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Enfin une bonne nouvelle (14)

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Enfin une bonne nouvelle (14) Empty Enfin une bonne nouvelle (14)

Message  Frédéric Prunier Lun 27 Avr 2015 - 10:51

XIV






        Une fois payés la messe, les cercueils et les fossoyeurs, les Français ont été enterrés dignement. Leurs trois corps reposent à l’extrémité du cimetière, à l’endroit réservé aux inconnus.
  Yasmine n’est pas réapparue et depuis ce jour, du côté de chez Seb, je regarde instinctivement vers les entrepôts et les terrains vagues de la gare de triage, en espérant l’apercevoir.
  Cette fille est pour moi une énigme. Elle s’est abandonnée sans retenue dans mes bras et puis aussitôt après s’est volatilisée en me rejetant comme le pire des monstres. Je garde précieusement le souvenir de notre baiser, comment oublier.
  Dans ses bras j’étais bien, je n’avais pas peur. Qu’elle soit punk déjantée ou bohémienne, que je sois conscient ou dans le plus profond des sommeils, que mon quotidien soit sordide ou le mirage d’un mauvais rêve, l’émotion de cette étreinte a chamboulé mes certitudes, désarmé l’habitude, explosé tout le reste, elle ne me quittera plus, je la retrouverai.
  Je vais demander à Titou d’aller me chercher l’abbé. Ce dernier m’aidera, il connaît la faune des quartiers nord et tous les centres d’hébergement de la région. Je pourrais la contacter, lui confirmer qu’elle peut venir se recueillir chez moi. Je suis également et  profondément affecté par la mort de son enfant.
  Je n’ose plus regarder Janine. Je voudrais exprimer le déchirement que je ressens et lui dire que je l’aime toujours.

  Bientôt, le coursier m’apporte des nouvelles.
  Mon nouvel ami, l’abbé, a pris froid en veillant le corps de Zinedine. L’humidité glacée des murs de sa cellule monastique a eu raison de lui. Il se croyait assez fort pour se soigner sans remède mais son état s’est aggravé, jusqu’à totalement l’épuiser. Le médecin de l’abbaye a demandé son hospitalisation, ou au minimum qu’il accepte le confort d’une habitation moderne afin de se remettre rapidement sur pied. Le bonhomme est solide mais il n’est plus tout jeune.
  Je mets tout en œuvre pour qu’une chambre lui soit préparée à côté de la mienne. Maria s’occupera du malade avec l’application naturelle dont elle fait preuve en toute chose.
  Elle réchauffe le lit grâce à une bassinoire emplie de braises.
  L’abbé se glisse alors entre les draps tièdes et propres, il frissonne en remontant l’épaisse couverture et l’édredon de plume jusqu’à la moitié de son visage.
— Vous avez une bien sale tête.
— Je ne la vois pas.
  Maria lui tend un bol de bouillon.
— Si vous voulez que je vous soigne, il faut m’avaler ça.
  Le malade ne peut ingurgiter que quelques gorgées de liquide.
— C’est mon corps qui refuse.
  Ma bonne nounou repose alors le bol sur la petite table de chevet et borde le vieil homme comme une nourrice le ferait pour un enfant.
— Il y a ici une petite sonnette de table. Je ne ferme pas la porte de votre chambre, je l’entendrai.

  L’abbé est endormi. Je veille à côté de son lit.
  Il fait nuit noire, Maria entre à nouveau dans la chambre sans faire de bruit, elle effectue sa ronde nocturne et visite les chambres pour entretenir le feu.
  Agenouillée devant les flammes, elle prend le temps de se réchauffer les mains et s’amuse à regarder sa propre silhouette toute ronde qui projette des formes démesurées sur le plafond et les murs.
— Maria ?
  Elle se lève, s’approche du lit où dort l’abbé et lui pose une main sur le front.
— Il est endormi mais a encore de la fièvre.
Engourdi par la fatigue, je ne peux décoller la tête du haut dossier de mon fauteuil. La cuisinière parle à voix basse, tout à son rôle d’infirmière au chevet de son patient.
— N’allez pas attraper froid vous aussi.
  Elle remonte la couverture que j’ai sur les jambes et m’installe d’office un petit oreiller derrière la tête.
  Après avoir déposé une dernière bûche dans la cheminée, elle quitte la pièce en refermant doucement la porte.

  Je n’ai pas la force de bouger, paralysé dans le cocon de ma somnolence. J’écoute le crépitement du feu et observe, moi aussi, l’inquiétante lueur de l’exagération des ombres. Ma chambre doit ressembler à celle d’un hôpital et j’y suis peut-être devenu fou, enfermé à l’asile parce que je viens de tomber amoureux.
  Mon rêve est en demi-sommeil.

  Je revis pour la millième fois de suite l’épisode de ma rencontre avec Yasmine et l’instant où elle s’est jetée comme une furie au visage du maréchal-ferrant, le souffle empli de haine. Et puis je l’embrasse, elle se frotte contre moi, trempée de larmes, agitée de tremblements, bouillonnante de colère et d’envie.

  J’entends la respiration de l’abbé et le feu qui crépite.
  Mon corps est fourbu, il ne veut pas se soumettre à ma raison et je suis incapable de bouger, littéralement collé au fauteuil, comme si on m’y avait ligoté.
  Si j’avais du courage, je me lèverais pour aller chercher mon écritoire et profiterais du silence de la maison pour composer. Il est temps de signifier à Gaspard ce que je pense de la milice. Me comprendra-t-il ? Ou considère-t-il, lui aussi, que le parti national est le seul et unique moyen de lutter efficacement contre la délinquance et le pillage ?
  Je lui écrirai plus tard. Je suis de nouveau avec Yasmine.
  Elle est dans un squat et tente d’oublier les malheurs de sa vie. Je voudrais qu’elle quitte cet univers. Elle me repousse et s’enfuit avec des inconnus, des junkies du quartier, elle va se détruire.
  J’entends du bruit, c’est déjà le jour.


   En chemise de nuit et agenouillé sur le sol, l’abbé prie devant une petite croix accrochée au mur, à côté de son lit.
— Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous réveiller mais je ne connais pas les lames bruyantes de ce parquet de chambre.
— Le feu est éteint. Vous allez de nouveau attraper le mal.
— Mon état s’améliore puisque j’ai eu la force de me lever. Vous n’aviez pas besoin de me veiller toute la nuit, je ne suis pas à l’article de la mort.
— Je me suis tout bonnement assoupi.
  Le malade sourit de la situation mais une vilaine quinte de toux lui rappelle la réalité de son état.
— Ne criez pas victoire trop vite. Reposez-vous. Vous êtes blanc comme un linge.
  Sa faiblesse impose à l’abbé de suivre mon conseil.




*



 
       Depuis qu’il est parmi nous, la maisonnée toute entière est dévouée aux soins du vieil homme. Titou et le jardinier se chargent d’alimenter les cheminées en bois sec car on chauffe les pièces comme jamais auparavant. De son côté, Maria prépare des cataplasmes à la moutarde qui, nous assure-t-elle, ont fait depuis longtemps leurs preuves : elle tient cette recette de sa grand-mère qui la tenait elle aussi de son aïeule.

  En quelques jours, le bénéfice de ce traitement de douceur se fait ressentir. Les bronches de l’abbé restent encombrées mais il a maintenant la force de descendre à la cuisine où il apprécie la convivialité des bavardages et le quotidien des gens de la maison.
  Il est convenu que le malade restera ici le temps qu’il faudra. De toute façon, les températures viennent de chuter considérablement, à cause d’un vent du nord qui ne faiblit plus. Hors de question qu’il retourne supporter les conditions spartiates de son abbaye.

  Le soir, à la veillée, j’entreprends de le convertir au trictrac et au poker. Ma proposition l’a tout d’abord surpris mais pour me remercier de mon hospitalité et occuper le temps de sa convalescence, il s’est laissé convaincre, amusé par ma volonté de l’entraîner dans un univers de diablerie ludique.
  Nous devenons, au fil des parties, de plus en plus complices, apprenant l’un de l’autre. Je suis heureux de débaucher l’homme d’église et mon invité continue son étude de mon personnage. A-t-il connaissance de mes troublantes confusions d’époque ? Souhaite-t-il jouer les bons samaritains et me remettre sur les rails ?  
— L’abbé !... À vous de jouer.
— Je voudrais, moi aussi, savoir forcer le hasard mais ne comprends pas encore les tactiques que vous essayez de m’apprendre.
— Rassurez-vous, une erreur est souvent favorable au débutant.
— Favorable ou fatale. Vous êtes redoutable, je croyais avoir la partie gagnée alors que votre dernier lancé vient de ruiner mes espérances.
  Je place les dés devant mon adversaire. L’abbé tente sa chance.
— Ces jeux mélangent le calcul et les coups du sort. Nous pouvons contrôler certains paramètres, mais il y a la distribution des cartes et le hasard d’un coup de dés qui s’arrête sur la mauvaise case.
  Je mène la partie, l’abbé suit distraitement :
— Un double six et vous reprenez l’avantage.
— L’autre jour, si nous étions arrivés sur la petite place un instant plus tôt, notre présence aurait évité le pire.
  L’abbé garde ses cartes en main, hésitant à miser. Je l’incite à continuer, il secoue les dés sans relancer. La partie est facile, mon adversaire mélange tout et réfléchit à voix haute :
— Un brelan d’as ne suffit pas toujours. Pour chaque décision, le mauvais choix est possible.
  Sa dernière phrase me rappelle que les parcours sont parfois chaotiques. Je n’ai pas eu la chance de naître avec les dons de Mozart ni avec la superbe du chevalier de la Part-Dieu, chanter dans les karaokés n’est pas suffisant pour devenir l’idole des filles.  
  L’abbé lève les yeux vers moi pour mieux comprendre ce que je cherche à lui dire.
— Je voudrais rebattre les cartes et avoir le droit à une seconde chance.
  Mon jeu est sur la table, c’est à lui de parler.
— Ceux qui sont livrés à eux-mêmes vivent dans l’immédiat. S’ils n’obtiennent pas ce qu’ils veulent avec des mots, ils cognent, et quand ils ont froid ils scient un arbre. La majorité de ces laissés pour compte s’abrutissent dans la boisson ou font partie d’un gang, les plus virulents se convertissent à l’extrémisme, religieux ou politique, pourvu qu’ils aient des armes à la main. Je ne me fais pas trop d’illusion sur l’avenir de Zinedine. S’il avait survécu, entre la violence, l’alcool, la drogue ou l’extrémisme fanatique, le chemin est étroit.
— Le monde est injuste !
   L’abbé hoche la tête.
— On pourrait partager la planète en parts égales, il y aura toujours quelqu’un pour avancer plus vite que les autres, des jaloux, des dictateurs sanguinaires et des gamins avec une naissance plus compliquée que celle du voisin.
  Étalant devant moi son brelan d’as couplé à un excellent double six, mon adversaire continue, tout sourire, heureux de son coup :
— Il n’y a qu’un vainqueur et tous les autres sont des perdants. Le temps nous ballote d’un point à un autre, chaque individu a ses propres intérêts, les confrontations sont inévitables et imposer l’égalité aboutit à une uniformité aussi tyrannique que les injustices que l’on veut combattre. La solution miracle n’existe pas et n’existera jamais. Nous sommes simplement condamnés à vivre ensemble, tant bien que mal.

  L’abbé ne se préoccupe plus de moi et ce que j’entends me rappelle certaines discussions colorées, chez Seb, quand la bande des philosophes du bar expliquent à leur manière la différence entre un gamin né avec une cuiller en argent dans la bouche et son alter-ego qui doit se contenter d’une cuiller en bois autre part.
  L’homme d’église est poli, il emploie des phrases plus alambiquées et tout au moins plus politiquement correct mais le résultat est le même. Si je comprends correctement ce qu’il tente de m’expliquer, il ne peut y avoir qu’un premier de la classe.
  Aux infos, ils ont annoncé que 1% de la population mondiale possédait à elle seule la moitié des richesses de la planète.
  Gaspard a gagné au loto, Seb dort sur un matelas de billets de banque à force d’entourlouper ses clients. Moi aussi j’aime gagner et j’aime l’argent, quand j’en ai.
  L’abbé empile les jetons devant lui, je remplis nos verres d’une rasade d’eau de vie poire, son parfum est un délice.
— Je prendrai ma revanche demain et vous interdirai les discussions trop sérieuses, je n’ai rien vu venir.
Frédéric Prunier
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Enfin une bonne nouvelle (14) Empty Re: Enfin une bonne nouvelle (14)

Message  jeanloup Mer 6 Mai 2015 - 9:04

Ça se lit facilement. La relation entre l’abbé et Patrizio est plutôt sympathique. Je continue à lire l’histoire sans vraiment me projeter dans un siecle ou dans l’autre. Je me situe plutôt dans un pays imaginaire à une époque qui n’est ni le dix neuvième ni le vingt et unième mais un temps parallèle.


jeanloup

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