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Le Vieux Lille a ses poussières

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Le Vieux Lille a ses poussières Empty Le Vieux Lille a ses poussières

Message  Zoorit Dim 8 Mar 2015 - 10:55

C’est idiot de vouloir loger dans un quartier de bourgeois. Parce qu’on veut effleurer, à travers les pavés vieillis et les façades courbées par le temps, un sentiment de sécurité absurde. Vivre dans une forêt de bâtisses rouges et de mille corons, grossièrement érigée sur un marécage, ce n’est pourtant pas très sécurisant. Mais qu’importe, les rues ont plus de gueule que celles des ghettos miséricordieux qui offrent des loyers plus faciles.

La maison est cossue, déjà le vestibule nous propulse dans un autre temps. Les murailles serties de tapisseries expirantes, le grand escalier et ses rambardes en métal dansant, le carrelage mat où virevoltent des formes nobles et rigides, et même un banc rupin recouvert de feutre rose. Le bureau notarial du propriétaire est à droite, mais la porte en bois est toujours fermée. Le faste funèbre de la France ressuscite un peu quand mes pieds foulent le seuil de cette entrée sombre.

La chambre est moins belle, c’est certain.  D’abord, le chemin pour y arriver est dissimulé au fond du couloir. Je n’ai même pas le plaisir d’arpenter le grand escalier de velours chaque fois que je rentre chez moi. Et puis dans la chambre sous les toits, tout est vieux, mal agencé. Le plafond oblique appelle les crânes des visiteurs (si peu nombreux) à s’y cogner plus d’une fois. Les poutres qui soutiennent cette décrépitude outrageuse font à elles seules le charme de cette petite pièce. Les carreaux près du lavabo sont laids, les joints ont noirci sans que personne ne s’en préoccupe, jamais. La moquette verte est tachée par l’eau qui s’écoule de la fenêtre chaque fois que ça pisse trop fort au-dehors. C’est une chambre vieille de deux cents ans qui, à peu de choses près, a été laissée à l’abandon ou plutôt au bon vouloir des locataires, pauvres ou idiots, qui y ont séjourné.
Mais le neuf m’emmerde, alors je m’y sens bien.  Cela fait cinq ans que je vis là, et la mansarde est toujours vide, à l’exception d’un matelas épais de quatre centimètres, posé à même le sol, une grosse couverture, une cafetière trop moderne et quelques livres. Et un ordinateur.

Ce ne sont pas des bourgeois dont je veux être proche, je les emmerde. D’ailleurs, c’est vrai, je les emmerde. Savoir que je partage des murs, une entrée, un local à poubelles avec eux, c’est comme si un loup était entré dans la bergerie et payait un loyer.
Non, vraiment, je me fiche pas mal de donner l’illusion d’appartenir à leur monde. Ce qui me réjouit, ce qui m’excite dans cette vieille ville, ce sont les poutres, les pavés, la mousse qui s’installe dans les fêlures des murs, la pluie qui bat contre les carreaux, les petites rues concaves et poussièreuses, et les passages dérobés à travers les cours des immeubles de la rue Sainte-Catherine. Même l’église me transperce, moi qui rassemble pourtant toutes mes forces à ne croire en rien.

Tout y est beau mais je suis seule face à une horde d’assaillants.  D’abord, il y a ceux qui ne me supportent pas (je vous aime déjà), et qui voudraient ne jamais me croiser ni me parler tellement je leur inspire le mépris. Pour une fois, bourgeois, vous êtes dans le vrai ! Ensuite, il y a ceux que j’amuse, qui me connaissent à peine mais m’invitent sans relâche à boire des pintes de Leffe  pour m’entendre débobiner mes lieux communs, qu’ils trouvent géniaux. Allez au diable, sales parasites ! Je ne veux ni de vos bières ni de vos rires, votre présence m’est intolérable.  Vous êtes tous des cloportes, et j’en suis un aussi. Mais quand bien même, ne nous mélangeons pas. Vous m’ennuyez terriblement par vos inepties, vos préoccupations tantôt mondaines et tantôt animales. Choisissez bordel !  Qui voulez-vous être ?  Il s’agirait d’arrêter de vous disperser partout, d’avoir enfin l’audace des vos sentiments et de vous y tenir, nom d’un chien.

Mais d’ici là, je n’ai pas besoin de vous et vous n’avez pas besoin de moi. Mon matelas et ma cafetière, posés dans ma chambre déliquescente, sont mes plus grandes joies. Et quand, dans une journée, les seuls mots que j’échange sont quelques politesses avec la vendeuse de cigarettes, je ne m’en porte que mieux.

La solitude a cela qu’elle ne nous déçoit jamais, sauf en bien.

Zoorit

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Message  Sahkti Mer 1 Avr 2015 - 12:31

Hop !
Sahkti
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