de miel et de mil

[desaparecer]

I



C’est un couple que j’aperçois. Je ne sais pas dans quelle ville nous sommes. Je vois juste des canaux, des temples. Des maisons d’où sursaute la lumière. Ils sont nombreux à louvoyer dans les rues. C’est la nuit. Une nuit particulière, à n’en pas douter ils sont heureux d’être là, la fête bat son plein. Très souvent, des pétards rugissent. Je sursaute à chaque fois… Je ne sais pas quel rituel les pousse à commettre ces détonations effrayantes. Elles me rappellent d’autres éclatements, et d’autres pays, et une sensation de chaleur m’envahit, comme là bas. Je ne veux pas y penser. Ce couple qui me semblait pourtant sympathique au premier abord m’excède maintenant. Ils s’amusent et se rencontrent trop. La fille vacille. Je me demande si elle est malade. Mais un rapide coup d’œil sur la place m’indique qu’ils trébuchent tous un peu. Cela fait peut être partie de la célébration. Je décide de les suivre un peu. Comme il l’embrasse soudain… ils ont vraiment l’air heureux



II

Je suis heureux cette année. Je suis très très heureux, d’ailleurs je l’ai dit a tout le monde dans le bar. J’ai rencontré des français, on a chanté un peu Mireille Matthieu. Et c’était merveilleux. Pour la première fois depuis quinze ans je respire l’air enivrant d’Amsterdam à minuit et je frôle ces petites guêpes glacées dans les rues. Elles sont belles avec leurs grands yeux suaves. Ne vous y trompez pas, j’aime bien où j’habite. Les infirmières surtout… Mais tout ce blanc enfin… Ici tout est plus rassurant, noir et jaune comme une nuit de trop. De miel et de mil. Cette nuit, je fête mes dernières vacances. C’est vrai que je suis vieux, et d’ailleurs c’est d’un rire de dément que je le leur crie.



III



Cette soirée… Qu’est ce qui m’a pris ? Comme je m’ennuie… Et comme ils s’amusent… Ils sont bourrés, tu m’étonnes. J’en suis a mon quinzième verre de whisky et la grimace que ça m’arrache tient surtout du dégoût. Non mais ils l’ont dégotté où ce whisky ? C’est du Liddle j’en met ma couille au feu. Putain qu’est ce que je fous là ? J’ai subi les embrassades de minuit, j’ai subi quinze textos et trois appels téléphoniques. Pour tuer l’ennui je rêve à l’hécatombe. Ca saigne bien les gens ma parole, mieux que les poulets. Ah, voila une nana « ben quoi ? tu te fais chier ? » « non non, je suis juste un peu fatigué ». Non mais regardez moi ce gros mythomane, ça m’en décolle presque une. Nom de Dieu arrêtez de danser. Si encore les filles étaient belles, si je pouvais me blottir à l’ombre de leur fraîcheur… D’ailleurs on crève ici. C’est possible d’ouvrir la fenêtre bande de crevards ? Ah ben en voila, de la cocaine ? Ben tant qu’on y est allons y… ça fait combien de temps que je suis allongé par terre ? C’est dégueulasse j’ai gerbé partout… Appeler qui ? Ah, les mecs, je sens que ça me reprend… c’est quoi ces lumières rouges ?





IV



Je me suis faite jolie. J’avais emporté mon mascara, et un peu de poudre. Je le pose en ouvrant grand la bouche, comme ma maman avait l’habitude de le faire. En plus je sens bon. Allons y, fi du cynisme, de la maladie et autre métaphysisme de pacotille. Moi je suis belle et je circule, légère, vers mon groupe d’amis. Pardon, mais la vie m’attend et un concert géant aussi. C’est quel DJ déjà ? Ah si maman me voyait ! Je l’imagine devant sa télé… Comme ils me regardent tous ! sauf celui là. « qu’est ce que t’as ? Tu te fais chier ? » franchement il sait pas se tenir



V



On a positivement horreur de faire la fête parce que la télé nous le demande. Surtout depuis qu’on s’est marié. Alors ce soir, ce sera plateau télé. Y a des sushis. Et Patrick Sébastien. Non que je sois fana de ce vieux bœuf dégueulasse et bouffi, mais il aime bien Shirley et Dino. Il y a un vers qui m’obsède mais dieu sait que ça fait longtemps que j’ai arrêté la poésie. En même temps que la drogue il y a trente ans. « En écrivant cette parole de peu que le cœur ne me fend ». J’écrase la larme comme un moustique. De la drogue elle en prenait souvent, elle était vive et elle plaisait. On l’a trouvée dans le caniveau avec Fabien et elle était secouée par un rire effrayant. Je sais qu’elle en est morte finalement. Mais après.



VI



Ah ce fameux premier jour. Je le passe à prendre soin d’elle, en essuyant un reste de vomi sur sa lèvre. Elle est déchirée de spasme, elle grimace horriblement, elle pleure en se frappant la tête sur le carrelage, elle se déchire. Allo Freud ? On a une hystérique en ligne. Il y a trente ans, il y a trente ans… Ce que je sais c’est que celle qu’on a trouvé dans le caniveau il y a trente ans est bel et bien morte. Et cela fait trop d’année que je prends soin du cadavre.



VII



Je n’ai jamais vraiment su en quoi ou en qui je croyais. Mais j’ai appris que j’avais un don, et que cela ne sort pas du néant... Ils dodelinent tous de la tête. Je les bénis. Aujourd’hui, si Dieu le veut, le renouveau. Et Dieu le voudra, il saura m’écouter et m’obéir

VIII



Quand est ce qu’ils ont commencé à devenir fous ? Sans cesse ils me prient, ils m’implorent. Que me veut elle avec son maquillage trop appuyé et ses manières d’actrice ? Ne sait elle pas que j’ai renoncé à tout cela il y a longtemps ? Qu’est ce donc que ce pantin qui prétend m’appeler ? Où ont-ils appris ces danses ? Est-ce qu’il pleure ? Ne peut-on pas appeler de l’aide pour ce jeune homme ? J’en sais plus que n’importe quel vieil arbre dans mon refuge. Vous serez tous récompensés pour vos efforts. Il y aura un paradis pour la démence. Je vous l’ai promis.



IX



Nous on est le couple, celui du début. On s’est rencontré ici, et bon Dieu (encore !) on a décidé qu’on serait heureux. On se tient bien chaud, parce qu’il fait froid. Tout à l’heure on fera l’amour, pour la première fois. Et ce sera merveilleux comme un jeu d’enfant. Notre avenir ressemble à une vue magnifique, sur une baie qui ne déçoit jamais, avec un soleil éclatant. Jalousez nous !



X



Cette pièce devient un peu ennuyeuse. Une heure et demi qu’ils ressassent des tableaux d’une banalité affligeante. D’ailleurs la banalité est systématiquement affligeante. Que penserait on d’une banalité stimulante ? Tiens c’est drôle ça. Le dernier tableau avec le jeune couple c’était vraiment le comble du mauvais goût. Enfin tant pis, ça m’aura fait passer un réveillon.

C’est la fin, voila les acteurs, tout au moins on aura évité le bain de sang et la simili tragédie grecque.

Le grand noir jouait pas mal… Mais enfin avec le texte qu’il avait c’était pas sorcier. Le coup du fou c’est un peu éculé, surtout en chantant Mireille Matthieu a tue tête. Voila le jeune couple, ah ben c’était le même mec qui jouait celui qui se camait après dans la boom ou je sais pas quoi. Voila la vieille, celle qui se dépatouille avec ses névroses d’ancienne droguée d’après le peu que j’ai suivi. Cet espèce de curé bizarre, un figurant en somme. Ils ont voulu simuler un gourou ou bien ? Ca n’avait ni queue ni tête, c’est censé être un substrat philosophique ou un hymne à l’absurde ? Ah ben c’est le même mec qui jouait Dieu. Décidément ils recyclent les comédiens. Assez applaudi, je vais quand même féliciter les acteurs. Je fais mon boulot en somme. Et bonne année, bien entendu.

[Sahkti]

Toi aussi tu fais une obsession sur le whiskey Lidl comme Siphon, bizarre d'associer cette chaîne de magasins à un whiskey, même bon marché...

Je me suis perdue dans ce texte, dans les monologues, dans les méandres de la pensée, dans le présent et le passé, je me suis sentie décrocher plus d'une fois. L'écriture est dense, ça fourmille de trucs mais c'est un peu confus, l'embrouillamini cérébral des protagonistes rejaillit trop sur l'écriture, je trouve. La mise en abîme de leurs tourments intérieurs avec ceux de la société, réelle, ne fonctionne pas tout le temps bien, il y a quelques heurts.

[Invité]

Pas bien pigé la construction de ton texte.
Un moment j'ai cru que les chapîtres étaient indépendants les uns des autres.
Je comprend bien ton désir de brouiller les pistes dans la chronologie, mais c'est poussé un peu loin. Comme soudainement la déflagration du langage familier alors que les deux premiers chapîtres en sont exempt.

En revanche cela regorge de trouvailles apréciables: un gros potentiel que tu as là sous ta plume.

[Lifewithwords]

J'ai vraiment aimé ton texte ! On te suit dans la construction, on passe d'un tableau à l'autre simplement, avec curiosité, sans lassitude. Les descriptions sont bien faites. Et quand on commence à être vraiment à fond dedans, à croire qu'on va deviner la suite, tu nous flanque ce dernier chapitre qui arrive de nouveau à nous surprendre ! Bravo,vraiment !

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