Camille quelque chose

[Loïc Relly]

Lundi 2 juin 2014

Il avait enfoncé (un peu plus que le trop nécessaire) son doigt dans sa bouche à elle mais ça ressemblait aux feuilles qu'on voit, qu'on ne voit plus parce qu'on marche et qu'il faut bien penser à autre chose qu'à toutes ces feuilles qui pendent sur les bords de la route et à travers l'entonnoir du ciel (quand on habite en province, à Paris c'est les gens) ; alors on prend la voiture ou on s'invente une histoire, ou des obligations futures: parfois elle arrive à se souvenir exactement de ce qu'il reste sur son compte en banque et parfois elle se sent complètement libre: marcher, éloigner progressivement le regard (dont la marche a besoin pour savoir quoi faire) de la pensée (dont elle ne sait que faire, et qui profite de cet éloignement pour se consacrer à la religion de la mémoire).

Tout semble si naturel dans le noir de la chambre et de cette mémoire sans faille, qui se contente d'appliquer aux choses un goût retrouvé. Ils ont refait l'amour mais elle ne souviendra que du doigt ; et de plus tard, sur le coin du lit. Sa couette passée autour des épaules se replie en deux épaisseurs contre sa nuque, elle est penchée, elle fait du bruit en cherchant à l'aveugle son iPod dans l'un des sacs de voyage. Il avait allumé la veilleuse pour l'aider. En se retournant vers lui elle ne fait pas semblant que ça l'aide, ni lui d'en rire: c'était un amour sans honte, et donc sans lendemain. Elle dit "merci" à travers ses cheveux toujours défaits (dont une boucle lui démange un cil à demi clos) ; lui, il regarde simplement. C'est la seule partie d'elle — sa chevelure que la couette fait disparaître, à mi-hauteur, dans cette paix textile où elle a rangé son corps — qui soit à la fois insensible et non coupante (il n'y a jamais réfléchi). "Oui" dit-il finalement, "ça fait mal aux yeux" ou quelque chose, les mots exacts ont été oubliés dans l'heure. Il a dû aussi lui demander ce qu'elle cherchait.

[Polixène]

Angle d'attaque intéressant pour parler de la mémoire, j'apprécie les distorsions temporelles, justifiées;
par contre je me passerais aisément du "province vs paris" , incongru, qui fait tomber l'énergie.

[hi wen]

sympa comme voyage. ça ressemble à du google map dans le proximal.

[Gyver]

Moi j'accroche pas, et j'ai lu et relu et relu... Je ne doute pas que d'autres y trouve quelque chose...Je me dis que je suis certainement trop dans le réalisme et le concret...A la première lecture cela me semblait plein de tournures inacceptables et puis après les 2 critiques lues, je ne me sens plus capable de dire ça...
C'est donc tout à fait personnel, mais il faut aussi dire de temps en temps : "j'aime pas"...
Et dire "j'aime pas" ne veut pas dire "c'est pas bon"....
Merci.

 Il avait enfoncé (un peu plus que le trop nécessaire) son doigt dans sa bouche à elle mais ça ressemblait aux feuilles qu'on voit, qu'on ne voit plus parce qu'on marche et qu'il faut bien penser à autre chose qu'à toutes ces feuilles qui pendent sur les bords de la route et à travers l'entonnoir du ciel (quand on habite en province, à Paris c'est les gens)

Le doigt dans la bouche qui ressemble à des feuilles, et les feuilles qui pendent sur les bords de la route à travers l'entonnoir du ciel... ??? Je lis, relis, relis encore, mais rien n'y fait, ça passe pas...

marcher, éloigner progressivement le regard (dont la marche a besoin pour savoir quoi faire) de la pensée (dont elle ne sait que faire, et qui profite de cet éloignement pour se consacrer à la religion de la mémoire).

Trop de parenthèses ??? là aussi je bute...

et de plus tard, sur le coin du lit.

(et de plus tard)... encore coincé...désolé...

[Sahkti]

Ha, j'aime beaucoup ! Ces parenthèses, ce rythme faussement décousu, ces pensées qui se téléscopent et ces moments qui filent dans une certaine langueur. De surcroît, le format me paraît bien adapté à tout cela.

[Lunatik]

C'est la troisième fois que je reviens sur ce texte (je suis du genre têtu).

Le premier jour, j'ai pensé : Heing ??
Le second : Quand même, c'est bizarre. Je ne sais même pas si j'aime ou non. Faudra que j'y revienne.
Le dernier : Oui, j'aime.

Cet agglomérat de pensées, finalement, m'est familier. Qui se torpillent, qui se chassent et s'entrecroisent. C'est juste que j'aurais été incapable de le rendre aussi bien.

Mention spéciale pour cette phrase :
C'est la seule partie d'elle — sa chevelure que la couette fait disparaître, à mi-hauteur, dans cette paix textile où elle a rangé son corps — qui soit à la fois insensible et non coupante (il n'y a jamais réfléchi).

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