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Franck

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Message  hugofan Ven 17 Avr 2015 - 13:04

La voix, cruelle et tenace, était revenue. Franck l'avait presque oubliée. Depuis que les médecins lui avaient prescrit son nouveau traitement, ses hallucinations s'étaient estompées, avant de disparaître. Quinze jours de repos, de paix, de joie ! Seulement voilà, ce soir, elle était là, à nouveau !

- Tu me reconnais, n'est-ce pas ? murmura-t-elle, avant de se mettre à rire doucement.

- Tu n'es que le fruit de mon imagination, dit Franck d'une voix lasse. Dans un instant, tu auras disparu.

- Et pourtant, reprit la voix, tu continues à m'adresser la parole. Si je n'étais qu'une chimère, me répondrais-tu ? Allons, Franckie, tu ne pensais pas que j'allais t'abandonner comme ça ? Je suis très déçu par ton accueil : tu es vert, tu trembles, et tu as enroulé une serviette autour de ta tête. Est-ce ainsi qu'on reçoit un vieil ami ? Franchement, si j'étais moins civilisé, je foutrais le camp, sans autre forme de procès.

- Eh bien dégage !

- Allons, ne te mets pas dans cet état ; souviens-toi que ton cœur est fragile. Tu n'es pas fait pour les émotions fortes. Assieds-toi, là, et tiens-moi compagnie.

- Tu n'existes pas ! Le docteur Castel me l'a dit : je suis malade, ma perception de la réalité est faussée, tu viens de mon cerveau !

A cet instant, Franck sursauta. En face de lui, sur le canapé, la voix s'était incarnée. Un vieil homme se tenait là, élégant, dont la calvitie luisait sous les ampoules. De ses doigts longs, très fins, il caressait un chat gris, borgne, et qui ronronnait. A le voir, on aurait dit un de ces bons bourgeois oisifs, un peu parasites, de ceux qui cherchent à tout prix votre conversation, partout où vous les rencontrez.

- Tu vois, dit-il, je suis bien réel. Tu n'imagines pas le chemin que j'ai dû faire pour venir te voir. Depuis quinze jours que tu as déménagé, je t'ai cherché partout, sans trêve, sans relâche. Jusqu'à ce que je te rencontre par hasard dans ce parc, tandis que tu lisais sur un banc, à l'écart. Je me suis : ah ! c'est mon Franckie : je vais lui faire une surprise. Et me voilà !

Franck était devenu gris. Ce salopard était revenu. Soudain, il tendit nerveusement la main vers le téléphone, pour contacter le docteur Castel.

Le vieil homme fit une moue de petite fille.

- Si j'étais toi, je ne ferais pas ça.

- Pourquoi ?

- Le docteur Castel n'est pas ton ami. Tout ce qui l'intéresse, c'est le fric. Tu vas le voir depuis un mois ; tu imagines combien de flouze il a entassé derrière ton dos, à tes dépens ? Vraiment, tu n'imagines pas tout ce qui se trame dans les coulisses d'un cabinet médical : une véritable porcherie. Résumons tes visites : tu te couches sur un canapé, tu lui parles ; tu lui raconte comment ton père te battait, comment il mettait la main dans ta culotte quand tu sortais de la douche, comment ta femme t'a quitté après que tu l’as prise pour un démon. Et lui, le brave docteur Castel, pendant ce temps, il dort. Il caresse de ses doigts longs une vieille poterie qu'il a, en forme de phallus ; n'essaie pas de nier, je l'ai vue. Après ton monologue, tu lui files le pourliche, et lui te donne des drogues plus puissantes que le curare, et tout ça pourquoi, je te le demande ? Pour que tu perdes à jamais le seul ami que tu as : moi.

- Tu n'es pas mon ami ! Tu ne me veux que du mal. Tu m'as toujours tourmenté.

Le bourgeois se raidit, d'un air très digne.

- Tu sais que c'est faux, tu ne peux rien me cacher : je lis dans tes pensées

- Ne recommence pas avec ça ! hurla Franck, l'écume aux lèvres.

- Et voilà que tu recommences : ton cœur, fais gaffe à ton cœur. Écoute, Franckie, parlons franchement, entre hommes : tu n'as pas de femme, pas d'enfants, pas d'amis, pas d'emploi. On te regarde de travers, et tu n'as même pas le droit de te balader tranquillement dans la rue, pour reluquer les fesses des nanas, sans qu'on se méfie de toi comme de la peste la plus noire. Sois réaliste : je suis tout ce que tu as. Tous les soirs, je te divertis en te racontant des tas d'anecdotes, je te fais rire, tandis que Castel, lui, te fait chialer. Tu te rappelles quand je t'ai raconté l'histoire du type qui a trouvé l'amant de sa femme tout nu dans son armoire, et que celui-ci avait tellement eu peur qu'il s'était fait dessus ? Là, tu retrouves le sourire, ça me fait plaisir.

- Pourquoi est-ce que tu ne me laisse jamais parler ? Pourquoi est-ce que tu monopolises sans cesse la parole ?

- Franckie, tâche d'être cohérent, lui répondit l'homme d'un ton paternaliste. Tout à l'heure, tu refusais de m'adresser la parole ; et maintenant, tu te plains de ne pas pouvoir en placer une. Je n'y comprends rien.

A ce moment, il libéra le chat borgne de son emprise. Celui-ci sauta du canapé....et disparut.

- C'est comme pour ta mère, reprit le vieux monsieur, tu lui as toujours reproché de jacasser, de te crier dessus, alors qu'elle était plus placide qu'une plante verte, la pauvre femme.

Franck se raidit. De nouveau, il tendit la main vers le téléphone. Cette fois-ci, le visiteur sourit, mais d'une manière sardonique, invincible, fielleuse, irrésistible enfin.

- Tu n'aimes pas que je parle de ta mère, n'est-ce pas, Franckie ?

- Non.

- Et pourtant, le médecin légiste a trouvé deux gros morceaux de mie de pain, qui lui avaient obstrué la trachée. Et c'est toi qui les lui avait fourrés.

- C'est faux ! c'est toi qui essaie de me faire croire ça depuis que j'ai douze ans !

- Treize, Franckie, treize.

- Je t'emmerde ! Je ne suis pas coupable ; le docteur Castel me l'a dit. C'est toi qui m'accuses, toi qui ne me laisse pas vivre !

- Ton Castel est con comme la lune. Il ne verrait pas un ours brun sur la banquise. La vérité, c'est que tu détestais ta mère parce qu'elle assistait, sans rien faire, aux horreurs que te faisait subir ton père. Mais j'ai toujours trouvé que ta haine était excessive : que pouvait-elle faire, en réalité, quand son mari pouvait lui fracasser le crâne avec ses poings ? Pourquoi ne l'as tu pas tué, lui ?

- Je n'ai tué personne. Autrement, j'aurais été en prison. On aurait des preuves ; on me les aurait montrées.

- Que tu es bête ! Je me demande si tu es encore digne de mes visites. Allons, calme-toi, veux-tu ? Nous n'allons pas résoudre en une soirée une question que nous débattons depuis si longtemps. Tu avais à peine du poil au menton, à l'époque ; et moi, j'avais encore des cheveux. Tiens, veux-tu que je te raconte une histoire ? Je l'ai lue ce matin. Ça s'appelle : le médecin malgré lui. Ça colle avec ta situation, non ? Tu verras, tu verras, à la fin, si ces prétendus médecins ne sont autre choses que de fieffés charlatans.

- Cause toujours, répondit Franck. Il était épuisé ; au moins, le vieillard le divertirait. Il savait raconter des histoires ; sa voix avait quelque chose d'apaisant. Adieu Castel, adieu le monde entier. Il n'y avait plus que lui, et le vieux. Après tout, quelle importance ?

- COUPEZ ! hurla une voix impérieuse. C'était très bien, MA-GN-I-FIQUE ! Je crois que je viens de tourner la scène du siècle. Toi, dit-il en s'adressant à Blériot, alias Franck, tu as été formidable : un vrai fou, un demeuré. Et avec de l'émotion en plus ! Et toi, le vieux, quelle classe, quelle prestance !

Le réalisateur était fier de son travail. Quand le film sortit, un an plus tard, il fut descendu par la critique. Cette "vie d'un schizophrène" était absolument fantaisiste : les délires ne se passaient pas du tout comme ça. Quel était le con qui avait pu écrire un dialogue pareil ? Et cette histoire de meurtre, quelle épluchure, quelle banalité ! Non, le dialoguiste n'y connaissait rien. Une histoire d'ados, sans plus. Le corps médical tout entier était indigné. Leurs patients, eux, n'avaient pas vu le film.

hugofan

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Message  midnightrambler Ven 17 Avr 2015 - 15:57

Bonsoir,

Très intéressant ce petit texte pour faire passer quelques messages !
Et puis j'ai bien aimé cette forme d'autocritique au cas où certains lecteurs seraient eux-mêmes enclins à la critique !
L'écriture est souple, agréable et soignée. Bizarrement trois "s" manquent à la deuxième personne du singulier du présent de l'indicatif ...

Deux détails dans le même paragraphe (comme si celui-là, justement, avait été un peu plus difficile à écrire ...) :

"... il mettait la main dans ta culotte quand tu sortais de la douche ..." : porte-t-on une culotte pour prendre une douche ?

"Il caresse de ses doigts longs une vieille poterie qu'il a ... : en littérature comme en droit, possession vaut titre, s'il la caresse c'est qu'il l'a  ... on peut donc éviter cette espèce de hiatus en fin de proposition.

et puis : les doigts sont généralement longs, le préciser signifie qu'ils sont particulièrement longs, dès lors est-il nécessaire que deux personnages en soient dotés ?

Amicalement,
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Message  jeanloup Ven 24 Avr 2015 - 12:11

Autant j’ai bien aimé l’histoire. Cette voix tout d’abord, puis cette voix incarnée par un vieil homme dont on ne sait pas s’il existe ou s’il n’est qu’imagination m’a vraiment accroché, autant la fin m’a déçu. Quand on attend un dénouement à vous glacer le sang et qu’on vous dit : « Coupez ! la scène est terminé » C’est un peu décevant.

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Message  Pussicat Sam 25 Avr 2015 - 15:49

votre texte m'a fait penser à David Lynch, une ambiance..., pourtant mais il manque d'accidents, de rebondissements dans ce dialogue (un peu long) entre Franck et cette voix, ce "vieil "homme", aux allures de "bourgeois" dont on ne sait qui il est.

Je retiens des écarts de langage dans la forme comme ici :
"Franchement, si j'étais moins civilisé, je foutrais le camp, sans autre forme de procès."
langue soutenue : "Franchement, si j'étais moins civilisé (...) sans autre forme de procès."
et langue parlée : "je foutrais le camp," / je ficherais le camp...
ou encore:
"Nous n'allons pas résoudre en une soirée une question que nous débattons depuis si longtemps."
j'aurais écrit :
"Nous n'allons pas résoudre en une soirée une question dont nous débattons depuis si longtemps."
mais je peux me tromper...

la chute est brutale ; en six lignes un peu bâclées vous nous donnez la clé de ce texte... je suis un peu déçue, je m'attendais à une dérivation, ou à une boucle, ou Franck devant son thérapeute...
à bientôt de vous lire
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