J'arrive
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Polixène
michel
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J'arrive
En arrivant en haut de la colline, j’ai aperçu en contrebas le petit village que je cherchais tant. J’ai dû beaucoup marcher et beaucoup chercher pour le trouver. Je me demande maintenant comment sera prise mon arrivée la bas. Peut-être passera-t-elle inaperçue, après tout, c’est moi qui cherchais ce village, eux ne me connaissent pas. Si je pouvais leur raconter toute mes expériences, peut être que la prochaine fois que je reviendrai, ils m’attendront presque et m’accueilleront avec joie. Mais pour l’instant je ne dois pas songer à tout cela. Il me faut arriver dans ce village le plus simplement du monde, et comme si de rien n’était, d’ailleurs il n’y a rien de spécial qui puisse me faire appréhender mon arrivée la bas. Pour l’instant, elle est encore banale. Mais ils verront. Ensuite, peut-être. Pour l’instant, je veux y aller seulement pour me reposer et me ressourcer. Je ne les informerais de mes nombreuses expériences de vie que plus tard, lorsque j’en aurais envie. D’ailleurs il ne faut pas que je leur montre quoi que ce soit d’étrange ou d’étranger chez moi. Il faudrait que je me fasse familier. Peut-être était cela que j’appréhendais. Car en effet, si je leur apparais trop familier, ils me prendront pour étrange. Il va sans dire que si j’arrive trop étrange, je serais trop étranger. Il faut que j’arrive avec une intention. Une intention précise. Il faut que je me passe de toutes ces réflexions et que j’arrive en me mettant dans la perspective que mon seul but en arrivant est d’être arrivé, et heureux d’être arrivé. Mon anxiété passera pour de la fatigue, leur paraitra normale pour l’arrivée d’un étranger. En réalité je ne comprends pas pourquoi mon sentiment dominant n’est pas seulement le bonheur d’être arrivé, pourquoi se mêle à ce sentiment l’’appréhension anxieuse de savoir comment je serais reçu. A vrai dire, il n’y a rien d’extraordinaire à ce voyage, et des étrangers vont et vienne régulièrement. Je suis un étranger parmi d’autre. Il n’est d’ailleurs pas sûr que certains d’entre eux ne se sentent pas moins étranger…. à eux même…. que moi-même… Pourquoi suis-je étranger à moi-même ? Pourquoi me faut-il me dire qu’il y a plus étranger à soi que moi pour pouvoir arriver sans anxiété ? Mais voilà ! C’est précisément le sentiment sous cette question qui m’a fait penser qu’il serait bon d’y aller avec un air familier, du genre : voyez moi, je suis étranger à moi-même, mais vous-même, je sais que vous êtes aussi des étrangers pour vous-mêmes, disait cette petite voix dans mon inconscient, que je n’entendais pas lorsque m’est venue spontanément l’idée d’arriver avec un air familier, seulement pour soulager mon anxiété. Mais à vrai dire, je ne sais toujours pas comment descendre. Surtout que maintenant, ils ont dû me remarqué en train de les observer depuis un moment, en haut de la colline. Et maintenant, mon bonheur d’être arrivé n’est plus vraiment vrai, il a laissé la place à tous ces questionnements depuis un bon moment. Il faudrait que je ne me préoccupe pas de savoir comment je serais reçu. Après tout, c’est un événement banal que d’arriver quelque part. Quel était mon intention en partant ? D’arriver précisément. Alors pourquoi je n’arrive pas à arriver ? Je pourrais leur dire j’arrive. Mais non, ils ne m’entendraient pas. Pour arriver, il faut que j’arrive. Mais comment y arriver ? La question n’a jamais été aussi compliquée maintenant que j’y suis – à deux pas de l’être. Peut-être qu’on ne peut pas arriver, nulle part, qu’on arrive jamais quelque part, mais qu’on ne fait qu’arriver partout, toujours. Il faudrait que j’arrive comme si j’allais partir. Il faudrait que j’arrive comme si j’allais encore devoir aller quelque part. Alors que je suis arrivé… Il faut que j’arrive perpétuellement où que j’aille. Que je sois en train d’arriver. Que je sois tout le temps en train d’arriver, partout, où que j’aille. D’ailleurs là, j’arrive.
michel- Nombre de messages : 124
Age : 32
Localisation : Nowhere
Date d'inscription : 22/07/2009
Re: J'arrive
Amusant et pas du tout pénible à lire. Sourire matinal.
Polixène- Nombre de messages : 3287
Age : 61
Localisation : Dans un pli du temps . (sohaz@mailo.com)
Date d'inscription : 23/02/2010
Re: J'arrive
Tu t'es servi un long-think, avec un glaçon "Raymond Devos"
Polixène- Nombre de messages : 3287
Age : 61
Localisation : Dans un pli du temps . (sohaz@mailo.com)
Date d'inscription : 23/02/2010
Re: J'arrive
"là-bas"
"toutes mes expériences"
"peut-être"
"je ne les informerai"
"j’en aurai envie"
"Peut-être était-ce cela"
"je serai trop étranger"
"leur paraîtra normale"
"l'appréhension"
"comment je serai reçu" x 2
"À vrai dire"
"des étrangers vont et viennent"
"parmi d’autres"
"ne se sentent pas moins étrangers"
"à eux-mêmes"
"voyez-moi"
"vous-mêmes"
"ils ont dû me remarquer"
"Quelle était mon intention"
Il manque quelques virgules çà et là qui aideraient le lecteur à respirer un peu mieux...
Les modalités du doute vampirisent ce texte dans lequel s'éprouve, derrière la découverte fébrile d'un lieu (adverbe "tant", gradation : "beaucoup marcher", "beaucoup chercher") où s'exprimerait l'espoir d'un échange fructueux (idée d'intensité dans les expressions "toutes mes expériences", "mes nombreuses expériences"), la question du rapport à la vie. La richesse de notre relation aux autres, au temps et à l'espace tient pour beaucoup à cette capacité à se présenter vierge devant l'événement, à ne pas court-circuiter notre attente fiévreuse par des questionnements qui stérilisent l'élan, en anticipant, en conjecturant dans le vide, à vide ("Il faudrait que je ne me préoccupe pas de savoir comment je serais reçu."). Cette disposition si particulière, si difficile à s'approprier, suppose un état d'esprit dont le locuteur expose la complexité dans la dernière partie de son texte. Sous l'apparence d'un facétieux paradoxe ("Alors pourquoi je n’arrive pas à arriver ?"), puis de trois adverbes ("quelque part", "nulle part", "partout") qui semblent faire glisser le propos vers l'absurde, il ébauche un véritable mode opératoire. C'est seulement en marquant ce moment et tous les autres moments de notre vie mouvante du sceau du provisoire ("Il faudrait que j’arrive comme si j’allais partir."), du passager comme démarche ("Que je sois tout le temps en train d’arriver, partout, où que j’aille.") que l'on parviendra à négocier ces aspérités trop prévisibles qui figent par avance notre rapport à la découverte et, par conséquent, toute perspective de plénitude de l'instant.
"toutes mes expériences"
"peut-être"
"je ne les informerai"
"j’en aurai envie"
"Peut-être était-ce cela"
"je serai trop étranger"
"leur paraîtra normale"
"l'appréhension"
"comment je serai reçu" x 2
"À vrai dire"
"des étrangers vont et viennent"
"parmi d’autres"
"ne se sentent pas moins étrangers"
"à eux-mêmes"
"voyez-moi"
"vous-mêmes"
"ils ont dû me remarquer"
"Quelle était mon intention"
Il manque quelques virgules çà et là qui aideraient le lecteur à respirer un peu mieux...
Les modalités du doute vampirisent ce texte dans lequel s'éprouve, derrière la découverte fébrile d'un lieu (adverbe "tant", gradation : "beaucoup marcher", "beaucoup chercher") où s'exprimerait l'espoir d'un échange fructueux (idée d'intensité dans les expressions "toutes mes expériences", "mes nombreuses expériences"), la question du rapport à la vie. La richesse de notre relation aux autres, au temps et à l'espace tient pour beaucoup à cette capacité à se présenter vierge devant l'événement, à ne pas court-circuiter notre attente fiévreuse par des questionnements qui stérilisent l'élan, en anticipant, en conjecturant dans le vide, à vide ("Il faudrait que je ne me préoccupe pas de savoir comment je serais reçu."). Cette disposition si particulière, si difficile à s'approprier, suppose un état d'esprit dont le locuteur expose la complexité dans la dernière partie de son texte. Sous l'apparence d'un facétieux paradoxe ("Alors pourquoi je n’arrive pas à arriver ?"), puis de trois adverbes ("quelque part", "nulle part", "partout") qui semblent faire glisser le propos vers l'absurde, il ébauche un véritable mode opératoire. C'est seulement en marquant ce moment et tous les autres moments de notre vie mouvante du sceau du provisoire ("Il faudrait que j’arrive comme si j’allais partir."), du passager comme démarche ("Que je sois tout le temps en train d’arriver, partout, où que j’aille.") que l'on parviendra à négocier ces aspérités trop prévisibles qui figent par avance notre rapport à la découverte et, par conséquent, toute perspective de plénitude de l'instant.
jfmoods- Nombre de messages : 692
Age : 58
Localisation : jfmoods@yahoo.fr
Date d'inscription : 16/07/2013
Re: J'arrive
OUI moi je dis toupareil keukeumeussieu.
(pardon jfmoods)
Et j'y vois , en filigrane, la question du temps plus que celle du lieu, de l'état d'esprit, ou de la disponibilité.
Le facteur Temps ne contient-il pas le monde dans sa sacoche?
(pardon jfmoods)
Et j'y vois , en filigrane, la question du temps plus que celle du lieu, de l'état d'esprit, ou de la disponibilité.
Le facteur Temps ne contient-il pas le monde dans sa sacoche?
Polixène- Nombre de messages : 3287
Age : 61
Localisation : Dans un pli du temps . (sohaz@mailo.com)
Date d'inscription : 23/02/2010
Re ; J'arrive
Au début le genre introspectif m'a un peu refroidi, mais vite il m'a étonné par le cheminement approfondi, l'absurde parfois kafkaien... Cette pugnacité à interroger l'étrangeté, l'identité du narrateur, ses scrupules comportementaux, nous dispense du psychologique attendu. On touche au métaphysique d'une façon vivante, personnelle et sincère. Les questions que tu soulèves réveillent subitement les nôtres et c'est par ce biais que ton texte est attachant, et qu'il affleure une ambition avec modestie. Tu nous fais découvrir que l'écriture peut être une activité de connaissance. Nous le savions déjà, mais il est toujours réjouissant de le vérifier par d'autres plumes que la nôtre. L'écriture donne du sens aux choses de la vie. Et la vie de tout le monde tu la fais ressentir avec justesse, et les choses de ce fait que tu évoques nous concernent intimement et urgemment. Merci.
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
re : J'arrive
Ah j'oubliai ! Connais-tu la chanson de Jacques Brel ; "J'arrive" ???
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: J'arrive
Un texte étonnant, subtil, qui se plonge avec délectation dans les méandres de la pensée introspective, dans l'analyse poussée des causes et effets qui justifient nos décisions. Ca donne un style particulier qui empile les répétitions comme pour mieux s'interroger : "mon seul but en arrivant est d’être arrivé, et heureux d’être arrivé"
Par contre il aurait été sympa pour le lecteur que vous aériez un peu votre texte. Tel quel il fait bloc rébarbatif.
Par contre il aurait été sympa pour le lecteur que vous aériez un peu votre texte. Tel quel il fait bloc rébarbatif.
Jano- Nombre de messages : 1000
Age : 54
Date d'inscription : 06/01/2009
Re: J'arrive
L'absurdité inhérente à l'arrivage est qu'en disant j'arrive ou je n'arrive pas à, le sujet pose ses propres frontières et se ferme la route à tous les possibles. il s'égare dans le constat au lieu d'etre et de vivre. c'est surtout ça qui me marque dans votre récit, le non-être, la constitution de soi inversée, par l'intention, la reception, l'image etc..
hi wen- Nombre de messages : 899
Age : 27
Date d'inscription : 07/01/2011
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