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Le prix du sang

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Message  Jano Ven 5 Sep 2014 - 6:38

Il y avait maintenant deux heures que Bernard cherchait son troupeau, scrutant à la jumelle les pentes herbeuses qui dominaient le vallon. D'habitude, à ce moment de la journée, les brebis prenaient le frais sous la grande vire du Gabizos. Manifestement quelque chose les avait dérangées. Peu de chance que ce soit l'ours, il ne rôdait pas si haut dans les estives, encore moins en pleine journée. Peut-être des vautours qui s'étaient attaqué aux agneaux ou à une bête blessée. Depuis l'interdiction des aires d'équarrissage, la faim rendait ces charognards agressifs. Bernard releva son béret pour s'éponger le visage. Il faisait chaud et lourd en cette fin d'après-midi du mois d'août.

- Allez les chiens, faut les trouver bon dieu !

Gueules ouvertes et langues pendantes, les deux Border Collies ne ménageaient pas leurs efforts, montant puis redescendant sans relâche les combes et dévers du relief. Leurs jappements répétés trahissaient leur excitation. Avec une inquiétude grandissante, Bernard regardait les nuages qui s'amoncelaient au-dessus des sommets, prenant une teinte de plus en plus sombre. Dans ce coin des Pyrénées les orages étaient fréquents à cette saison, toujours impressionnants. Il fallait récupérer le troupeau coûte que coûte avant que la foudre ne l'affole et ne le précipite en bas d'un ravin. Ce genre d'incident était déjà arrivé.
À l'aide de son bâton ferré, le berger grimpa prestement un versant escarpé où il savait qu'il aurait une bonne vue d'ensemble. Parvenu sur une crête battue par les vents, il reprit ses jumelles et tenta de calmer sa respiration saccadée. Balayant d'un mouvement circulaire le secteur où les brebis étaient censées paître, il distingua enfin de lointaines taches blanches. Aussitôt il dévala la pente en sifflant les chiens.  

- Bari ! Louka ! Par là, vite !

Les brebis s'étaient réfugiées en lisière de forêt, peut être rendues craintives par les intempéries qui s'annonçaient. Elles descendaient rarement aussi bas, le signe d'un orage plus violent que les autres ? Parvenu à proximité, Bernard lança les deux Borders qui entreprirent une tâche mille fois rodée : rassembler les bêtes égarées, cerner la masse puis l'engager vers la direction voulue. En longue procession le troupeau se remit alors lentement en branle dans un concert de bêlements.

On entendait déjà sourdre les grondements menaçants du ciel.

Les premières gouttes se mirent à tomber quand les brebis regagnèrent enfin la protection de leur enclos. Soulagé, Bernard referma la barrière derrière elles puis courut se mettre à l'abri, juste avant que les éléments ne se déchaînent dans toute leur violence. À peine eut-il franchi le perron de sa bergerie que des trombes d'eau s'abattirent avec force, mitraillant rageusement le toit en tôle. Les roulements de tonnerre se succédèrent comme des salves, amplifiés par la montagne qui les répercutait en échos interminables le long des falaises ; gigantesques caisses de résonance. Accompagnant cette fureur électrique, les éclairs déchiraient en zigzags des cumulus tourmentés, les illuminaient brièvement de flashs incessants.

- Hé bien les chiens, c'était moins une ! grommela Bernard tout en allumant le poêle à bois.

Il n'y avait plus qu'à attendre que l'orage se calme avant d'entamer la traite du soir. Assis sur un petit banc en face des flammes naissantes, il resta pensif en caressant la tête humide de Louka. Il allait attiser le feu quand, soudain, plusieurs coups furent frappés à la porte ! Les chiens se précipitèrent vers l'entrée en aboyant furieusement. Bernard se dressa d'un bond, pétrifié. Qui diable pouvait frapper à cette heure ci, dans des conditions pareilles ?! Les coups redoublèrent, les aboiements aussi. Il se décida à réagir.

- La paix les chiens ! Qui est là ?

Le vacarme de l'orage ne lui permit pas de comprendre la réponse. Méfiant, il hésita encore, se rassura en touchant son Opinel dans la poche et tira enfin le loquet à lui. Recouvert d'un poncho ciré dégoulinant de pluie, un homme se tenait dans l'embrasure, le visage dissimulé par sa capuche. Grand, maigre, Bernard ne distinguait qu'une barbe grisonnante.

- Excusez-moi de vous déranger, je suis un randonneur, j'ai été pris par l'orage. Je peux m'abriter ici le temps que ça se calme ?

Le berger se détendit, un marcheur, c'était monnaie courante en cette saison estivale.

- Bien sûr, entrez.

L'homme pénétra dans la bergerie, ôta son poncho trempé et déposa avec lassitude son sac à dos.

- Je ne voyais plus le sentier avec ce déluge. Il y a la foudre qui tape dans tous les coins.
- Oui, un sale orage. Vous allez où ?
- Je voulais atteindre le refuge du Haugarou en passant par le col de Bazès.
- Fichtre, vous en êtes loin ! Il y a bien une heure et demie de marche encore.
- Tant que ça ? J'ai  dû mal calculer mon horaire.
- Asseyez-vous. Je vais vous servir un vin chaud, ça va vous remonter.

Pendant que l'homme s'installait, le berger l'observait à la dérobée. Maintenant que son visage était découvert, il lui semblait vaguement familier, comme une impression de déjà-vu.

- Vous êtes de la région ?  lui demanda-t-il.
- Non, pas du tout, je suis du Nord. Je suis venu passer une semaine dans les Pyrénées pour les vacances.

Bernard déposa les verres fumants sur la table et sortit un morceau de fromage.

- Vous allez me goûter ça, du pur brebis des estives. C'est ma production.
- Volontiers, vous avez de très bons fromages par ici.

Pendant la dégustation il y eut un moment de silence, rompu par les bûches qui crépitaient à l'intérieur du poêle. Dehors, la pluie ne cessait de tomber en abondance, accompagnée de temps à autre d'un coup de tonnerre. Bari avait posé sa tête sur la cuisse de l'homme et fixait avec insistance la nourriture. Compatissant celui-ci finit par lui céder un bout de fromage, s'essuya la bouche puis s'adressa à son hôte.

- Ce n'est pas trop dur de vivre seul en pleine montagne ?
- Bah, question d'habitude. Je ne suis là que l'été, trois mois tout au plus. Le reste de l'année je suis en bas, sur l'exploitation.
- Vous êtes tranquille ici, personne pour vous poser de problème.
- C'est sûr.
- Le refuge idéal pour quelqu'un qui n'aurait pas la conscience tranquille.

Bernard releva la tête, légèrement troublé.

- Que voulez-vous dire ?
- Disons que c'est un bon endroit pour se faire oublier.

Le ton de l'homme avait changé. Il regardait fixement le berger.

- Peut-être, j'en sais rien, moi je n'ai rien à me reprocher.
- Vraiment ? Julie Malsieu, ça doit vous dire quelque chose ?

Une bourrasque décrocha un volet qui vint heurter violemment le mur. Le choc ébranla la cabane et dans un même mouvement la figure de Bernard se décomposa. Des images longtemps refoulées se bousculèrent dans son crâne, lui revinrent brutalement en mémoire ; cris, larmes, et ses mains... ses mains qui frappaient, qui frappaient... Il se leva aussi sec.

- Ça y'est, je sais qui vous êtes ! Je savais que je vous avais déjà vu mais vous n'aviez pas de barbe à l'époque. Vous … vous êtes son père !

Il n'y avait plus rien d'aimable dans l'expression de l'homme, ses traits s'étaient considérablement durcis. Posés sur la table, il avait les poings crispés à s'en faire blanchir les phalanges.

- Hé oui, j'étais à ton procès salopard. J'ai mis du temps mais tu vois, je t'ai retrouvé. Dur de se retrouver en face de son passé.
- Merde, j'ai été jugé ! Sept ans de taule ! J'ai payé pour ce que j'ai fait !
- Aucune condamnation ne pourra pardonner tes agissements. Tu as payé tes dettes à la société, pas à notre famille. Julie reste traumatisée, elle ne s'en est jamais remise.

Hors de lui Bernard se rua vers la porte qu'il ouvrit en grand.

- Foutez-moi le camp ! J'ai plus rien à voir avec tout ça, je ne veux plus en entendre parler !
- Tu vas te rasseoir bien calmement mais d'abord fais sortir tes chiens. Je n'ai pas envie de les abattre.

De toute sa stature l'homme s'était redressé, à sa main l'éclat métallique d'un révolver. Bernard blêmit, il sentit ses jambes se dérober. Avec terreur il réalisa qu'il avait fait rentré la mort dans sa bergerie.

- Ba...bari, Louka, dehors les chiens bredouilla t-il d'une voix blanche.

Après leur passage il referma la porte, fouettée de suite par une rafale de pluie et de vent. Submergé par l'émotion, il essaya de résister mais fondit en sanglots.

- J'avais bu, j'étais pas bien. Je voulais d'elle mais... mais elle s'est refusée. Je ne sais pas ce qui m'a pris. J'suis devenu comme fou... je ne me contrôlais plus, c'était pas moi... pas moi.

Ils se faisaient face à face dans une tension extrême. Une froide détermination se lisait dans le regard de l'homme.

- Elle était jeune, pleine d'innocence et tu t'es conduis comme une bête. Pour le bonheur qu'elle ne pourra plus atteindre, je t'apporte le prix à payer.

La première détonation se mêla au fracas d'un éclair,  brisa le genou du berger qui s'écroula en hurlant.

- Aaaah ! Pu… putain, mais vous êtes dingue !!
- Ça c'est pour la douleur que tu lui as fait subir. Mais toi tu auras de la chance, tu vas pouvoir oublier.

La deuxième déflagration projeta la cervelle de Bernard contre le mur en pierres. Des débris de chair et d'os s'en décollèrent pour retomber mollement sur le sol.

* * *

Porté par les vents d'ouest l'orage s'était éloigné. Seules quelques gouttes éparses frappaient encore la toiture. Partout bruissaient les ruisselets d'une terre gorgée d'eau.
Le révolver pendu au bout du bras, l'homme resta longtemps immobile devant le corps allongé. La flaque rougeâtre qui s'épanchait vers ses pieds le fit sortir de sa torpeur. Il reprit son sac à dos, renfila son poncho mouillé et sortit de la cabane devenue muette. Sur le perron, il observa les cimes pour constater que les nuées se dissipaient lentement. D'évanescents panaches de vapeur s'exhalaient des parois rocheuses qu'un soleil timide commençait à réchauffer.
Sortis de nulle part et remuants de la queue, les deux borders vinrent tourner autour de lui.

- Désolé les chiens, va falloir vous débrouiller seuls. Tiens, d'ailleurs...

Il se dirigea vers l'enclos aux brebis pour en libérer l'ouverture. Puis, sans se retourner, il reprit à pas lourds le sentier qui descendait en lacets vers la vallée.


















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Message  jfmoods Ven 5 Sep 2014 - 9:45

De la belle ouvrage, Jano. L'entame fait bien fonction de paravent au véritable enjeu du texte. Après coup, une fois le doute levé, la fin apparaît inéluctable. Le titre est on ne peut plus explicite.

Je me permets toutefois de revenir sur la ponctuation. Je sais qu'il existe une tendance lourde, actuellement, à se débarrasser d'un certain nombre de virgules dans les textes en prose. Pour moi, un texte écrit doit pouvoir être lu à haute voix. Le rôle des virgules consiste à matérialiser toutes les respirations de ta phrase, pour que le lecteur puisse trier au mieux les informations. Ainsi, rien ne vient briser, interrompre le flux naturel des mots. J'y reviens, ci-dessous, en corrigeant, au passage, une faute d'accord...

"Manifestement, quelque chose les avait dérangées."
" - Allez, les chiens, faut les trouver, bon dieu !"
"Dans ce coin des Pyrénées, les orages étaient fréquents à cette saison..."
"Il fallait récupérer le troupeau, coûte que coûte, avant que la foudre ne l'affole et ne le précipite en bas d'un ravin."
"Aussitôt, il dévala la pente en sifflant les chiens." 
"En longue procession, le troupeau se remit alors lentement en branle dans un concert de bêlements."
"… grommela Bernard, tout en allumant le poêle à bois."
" - La paix, les chiens !"
"Compatissant, celui-ci finit par lui céder un bout de fromage..."
"Le choc ébranla la cabane et, dans un même mouvement, la figure de Bernard se décomposa."
"Je savais que je vous avais déjà vu, mais vous n'aviez pas de barbe, à l'époque."
" - Hé oui, j'étais à ton procès, salopard."
"Hors de lui, Bernard se rua vers la porte, qu'il ouvrit en grand."
" - Tu vas te rasseoir bien calmement, mais d'abord, fais sortir tes chiens."
"De toute sa stature, l'homme s'était redressé..."
"Avec terreur, il réalisa qu'il avait fait rentrer la mort dans sa bergerie."
"... dehors, les chiens, bredouilla t-il d'une voix blanche."
"Après leur passage, il referma la porte..."
"... il essaya de résister, mais fondit en sanglots."
"Porté par les vents d'ouest, l'orage s'était éloigné."
" - Désolé, les chiens..."

Une phrase m'interpelle pour plusieurs raisons. J'y ajouterais, d'abord, une virgule...

"Ils se faisaient face à face, dans une tension extrême."

…, puis je reverrais l'expression...

"Il se faisaient face" ou "Ils étaient face à face", mais le mélange des deux est problématique.

De plus, "dans un état de tension extrême" passerait mieux, je crois.

J'ai repéré aussi cet oubli de tiret...

"à cette heure-ci"

… et cette coquille...

"Ça y est"

Merci pour ce partage !
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Message  minuit Ven 5 Sep 2014 - 11:28

On se laisse porter par ce texte bien balancé.
Il ne crée pas la surprise, car c'est la déclinaison de séquences qu'on a pu déjà voir ou lire. 
Il tient tout de même la route par sa fluidité, les descriptions topographiques ancrent le tout (pour ceux ignorent les lieux, et ne peuvent les vérifier).
Un tout que je qualifierais de pittoresque et distrayant.

C'est la deuxième fois que je lis ici en ce moment un texte qui parle de "deuil", et d'orage.
C'est une tendance actuelle ?

Celui-ci fait écho à une deuxième tentative d'écriture, que je n'ai pas pris la peine d'inscrire sur le site.
Ça me semblait sans relief.

Je ne sais pas si ça se fait, mais je vous laisse tout de même ça en tant qu'écho :

TUNNEL.

Longues minutes qui s'étirent dans le couloir de l'hôpital 
et cette nausée qui empire 
je n'ai pourtant rien fait de mal 
je ne me souviens plus 
hier soir tu étais encore assise entre tes fossettes
et dans ces fossettes il y a comme tes yeux qui rient 
tes quenottes scintillent sous ta lèvre rougie
à cette source je bois 
quand je retiens mon souffle 
le miel de l'enfance du monde 
ton souffle est une soie dans les paumes de l'ennui

je t'en prie, reveille-toi

mes paumes
hier soir je crois
t'aurais-je serrée 
un peu 
trop fort 
tout contre moi ?

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Message  Jano Ven 12 Sep 2014 - 7:48

Deux commentaires en une semaine, c'est vraiment pas motivant. À vous dégoûter d'écrire ou de participer.
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Le prix du sang Empty Re: Le prix du sang

Message  Sahkti Ven 12 Sep 2014 - 10:13

Impression mitigée. L'écriture est soignée, il y a du boulot là-derrière mais comment dire... il me manque quelque chose, une âme.
Si je prends le début du récit, la mécanique d'écriture prend trop de place à mon goût. C'est propre, rien à redire, mais un peu lisse, je ne ressens pas la magie des grands espaces ou des éléments qui se déchaînent. C'est comme si ça allait trop vite. La scène a beau être décrite de manière parfois détaillée, le tableau n'arrive pas à prendre vie sous mes yeux. Il me manque une part de magie et de mystère, un élément qui permettrait aux ingrédients de s'incarner. Difficile à expliquer de manière plus claire, désolée, c'est un ressenti et celui-ci perdure au fil de ma lecture. Lorsque le père entre ans la bergerie, la suite s'enchaîne de manière attendue et linéaire, il n'y a pas de place pour ressentir réellement l'émoi et la peur. C'est dommage car la base est bonne et il suffirait sans doute de peu mais voilà, ça ne fonctionne pas totalement pour moi. Simple avis perso, bien sûr.
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