013 - 16:38

Lizzie a écrit:juste un petit mot pour Narbah:
Vos commentaires me le diront... :-)
Toutes mes plates excuses, j'ai lu trop vite et le “Octobre 2013“ m'a échappé.

Mais “le ciel de cendres dans le petit matin“ semblait signifier ( je suis décidément un lecteur trop rapide) que la catastrophe avait déjà eu lieu. Alors, emporté par mon élan, j'ai rapatrié tout le monde illico presto.

A propos, moi aussi je me demande d'où t'es venue l'idée de cette histoire ?

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Message  seyne Jeu 24 Oct 2013 - 19:55

Le récit se poursuit avec la même cohérence, la même subtilité, c'est vraiment parfait.
Personnellement, je trouve que la fin en italique affaiblit le texte. Tu as déjà parlé du fil ténu lié avec l'oncle, c'est comme un imperceptible espoir glissé et significatif, ça suffit. Et finir sur cet envol cendreux, c'est beau.

(et puis vu d'un œil cynique, la catastrophe qui vient opportunément tuer la mère pour qu'on récupère la fillette.....bon, je pousse un peu)
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Message  Invité Ven 25 Oct 2013 - 9:52

Bonjour Lizzie.
J'ai lu cette fin avec un grand plaisir. Je suis absolument épaté par les descriptions (un style admirable), le rythme lent et lourd, l'émotion et la psychologie du texte.

Par contre, j'ai deux "reproches", si je puis me permettre.

- Les dialogues sont, pour moi, le point faible. Surtout le premier. Des formulations que j'ai du mal à imaginer, comme "Je crains que votre visite ne soit stérile", ou alors, les personnages qui balancent toute l'information d'un coup, sans effet de style. Je n'ai pas réussi à ressentir les personnages à travers leurs mots.

- J'ai trouvé la chute beaucoup trop abrupte. A vrai dire, je ne me souvenais plus du tout de la date de l'accident de Fukushima. Comme la narratrice dit "je me souviendrai toujours de cette date", j'ai zappé et je croyais qu'il s'agissait de la mort de son frère. Ça va trop vite, cette fin, et on peut décrocher facilement. Dommage, parce que l'idée est vraiment excellente, elle est même au centre du récit, et mériterait d'être plus exploitée, à mon sens.


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Message  Jano Dim 27 Oct 2013 - 10:23

Ça roule et ça déroule. Efficace, toujours bien écrit, avec une approche psychologique finement travaillée. Pas grand chose à dire de plus sinon, en effet, une légère confusion à la fin. À ma première lecture je n'avais pas compris.
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Message  Invité Dim 27 Oct 2013 - 10:25

Ça se lit tout seul, c'est vraiment bien fait au niveau de l'écriture et de la construction. L'atmosphère, en lien avec le style, se révèle très agréable : une anxiété sereine, un flottement, une mélancolie et aussi une certaine distance. Je trouve cela dit l'histoire et le rythme un peu plats. Il y a selon moi un (léger) déséquilibre entre le développement du récit que laisse présager le début et la longueur réelle. La première partie est très descriptive, très introspective aussi, très déambulatoire, on dirait à mon sens que tu y poses simplement la situation initiale (et l'élément perturbateur en fin d'extrait), quand la seconde n'est qu'action, incarnation, (ir)résolution. En l'espèce, je trouve la transition entre la première et la seconde partie brusque, ou artificielle, comme si elle répondait à un découpage préétabli. Par ailleurs le personnage de Natsume me semble trop rapidement dépeint, trop rapidement jeté là aux côtés de la narratrice comme un homme conciliant et sage, faisant office de lien, de relais, de conseiller. Sinon l'effet miroir, les transpositions entre le frère volage et la sœur incapable d'élaborer le deuil de son seul compagnon me semblent signifiants, bienvenus, schématiques mais convaincants.

De manière générale c'est vraiment un texte agréable à lire. De la sensibilité et un savoir-faire que j'envie, malgré les points précités qui m'empêchent d'être vraiment enthousiaste. J'ajoute que l'atmosphère agréable, qui fait baigner les personnages et les lieux dans une certaine sérénité, est très bien rendue car elle participe dans notre périmètre de reconnaissance d'une certaine idée du Japon. C'est davantage une représentation occidentale qu'une réalité culturelle, de même que nos impressions face à l'écriture de certains auteurs japonais ne sauraient être débarrassées de tout paysage conçu en amont. Yourcenar, dans Mishima ou la vision du vide, dit combien il est difficile de juger un texte qui « appartient à une autre civilisation que la nôtre, envers laquelle l'attrait de l'exotisme ou la méfiance envers l'exotisme entrent en jeu. »  


Je relève une phrase qui m'a paru très bien construite, intense, avec une bonne coïncidence forme/fond :
« On pouvait donc vivre les uns avec les autres, de même sang, avec les mêmes souvenirs d’enfance, la même chambre partagée pendant des années, les mêmes révoltes et complicités nouées contre les parents et ensuite, bien après, découvrir que tout ça ne pesait rien, que l’autre nous avait caché sa vie, maintenu à l’écart, avec gentillesse, délicatesse, par son silence et sa nonchalance, justifiés par cette sacro-sainte « liberté » revendiquée comme allant de soi, oui, Jérôme aurait pu, après tout, avoir femmes et enfants, être un tueur en série ou un terroriste, qu’en aurions-nous su, nous, sa mère et sa sœur qu’il appelait de loin en loin et n’embrassait que distraitement à Noël ? »

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Message  Invité Dim 27 Oct 2013 - 11:57

lu-k a écrit:Ça se lit tout seul, c'est vraiment bien fait au niveau de l'écriture et de la construction. L'atmosphère, en lien avec le style, se révèle très agréable : une anxiété sereine, un flottement, une mélancolie et aussi une certaine distance. Je trouve cela dit l'histoire et le rythme un peu plats. Il y a selon moi un (léger) déséquilibre entre le développement du récit que laisse présager le début et la longueur réelle.
Je suis complètement d'accord avec ça. Le début semble être le commencement d'une grande histoire qui va être longue, et c'est ce style que j'envie, celui qui permet d'écrire des choses longues. Mais la deuxième partie me déçois car je la sens en fait hâtive. Et la fin…, mais je l'ai déjà dit. Lu-k explique très bien ce que j'avais ressenti sans parvenir à l'exprimer clairement.

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Message  seyne Dim 27 Oct 2013 - 12:57

Oui, mais il y a deux sortes de proses courtes : des textes qui sont faits pour être courts et des ébauches de romans. Et celui-ci en est de la deuxième sorte.
On ne peut pas vraiment le lui reprocher parce qu'un roman n'a pas sa place sur un forum, et donc bien entendu le roman reste à écrire, mais je trouve que tout est en germe.
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Message  Lizzie Dim 27 Oct 2013 - 13:59

Je vous lis avec un grand intérêt et vous remercie pour vos commentaires.
Pour répondre dans l’ordre des remarques, qui parfois se recoupent :

Easter et Narbah
Comment est-venue l’idée ? Pfiou, de plusieurs choses : d’un état d’esprit, tout d’abord, qui conditionne, je crois, l’écriture : il faut beaucoup d’énergie pour écrire certaines histoires, trop pour ce moi en ce moment. Je voulais une histoire « introvertie ».
J’avais envie de tenter d’écrire sur l’idée « d’inéluctable », de gens qui se cherchent et ne peuvent imaginer ce qui va leur tomber dessus, qui veulent maîtriser alors qu’on ne maitrise rien, en fait.
L’idée de liberté, aussi : Jérôme se croyait libre, il ne l’est pas. La narratrice se voit entravée, mais elle cherche à se défaire de ses prisons internes, et va sans doute y parvenir. Wakaba est libre de ses choix, de refuser de rencontrer celle qui est pourtant de la famille de sa fille et qui pourrait changer sa vie...
Que vaut la « liberté » face aux cataclysmes naturels (AVC comme tsunami) ? Pas grand-chose…
Pour le moment du drame, j’ai été marquée par une amie de ma fille, qui s’est rendue au Japon en voyage touristique et en est repartie la veille du tsunami.

Je voulais une histoire qui soit posée « juste avant », dans laquelle il n’y aurait pas de suspens, (ou du moins ce dernier ne serait pas le point essentiel), mais dont le ressort reposerait sur le fait que le lecteur, et lui seul, sache ce qui allait arriver. Rien de bien nouveau, ce type de récit a souvent été développé, mais j’avais envie de le tenter. Après, ce n’est peut-être pas ce que le lecteur a perçu : j’ai bien noté que pour plusieurs d’entre vous, Narbah, Jano…, la fin n’était pas si claire. J’aurais pu insister davantage mais je ne sais jamais trop où poser le curseur.

Pour l’idée de situer l’action au Japon, j’adhère totalement avec la vision de Lu-K : ma vision du Japon est celle d’une petite française qui n’y a jamais mis les pieds. Pourtant, j’avais depuis longtemps envie d’écrire une histoire qui se passerait là-bas et c’était l’occasion, parce que mon histoire et mon imaginaire du lieu coincidaient. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle je ne pouvais pas écrire sur un ton différent en choisissant ce lieu. C’est un peu plat, un autre lecteur me l’a dit, avec moins de ménagement que vous… ;-) mais j’assume… j’ai essayé de transformer l’histoire selon ses conseils, mais cela changeait tout.

Vincent.M me « reproche » (et aucun souci pour moi, Vincent, si je ne voulais pas d’avis je n’aurais pas posté…) mes dialogues. Ah, je sais, je ne suis pas bonne dans cet exercice, d’ailleurs j’avais déjà évoqué le sujet ici avec Yali, il me semble. Ce que tu as relevé est une phrase de Natsume, et le phrasé de ce dernier, du japonais traduit en anglais et retranscrit en français, ne pouvait donc pas sonner « naturel » à mes oreilles. D’où ses phrases un peu étranges, mélange de formules « ampoulées » et de « répétitions » ou maladresses, comme lorsqu’on cherche à expliquer les choses sans avoir les mots.
Ceci dit, ça n’explique pas les tirades un peu lourdes de la narratrice. À part pratiquer, et peut-être trouver des « guides », je ne sais pas comment améliorer ce point. Des idées ?
Pour la chute… j’en parle plus bas.

Lu-K : merci pour ton commentaire. Je trouve aussi ce texte un peu déséquilibré. La remarque de Seyne sur « les ébauches de roman » est très charitable.
J’ai du mal à écrire « court », je l’ai déjà dit, mais je suis souvent bloquée par mon intrigue. Natsume, dans ma tête, a une place plus importante.  J’avais imaginé en premier lieu que la narratrice s’installerait longtemps à Soma, d’où l’importance du lieu, la description de l’hôtel, que Natsume jouerait un rôle plus décisif dans sa prise de conscience. Mais ensuite, l’intrigue m’a rattrapée : je ne pouvais, son frère vivant, la laisser vivre plus de quelques jours à Soma (elle n’aurait pas, je pense, abandonné son frère seul à Tokyo). Et si son frère meurt, elle ne peut pas plus rester : elle doit rentrer et s’occuper de la suite. Donc, pas assez bossé l’intrigue.

Pour la chute « abrupte », c’est un choix. Pas forcément judicieux, d’ailleurs… ;-) Il correspond à ces fins abruptes de la vraie vie. Je ne voulais pas non plus décrire Fukushima, on changeait alors de dimension…
J’abandonne le lecteur à son sort, à lui de bosser, de comprendre et d’imaginer. J’ai eu tort de rédiger les quelques lignes en italiques, mieux vaut les oublier.

Un grand merci à vous, de nouveau. Je ne sais pas si j’écrirai un jour un roman, c’est un peu mal parti, mais lire que vous avez pris plaisir à cette lecture me donne envie de continuer, au moins sur des histoires de moyenne longueur.

Pour terminer :
Cette carte, qui m’a fait choisir Soma :
http://japgeo.free.fr/Sendai/FukushimaKen.png
J’ai beaucoup lu sur la catastrophe. C’est assez terrible, et je vous encourage à vous renseigner sur ce qui se passe encore là-bas. Mais enfin, ce n’était pas le thème de ma nouvelle. Par exemple, ayez la curiosité de taper le nom des localités qui figurent sur la carte : certaines ont un site local, qui est partiellement traduit en anglais : c’est ahurissant, les écoles reconstruites, les gens qui boivent ou pas l’eau du robinet selon les mesures de la semaine, enfin des choses qui me laissent coites : comment rester dans sa ville natale avec un tel danger ? pour certains, comment la quitter ? De quoi écrire une autre nouvelle : partir, rester ou revenir ? Ce sujet doit être passionnant...

Lizzie

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Message  Invité Lun 28 Oct 2013 - 6:56

Pour ce qui est des dialogues, la retranscription de la communication entre personnes qui parlent des langues différentes, c'est un véritable challenge , tant en littérature qu'au cinema. Peut-être le style indirect, ou mélange direct -indirect ? Par exemple, faire arrêter Natsume en pleine phrase, parce qu'il cherche ses mots, et continuer sur les réflexions de la narratrice qui essaie de comprendre le discours de son interlocuteur ?

Pour la chute, c'est peut-être aussi la coincidence en dates de la mort de Jérôme et de l'accident de Fukushima qui donne cette impression. Et si tu faisais mourir Jérôme mettons deux mois avant, la narratrice arrive à communiquer pendant un mois avec Natsume, avant que la catastrophe arrive ?


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Message  Invité Lun 4 Nov 2013 - 17:28

bien aimé aussi.

son cousin et lui s’étaient roués de coups l'historiette est quelque peu exagérée trouve-je.

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Message  Lucy Mar 5 Nov 2013 - 4:56

Si je relevais ce que j'ai aimé de ce texte, l'effet catalogue serait par trop évident.

Même remarque que pour la plupart des lecteurs concernant la fin. Un peu abrupte.

J'aime la couleur du texte, la voix de la narratrice, ce voyage forcé qui ne sent pas la carte postale.
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