Jours d'après la foudre
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Jours d'après la foudre
Jour deux.
Il conviendrait de commencer par le jour premier, mais - et je m'en excuse auprès de mes lecteurs, s'ils existent - je n'en ai pas trouvé la force hier. Ou bien, je n'ai pas trouvé les mots. Mais les mots ne se cherchent ni ne se trouvent, ils sont là quand ils le veulent.
S'il était nécessaire de faire un retour en arrière, de clarifier certains points avant de commencer, alors c'est maintenant que je le ferais. Mais je ne suis pas certain que cette mascarade soit de mise.
Labourer la terre comme s'il en dépendait de sa vie, n'est-ce pas suffisant ?
Bêcher, trancher à vif dans la terre fraîche, faire mal, jusqu'à fendre sa propre chair, cela ne suffit-il pas ?
Creuser, creuser encore, quand il manque seulement quelques coups pour que le corps bascule, là, dans la brèche que l'on vient d'ouvrir, n'est-ce pas aussi puissant qu'un long récit d'une vie qui ne mérite ni qu'on la raconte, ni qu'on la termine ?
Les deux mains appuyées contre la bêche, le dos suspendu au-dessus du sol, comme l'arcade d'un monument historique, le visage pâle sous les derniers rayons du soleil de printemps, les lèvres sèches, les yeux trempés de foudre, n'est-ce pas assez, assez ?
Faut-il encore que je me raconte, que je me livre, que je m'aplatisse contre des feuilles blanches jusqu'à les noircir de cette vermine qui me ronge et m'apaise ?
Quel Dieu en a décidé ainsi, quel astre se moque encore des foudres qu'il disperse, quelle pluie s'efforce encore et toujours à me baigner de sa colère, quel homme peut encore franchir des barbelés si bien tressés ?
Suffira-t-il d'un geste pour que les orages se taisent ?
Existe-t-il une ombre, au-delà des ténèbres, qui voudra bien me dire de quel bois je me chauffe, à quels horizons je peux bien me vouer quand ma vue devient trouble ?
Existe-t-il une heure plus propice qu'une autre à l'abandon, à l'amour, à l'agonie ?
Et ce soir, comment puis-je me nommer ?
Rira-t-on de mes larmes si j'en fais des ivresses ?
Laissez-moi vous dire combien l'amour est gauche, désarmant, lumineux, essentiel, blessant et mensonger. Non, ne le faites pas.
Embrassez-moi.
Couvrez-vous de sueur - il n'est pas nécessaire de courir pour rencontrer un mur.
Livrez-vous comme je me livre, sans apparats, sans colère, sans éclats, sans espoirs.
Faites-moi confiance et jamais l'on n'aura vu d'amour plus beau, plus sincère, plus entier.
Ce n'est pas comme ça que la vie devient. Ce n'est pas comme ça que les hommes oublient. Comment, alors ? Combien de temps avant que la nuit ne finisse ?
Et personne n'oublie, et la nuit ne finit pas.
Avec la violence de l'échec vient l'échec.
Hue- Nombre de messages : 51
Age : 35
Date d'inscription : 31/08/2008
Re: Jours d'après la foudre
Le pacte autobiographique et ses aspérités...
Passionnant !
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jfmoods- Nombre de messages : 692
Age : 58
Localisation : jfmoods@yahoo.fr
Date d'inscription : 16/07/2013
Re: Jours d'après la foudre
Je dois avouer qu'après avoir lu une première fois ce texte, j'ai tout de suite pensé au résultat d'un exercice. J'ai eu l'impression de me trouver devant une écriture d'invention type bac sur le thème de l'autobiographie et de ses enjeux. Je ne parviens pas à me défaire tout à fait de cette impression première.
Peu importe...
Pour qu'il y ait pacte autobiographique, il faut accepter le préalable suivant qui veut que l'auteur, le narrateur et le personnage se retrouvent en une seule et même personne. Or, si les deux premiers termes de cette exigence sont bien remplis ici, il en va tout autrement du troisième. De nombreux obstacles, comme autant de repoussoirs, se présentent au fait que l'auteur et le narrateur puissent se rencontrer dans le personnage. Un lectorat improbable ("s'ils existent"), le retour sur la genèse de l'oeuvre considéré comme une ineptie ("mascarade"), l'impossibilité à trouver les mots pour le dire le moment venu ("ils sont là quand ils le veulent."), le peu de valeur de la vie à relater et, par conséquent de ce qu'il y a à dire (la force des négations : "un long récit d'une vie qui ne mérite ni qu'on la raconte, ni qu'on la termine ?"), la crainte du ridicule (gradation qui dit la force de l'humiliation subie : "je me raconte, que je me livre, que je m'aplatisse contre des feuilles blanches"), les moqueries ("Rira-t-on de mes larmes si j'en fais des ivresses ?"), les doutes, légitimes, sur le caractère libérateur de ce qui sera dit ("Suffira-t-il d'un geste pour que les orages se taisent ?"), la certitude finale, catégorique, sur le caractère non-libérateur de ce qui sera dit ("Et personne n'oublie, et la nuit ne finit pas.") se signalent comme autant de blocages successifs, autant de verrous, autant de lignes de force insurmontables pour pousser plus loin la démarche autobiographique. Au travers des formes impératives, le lecteur lui-même est sollicité, pris à partie sur l'enjeu, vaste, fuyant, insaisissable, du projet autobiographique (énumération : "l'amour est gauche, désarmant, lumineux, essentiel, blessant et mensonger.") et l'ironie mordante du superlatif appuie sur la visée utopique de l'entreprise ("Faites-moi confiance et jamais l'on n'aura vu d'amour plus beau, plus sincère, plus entier."). Ce texte rend-t-il cependant vraiment tout à fait caduque la suite du projet, la réalisation future d'un pacte autobiographique ? Car la nécessité de dire est ici prégnante, impérieuse. Écrire apparaît comme vital tant ce fardeau pèse. Filant la métaphore médicale, l'écriture en elle-même possède un statut ambivalent, contradictoire. En effet, si elle est vécue, par anticipation, comme un remède qui soulage ("m'apaise"), elle distille, dans le même temps, l'infection, la gangrène, le poison ("cette vermine qui me ronge"). Sera-t-il possible de lever demain la force d'inertie de ces inconciliables d'aujourd'hui, de dépasser ce terrassant paradoxe ? Bref, de faire retentir cette "foudre" annoncée, pour l'instant rigoureusement impossible à lever ? La présence d'un jour premier tout à fait infructueux et de ce jour deux qui progresse dans l'examen de la situation empêchent-ils d'exclure absolument l'éventualité d'un jour trois qui fournirait une avancée supplémentaire dans cette nuit de l'âme, nuit sans lune, pour l'instant inentamée, impénétrée ?
La recherche d'une réponse à cette question quasi-insoluble en l'état ne constitue pas le moindre intérêt de ce texte qui dresse formidablement devant nous la complexité, la violence, la douleur du rapport à soi dans l'écrit.
Peu importe...
Pour qu'il y ait pacte autobiographique, il faut accepter le préalable suivant qui veut que l'auteur, le narrateur et le personnage se retrouvent en une seule et même personne. Or, si les deux premiers termes de cette exigence sont bien remplis ici, il en va tout autrement du troisième. De nombreux obstacles, comme autant de repoussoirs, se présentent au fait que l'auteur et le narrateur puissent se rencontrer dans le personnage. Un lectorat improbable ("s'ils existent"), le retour sur la genèse de l'oeuvre considéré comme une ineptie ("mascarade"), l'impossibilité à trouver les mots pour le dire le moment venu ("ils sont là quand ils le veulent."), le peu de valeur de la vie à relater et, par conséquent de ce qu'il y a à dire (la force des négations : "un long récit d'une vie qui ne mérite ni qu'on la raconte, ni qu'on la termine ?"), la crainte du ridicule (gradation qui dit la force de l'humiliation subie : "je me raconte, que je me livre, que je m'aplatisse contre des feuilles blanches"), les moqueries ("Rira-t-on de mes larmes si j'en fais des ivresses ?"), les doutes, légitimes, sur le caractère libérateur de ce qui sera dit ("Suffira-t-il d'un geste pour que les orages se taisent ?"), la certitude finale, catégorique, sur le caractère non-libérateur de ce qui sera dit ("Et personne n'oublie, et la nuit ne finit pas.") se signalent comme autant de blocages successifs, autant de verrous, autant de lignes de force insurmontables pour pousser plus loin la démarche autobiographique. Au travers des formes impératives, le lecteur lui-même est sollicité, pris à partie sur l'enjeu, vaste, fuyant, insaisissable, du projet autobiographique (énumération : "l'amour est gauche, désarmant, lumineux, essentiel, blessant et mensonger.") et l'ironie mordante du superlatif appuie sur la visée utopique de l'entreprise ("Faites-moi confiance et jamais l'on n'aura vu d'amour plus beau, plus sincère, plus entier."). Ce texte rend-t-il cependant vraiment tout à fait caduque la suite du projet, la réalisation future d'un pacte autobiographique ? Car la nécessité de dire est ici prégnante, impérieuse. Écrire apparaît comme vital tant ce fardeau pèse. Filant la métaphore médicale, l'écriture en elle-même possède un statut ambivalent, contradictoire. En effet, si elle est vécue, par anticipation, comme un remède qui soulage ("m'apaise"), elle distille, dans le même temps, l'infection, la gangrène, le poison ("cette vermine qui me ronge"). Sera-t-il possible de lever demain la force d'inertie de ces inconciliables d'aujourd'hui, de dépasser ce terrassant paradoxe ? Bref, de faire retentir cette "foudre" annoncée, pour l'instant rigoureusement impossible à lever ? La présence d'un jour premier tout à fait infructueux et de ce jour deux qui progresse dans l'examen de la situation empêchent-ils d'exclure absolument l'éventualité d'un jour trois qui fournirait une avancée supplémentaire dans cette nuit de l'âme, nuit sans lune, pour l'instant inentamée, impénétrée ?
La recherche d'une réponse à cette question quasi-insoluble en l'état ne constitue pas le moindre intérêt de ce texte qui dresse formidablement devant nous la complexité, la violence, la douleur du rapport à soi dans l'écrit.
jfmoods- Nombre de messages : 692
Age : 58
Localisation : jfmoods@yahoo.fr
Date d'inscription : 16/07/2013
Re: Jours d'après la foudre
Il y a des choses vraiment belles :
"Les deux mains appuyées contre la bêche, le dos suspendu au-dessus du sol, comme l'arcade d'un monument historique, le visage pâle sous les derniers rayons du soleil de printemps, les lèvres sèches, les yeux trempés de foudre, n'est-ce pas assez, assez ?"
.......
"Embrassez-moi.
Couvrez-vous de sueur - il n'est pas nécessaire de courir pour rencontrer un mur."
sinon, c'est vrai que ça paraît un peu bavard, et qu'avec un long récit derrière, toutes ces précautions oratoires trouveraient mieux leur justification......
Re: Jours d'après la foudre
Quelques belles images, porteuses, symboliquement fortes. Des mots qui se marient et se délient avec une certaine grâce, aussi. De quoi bien marquer le contraste avec la force du propos et le questionnement qu'il pose.
Petit bémol pour toutes les précautions prises, c'est parfois un brin laborieux, mais ça participe à un ensemble, alors pourquoi pas, ça fait en quelque sorte partie de l'introspection qui finit par s'exposer.
Petit bémol pour toutes les précautions prises, c'est parfois un brin laborieux, mais ça participe à un ensemble, alors pourquoi pas, ça fait en quelque sorte partie de l'introspection qui finit par s'exposer.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
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Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
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