ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
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ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
Lyon-Bayonne
C’est fini. Plus jamais cette prudence, plus jamais cette angoisse, plus jamais cette demi vie… Les coups d’œil restent des coups, je l’ai appris. Plus encore que les mots. Assez de violence comme ça, il est temps que je choisisse qui je suis. Allez-y regardez, regardez-moi encore, mais cette fois c’est vous qui écouterez. Je peux hurler plus fort que toute votre tribu de dégénérés, j’ai versé suffisamment de larmes pour aujourd’hui y noyer chacun de vos coups. Je n’ai plus rien à perdre, pas même l’espoir, je suis vide à en devenir plus dangereuse que vous. Vous qui n’avez pas compris à quel point être privé de vie est pire que mourir. Vous qui ne comprendrez jamais.
Il ne me fallait pour renaître que la démarche de monter dans ce train. Je suis assise sur ce siège et, pour la première fois depuis six ans, je n’ai pas l’impression qu’il va s’effondrer sous le poids de mon impureté. Pour la première fois depuis six ans, les sourires sont neutres, les regards sont indifférents. Il y a même une place pour mon sac au milieu de tous ces bagages. Le guichetier ne m’a pas refusé ce billet, le contrôleur a accepté ma présence à bord, le conducteur n’a pas exigé que je descende avant de démarrer… Je suis normale ! Je l’ai sans doute toujours été, même pendant ces six années de non vie. Loin d’eux tout sera évident.
Eux… Que leur faiblesse peut être monstrueuse ! Eux qui m’ont tout volé par naïveté, par vice. Eux qui se satisferont toujours de l’idée que cette fille partie loin ne pouvait être qu’une pute. Ce petit village, ses quelques dizaines d’habitants, tous de la même famille. Je les connaissais si peu... Pour la plupart, je ne leur ai même jamais adressé la parole. Je n’étais rien sinon une étrangère, une intruse, une fausse note. Mais j’ai rien demandé moi ! Je voulais simplement fuir la ville. Il était beau ce petit village montagneux, il avait l’air calme, je l’aimais d’avance… Et puis ça commence avec l’ignorance haineuse du voisin, ça continue par la soudaine multiplication par deux du prix du pain à mon entrée dans la boulangerie, ça s’accentue à l’entretien d’embauche… L’entretien d’embauche… Grand mot.
« Oui bô t’as qu’à v’nir à huit heures l’matin y’aura ben quequ’chose à faire ».
C’était un petit barbu dans un gros pull de laine vert, au comptoir du tabac du village. Antoine. Une grimace brutale en guise de sourire, l’haleine alcoolisée, le ton satisfait. Dans mon enthousiasme obstiné, j’ai tenu à trouver cet homme sympathique. J’ai même eu la naïveté d’expliquer l’insistance de ces regards par l’hypothèse d’un strabisme avancé. Et puis j’ai travaillé, c’était début septembre 2001. Après tout je n’en demandais pas plus, ça irait mieux avec le temps. Une certaine affection s’est rapidement dessinée, au fil des semaines… Disons au fil des jours. Il y a des régions comme ça où les gens sont très tactiles, vous mettent la main sur l’épaule par-ci, sur la cuisse par-là. C’était normal. Et puis Antoine a voulu profiter de ma présence pour élargir ses horaires d’ouverture. 23h30. Un tabac, dans le calme de ce petit village savoyard. Alors comme il y avait peu de clients à ces heures là, on discutait. Il était gentil Antoine. Toujours ce sourire, toujours ce strabisme, je recevais d’agréables compliments alcoolisés. Il accompagnait parfois ces paroles de quelque geste affectueux, mais je ne pouvais pas lui en vouloir. C’était normal. Il fallait le voir, triste et seul, ses yeux pétillant au moindre de mes gestes. Au fond ça me faisait plaisir de lui donner un peu de réconfort, et puis de toute façon moi mon charme je ne m’en servais pas. Ca me coûtait quoi de le laisser m’effleurer du regard ? Ca me coûtait quoi, quelques caresses ? Hein ? Je m’en foutais moi. Moi je pouvais donner du plaisir à un homme, je l’ai fait, c’est tout. Il était pas méchant Antoine, même quand ses mots étaient durs, c’étaient pas des vraies insultes. Il voulait juste de l’affection, c’étaient pas des vrais coups non plus, c’est sûr. Il se passait rien de mal. Chaque soir, il embellissait un peu sa vie comme il pouvait.
C’est pour ça que j’ai été embauchée... Mais putain qu’est-ce que j’aurais pu faire ? Fallait bien que je vive ! Et bien sûr tout le village était au courant. Ils ne savaient même pas mon prénom, ils connaissaient déjà ma vie. J’étais une pute. Je l’ai entendue pendant six ans ça, j’étais une pute. Le mépris des clients, les coups d’Antoine, chaque regard de chaque passant, chaque instant me hurlait que j’étais une pute. Petit à petit, le Monde s’est résumé à eux, les dernières traces de pas menant à mes repères ont été recouvertes par cette phrase, qui semblait ne plus avoir aucune alternative, qui semblait absolue, pure, vraie, indéniable : tu es une pute. Elle était partout, elle avait tous les pouvoirs, elle se chuchotait, se criait, se sous-entendait, elle me harcelait. Les murs s’en imprégnaient, l’odeur de mes gestes la ponctuait, elle se dégageait de chacun de mes pas, de mon moindre mouvement… Cette phrase m’habitait, et qui d’autre que moi avait bien pu l’écrire, puisqu’un Monde entier me la hurlait ? On finit par y croire. C’était normal. Je n’étais rien, je ne méritais pas mieux. Bordel comment j’ai pu m’abandonner comme ça…
Lyon-Bayonne, arrivée 10h21. Je ne sais pas pourquoi Bayonne, pourquoi aujourd’hui, ni même pourquoi tout court. J’ai juste décidé qu’il était temps pour moi de vivre. Demain je descendrai de ce train comme on s’extirpe du cocon maternel. L’anonymat comme sage-femme.
Anonyme- Nombre de messages : 27
Age : 36
Date d'inscription : 10/12/2007
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
Certains adjectifs sont surprenants, il y a sans doute une idée précise derrière mais je ne suis pas sûr de l'avoir toujours vraiment saisie. L'histoire de cette femme est bien pensée, psychologiquement bien vue, mais ça pourrait aller plus loin dans l'aspect émotif. J'ai aimé les deux dernières lignes, et l'idée de terminer sur une métaphore aussi significative.
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
histoire bien racontée, solide, peut être mériterait une suite pour prendre plus de relief.
Loup ? non ... si ? sait pas ...
Loup ? non ... si ? sait pas ...
Charles- Nombre de messages : 6288
Age : 48
Localisation : Hte Savoie - tophiv@hotmail.com
Date d'inscription : 13/12/2005
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
DE LA PART DE MENTOR:
Très beau texte, beaucoup d’introspection avec cette sorte de confession non dénuée de non-dits pleins de retenue. Tout est vraisemblable et donc ça tient la route tout en transmettant un malaise indéfinissable.
Je pense à Sahkti comme auteure. Pas sûr.
Très beau texte, beaucoup d’introspection avec cette sorte de confession non dénuée de non-dits pleins de retenue. Tout est vraisemblable et donc ça tient la route tout en transmettant un malaise indéfinissable.
Je pense à Sahkti comme auteure. Pas sûr.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
Un personnage un brin ambigu, mêlant victimisation et attaque, sentiments de supériorité et d'infériorité. Quelqu'un qui aime se regarder le nombril tout en se sentant floué par les attaques gratuites. Bref, une narratrice qui me dérange un peu car plutôt égocentrique, sans doute trop, au point de lui faire oublier de se pencher sur des émotions véritables, de vrais coups à prendre et à donner. Cela ne veut pas dire que le texte n'est pas sincère dans on intention ou son contenu mais quelque chose le maintient en-dehors de l'émotion quand je le lis.
L'écriture est fluide et de qualité, mais j'ai ressenti tout au long de ma lecture une distance par rapport au sujet qui a empêché toute empathie chez moi, une distance trop forte pour être comblée.
L'écriture est fluide et de qualité, mais j'ai ressenti tout au long de ma lecture une distance par rapport au sujet qui a empêché toute empathie chez moi, une distance trop forte pour être comblée.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
J'ai un peu de mal avec la prose écrite sur le ton de l'introspection. Ça me semble toujours sonner faux cette façon de raissonner à voix haute sur toute la longueur d'un texte. J'aurais aimé que l'on sorte un peu de ce mode de narration, qu'il y ait quelques échappées qui insufflent un peu d'air, de vie, à ces lignes.
Pour le reste, la lecture est agréable et quelques trouvailles lui donnent un certain charme.
Pour le reste, la lecture est agréable et quelques trouvailles lui donnent un certain charme.
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
Y aurait-il quelque chose d'autobiographique dans cette histoire navrante ? La précision de date m'inclinerait à le penser. Pour la grande majorité des gens, septembre 2001 est une date aux réminiscences explosives, mais pour la narratrice de ton récit, c'est simplement le début d'une glauque parenthèse qu'elle entend bien refermer en s'immergeant dans l'anonymat. D'où une impression d'étrangeté confortée encore par l'irréalité du village et de ses habitants. Un décor vide, des personnages que ne rassemble que leur mépris pour l'étrangère. Ben oui, l'Enfer, c'est souvent les autres, même à la campagne...
Gobu- Nombre de messages : 2400
Age : 69
Date d'inscription : 18/06/2007
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
Septembre 2001, lire le texte aujourd'hui, drôle d'écho...
Pour le texte j'ai bien aimé. Le personnage de la narratrice ne me dérange pas du tout, je le trouve crédible, authentique. Comme Kash j'aurais aimé que cela soit encore approfondi.
Quant à la caricature des petits villages où tout le monde se connaît mais où on ne sait pas les noms, j'ai ri, ri, ri !
Pour le texte j'ai bien aimé. Le personnage de la narratrice ne me dérange pas du tout, je le trouve crédible, authentique. Comme Kash j'aurais aimé que cela soit encore approfondi.
Quant à la caricature des petits villages où tout le monde se connaît mais où on ne sait pas les noms, j'ai ri, ri, ri !
Lifewithwords- Nombre de messages : 785
Age : 32
Localisation : Hauts de Seine
Date d'inscription : 27/08/2007
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
La première moitié a failli être rédhibitoire pour moi : trop de Pathos, de larmoiements étouffés, de constats évidents présentés comme des semi-révélations, d'expressions convenues sur le regard des autres ; bref, j'étais à deux doigts de raccrocher tellement je m'ennuyais.
Et puis, la seconde partie s'est mollement mise en branle, l'introduction de faits plus concrets comme l'embauche ou le prix du pain m'a invité avec un peu plus de conviction à aller jusqu'au bout.
Au final, c'est une lecture supportable, considérée dans son entièreté. Il n'en reste pas moins que l'esprit global véhiculé - le parcours d'une vie dans le mépris et le lot d'afflictions qu'il comporte avant le Saint-Graal utopique du " je repars à zéro " - est un son de cloche des plus banals que j'estime ici mal exploité.
Et puis, la seconde partie s'est mollement mise en branle, l'introduction de faits plus concrets comme l'embauche ou le prix du pain m'a invité avec un peu plus de conviction à aller jusqu'au bout.
Au final, c'est une lecture supportable, considérée dans son entièreté. Il n'en reste pas moins que l'esprit global véhiculé - le parcours d'une vie dans le mépris et le lot d'afflictions qu'il comporte avant le Saint-Graal utopique du " je repars à zéro " - est un son de cloche des plus banals que j'estime ici mal exploité.
Siphon- Nombre de messages : 142
Age : 39
Localisation : Mons
Date d'inscription : 11/12/2007
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
Suis passé à côté, mais c'est sans doute de ma faute, comme le fait remarquer Christelle, ce mode de narration est a appliquer avec parcimonie, dans le cas contraire, il ennuie le lecteur que je suis.
Yali- Nombre de messages : 8624
Age : 59
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
J'ai trouvé le début fastidieux, y compris la fin. Du coup, le texte ne m'a pas parlé plus que ça. C'est dommage, car le personnage, le lieux la situation existent bien. Oui, je suis passée à côté, sans y entrer, c'est vraiment dommage.
ninananere- Nombre de messages : 1010
Age : 48
Localisation : A droite en haut des marches
Date d'inscription : 14/03/2007
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
C'est une écriture très constante, très vraie, très proche du narrateur. Je suis ennuyé aussi mais...Suffocant sur la longueur, le malaise est là, inévitable, et j'en déduit que, peut-être, cette personne ne sera pas plus résistante ailleurs, anonymat ou nom. Il y à derrière le style très strict une lame de fond très noire, plus noire que le pathos de surface. Et au final j'adore ce texte. Un renversement inattendu.
Invité- Invité
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
Superbe phrase en point final d'un texte que j'ai trouvé très beau, fort et violent, profondément humain et qui restera longtemps ancré dans ma mémoire.Anonyme a écrit:
L’anonymat comme sage-femme.
Zou- Nombre de messages : 5470
Age : 62
Localisation : Poupée nageuse n°165, Bergamini, Italie, 1950-1960
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
J'ai trouvé que l'écriture était maîtrisée, fluide, le récit fort bien mené. J'ai apprécié le sens des détails, la description des personnages.
Cependant, je ne suis pas client du genre. Je trouve que le mélange d'affliction et la dénonciation permanente nuisent trop à la narration, à la description, et pour moi in fine à la naissance d'une émotion. Je pense que fondamentalement ce texte est fait "à l'envers" : tu nous détailles en entrée les sentiments de la narratrice, et l'histoire semble n'être là que pour justifier le sentiment, sans doute l'approche inverse aurait mieux fonctionné pour moi : que ce soit l'histoire raconté simplement qui fasse naître ce sentiment et le partager avec le lecteur. Ceci dit, des qualités indiscutables pour ce texte.
Cependant, je ne suis pas client du genre. Je trouve que le mélange d'affliction et la dénonciation permanente nuisent trop à la narration, à la description, et pour moi in fine à la naissance d'une émotion. Je pense que fondamentalement ce texte est fait "à l'envers" : tu nous détailles en entrée les sentiments de la narratrice, et l'histoire semble n'être là que pour justifier le sentiment, sans doute l'approche inverse aurait mieux fonctionné pour moi : que ce soit l'histoire raconté simplement qui fasse naître ce sentiment et le partager avec le lecteur. Ceci dit, des qualités indiscutables pour ce texte.
Loupbleu- Nombre de messages : 5838
Age : 52
Localisation : loupbleu@vosecrits.com
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
J'aime bien la dernière phrase.
Sinon un peu de mal à entrer dans le texte, le début à un ton trop plaintif et mal-assuré un peu agaçant, je sais que c'est dû au personnage, mais ça m'irrite quand même, et en ce qui concerne l'ensemble, j'ai le même sentiment que Krystelle. Le style est parfois maladroit. Donc pas convaincue...
Sinon un peu de mal à entrer dans le texte, le début à un ton trop plaintif et mal-assuré un peu agaçant, je sais que c'est dû au personnage, mais ça m'irrite quand même, et en ce qui concerne l'ensemble, j'ai le même sentiment que Krystelle. Le style est parfois maladroit. Donc pas convaincue...
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
C'est beau cette détermination volontaire capable d'arracher une personne qui s'envase dans la pire des solitudes : l'indifférence de l'anonymat. Sujet traité souvent à toutes les sauces. Ici, il me plait bien.
bertrand-môgendre- Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
Bravo Kash. Ce texte est de loin celui qui me plait le plus.
Simplement par ses qualités.
Simplement par ses qualités.
Invité- Invité
Re: ANONYME : Lyon-Bayonne (Kash Prex)
pandaworks a écrit:Bravo Kash. Ce texte est de loin celui qui me plait le plus.
Simplement par ses qualités.
Pas loin de penser pareil au risque de me répéter.
Zou- Nombre de messages : 5470
Age : 62
Localisation : Poupée nageuse n°165, Bergamini, Italie, 1950-1960
Date d'inscription : 12/12/2005
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