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Message  Cerval Sam 27 Déc 2014 - 3:10

Il est des choses que je n’ai jamais connues qu’en pensée : comme si c’était différent des autres modes d’expérience.

Ce serait peu. La vie est là au pas de sa porte : on s’y essuie les pieds, par dédain ; on fait toutes sortes de choses par dédain, on irait presque jusqu’à se tuer ; puis on regrette. Si on agit, c’est qu’il est trop tard. Lorsque je fais quelque chose c'est parce qu'elle aurait pu être différente, c'est bien pour cela que je m'y commets. Mais on ne peut juger que sur pièces. Ce qui peut arriver après l’action ne fait pas partie des raisons soupesables. L’imagination de sa vie ne regarde personne : souvent même l'on voit des gens qui l’abandonnent au sommeil. Ainsi l'on finit par se sentir vieillir. Comme notre représentation du temps est discrète, on s’imagine le vieillissement graduel. Mais cela arrive tout au coup du moment où l’on en prend conscience. Un jour, on doit prendre en compte ce qui a été même si fait parce qu’il semblait ne pouvoir être rien d’autre que fait. On laisse à l'imagination le liseré d'une séquence de gestes. Pour juger on apporte ses propres pièces : on ne pourra plus s'en défaire. Ah, ce n'est pas un gai. Mais ce n'est un évènement qu'au sens mécanique. Ce n'est pas réellement un évènement. Tant de choses réelles arrivent : des choses on ne peut que prendre le parti.

C'est pour cela que j'ai mis tant d'application à être amoureux. Le temps est la seule monnaie qui trouve cours aux doigts des honnêtes gens. On ne fait pas meilleur usage de son temps que dans l'amour où il n'y a plus de temps propre. Si l'alternance des jours et des nuits est par la fenêtre un métronome comme un autre, la pensée elle peut très bien changer de soleil. Ce n’est pas dire penser toujours à quelqu’un mais convenir de sa présence devant l’estrade où l’on agit. Et précisément quand cela n’a rien à voir avec lui, ou lorsqu’il s’agit de perdre son temps, si cela vous chante. Le temps perdu devant une autre mesure que la sienne rebondit comme la lumière sur le miroir. Quand on est amoureux, on ne peut plus vieillir.

Tout change lorsqu'on surveille son âge. Chacun finit par se sentir vieillir. Le passé se raidit comme un squelette alors que l'instant d'avant on voyait les os courir comme de l'eau. Il n'y a pas à être triste : ce qu'on connait déjà, ce n'est pas triste ; tout au plus, c'est de l'ennui. Il n'y a pourtant pas plus aberrant qu'une vie ennuyeuse.

Cerval

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Message  Cerval Ven 2 Jan 2015 - 7:39

(suite)

Elle s'assied en elle-même : elle l'était déjà sur le canapé. Cela s'entend à la voix qui lorsqu'elle arrive à son extrémité ne peut plus repartir : le langage se retourne sous la peau comme un serpent fait de clous.

C'est fini, c'est fini. Il n'y a rien de plus à dire. Je ne sais pas pourquoi je pense ni parle. Il me faut toujours trouver une justification à être quelque part, je n'en ai plus. Ce n'est justement pas une raison de partir mais pour ne garder plus que l'immobilité. "On ne fait pas de roues de ses larmes" pense-t-elle. Elle sourit méchamment : elle se moque un ton dans la pensée.

La pensée doit trouver une justification au ton qu'elle emprunte. Il y a des gens qui pensent toujours avec la même voix. Ils disent : c'est ma voix naturelle. En fait ils disent : je suis une personne entière. Elles s'ignorent questionnées autrement qu'elles ne sont et pêchent par omission. Cela leur compose une tenue et c'est à cela qu'elles s'endorment puisque tout le monde s'endort sur la voix de sa pensée. Moi? pense-t-elle : je n'arrive pas à dormir. Je change de voix comme le ciel ses nuages. J'entre naturellement en chacune mais ce n'est pas à dire que toutes participent de moi ; s'il faut me chercher ce serait évidemment dans le mouvement qui me fait aller de l'une à l'autre. Lorsque je m'oublie aux habitudes et aux obligations me vient une voix sans la penser, car ce n'est pas nécessaire. Mais lorsque pour une raison ou pour une autre, je me sens seule, étrangement seule, ce n'est pas un sentiment physique, à vrai dire il y a trop de monde et de choses alentour, trop de sensations qui se présentent devant moi, seule car si chacune me salue c'est aucune que je ne reconnais, alors je ne sais plus à quoi mon temps a passé. Je me sais avec elles un commerce : il ne s'agit pas d'oublier. Je n'oublie pas les circonstances. J'oublie la nappe sur lesquelles les circonstances se déplient, ce qui motivait à l'origine leur présence. Il doit pourtant y en avoir une quelque part. A croire que le langage n'a pas inventé de meilleure excuse depuis cette locution : quelque part.

Elle se demande si elle n'a pas été piégée par l'habitude. D'une certaine manière tout le monde l'est. Mais si à force de se défier d'elle, de ranger à ses paupières des motifs à cette banalité contraire pour la dénoncer et d'orgueil pour en justifier le geste, elle aurait oublié non leur place mais ce qu'ils contenaient. C'est cela qui la rend blâmable, elle n'a que besoin de pouvoir l'être pour s'en affecter. Soit cela soit elle n'a jamais eu de ces sortes de pensées. Elle s'est uniquement commise à l'impatience. Elle n'a jamais fait que se tromper sur son compte. C'est banal, on ne fait pas plus banal. On ne fait pas plus banal que de penser à sa vie.

Elle n'a pas soupiré. Ce qu'elle expire c'est les milliers de cigarettes derrière elle et non une forme de dédain ou de tristesse. Elle ne soupire que pour se prendre à parti. Elle n'aura jamais fait que se prendre à parti : voilà qu'elle a oublié ce qu'elle en pouvait conclure, ce que par là originellement elle voulait se dire.

Elle soupire. Elle le regarde : il est le même.

"C'est comme si, de tous les chemins que j'avais empruntés, je m'apercevais qu'ils ne m'avaient non pas éloignée de ma destination mais fait revenir au moment du départ avec pourtant tout l'âge passé qui se soit conservé, et maintenant perdu. De vous, dit-elle, il ne me reste donc plus que la tristesse".

Elle attend. ELLE PREND une grande respiration dans sa pensée.

On peut se dépayser de sa propre compagnie si l'on ne dort pas suffisamment. Ne me demandez pas où l'on va car on en perd le sens si l'on se retourne. Je ne veux surtout pas perdre cette sensation, pense-t-elle, qui est celle de tous les secrets que l'on se contrefait. Rien n'est plus enthousiasmant que de rêver sa vie jusqu'à ce que l'on se rende compte qu'il ne vous devient pas plus banal que vos rêves. Chacun ses habitudes. Je n'y trouve rien à redire.

Blanche était à la terrasse, elle regardait sur la ville avec un geste de théâtre la nuit qui tombe, sans prévenir, la nuit. Ainsi tout est sombre. Elle relève la tête, salue la nuit, dit bonjour à la lumière, à la pénombre. A la fraicheur. Elle pense à... qui sommeille à l'intérieur. Blanche n'y veut pas retourner. Elle regarde l'obscurité défaire son visage. Comme d'entre les cheveux de lourdes nattes, son visage se modifie, lentement, et tout le corps de s'assouplir, comme fait sur les peaux fraiches l'ombre aux mains de masseuse. Bonsoir. Bientôt la nuit retiendra tout son poids crépusculaire. En attendant elle se raccroche aux lèvres du balcon, de Blanche, aux lèvres... Blanche laisse tranquillement la nuit l'emplir : ... dans la chambre respire faiblement ; on l'entend à peine. Peuvent alors commencer les cérémonies. Fermer les yeux. Défaire sa robe. Ne rien laisser des lumières confuses obliger le regard. ... dort. Elle s'assied à côté de lui. Passe ses jambes sous la couverture. S'allonge. Pas un bruit. Elle ferme les yeux. Elle rêve.

Elle pense :

Tout cela c'était pour dire : je ne l'aime plus. Je n'en fais pas acte car ce n'est pas à constater. C'est soi que l'on regarde, point une dépouille. Il y a exactement la même disposition des choses dans le monde, voilà ce qui trouble. Je ne l'aime plus pourtant : s'il a fallu que j'aie le sentiment d'y voir un principe qui ramène à soi jusqu'aux pensées ordinaires, comme le mouvement de brasse le fait de l'équilibre, c'est que quelque chose à son absence devrait s'en retrouver changé. Or rien n'a changé, et dans la pensée non plus puisque l'on pense. On dirait que le temps vous a fait mentir, ce n'est jamais sans une plainte que l'on arrache à la bouche un mensonge. Ainsi l'on est triste. Il y a plusieurs façons d'être triste parce qu'il y a plusieurs espèces de solitude. Il y a pourtant des manières qui portent plus loin que d'autres. Mais très vite je m'en veux de parler de choses si banales.

Parfois je crois amasser, dans le bruit ou la confusion à laquelle l'attente du sommeil m'abandonne assez de matière pour me composer un autre corps. J'imagine prendre sa dentition dans des rires, ses cheveux d'une étreinte - ailleurs ses yeux. Ainsi je peux dormir, ainsi. A trop attendre je perds le sens du lieu où je suis. Peut-on perdre ainsi son corps ? Partout autour de moi, comme un jeu fait à ma seule intention, ce que je sais des choses me renseignent en ce qu'elles me délimitent. Mais pour s'en aller dormir ? C’est peut-être à cette périphérie indéterminée, comme des fruits mûrissant au creux d’une ombre silencieuse, que l'on peut enfin se border d'un geste de sommeil.

Elle pense encore : en fait, on a beau s'approprier les choses en distinguant des étiologies, on n'est jamais triste que d'une seule façon, car il suffit qu'il arrive un petit quelque chose et l'on oublie tout ce que l'on a déjà senti. Il y a comme ça plusieurs maladies de la mémoire.

La mémoire ? le vent qui froisse ses yeux à peine l'emporte avec elle comme on ferait d'un mouchoir. Si on y marche c'est dans une rue où la nuit penche, comme la tête inclinée de qui s'absorbe au récit. Sa robe accroche un bout de ciel à la manière d'un soupir.

Blanche pense : on connait sa silhouette à ce que les objets s'y heurtent. Il n'y a rien que je puisse chez moi décréter. Avant le sommeil, je rêve à mon corps et dans mon corps il y a le monde entier : d’autre corps. Je les défais, couches après couches.

On finit par s'endormir sur n'importe quoi.

Cerval

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Message  hi wen Mer 7 Jan 2015 - 6:34

"On ne fait pas meilleur usage de son temps que dans l'amour où il n'y a plus de temps propre" . Au regard du texte, il me semble que c'est l'inverse : il n'y a plus de temps propre, donc on ne fait pas meilleur usage de son temps que dans l'amour.

"C'est soi que l'on regarde, point une dépouille." là je suis épaté. mais pourquoi dépouille?

"Blanche pense : on connait sa silhouette à ce que les objets s'y heurtent. "
ça aussi c'est fort.

"C'est comme si, de tous les chemins que j'avais empruntés, je m'apercevais qu'ils ne m'avaient non pas éloignée de ma destination mais fait revenir au moment du départ avec pourtant tout l'âge passé qui se soit conservé, et maintenant perdu. De vous, dit-elle, il ne me reste donc plus que la tristesse".

délicieusement exquis de cynisme.




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