Compassion
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Compassion
Sous un vieux foulard miteux, délavé, une femme me regarde, avec un sourire étrange où luisent deux dents en or. Sa peau est fripée, les yeux d'un gris pâle, énigmatiques, disparaissent sous des sourcils épais. On ne saurait deviner son âge ; elle ressemble à l'une de ses vieilles gargouilles, inquiétantes et sages, oubliées sur la façade d'une église. Un personnage antique, en somme, une présence mythique, effroyablement dérangeante.
Elle est assise à même le sol, en tailleur. Sur un petit cendrier aux couleurs criardes, quelques pièces rouges exhibent leur misérable insignifiance. "Bonjour camarade", lance-t-elle, au hasard, espérant toujours, ne renonçant jamais. Quelquefois, un sourire moqueur, malicieux, étire ses lèvres blêmes. Une futée, peut-être même une profiteuse.
En passant près d'elle, j'ai rougi. "Je n'ai rien", ai-je dit en balbutiant. Par un réflexe imbécile, j'ai tâté mes deux poches, pour lui montrer, lui faire savoir, que je ne mentais pas. Derrière moi, quelques mots roumains ont flotté dans l'air, un instant. Une menace ? Une insulte ? Impossible à deviner.
Dans le tram, sur le chemin de l'Université, ce sourire m'a hanté. Quelle pouvait être la vie de cette femme ? Avait-elle des rêves, un mari, des enfants, une caravane ? Oubliée, méprisée de tous, elle tentait de gagner sa vie. Pas meilleure, certainement pas pire qu'une autre. Quelques larmes rebelles ont envahi mes yeux, parce que le poète sait deviner mieux que personne la vie des parias. En quinze minutes, j'ai reconstruit l'existence fabuleuse de cette femme ; j'étais très fier d'avoir pleuré.
Et puis, à l'arrêt Saint-Eloi, j'ai revu Melissa. En reluquant son décolleté, le souvenir de la vieille roumaine s'est vite évaporé. J'aurais pu tout de même lui glisser une petite pièce. Mais dix centimes, franchement, que pouvait-elle faire de dix centimes ? Au moins, je lui avais témoigné de la compassion. C'était cela en somme qui comptait, la compassion.
Elle est assise à même le sol, en tailleur. Sur un petit cendrier aux couleurs criardes, quelques pièces rouges exhibent leur misérable insignifiance. "Bonjour camarade", lance-t-elle, au hasard, espérant toujours, ne renonçant jamais. Quelquefois, un sourire moqueur, malicieux, étire ses lèvres blêmes. Une futée, peut-être même une profiteuse.
En passant près d'elle, j'ai rougi. "Je n'ai rien", ai-je dit en balbutiant. Par un réflexe imbécile, j'ai tâté mes deux poches, pour lui montrer, lui faire savoir, que je ne mentais pas. Derrière moi, quelques mots roumains ont flotté dans l'air, un instant. Une menace ? Une insulte ? Impossible à deviner.
Dans le tram, sur le chemin de l'Université, ce sourire m'a hanté. Quelle pouvait être la vie de cette femme ? Avait-elle des rêves, un mari, des enfants, une caravane ? Oubliée, méprisée de tous, elle tentait de gagner sa vie. Pas meilleure, certainement pas pire qu'une autre. Quelques larmes rebelles ont envahi mes yeux, parce que le poète sait deviner mieux que personne la vie des parias. En quinze minutes, j'ai reconstruit l'existence fabuleuse de cette femme ; j'étais très fier d'avoir pleuré.
Et puis, à l'arrêt Saint-Eloi, j'ai revu Melissa. En reluquant son décolleté, le souvenir de la vieille roumaine s'est vite évaporé. J'aurais pu tout de même lui glisser une petite pièce. Mais dix centimes, franchement, que pouvait-elle faire de dix centimes ? Au moins, je lui avais témoigné de la compassion. C'était cela en somme qui comptait, la compassion.
hugofan- Nombre de messages : 86
Age : 33
Date d'inscription : 19/04/2009
Re: Compassion
j'aime bien le début, la construction visuelle, comme un tableau, une peinture.
après, ici :
Oubliée, méprisée de tous, elle tentait de gagner sa vie. Pas meilleure, certainement pas pire qu'une autre. Quelques larmes rebelles ont envahi mes yeux, parce que le poète sait deviner mieux que personne la vie des parias. En quinze minutes, j'ai reconstruit l'existence fabuleuse de cette femme ; j'étais très fier d'avoir pleuré.
pour le sens, je ne peux m'empêcher de mesurer votre tristesse
car heureusement, nos Cosette de la vie moderne reçoivent des subsides de solidarité, à faire pâlir de jalousie les héros d'Hugo ou de Sue
amitié,fp
après, ici :
Oubliée, méprisée de tous, elle tentait de gagner sa vie. Pas meilleure, certainement pas pire qu'une autre. Quelques larmes rebelles ont envahi mes yeux, parce que le poète sait deviner mieux que personne la vie des parias. En quinze minutes, j'ai reconstruit l'existence fabuleuse de cette femme ; j'étais très fier d'avoir pleuré.
pour le sens, je ne peux m'empêcher de mesurer votre tristesse
car heureusement, nos Cosette de la vie moderne reçoivent des subsides de solidarité, à faire pâlir de jalousie les héros d'Hugo ou de Sue
amitié,fp
Re: Compassion
Bonjour,
je vous remercie pour votre commentaire.
Je tiens juste à dire que le locuteur n'est ici nullement triste : c'est une compassion de surface
Il est en fait en très fier de lui-même (j'étais très fier d'avoir pleuré) et prétend avec suffisance
que le poète, contrairement aux autres, "sait" lire dans le regard des "parias".
Il pleure moins sur le sort de cette femme que sur l'histoire "fabuleuse" qu'il s'est créée en quelques secondes, à son sujet. Cette Cosette est donc davantage un faire-valoir pour le locuteur, qu'un sujet de "compassion".
je vous remercie pour votre commentaire.
Je tiens juste à dire que le locuteur n'est ici nullement triste : c'est une compassion de surface
Il est en fait en très fier de lui-même (j'étais très fier d'avoir pleuré) et prétend avec suffisance
que le poète, contrairement aux autres, "sait" lire dans le regard des "parias".
Il pleure moins sur le sort de cette femme que sur l'histoire "fabuleuse" qu'il s'est créée en quelques secondes, à son sujet. Cette Cosette est donc davantage un faire-valoir pour le locuteur, qu'un sujet de "compassion".
hugofan- Nombre de messages : 86
Age : 33
Date d'inscription : 19/04/2009
Re: Compassion
J’avais trouvé le texte bien écrit et la description jolie, mais le narrateur me paraissait sans intérêt.
Le commentaire de l’auteur, tout à coup le révèle et le rend passionnant.
Le commentaire de l’auteur, tout à coup le révèle et le rend passionnant.
jeanloup- Nombre de messages : 112
Age : 108
Localisation : choisy le roi
Date d'inscription : 23/03/2015
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