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Phrases du long hiver

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Message  Raoulraoul Dim 2 Mar 2014 - 18:09

Phrases du long hiver

Ses yeux peinant à fixer ce qu’elle ne peut dire, mais pourtant désirant si fort de montrer à l’homme cet autre, dont elle veut le partage, même si la lumière fade d’un hiver jette son ennui par les vasistas jusqu’au cœur de la maison, ses lèvres qu’un frisson d’abattement et de faillite froisse et qui maintient au bord de la disparition une forme charnelle un tantinet charmante, c’est le souffle probable de son corps, c’est l’affolement ténu de sa pupille, c’est aussi sans doute la courbe bouffie de ses doigts relâchés entre ses cuisses flapies sous un tablier à fleurs, il est indéniable l’effort qu’elle puise d’un néant qui la compose et que nul regard, même pas celui fasciné et muet de l’être auquel elle s’adresse ne peut mesurer à son exacte valeur.

S’il venait par l’arrière de la maison, elle entendrait son hypothétique lourdeur, renversant les seaux et bassines de la buanderie que les carreaux embués n’éclairent pas là où il pourrait arriver, car c’est fatalement par cette souille incertaine que celui dont elle parlait avant impossiblement, peut aujourd’hui forcer l’enceinte de la maison, déjà elle perçoit de ses gestes le bruitage duquel un visage devrait se construire, mais indéfiniment le retardement s’avère si délicieux, que le mouvement de l’arrivant soit donc latent pour eux deux qui sont encore à espérer qu’un capharnaüm de buanderie fera barrage à l’entrée du redoutable.

La matinée gelée de l’hiver est occupée à souhaiter tout ce qui  pourrait en rompre la glaciale solitude.

Puisqu’aucune phrase n’enjolive sa bouche, du tiroir d’un massif buffet de chêne, elle extrait certainement par une désinvolture légère et inattendue qui sourd de ces instants que criblent parfois des jets colériques d’impuissance, une poignée de photos qu’elle présente à l’homme. Désappointé, il dissimule son agacement. Délibérément, le doigt féminin vogue sur des parties de lumière. De celles-ci, viennent des mots usurpés, d’une candeur qui rend les formes plus mystérieuses, des mots lapidairement chuchotés, une odeur, des parfums que la raison choisit de préférer, mais le doigt tremble de ses désignations honteuses, rêves miroitants brûlant le papier glacé, de ses noirs et gris un visible effroyable coagule les sueurs de l’index.

De quelle source proviennent les clichés ? Elle n’en révèle aucune à lui dont les yeux se révulsent, double trous ordinaires s’écarquillant à la découverte d’autres trous, coins touffus comme ceux d’enfantines promenades sous les taillis ombreux, qui poursuivent l’individu jusqu’à son agonie et pourrissement. Mais quel effroi à vivre quand l’ombre, la noirceur frappe à votre porte, que chair elle se fera, déjà par la concupiscence et démangeaison secrète, sous les ongles vernis et par les lèvres sèches, ainsi se referment alors les images, faiseuses d’empreintes, origines troubles, daguerréotypes de l’inexistant.

Se faisant, il franchit une dernière chicane. Et eux deux sont les captifs à nouveau d’un prenant ruissellement. Toute imagination convoquée, beauté ultime avant qu’il ne rentre, au cabinet de bois attenant à la pièce commune, l’inconnu de la photo se vide, une chanson de gouttelettes s’écoule, à marcher dans les ruines, à fouler les prairies, sauter les mares, secouant malproprement son sac d’entrailles, mouillant ses brais, de ses restes il veut faire figure, mettre en branle ses hôtes, de leur matinale attente avancer un crépusculaire désir, les horribles besoins purgés pour grimper à des hauteurs. Le couple hétérogène se languit, le débit, l’écoulement, le suage de la maison de bois gonflent leurs narines à eux, dont le pet de l’invité se signale comme prélude.

« Femme seule cherche jardinier expérimenté » on peut lire parfois dans les annonces d’un Rustica. Phrase semée entre camélias et tulipes. Une offre comme ça, pour la saison qui vient. Ça se pourrait.

Voici.

Mais c’est un homme de labour, comme un cheval, que le costume étreint, ses reins boursoufflant le tissu, un vomis hirsute de poitrail de la chemise gerbant, les manches à l’encolure de ses poignets libérant la pogne, il se tient dressé dans l’embrasure, le toit de la maison devenu vassal de ses suzeraines épaules, avec le mépris d’un hobereau improvisé, sa langue de feu, racloir à moustaches qu’il arbore drues tel un chiendent, il se défroque, chagriné de sa condition, et l’on voit le couple palper le spécimen, l’hiver froid se réchauffer dans une fournaise de croupe, les mains se ragaillardirent dans le bombé des flancs, les visages s’empourprer sous l’alizée odorant d’un balancement de queue à tous crins, les pognes de l’homme piaffent desquelles s’exhalent des relents de purin et bouse au contact des épidermes blanchâtres, porcelaine de luxe qui s’exhibe et qu’on frotte à l’invité agreste, quand une grêle violente vient à marteler la charpente, grincements des poudres, un essaim de chauves-souris perturbées dans la maison déploie son ciel cauchemardeux, s’en prend aux chevelures, crinières ou crin brossé, dans la robe offerte du vivant, se niche, pantouflardes, dans une aisselle duveteuse, sous le tambourinement lancinant des grêlons, dans le halètement divin des hommes, l’éructation globale de leurs malheurs, qu’une maison qui tangue ne pourra souffrir davantage.

La nuit durant ce temps se prépare.

Le calme revenu.

Les chauves-souris libèrent les aisselles de la femme.

Dans une molle certitude, un rapprochement sans réconciliation, l’usure des besoins, le démembrement comme un deuil de soi, une euphorie pauvre, les corps à bout d’épreuve se défont, écartelés sur le tapis, quand à cette minute, grêle fondue, vent faiblissant, cris sauvages étouffés, par l’œil de la toiture la nuit s’invite devant les nudités ébahies, ébouriffées.

On aperçoit la nuit, elle dit, par les trous du toit, c’est la nuit maintenant qui tombe, c’est la nuit passant par le toit troué, Capella, Véga, Altaïr, toutes elles clignotent, jettent leurs rayons intolérables, c’ est beau et affreux, voyeuse est la nuit étoilée, la tempête a décoiffé la maison, alors mes hommes debout ! Que vos outils réparent, que vos engins s’érigent pour colmater, que vos mains soient intelligentes, habiles, que vos talons s’accrochent au vide, que votre dégoûtante paresse serve à me sauver !

L’ homme de labour pourrait monter sur le toit, implanter ses sabots boueux dans le sillon des tuiles, avec ses jarrets solides soulever les poutres brisées, par son encolure tracter des masses de matières pour boucher, solidifier les chenaux, gouttières, et par son aplomb d’homme de force retailler le vasistas, asseoir le chien-assis, décrasser l’œil-de-bœuf et surtout la girouette affolée la remettre d’aplomb.

Elle se refuse à vérifier le jardin que le mécontentement du ciel a mitraillé.

Un homme de labour sur un toit ! hurle l’autre homme de la femme. Qu’il retourne à ses terres, charrie son fumier et enfonce son soc dans d’autres sillon que celui du toit de ma femme ! Moi je te boucherai les trous, moi, du faîte je te ferai un sommet, couronné d’un zinc de la meilleure extraction et sous les combles tu lorgneras la lune par le vasistas réparé !

Ô hellébores injustement meurtries, primevères, pensées, cyclamens, sous la rafale des boulets de glace. Dans les massifs broyés, leurs clitoris de couleurs dépiautés, à tous vents, radicelles coupées, tous les semis foutus par une pluie méchante.

Chemise de tergale déchirée, froc, veston en laine maculé, cravate solennelle, chaussures pompeusement crottées, linge de corps épars, le paysan renfrogné renfile ce qui doit ramener sa rusticité à un semblant d’honneur et de la maison trouée il s’en va, une dernière fois tendant le col, agitant sa crinière, esquissant un hennissement de désapprobation, sous le ciel noir dont la clarté enracine chaque homme dans sa vraie demeure.

On leur avait enlevé le chapeau, on se délecte à les découvrir décapités, une solitude désemparée comme celle des poupées désarticulées sur des sofas de brocart, ils ruminent un silence dont on comprendrait le désœuvrement, écrasés et vaincus par leurs actes, une confusion profonde bouillonne fustigeant leur âme, leurs doigts livides pianotent des énigmes et retombent, c’est probablement un mauvais regard qu’il réserve à sa femme dont toute parole au début avait manquée pour décrire cet autre, celui que son ventre appelait et qu’au terme de sa plainte elle est parvenue à faire venir dans le froid sec d’un hiver mélancolique.  

La ducasse de février éteint ses lampions, mais point suffisamment pour voiler la mort qui dans une ornière traîne ses vivants, on y a retrouvé le flanc d’un homme, un filet de vin coulant d’une entaille fraîche assassine, pour ces gens dont le vin ne diffère pas du sang, la douleur est un opéra muet.

Et personne pour aller déposer des fleurs, regrette la femme.

C’est un soir de neige sur les toits des maisons, où les cristaux donnent à la vie une configuration nouvelle.


**
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Message  jfmoods Mer 5 Mar 2014 - 8:46

"boursouflant"
"un vomi"
"les mains se ragaillardir"
"sous l'alizé"
"dont toute la parole avait manqué"
"d'autres sillons"

Un texte d'une belle densité, Raoul ! Tu sollicites ton lecteur sur une longue plage qui, sans l'attention nécessaire, présenterait l'aridité d'un désert. Et pourtant ! Ce sont justement des moments comme ceux-là qui représentent les plus belles récompenses pour un lecteur. Cette histoire m'apparaît comme une parabole puissante, épique, affolée, affolante, fantastique, fantasmagorique. Deux pistes d'interprétation se superposent sans que je puisse encore résolument trancher, véritablement choisir laquelle est la plus pertinente. À moins qu'elles ne se superposent...
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Message  Louis Ven 14 Mar 2014 - 14:23

Ces phrases d'un long hiver sont aussi et surtout les longues phrases de l'hiver. Leur longueur  exprime le temps vécu comme une longue durée, un temps qui n'en finit pas : celui de la saison hivernale, quand règnent le froid et l'ennui, la vie figée dans la glace et la solitude.

L'hiver :

Un couple vit dans cet hiver froid, avec sa lumière "fade", l'ennui présent "jusqu'au cœur de la maison".
Mais l'hiver n'est pas seulement une saison naturelle, il semble bien être aussi le temps du couple, l'hiver venu dans les rapports entre cette femme et cet homme.
La femme semble aussi connaître un "hiver" personnel ; sa jeunesse, sa vitalité ne sont plus que feuilles mortes, "ses lèvres qu’un frisson d’abattement et de faillite froisse" ; tout en elle semble s'être effondré, " ses doigts relâchés entre ses cuisses flapies", tout, dans son corps comme dans son âme, au point qu'elle paraît anéantie, " l’effort qu’elle puise d’un néant qui la compose".
Une espérance pourtant l'habite encore, une aspiration, comme l'atteste le "tabliers à fleurs" qu'elle porte, aspiration à un corps fleuri, à un monde florissant  à nouveau, à un nouveau printemps.

L'attente :

Le couple est en attente.
Il attend un printemps, et il attend quelqu'un. Quelqu'un va venir, à la fois redouté et désiré.
La femme du couple cherche à montrer l'image de l'homme qui va venir. Elle n'a pas les mots pour le dire, pour dire qui va venir, pour dire le sens de cette arrivée, " Ses yeux peinant à fixer ce qu'elle ne peut dire". Elle est dans l'attente d'un indicible. De l'arrivée d'un indicible. Un être que l'on ne peut emprisonner dans la parole, un être qui échappe aux mots, déborde le langage.
Celui qui va venir est redouté, si redouté que le temps d'avant la venue du "redoutable" paraît "délicieux" ; si redouté que "indéfiniment le retardement s’avère si délicieux". La seule assurance qu'il viendra transforme le présent, rend le temps de l'attente plus heureux, moins hivernal.
Celui qui va venir est à la fois connu et inconnu.
La femme, toujours dans sa difficulté à dire, présente des images, des photographies à son compagnon à travers lesquelles elle tente sans cesse de dessiner son visage, ses contours.
Elle montre probablement, du bout des doigts, le visage de celui qui va venir, "un visible effroyable coagule les sueurs de l’index." Cette esquisse d'une figure au bout de l'index s'accompagne de sentiments vifs : "le doigt tremble de ses désignations honteuses, rêves miroitants brûlant le papier glacé ". Des rêves honteux, de honteux désirs sont liés au personnage à venir, à l'homme attendu, qui n'est donc pas totalement inconnu.
Celui qui va venir incarne une ombre, une noirceur,  "quel effroi à vivre quand l’ombre, la noirceur frappe à votre porte", il est une noirceur faite "chair", " que chair elle se fera",  corps traversé de désir, de "concupiscence" et "démangeaison secrète". Le désir désigné est autant celui  de la femme qui montre les images, que celui de l'homme qui va venir.  
Cette arrivée, d'un "redoutable", d'un "effroyable", d'une "ombre", d'une "noirceur", si elle est redoutée, est aussi désirée : "La matinée gelée de l’hiver est occupée à souhaiter tout ce qui  pourrait en rompre la glaciale solitude."
"Délicieuse" attente donc, faite à la fois de crainte et d'espérance. Et l'on sait que l'une n'est pas sans l'autre.

L'arrivée de l'inconnu :

Une longue attente, mais à la différence du Godot de Beckett ou des Tartares de Buzzati, le personnage attendu finit par arriver.

Il arrive en se vidant. "l’inconnu de la photo se vide" : il  évacue de ses entrailles ce qui fait le corps impur, il transpire, il urine, il défèque, il vide même ses gaz, un pet sonore annonce son arrivée, "les horribles besoins purgés pour grimper à des hauteurs." Non pas à des hauteurs spirituelles, mais à des "hauteurs" du désir corporel, d'une pure chair, "purgée" des besoins naturels. Le désir, non le besoin. Corps tout entier livré au seul désir, "désir crépusculaire".
Il répond, semble-t-il, à une petite annonce dans un journal : « Femme seule cherche jardinier expérimenté ».

L'homme, au lieu d'être un jardinier, "est un homme de labour". "Mais c'est un être de labour". Malgré sa "purification", malgré sa purge, il apparaît comme un être grossier. C'est un "cheval".
Il est à vomir : "un vomis hirsute de poitrail de la chemise gerbant".  Ses "pognes" ont l'odeur de la campagne, celle des déjections, des puanteurs : "les pognes de l’homme piaffent desquelles s’exhalent des relents de purin et bouse"
Le vomi, les déjections, le purin : un être nauséabond.
L'homme exerce à la fois une séduction et une forte répulsion. A la fois, attirant et repoussant.
Dés son arrivée, il prend l'ascendant sur la maison, sur le couple : "le toit de la maison devenu vassal de ses suzeraines épaules" ; il va régner dans la maison, - imposant, seigneur des lieux - , il va imposer sa loi, la loi du désir.

La faute :

Laboureur, il vient labourer les corps du couple. Les mains, les "pognes", "palpent", tâtent, pelotent, tripotent. Il érotise les corps, qui se "frottent" dans un "balancement de queue à tous crins".
Il échauffe, réchauffe, embrase, exalte, enflamme, et l'on sent " l’hiver froid se réchauffer dans une fournaise de croupe"
En pleine période hivernale, il met fin à l'hiver provisoirement, car très vite s'abat une averse  de grêle, et le ciel s'obscurcit : "un essaim de chauves-souris perturbées dans la maison déploie son ciel cauchemardeux".
Le plaisir charnel est vécu de façon honteuse, il s'accompagne de mauvaise conscience, d'une culpabilité que symbolisent les chauves-souris.
L'inconnu laboureur est parcouru d'un intensité ambiguë, à la fois plaisir, honte et faute.
Le ciel aux nuages de chauves-souris est ainsi "cauchemardeux". Mais ces animaux maléfiques s'insinuent partout dans les corps, jusque dans "les aisselles de la femme". Corps entachés de honte et de culpabilité. Le plaisir n'est pas "pur".

Ange et démon :

L'arrivée du personnage rappelle cette autre arrivée d'un personnage mystérieux dans Théorème de Pasolini, même si la figure grossière du laboureur est à l'opposé du visage "angélique" de l'inconnu de Pasolini.
S'il est un ange, c'est l'ange déchu, il a un côté démoniaque, que renforce l'image des chauves-souris. Dans les représentations iconographiques du passé, l'ange déchu est souvent représenté avec les ailes de ces animaux nocturnes.
L'hiver troublé, interrompu, prend sa revanche et fait retour dans une noirceur plus grande, plus horrible.

Aucun échange verbal entre l'homme et le couple. Si cet ange et démon, cet "étranger", - il recouvre les figures de l'étrange – est un "indicible", un ineffable, émergence irrationnelle du désir, il est aussi sans paroles.
Les seuls contacts, en effet, la seule communication, se situent au niveau corporel, au niveau charnel, "au contact des épidermes blanchâtres, porcelaine de luxe qui s’exhibe et qu’on frotte à l’invité agreste". Au niveau du corps se produit la plus intime communication et,  simultanément, à un autre niveau, la plus intime incommunicabilité.

Le sacrifice :

Le paysan laboureur, angélique et démoniaque, ne peut réparer la maison qui a souffert de la tempête hivernale.
Il ne "réconcilie" pas le couple, il ne peut réparer les dégâts.
L'homme du couple, lui seul, revendique la possibilité d'une réparation.
Mais l'étranger est surtout abordé à partir de sa puissance, du trouble qu’il suscite. Comme après la venue de l'inconnu dans Théorème, son passage modifiera la vie du couple, transformera l'homme et la femme, ce qu'indique nettement la toute dernière phrase du texte : "C’est un soir de neige sur les toits des maisons, où les cristaux donnent à la vie une configuration nouvelle."
Cette transformation, cette nouvelle "configuration de la vie", ne sera pas pourtant, sans le sacrifice préalable du laboureur, ange déchu. Il sera mis à mort : " La ducasse de février éteint ses lampions, mais point suffisamment pour voiler la mort qui dans une ornière traîne ses vivants, on y a retrouvé le flanc d’un homme".
L'homme, laboureur inconnu ; l'homme indicible, "effroyable", séducteur, tentateur,  était porteur de la faute, du péché. Pour se sauver, le sacrifier, le faire mourir.

Il est en partie une figure christique, que l'on retrouve dans l'association, la transsubstantiation entre le vin et le sang, "un filet de vin coulant d’une entaille fraîche assassine, pour ces gens dont le vin ne diffère pas du sang" , on se souvient des paroles de l'Evangile : « Prenez et buvez-en tous car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l'Alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés… » ; l'homme n'est pas cependant innocent, n'est pas purement divin, - s'il est une figure de l'infini, c'est en ce qu'il réunit en lui les contraires-,  il se charge du péché, de la faute, il est figure de l'ange déchu, et il doit être sacrifié pour délivrer le couple de la faute.

Laboureur, il est une figure du printemps, un printemps personnifié. Un printemps ambigu, fautif, qui ne vient pas à son heure, mais en plein milieu de l'hiver ( « la ducasse de février » ). Il est le printemps du renouveau, de la renaissance, mais à sa chaleur, à son soleil, sont associés les impuretés, les vils aspects de la campagne : la bouse, le purin, le fumier, les senteurs nauséabondes. Et le labour, de la terre et des corps. Le printemps n'est pas sans cette équivoque, où se mêlent le pur et l'impur, la vie et la mort.
Tous deux, par ces labours, terre et corps, sont ensemencés, fécondés pour permettre une vie nouvelle, un renouveau, un printemps. Mais il a fallu passer, sur ce chemin du renouveau, par la nécessité tragique de la mort et du sacrifice.
Les fleurs poussent sur les terres enrichies de fumier. Mais l'hiver n'est pas fini. La vie et la mort sont soumises au temps qui passe, à son rythme propre. Il y aura des fleurs, il n'y en a pas encore, d'où cette exclamation touchante et mélancolique :

« Et personne pour aller déposer des fleurs, regrette la femme. »

C'est un texte aride et puissant, et peut en effet, comme l'a bien vu Jfmoods être qualifié de "parabole puissante". Il retrouve les grands thèmes de la tragédie humaine, et ceux de l'union mystique de l'humain et du cosmique ; il semble explorer aussi une sorte de dualisme qui n'est plus celui de l'âme et du corps, mais d'une âme qui réside dans l'infini du corps charnel et de ses désirs.

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Message  Polixène Dim 16 Mar 2014 - 21:14

Juste pour te dire que j'ai lu et relu : cette densité, presque opaque, qu'il faut attaquer au laser l'esprit grand ouvert , c'est un plaisir .
Indéniablement un style.

Le titre déjà est un pur bonheur (ouf, tu nous as épargné "sex-time chez les Thénardier"), au pays des taiseux, seul l'hiver semble locace...


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Message  seyne Ven 28 Mar 2014 - 11:13

C'est un texte vraiment extraordinaire, foisonnant, comme un épais roman qu'on n'oublierait jamais dans sa singularité. Au point de décourager pour moi tout commentaire, qui ne pourrait que l'aplatir.
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