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Le roman intérieur

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Message  Cerval Mar 25 Fév 2014 - 23:29

Il demande un certain temps avant que fassent sens des locutions comme : c'est ma vie, je vis, je suis en train de vivre. Avant cela, on vit, et on ne se pose guère la question. L'immédiateté me semble pourtant bien plus riche que tous les enjeux réflexifs. A parler de soi il est difficile de savoir où commencer, et généralement pour résoudre ce problème on en appelle au truisme de l’enfance. Ce n’est pas parce qu’elle porte en elle les germes de la vie future, mais parce qu’on peut y trouver des correspondances avec tous les âges de cette vie. C’est moins un temps qu’un lieu où la pensée peut revenir, et je décris soigneusement ce décor.  

Peut-être que parler de l’enfance c’est tâcher de revenir à une conception primitive de l’ordre ; mais ce dernier mot ne doit pas se comprendre en un sens prescriptif ou qualitatif de rigueur, il réfère à la disposition des choses et avant cette disposition à son sentiment, qui est celui que font les analogies. C’est que l’ordre que savent les enfants ne fait que disposer pour l’action les choses, sans y entraîner de conséquences. En vient qu’on ne se demande guère à quoi l’on occupait son enfance où l’on ne fait rien d’autre que d’être enfant. C’est seulement après avoir appris la vie qu’il faut apprendre le temps : avant cela tout ordonnancement ne peut sembler que celui de la nature. Et il vrai qu'il est pareil à la nature, que l'enfant est dans la nature, et que tout son monde l'est aussi.

Cet ordre est celui qui permet le plus de liberté, parce que son jeu est naturellement celui de l’imagination. Comme tous les jeux l'imagination demande un système de règles, et elle est loin d'en être la plus démunie : il suffit de regarder un enfant jouer avec sérieux, où son esprit est comme une scène où s’enchevêtrent l’espace et le temps. Qu'on lui parle du jardin derrière la cour ou d'un pays exotique, c'est encore le même rapport au mystère qui est celui des incarnations compatibles de pas dans la foulée souple de l'imaginaire.

Ainsi je peux dire que, la majeure partie de mon enfance, j'imaginais. L'objet de l'imagination n'est pas pertinent : c'est un de ces jeux assez important pour être sa propre fin. En général on finit par le remplacer par le bavardage.

blabla

Je commençais un jour à tomber amoureux. Les sentiments lorsqu'on est enfant ont quelque chose d'une jungle : ils sont sourds, étouffants, bourdonnants. Tout est flou en eux, et pourtant ce n'est pas dire qu'ils ne sont pas saillants : pour un peu, on dirait qu'ils sont purs. Je préfère dire qu'ils ne le sont que dans la mesure où c'est le propre des sentiments d'être indistincts. Peut-être qu'à ce moment beaucoup de choses se décident : on apprend plus qu'ailleurs à creuser un pays intérieur, à savoir la différence entre le dedans de la pensée et le dehors de la parole, entre ce qu’est une chose devant les yeux et ce qu’elle est dedans eux, ce qu’elle est pour eux et ce qu’elle est pour les autres. Je ne me lassais pas de ce mystère de voir un objet dont les manifestations étaient sans cesse renouvelées. Une chose n’est rien qu’une chose, mais cela qu’aime perpétuellement recommence, et pour s’en assurer il faut toujours y porter les yeux.  

Je parlais de cet ordre et de sa différence d'avec le nôtre : je ne me souviens plus guère comment mais il fallait donc qu'un jour tout cela commençât à changer. Subrepticement peut-être en apercevais-je les premiers signes : ici le tour d’une impression à mon cœur que l’habitude ne laissait prévoir, ou là à mon regard les premiers manquements au relief, les craquelures imperceptibles. C’est qu’il est un âge où un signe n’est jamais rien que sa fonction propre : il se confond avec la forme qu’il laisse dans le jour, et c’est ainsi que tout décline son prénom. Puis les choses croit-on lentement se désinvestissent d’elles-mêmes cependant qu’on ne trouve pas toujours en soi l’aliment pour les combler. C’est comme cela que nous nous éduquons : il faut laisser la signification à ce que l’on nous indique, et l’impression ne doit plus être que la part congrue. Comme l’on ne se connait jamais qu’au contact des choses et qu’on nous apprend à les voir, il est loisible d’en ressentir cette étroitesse pour les idées, et en vient une sorte de malaise. Les objets du monde ne sont plus tels que nous en avions l’intuition, mais on ne sait pas où trouver les outils pour cette mappemonde à refaire.

Cerval

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Message  jfmoods Mer 26 Fév 2014 - 8:01

"Et il est vrai qu'il est pareil à la nature, que l'enfant est dans la nature, et que tout son monde l'est aussi."

"Je commençais un jour à tomber amoureux." Pour moi, c'est plutôt du passé simple.

"Une chose n’est rien qu’une chose, mais cela qu’aime perpétuellement recommence, et pour s’en assurer il faut toujours y porter les yeux."  Il manque un mot, ou j'ai loupé un wagon ?

Merci beaucoup pour ce texte très éclairant, Cerval !
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Message  Cerval Mer 26 Fév 2014 - 12:08

Ah oui c'est "qu'on aime" mais "qu'aime"
je remarque qu'il y a des "que" partout wallah c'est chiant

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Message  Cerval Mer 26 Fév 2014 - 12:09

Pas qu'aime *

Cerval

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Message  jfmoods Mer 26 Fév 2014 - 12:10

Les "que" ne nuisent pas à la lisibilité.
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Message  jfmoods Ven 28 Fév 2014 - 9:10

Ce texte constitue en quelque sorte l'acte fondateur de ta conception de la poésie. Je voyage dans tes poèmes depuis un certain temps déjà et, même si j'interviens peu (sinon pas) pour les commenter, je ne manque jamais de les observer. Plusieurs choses ont attiré mon attention depuis un moment, mais j'étais trop dérouté pour mettre des mots là-dessus. Il me manquait, en vérité, la clé de voûte de ton univers, la mise en perspective des enjeux. À la lumière du cheminement que tu développes ici avec beaucoup de pertinence s'éclairent certaines pistes d'analyse. La poésie représente donc pour toi ce moment d'avant les mots, d'avant l'éducation par les mots. D'où le titre de ton texte. Entre l'enfant que tu étais et l'homme que tu es devenu, il existe, forcément, un gouffre incommensurable constitué, en partie, par la relation au langage. Ta poésie ne peut donc s'inscrire véritablement dans aucun contexte autobiographique. Elle est re-création, invention, roman. Il te faut rebâtir, de toutes pièces, ce stade premier de réception du monde. Cela éclaire au lecteur, parmi d'autres choses, ton rapport si libre à la ponctuation, le caractère tourbillonnant de certains passages de tes poèmes. Au travers de ce que j'ai pu lire de toi, les champs lexicaux du corps et du vêtement apparaissent assez prégnants. À partir de ces éléments premiers, les mouvements, perceptions et sensations s'organisent en un réseau souvent subtil et aérien d'appréhension du monde environnant. La cigarette semble avoir pour fonction essentielle de servir d'étincelle, de moteur, à cet univers intérieur qui soudain s'anime.
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Message  Cerval Ven 28 Fév 2014 - 20:48

Merci : c'est un joli commentaire, que ce texte (assez maladroit) ne mérite sans doute pas. Je trouve l'interprétation pertinente mais je n'en veux pas trop discuter... je n'aime pas les gens qui parlent de leurs propres textes.

Cerval

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Message  Invité Ven 28 Fév 2014 - 23:40

< Troisième commentaire au-dessous de votre texte, déjà… Je vous rappelle, une bonne fois pour toutes, qu'un fil dédié aux discussions et divers remerciements vous permet de vous exprimer en toute liberté et évite de maintenir votre prose en haut de page au détriment des autres. Telles sont du moins les règles actuelles, auxquelles comme tout un chacun vous êtes tenu de vous plier.
La Modération. >

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Message  Cerval Dim 2 Mar 2014 - 21:53

je pense que cette version est mieux :




Il demande un certain temps avant que fassent sens des locutions comme : c'est ma vie, je vis, je suis en train de vivre. Avant cela, on vit, et on ne se pose guère la question. L'immédiateté me semble pourtant bien plus riche que tous les enjeux réflexifs.

A parler de soi il est difficile de savoir où commencer, et généralement pour résoudre ce problème on en appelle au truisme de l’enfance. Ce n’est pas parce qu’elle porte en elle les germes de la vie future, mais parce qu’on peut y trouver des correspondances avec tous les âges de cette vie. C’est moins un temps qu’un lieu où la pensée peut revenir, et je décris soigneusement ce décor.

Peut-être que parler de l’enfance c’est tâcher de revenir à une conception primitive de l’ordre ; mais ce n'est pas dans un sens prescriptif ou qualitatif de rigueur, il réfère à la disposition des choses et avant cette disposition à son sentiment, qui est celui des analogies. Le mouvement des analogies est un mouvement intérieur, et ainsi l'ordre des enfants dispose pour l’action les choses sans y entraîner de conséquences. En vient qu’on ne se demande guère à quoi l’on occupait son enfance où l’on ne fait rien d’autre que d’être enfant. C’est seulement après avoir appris la vie qu’il faut apprendre le temps : avant cela tout ordonnancement semble celui de la nature. Cet ordre permet le plus de liberté puisque son jeu est celui de l’imagination. Comme tous les jeux l'imagination demande un système de règles, et elle est loin d'en être la plus démunie : il suffit de regarder un enfant jouer avec sérieux, son esprit est comme une scène où s’enchevêtrent l’espace et le temps. L'objet de l'imagination n'est pas pertinent parce que c'est un de ces jeux assez important pour être sa propre fin. En général, on finit par le remplacer par le bavardage.

Si l’enfant imagine, c’est que le monde ne lui parait pas honnête, il n’est pas "calme". Cette impression est le privilège de ceux qui se sont avancés dans leur vie comme sur un chemin de mieux en mieux tracé. S’ils sont fatigués, ils savent où prendre halte. Le monde ne fait pas un pli et tout cela est une affaire entendue. A l’enfant le possible est encore un cas particulier du réel, aussi faut-il le domestiquer. Dans cette solitude il peut comparer sa force à l'incarnation particulière des choses. Tout ce qu’elles lui disent le renseigne sur lui-même. Il n’y a pas meilleure émotion.

Les sentiments, lorsqu'on est enfant, ont quelque chose d'une jungle : sourds, étouffants, bourdonnants. Tout est flou en eux et pourtant ce n'est pas dire qu'ils ne sont pas saillants, pour un peu on les dirait purs. Je préfère dire qu'ils ne le sont que dans la mesure où c'est le propre des sentiments d'être indistincts : on ne les sépare pas d'entre eux et eux de la vie. Puis vient un jour où l’on commence à tomber amoureux. A ce moment, je pense, beaucoup de choses se décident bien que rien ne se bouleverse. C'est simplement que l’on discerne un peu plus la place ménagée pour la pensée dans le monde, et ainsi on apprend plus qu'ailleurs à creuser un pays intérieur, à savoir la différence entre le dedans de la pensée et le dehors de la parole, entre ce qu’est une chose devant les yeux et ce qu’elle est dedans eux, ce qu’elle est pour eux et ce qu’elle est pour les autres. Je ne me lassais pas de ce mystère de voir un objet dont les manifestations étaient sans cesse renouvelées : une chose n’est rien qu’une chose, mais cela qu’on aime perpétuellement recommence, et pour s’en assurer il faut toujours y porter les yeux.

J’ai plusieurs fois répété en moi ce grand manège sentimental qui un jour vous porte tout à fait à l’amour. Je me souviens encore très bien de la première fois que je suis tombé amoureux. Je m’en suis rendu compte simplement, je l’ai déduit. Toutes les lois habituelles de l’association dérivent de leur cours, et ces inflexions disent toutes quelque chose de ta voix, c’est à ce nivellement de douceur que les images se développent. Bientôt il y a des vitres allumées derrière tout le langage, c’est le jour humain en pleine nuit. Ton menton, ta nuque, tes épaules : un espace fragmenté où le soir tombe ainsi que ferait par la fenêtre de la nuque une natte de cheveux. Et le fond de ton idée se confond avec celui de l'air.

Je parlais de cet ordre et de sa différence d'avec le nôtre, il fallait donc qu'un jour tout cela commençât à changer. Subrepticement peut-être en apercevais-je les premiers signes : ici le tour d’une impression à mon cœur que l’habitude ne laissait prévoir, là à mon regard les premiers manquements au relief, les craquelures imperceptibles. C’est qu’il est un âge où un signe n’est jamais rien que sa propre fonction : il se confond avec la forme qu’il laisse dans le jour, et c’est ainsi que tout décline son prénom. Puis les choses lentement se désinvestissent d’elles-mêmes cependant qu’on ne trouve pas toujours en soi l’aliment pour les combler. Il faut laisser la signification à ce que l’on nous indique, et l’impression ne doit plus être que la part congrue. La justification donnée, on peut en ressentir une sorte de malaise : le monde pratique est celui de la contingence. Les objets du monde ne sont plus tels que nous en avions l’intuition, mais on ne sait pas où trouver les outils pour cette mappemonde à refaire.

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Message  jfmoods Lun 3 Mar 2014 - 9:22

Version plus "serrée" dans l'analyse, plus catégorique dans la perception des enjeux.
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Message  seyne Jeu 6 Mar 2014 - 9:50

Ces deux textes (ils sont différents) m'ont fait replonger dans l'enfance, dans l'état amoureux aussi, qui forment ici un triptyque avec l'état d'adulte "non-amoureux".
Je ne commenterai pas précisément, je ne suis pas sûre d'avoir tout bien compris, et peut-être d'ailleurs est-ce un texte de nature plutôt poétique qui donc ne cherche pas une compréhension littérale.
Ce que j'ai pensé en lisant la part consacrée à l'enfance c'est à quel point l'enfant est livré - peut se livrer - à la perception pure (ou presque) du monde, du dehors et du dedans, à l'imaginaire aussi, parce qu'il est très peu contraint à décider.....c'est à dire à utiliser sa pensée pour guider sa conduite et se frayer une route dans le monde réel.
Décider, prévoir, comprendre, c'est le privilège et le bagne de l'âge adulte......s'il n'y avait pas la grâce de l'état amoureux, qui vient nous envahir d'un désordre et d'une imagination bien plus forts que cette ascèse hypothético - déductive à laquelle nous sommes habituellement réduits. Qui vient aussi aimanter le monde, et soulever en vague des émotions que nous reconnaissons à peine au passage, liées à la perception d'une altérité vraiment libre de nous.

Les liens avec ta poésie je les vois dans cette liberté, cette vague, ce souffle aimanté.
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