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Tous au charbon

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Message  Gobu Mar 22 Juil 2014 - 15:29

TOUS AU CHARBON

En ces jours de fête nationale belge, rien de tel qu’un plat consensuel pour marquer dignement l’événement. Bien que d’origine flamande, la carbonade – en néerlandais stoofvlees – a su conquérir, sinon le cœur, tout au moins l’estomac de l’ensemble des citoyens du plat pays, y compris sans doute la petite mais prospère communauté germanophone, pourtant supposée plus réceptive au chant des sirènes teutonnes de la choucroute garnie ou du carré de porc de Westphalie à la gelée de groseille.

C’est que la carbonade, dont l’aire d’influence déborde suffisamment les frontières de la Belgique pour titiller les palais des gourmands du Nord de la France, possède d’éminentes vertus fédératrices. Elle est d’ailleurs assez proche, tout au moins en esprit, du bœuf bourguignon. Rien d’étonnant à cela, si l’on se souvient que le domaine des puissants ducs de Bourgogne formait à son apogée une mosaïque de fiefs s’étendant des rivages venteux de la Mer du Nord jusqu’aux rives, plus clémentes, de la Saône. On sait que si les empires se créent par les armes, ils se conservent par les casseroles. Et par les barriques, soyons justes, qu’elles renferment de la bière ou du vin.

De ce point de vue, les ducs de Bourgogne, dont le premier fut un frère d’Hugues Capet, ont donné maintes preuves de leurs compétences et de leur goût pour ces bonnes choses qui font bien plus pour la réputation d’une lignée que les plus éclatants succès militaires. Seuls quelques médiévistes se souviennent encore de la prise de Bruges ou de Dinant, mais nul gourmet n’ignore ce qu’il en est du Nuits-Saint-Georges, du jambon persillé ou de la moutarde de Dijon.

A quoi il ne serait pas interdit d’ajouter la carbonade flamande. En effet, en l’an de Grâce 1363, le duc de Bourgogne Philippe le Hardi, fils cadet du Roi de France Jean le Bon, par son mariage avec Marguerite de Flandre, ajoute cette riche et turbulente province à son apanage, préparant ainsi l’expansion de son duché vers l’ensemble des Pays-Bas, qui tomberont par la suite dans l’escarcelle déjà outrageusement garnie des Habsbourg, mais ceci est une autre histoire. De sorte que l’on peut dire que, toute flamande qu’elle soit, la carbonade n’en relève pas moins, en tous cas sur le plan historique, de la vaste tradition culinaire bourguignonne. CQFD.

Bourguignonne ou pas, la carbonade peut donc se prévaloir de quartiers de noblesse qui remontent au Moyen Âge. Même l’intitulé du plat, qui renvoie aux charbons ardents sur lesquels on le laissait mijoter, sent bon son terroir médiéval, et évoque irrésistiblement les truculentes agapes campagnardes qu’ont figurées les illustres peintres flamands des XVèmes et XVIèmes siècles. Tout contribue d’ailleurs à faire de ce plat une sorte d’archétype des plats du terroir ancestral, qu’il s’agisse de la longue cuisson de la viande dans une boisson fermentée, la mise en œuvre d’une vaste palette d’épices et d’aromates et l’utilisation sans modération d’adjuvants sucrés et de vinaigre. N’en déplaise aux contempteurs de ce genre de cuisine, la carbonade flamande appartient incontestablement à la catégorie du sucré-salé, ou tout au moins de l’aigre-doux.

De nos jours, elle est à tel point hégémonique – tout au moins outre-Quiévrain – qu’il n’est pas une seule friterie qui n’en propose pour accompagner sa production. Tous les restaurants traditionnels en servent, on la trouve régulièrement au menu des cantines d’entreprises ou d’établissements scolaires, et même de grandes tables étoilées en proposent des versions revues au goût du jour et présentées de façon à éblouir la vue du plus exigeant des gastronomes.

Hélas, beaucoup de ces carbonades relèvent plus du tripotage industriel que de la gastronomie de terroir. La malbouffe ne connaît pas de borne à son expansion, et il est tout de même plus facile et rentable de servir à sa clientèle une louchée de ragougnasse tirée de la boîte ou du blister que de passer de longues heures à préparer un plat digne de ce nom à partir d’ingrédients frais et de qualité. Passons. Heureusement, le Belge, quelle que soit son appartenance linguistique, n’a pas perdu le goût du travail bien fait et l’on peut encore se régaler dans la plupart des foyers du Royaume d’excellente carbonade qui fait autant la fierté de son concepteur que les délices de ses convives, à commencer par les enfants, qui prendront ainsi très tôt d’excellentes habitudes alimentaires à transmettre à leur tour à leur future progéniture. C’est ainsi que l’on maintient les traditions et que l’on défend son patrimoine. En se léchant les babines.

Car il va sans dire que l’authentique carbonade flamande est un véritable régal. Lorsqu’on soulève avec précaution le couvercle de la cocotte où elle a mijoté, il s’en exhale une buée divine embaumant la bière de garde, le vinaigre et les aromates, propre à faire sombrer dans le péché de gourmandise le plus endurci des ascètes ou le plus sourcilleux des sectateurs de la diététique. Et quand on plonge la cuiller dans l’onctueuse sauce brune aux reflets mordorés pour y pécher un morceau de viande longuement cuite, c’est comme si l’on allait déposer dans son assiette l’âme même de la riche et succulente gastronomie belge. Pas moins.

Naturellement, chaque ménagère – ou ménager, puisqu’il est entendu que l’homme a désormais colonisé les fourneaux – a sa propre recette qu’elle (ou il) prétend généralement tenir de quelque Mémé ou Tatie cordon bleu chez le bourgeois, quand ce n’est pas d’un trisaïeul cuisinier dans une demeure seigneuriale. Cela fait belle lurette que la gastronomie a acquis ses quartiers de noblesse et Louis XIV en personne avait coutume d’anoblir ses officiers de bouche. Les plus grands seigneurs se disputaient d’ailleurs le privilège de lui passer la rhubarbe sans lui réclamer le séné. On appelle cela l’autocratie.

Ces recettes plus ou moins personnelles ont cependant un air de famille. Toute carbonade est un ragoût de viande de bœuf et d’oignons longuement mitonné dans la bière et enrichi de sucre et de vinaigre. On peut varier les aromates et l’assaisonner d’épices diverses, mais le fond demeurera le même. La carbonade est un plat de pauvre, car les ingrédients qui la composent restent bon marché, mais c’est aussi un plat de fête. Il n’y a pas que les riches à avoir le droit de se régaler, par la morbleu ! On la préparait jadis pour le dimanche ; on la mettait doucement à cuire dans le four familial ou à défaut dans celui du boulanger, le temps d’aller ouïr la messe et retour. La marche, l’homélie pastorale et la célébration du Mystère Eucharistique suffisaient à aiguiser encore l’appétit de gens qui n’en manquaient généralement point. Amen. Voici maintenant comment procéder, étant entendu que cette recette est celle que je pratique et rien de plus.

On choisira d’abord un beau morceau de viande de bœuf à braiser maigre (paleron, macreuse, gîte, etc.) en comptant deux cent grammes par convive, ainsi qu’une belle tranche de lard de poitrine non fumé pour l’ensemble du plat. On débitera la viande, non en cubes, mais en tranches d’une dizaine de centimètres sur deux ou trois, et l’on taillera le lard en fins lardons.

On émincera ensuite des oignons de ménage jusqu’à obtenir un volume équivalent à celui de la viande (ils réduiront beaucoup à la cuisson) et l’on épluchera une ou plusieurs gousses d’ail selon l’importance du plat.

Dans une cocotte suffisamment ample, on fera fondre une généreuse portion de saindoux, dans laquelle on colorera vivement la viande. Après l’avoir retirée – à l’aide d’une écumoire, seul un superhéros aux superpouvoirs pourrait le faire à la main – on fera suer dans la même graisse les oignons, en y ajoutant les lardons, l’ail et un bouquet garni. Personnellement, j’y incorpore aussi quelques baies de genièvre qui donneront un parfum caractéristique au plat. Une fois cette garniture aromatique suffisamment rissolée, on y mélangera la viande, on salera, on poivrera et l'on saupoudrera de farine pour faire roussir le tout, sans brûler cela va sans dire.

On déglacera ensuite avec du vinaigre de vin rouge en grattant le fond et on ajoutera à ce moment de la cassonade brune, ce qui donnera naissance à une sorte de sirop. On mouillera le tout à hauteur avec une bonne bière de garde. Certains utilisent de la bière blonde, je préfère quant à moi la brune, qui donnera une couleur plus soutenue à la sauce, et on ajoutera une ou plusieurs cuillères de glace de veau (ou à défaut du bouillon corsé). Enfin, on terminera en y ajoutant l’ingrédient qui donne vraiment une saveur spécifique à cette préparation, à savoir du pain d’épices tartiné de moutarde douce.

Il n’y aura plus qu’à laisser mijoter le temps nécessaire (minimum deux heures et demie) soit à feu doux sur le fourneau, soit au four à couvert. On servira la carbonade sans chichis dans son récipient de cuisson, elle n’en fera que plus saliver les convives. Pour l’accompagner, le Belge servira de préférence des frites, mais elle s’accommode aussi bien de pommes de terre à l’anglaise, de purée ou même de nouilles fraîches et pour rester tout à fait belge, on présentera à côté une salade de chicons (endives) bien assaisonnée et éventuellement enrichie de noix et de fromage d'abbaye, le fin du fin étant d'utiliser un fromage provenant de la même abbaye que la bière. On peut boire un bon vin rouge corsé avec ce plat, mais une grande bière de garde s’imposera si l’on veut rester orthodoxe.

Bon appétit
Smakelijk eten
Guten Appetit


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Message  So-Back Mar 22 Juil 2014 - 16:30

cool cette recette, Brel l'aurait fair chanter aux Flamandes

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Message  Polixène Mar 22 Juil 2014 - 20:49

Présentée à ta façon, on se sent tout benêt* de n'y avoir point  déjà goûté, à cette merveille!
HARO SUR LA RAGOUGNASSE!









*
Pour une fois qu'un péjoratif n'a pas de féminin, hein, j'en profite.:


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Message  Sahkti Ven 12 Sep 2014 - 6:52

Arf la carbonade... j'adore ça !! Mais tu as raison, au royaume de la malbouffe, elle est bien trop souvent reine :-(
Ta chronique me fait penser à certains billets du journal Le Soir, roborative et truculente à souhait, teintée de cet amour de la chère-chair si cher au plat pays. Impeccable à tous points de vue, merci Gobu, je me suis régalée.
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