Le silence

[Arielle]

Le silence a peuplé de rides le désert
et semé des cailloux à la place des mots

Ça et là dans le sable
une rose de pierre
cherche à sculpter le vent
qui lui renvoie l’écho de ces fêtes anciennes
quand les feux montaient clairs
dans la nuit souveraine et constellée de voix

Tourbillons de poussière
une poignée d’os nus
rompus sous les lambeaux d’une morne prière
retournent au désert

Le vent n’a plus de chair
sa musique s’est tue

[Lyra will]

ça, c'est vraiment sublime =

Le silence a peuplé de rides le désert

qui lui renvoie l’écho de ces fêtes anciennes

une poignée d’os nus
rompus sous les lambeaux d’une morne prière


Le vent n’a plus de chair

tu sais, ça me rappelle ce tableau de la fuite en Egypte de Merson

Beaucoup de charme sableux!

[seyne]

Un peu trop musical pour mon goût perso (eh oui, j'assume !), mais beau, et plus paradoxal qu'il n'y paraît...je veux dire que cette image d'un grand feu sous les étoiles, autour duquel on chante, va très bien, justement, avec le silence et le dépouillement du désert. Cette aridité fait partie de la fête, lui sert de révélateur, d'écrin.
Alors que le poème ici les oppose. Comme si l'aridité avait dévoré ce qu'elle accueillait.

[Invité]

Un beau texte morose, qui fait sombrement écho...

[Pussicat]

très beau texte sur le passé,
un passé révolu : sa musique s’est tue
le randonneur impénitent, à peine il tend son pas qu'il entend la musique, en "écho" simplement, qu'il entend "dans la nuit souveraine et constellée de voix" l'éclat des étoiles qui depuis longtemps déjà ne sont plus...
le randonneur impénitent, celui qui mange autant de sable que de mots...
et la rose des sables... ? peut-elle porter l'espérance...
j'aime, et j'allais dire une bêtise... alors encore,

[Pussicat]

Comme si l'aridité avait dévoré ce qu'elle accueillait.

mais justement !

[jfmoods]

Certains indices (les "mots", les "voix") laissent à penser que le décor qui se dresse devant nous présente l'aspect d'un paysage état d'âme. C'est peut-être en commençant par les temps qu'il faudrait suivre cette piste, avec cet imparfait ("montaient") qui nous murmure à l'oreille, par le jeu des adjectifs mélioratifs ("clairs", "souveraine", "constellée"), la comptine de toujours, celle qui chante ce moment d'harmonie, de concorde entre la nature et les humains. Cependant, l'imparfait est le temps des choses passées, oubliées, mortes. L'essentiel de la problématique du poème se situe dans le feu croisé des personnifications. La "rose de pierre", éparpillée en quelques exemplaires ("Ça et là"), image presque transparente d'une figure humaine dispersée, cherche à entrer en résonance ("sculpter le vent", "morne prière") avec le bonheur, ce chant enfui. Petit Poucet maléfique, le "silence" piège le chemin, rendant la quête impossible. Tout le reste se décline à l'aune de la perte sèche ("les rides", "la poussière", "les os nus rompus", "les lambeaux").

Merci pour le voyage !

[Annie]

Les deux premières strophes me touchent, ce paysage, probablement paysage intérieur, tout simplement retourné au silence, sans évènement traumatique.
Jolie trouvaille, la rose qui sculpte le vent.
Par contre je n'apprécie guère le cliché des os pourrissants, ni la chair du vent, qui sentent trop l'ascétisme, les ermites au désert, dans l'imagerie pieuse.
Le rythme est musical... certes, plusieurs vers sont des alexandrins qui se cachent.

[Polixène]

Le thème est lancé, magistralement : ces deux premiers vers, somptueux, contiennent tout.
La suite alors fait un peu figure de visite guidée, mais comme la balade est belle, et cruelle !

[Louis]

Belle image du premier vers : un désert peuplé de rides.
Rides : des traces dans le sable, lignes tremblantes, pas même géoglyphes, pas même une écriture ; juste un tressaillement dans le sable, un frémissement, juste des marques insignifiantes, des mots, mais des mots vides.
Midbar : à la fois désert, à la fois parole, mais parole sans vie, parole bavarde, désert disert aux phrases creuses, juste un ondoiement, quelques légers remous, rides des terres arides.
Effets du silence.
Le silence en place du vent.
Les mots comme un souffle qui n'a plus rien de vital, une respiration sans vie, un simple mouvement de l'air. Déplacements de sable, mouvements de l'inertie.
Et rien ne se construit : pas un abri, pas une demeure.

Le silence crée le désert, quand la parole peuple le monde. Nous habitons les mots, nous vivons en eux. Et la parole nous donne le monde, qu'elle crée, qu'elle invente dans ses représentations ; elle nous donne autrui à rencontrer, anime l'axe où  vibre je vers tu, dans un être en commun.
Mais la parole s'est tue.
Les mots se taisent et tout est dépeuplé : un désert vide, inhabité.

A la place des mots, des cailloux. Des pierres, pas une végétation ; même s'ils sont « semés », les mots ne sont pas des semences, ne sont pas des graines. Des roches inertes, sans croissance, qui ne génèrent rien, pas un arbre de vie, pas un havre de vie.
Des pierres affirment leur présence, mais leur seule présence ; elles n'indiquent pas au-delà d'elles-mêmes, ne font pas signe d'un monde, d'un monde humain.
Pierres froides et sans vie, pierres froides insensibles. Il ne pousse que des pierres dans le désert.  

On y trouve pourtant des fleurs, fleurs de rocaille. Le vent ne sculpte pas la pierre, mais inversement la pierre sculpte le vent. La rose des vents est une rose de pierre.
Elle donne forme au vent, substitut du silence. Grand vent des mots creux, remplis d'air. La rose sculpte le silence. Une statue de vent aux formes tourbillonnantes, désorientée, dont les bras indiquent toutes directions.
Elle écoute «  l’écho de ces fêtes anciennes
quand les feux montaient clairs
dans la nuit souveraine et constellée de voix »
Elle résonne encore de l'éclat des voix anciennes, quand elles brillaient en pléiades dans la nuit, quand elles apportaient leur lueur à la noirceur des temps, à la nuit « souveraine ».
Il y eut fête de la parole, quand elle crépitait, joyeuse. Il y eut des lueurs.
Un feu a flambé, plein de vie, plein d'énergie, embrasant les mots jusqu'à l'incandescence, mais il n'est plus que d'autrefois.

Pas d'eau dans le désert, très sec, mais des os.
Pas d'eau vive qui ruisselle, mais des os desséchés au soleil, vestiges des temps anciens. Squelettes décharnés d'un passé de chair.  

Une simple « poignée d'os nus » : ni obus d'une explosion finale, ni eaux bues, pas d'oasis, mais ossements desséchés, ruines d'un passé vivant qui n'est plus.
Une poignée d'os, pas un ossuaire, qui tiennent dans une main de sable. Tout a disparu dans le désert.

S'éventent les jours anciens quand plus rien ne s'invente.

« Le vent n'a plus de chair » : mais s'acharne dans le désert,  « et la musique s'est tue », le vent n'est plus que le squelette des mots sans musique, vestiges d'un monde évanoui.

Le désert : une état d'âme, une solitude dans l'absence de la parole proliférante, mais en profusion de mots inhabités ?
Deux espaces, l'espace de l'intimité et l'espace du monde deviennent consonants. Quand s'approfondit la grande solitude de l'homme, les deux immensités se touchent, et se confondent.

Mais il y a cet espace qu'évoque le texte, celui où nous sommes, l'espace
en devenir de Vosécrits.
Pas seulement un état d'âme, non, un état de choses où nous sommes.
Ce poème n'exprime pas une intériorité devenue sans voix, déserte. Au contraire, il est une voix, une parole, qui déplore le silence extérieur, ici et ailleurs. Ses mots pleurent sur l'absence des mots ; ils arrosent le désert et le rendent moins... aride.
Merci Arielle.

[Arielle]

Merci à tous ceux, lecteurs et commentateurs qui ont fait mentir mon texte : Nous ne sommes pas encore dans un désert puisque votre présence amicale s'obstine à faire vivre les lieux !
Louis, comme toujours je suis touchée par la justesse de ton analyse et tout particulièrement par les deux dernières lignes de ton commentaire.
Jfmoods tu as le génie de mettre en relief, de cerner le vocabulaire essentiel autour duquel tournent les textes que tu commentes. Ta façon de lire est précieuse à l'écrivant qui cherche la concision, la clarté plus que le bavardage, ce qui est essentiel en poésie, à mon avis.    
Lyra, seyne, coline, Pussicat, Annie, Polixène meci encore de m'avoir accompagnée dans ce paysage aride que je rêve toujours de voir refleurir un jour ...

[joe-joe]

Superbe.
Je regrette, j'ose à peine le dire, et le fais à regret, en sourdine, ces assonances en "ou" (appelées, j'imagine par le premier vers de la strophe) et même la sonorité globale de cette strophe, qui semble à mon oreille trop sourde, ne collant pas avec son dit. Mais sans doute ma seule oreille est-elle coupable.
Encore bravo.

[Nathanaël Zenou]

joli texte où le paysage évoqué semble lui-même dessiner les contours du poèmes, ainsi quand je lis

"Le silence a peuplé de rides le désert
et semé des cailloux à la place des mots"

je vois plus loin les mots "Ça et là dans le sable" comme négligemment jetés.

l’écho de ces fêtes anciennes
quand les feux montaient clairs
dans la nuit souveraine et constellée de voix, beau contraste,


Tourbillons de poussière
une poignée d’os nus
rompus sous les lambeaux d’une morne prière
retournent au désert

Le vent n’a plus de chair
sa musique s’est tue,

belle photographie, digne d'un western, il ne manque plus que le sistre d'un serpent à sonnette pou combler ce "silence"

[Legone]

Beaux alexandrins, belle musique, beau poème.

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