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Enfin une bonne nouvelle (7)

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Message  Frédéric Prunier Lun 9 Mar 2015 - 13:29

bonbenl' 7 impair et passe,




VII



        L’arabe ne balancera personne, cela se voit.
— Vous dites vous nommer Samir Nasser, fils de Djamila. Au milieu de vos tatouages, une marque prouve vos nombreux séjours en prison… Vous avez été arrêté le mardi 3 septembre en flagrant délit de récidive de mendicité et ne justifiez d'aucun domicile ni ne possédez de certificat de circulation… En plus de vagabondage, vous êtes accusé de complicité de vol en réunion, d’agression, de coups et blessures, le tout commis sur la personne du chevalier de la Part-Dieu et sur deux de ses compagnons.

  L’abbé est assis au premier rang, juste devant l’étranger. Il lui répète, du mieux possible, ce que l’accusateur énonce. L’arabe marmonne entre ses dents :
— …j’ai jamais frappé ce bouffon…
  On lui demande de répéter.
— Exprimez-vous sans crainte. Vous pouvez utiliser votre dialecte puisque l’abbé le traduit.

  Samir parle alors en arabe. Son langage, incompréhensible pour l’auditoire, devient au fil des phrases puissant et continu. Il sait que sa langue natale impressionne, il en joue et s’en amuse.
  Ces guignols à perruque s’imaginent peut-être qu’il est une donneuse ? Qu’il va baisser son froc en échange d’une éventuelle remise de peine ? Pour qui le prennent-ils ?
  Riant de voir la crainte qu’il inspire, il laisse échapper dans sa voix la violence et la haine qui sont enracinées en lui. On ne le comprend pas, c’est un arabe, un fils d’immigré, un rebeu des cités alors il va cracher à la figure de ce théâtre de marionnettes travesties en robes de clown, il n’a plus rien à perdre.
— ...Je vous encule tous autant que vous êtes !
  On le fait rasseoir, on murmure dans la salle. L’abbé résume de son mieux ce que Samir vient d’exprimer dans son dialecte barbare :
— Cet homme confirme avoir purgé trois ans de travaux forcés pour un vol qu’il affirme ne pas avoir commis. Aujourd'hui encore, tous les témoignages sont contre lui, alors il préfère se taire…

  C’est au tour de la partie civile de prendre la parole. Jean-Marie est appelé à la barre et se lève, prenant appui sur ses mains pour mieux interpeller le tribunal et son auditoire. Lebenne commence également ainsi ses réquisitoires, la tête penchée en avant, interpellant du regard et prenant le public à témoin. Il appuie exagérément certains mots car il sait d’expérience que le ton d’un discours a autant d’importance que le sens de ses phrases :
— Il était avec son gang. Ce sont des lâches qui agissent en meute.  Nous payons d'énormes récompenses pour la tête d'un loup alors que les traînards de son espèce sont autrement plus dangereux pour la sécurité de nos biens. Cet homme est un professionnel du chômage, sa fainéantise est un poison qui engendre la délinquance. Lui et ses comparses affluent de l’Europe entière, ne s’intègrent pas ou font semblant, trafiquent et nous dépouillent… Il ne peut y avoir de tolérance possible avec des gens qui refusent de se plier à nos règles. Ces individus ne comprennent que le bâton, la corde ou la prison !
  Je ne peux m’empêcher de sourire malgré la gravité de l’endroit. Le mot bâton me rappelle une des blagues préférées des cousins de Gaspard, quand ils imagent à leur sauce grivoise la carotte et l’intégration de force… Mais nous ne sommes pas attablés au comptoir de chez Seb, nos plaisanteries de piliers de bar n’ont rien à faire dans une salle d’audience.
  J’observe le visage de Lebenne, il s’empourpre jusqu’à devenir violacé. Si je force encore un peu le trait, je pense qu’il va exploser comme un ballon trop gonflé.
   Samir est assis sur son banc, il fixe l'accusateur, ponctuant les tonalités du discours qu’il entend avec de petits grognements, des froncements de sourcils. Il ne se soumettra jamais à cette justice-là, seule la loi du gang compte à ses yeux.
  Et surtout, il a envie de lui planter une lame à ce porc. Que ne donnerait-il pas pour jouir d’écouter ce bâtard couiner de trouille en l’observant se vider de son sang… Il veut défier ce comique de sa race et provoque du regard la voix de l’inquisiteur lorsqu’elle monte dans les tours comme un moteur qui s’emballe.
 Le crescendo du réquisitoire devient de plus en plus insupportable :
— Preuve est faite que c’est un membre de cette organisation de dealers qui sème la terreur autour de notre cité. Il était aux aguets avec sa romanichelle et ceux de son espèce, quand le chevalier de la Part-Dieu n’a su modérer son élan de générosité… Nous ne pouvons laisser ces hyènes  enragés semer l’anarchie. Rappelez-vous qu’aujourd’hui, on ne tue plus seulement les gens de la noblesse, mais aussi les propriétaires, les prêtres et les représentants de l'ordre ! Les médecins, tout comme les pompiers, se font caillasser quand ils empiètent un de leurs territoires. Bientôt, ils vendront leur saloperie de drogue jusque sous nos porches d’immeubles… Messieurs les juges, vous avez le devoir de protéger les citoyens de ce pays !
  Sur le banc des témoins, je ne me sens pas à l’aise.
  Le prévenu m’observe. J’ai l’impression que le public m’observe aussi. Je ne sais pas si j’aurais le cran de défendre la version du chevalier quand viendra mon tour de parler. Je préfère cent fois jouer les travelos dans les maisons de retraite que d’être au milieu de cette salle où se joue la vie d’un homme.
  Un journaliste griffonne sur un calepin que l’accusé ne prouvera pas son innocence, ni ne communiquera l’endroit où l’on pourrait déloger le reste de sa bande. Il y a peut-être des membres du gang dans le public. Les discussions ne servent à rien. On attend. Enfin l’audience est levée. La sentence sera prononcée demain.



*



  Le lendemain, une grande partie de la salle est déçue, la peine de mort est maintenant abolie alors que pour le spectacle, certains espéraient toujours une pendaison.
  Pour la récidive de vagabondage, la peine d’un an de travaux d’intérêt général fait sourire Samir. Dès qu’il aura un pied dehors, il disparaîtra.
  Par contre, il reste pour l’instant en préventive, et pour une durée indéterminée. Lebenne a obtenu un complément d’enquête, dans le volet de l’agression. Ce dernier espère toujours faire pression sur le prévenu. Il compte retrouver sa complice et remonter jusqu’à la tête du gang, quitte à payer les informations.

  Au fond de la salle, les grandes gueules du parti national sont venues soutenir les cousins de Gaspard et profitent de la fin du procès pour faire un peu de tapage. Ils ont déployé des banderoles et sifflent en invectivant les juges. Pour eux, il n’y avait pas besoin de ce simulacre de spectacle pour en arriver à cette conclusion.
— Il sortira avant le procès et quinze jours plus tard assassinera quelqu’un !

   Les juges se retirent sans prêter attention au remue-ménage du public et les huissiers font évacuer la salle. Entravé entre ses deux gendarmes, on renvoie Samir en cellule. Avant de disparaître, ce dernier cherche du regard Jean-Marie, Benoît, moi, l’abbé et aussi ceux du parti national.
  Ses yeux pétillent. Il fanfaronne malgré la situation, nous criant au passage :
— Je vous crèverai tous !

  Bien que ses entraves l’obligent à suivre docilement ses gardes, il a envie de se débattre, de s’échapper et de massacrer tous ceux qui se trouvent encore dans ce tribunal. Je suis presque certain de l’avoir entendu nous injurier dans notre langue.
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Message  Sahkti Mer 1 Avr 2015 - 10:16

On reste dans la même veine que le chapitre 6, avec peut-être ici un peu plus de force à l'heure de désigner un coupable et de le juger, de préférence de la manière la plus terrible qui soit. Le ton ne faiblit pas, ni le récit. Tu prends le temps d'appuyer l'un ou l'autre aspect narratif, de donner quelques précisions qui plantent bien le décor, tout en ne ralentissant pas le rythme; c'est bien vu.
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