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Notte del Pipistrello

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Message  Gobu Dim 10 Mai 2015 - 18:11

NOTTE DEL PIPISTRELLO

Enycl :

- Pipistrelle (pipistrellus pipistrellus) : la pipistrelle est la plus petite des chauve-souris communes d’Europe. C’est un prédateur nocturne se nourrissant essentiellement d’insectes volants encore beaucoup plus petits.
- Lampe Pipistrello : la lampe Pipistrello est une création originale de l’architecte d’intérieur italienne Gae Aulenti (1927-2012) dont un exemplaire est exposé dans la plupart des musées d’art contemporain de la planète. On distingue une authentique lampe Pipistrello d’une vulgaire contrefaçon à son prix exorbitant.


   Ca c’est passé une nuit de fêtes de fin d’année. A Rome, où elles sont pour ainsi dire chez elles, au milieu des chapelles papales, des cloches de bronze ouvragées et des fontaines baroques à la vasque tapissée de menue monnaie pour soudoyer Dame Fortune. Ca c’est passé près de la Via Veneto, à Rome où nous étions pour ainsi dire chez nous, le Grand Migou et moi, au milieu des ragazzine en Vespa, des marchés aux voleurs et des taglioni alla carbonara. Une promiscuité qui en vaut bien une autre.

Mon cousin suisse nous avait véhiculé depuis le manoir de sa famille en Haute-Savoie avec le projet de festoyer en notre compagnie jusqu’à notre retour en région parisienne, mais il avait déclaré forfait au bout de vingt-quatre heures, scandalisé par l’anarchie du trafic automobile et rebuté par le standing pour le moins spartiate de la pension de famille où nous avions posé le sac. On est suisse ou on ne l’est pas. Il s’agissait pourtant d’un endroit des plus pittoresque. Le pensionnaire qui rentrait de java à point d’heure y pouvait surprendre, par la porte de la cuisine entrebâillée, le taulier et ses potes aux figures rêches de barbe taper le carton dans un brouillard de tabac bon marché, sur une table de bois ployant sous les bouteilles vides, des couteaux à cran d’arrêt plantés à la droite de chaque joueur. Un endroit où la taulière, une matrone emmaillotée de noir d’un bon quintal au menton plus duveteux que celui de son homme, veillait cependant au confort de ses hôtes au point d’avoir installé son propre poêle à charbon – la stuffa –  dans notre chambre et d’avoir superposé à nos couvertures de dodus édredons de plume. Même à Rome, les nuits d’hiver peuvent être froides.

Etre privés de voiture ne nous causait guère de soucis. Rouler à Rome, pour un non-résident, relève du parcours du combattant et de toutes façons, pour s’approprier une ville qu’on ne connaît pas, rien ne vaut une bonne paire de chaussures. Lorsque l’on passe devant le Colisée et que l’on gravit les marches de la Piazza di Spagna pour s’ouvrir l’appétit avant le petit dèje, il est plus agréable de le faire à l’allure nonchalante du piéton. Nous avions à peine vingt ans et suffisamment de jus dans les cannes pour user tout le pavé de la Ville Eternelle. Et assez d’appétit pour dévorer tout ce qu’elle nous offrait, depuis la majesté de ses monuments historiques jusqu’aux caniveaux encombrés d’ordures de ses rues populaires. Sans oublier naturellement les ovolini di buffala con bruschetta et le caffé macchiato du matin, la pizza bianca et le Lambrusco du déjeuner et les saltimbocca romana du dîner généreusement arrosées de Barolo.

Après l’expresso et la grappa de rigueur, nous avions l’intention de nous encanailler. Le patron de la trattoria où nous avions pris notre repas du soir s’était montré formel. Si nous recherchions l’aventure nocturne et les rencontres coquines, une seule destination : la Via Veneto et ses parages. Dans la journée, cette vaste artère aux boutiques clinquantes et aux débits de boisson surpeuplés ressemblait plutôt à une version locale des Champs-Elysées, une sorte de piège à touristes aux poches bien garnies, mais à la nuit tombée, l’endroit se métamorphosait en quartier chaud. Une fois baissés les rideaux de fer des boutiques et parqués en leurs hôtels les troupeaux de touristes dorés sur tranche, s’allumaient les enseignes des night-clubs, tandis que l’avenue se garnissait d’aguicheuses silhouettes féminines court vêtues arpentant le trottoir en se déhanchant sur d’inconfortables talons aiguilles, guettées par de furtifs chasseurs du crépuscule aux yeux enfiévrés, en quête de plaisirs mercenaires. Le restaurateur avait été formel : plutôt que d’aller chercher Fortune dans ces bastringues aux tarifs d’écorcheurs, nous aurions tout intérêt à enquiller une rue latérale, où l’on pouvait trouver des établissements offrant des prestations similaires, mais à des prix nettement plus attrayants. A condition, avait-il toutefois précisé, que nous ne soyons pas effarouchés si les lieux en question n’étaient pas des mieux famés. Mais nous avions l’air de gaillards n’ayant pas froid aux yeux et puis la vie, surtout à vingt ans, sans le frisson du risque, n’a guère plus de saveur qu’un ragoût sans piment ou qu’un cocktail sans alcool. L’aventure c’est l’aventure.

Elle commençait sitôt quittée la Via Veneto. En vérité elle commence dès qu’on a quitté le protecteur giron maternel, mais on dissimule cette vérité aux enfants pour ne les point traumatiser. Cela viendra bien assez tôt. L’aventure commençait avec la pénombre. Sur l’avenue, de maigres réverbères aux coupoles piquées de crasse entretenaient un jour blafard qui creusait les traits des passants et leur conférait le teint crayeux des créatures des ténèbres, mais à peine tourné le coin, c’est quasiment à la boussole qui fallait s’orienter. Heureusement, le ciel était serein et la pleine lune éclairait suffisamment la rue pour qu’on ne risque pas de percuter une poubelle ou le capot d’une des voitures garées à cheval sur le trottoir, tant était étroite la chaussée. Entre nos longues enjambées de grands marcheurs filait un chat famélique à la poursuite d’un rat presque aussi gros que lui, et nous tracions notre route avec une allégresse décuplée par le Barolo et la grappa du dîner. A nous deux, Ville Eternelle et tes plaisirs non moins éternels.

Notre boussole à l’aiguille frétillante s’était braquée sur la lueur vert fluo d’une enseigne lumineuse clignotant à une centaine de mètres du coin. Elle figurait une chauve-souris grossièrement stylisée à l’aide de tubes au néon et annonçait « Night Club Il Pipistrello » Va pour la pipistrelle, nocturne prédateur aux ailes de velours et aux crocs affamés, comme nous l’étions d’aventure. L’endroit était barricadé d’une lourde porte de bois à caissons, percée d’un judas grillagé. Un écriteau avertissait le chaland qu’on avait affaire à un club privé, mais le patron du restaurant nous avait rassurés : il ne s’agissait que d’une précaution juridique et ces clubs étaient en réalité tout aussi publics que les filles qui faisaient la retape sur l’avenue. Il fallait sonner pour s’annoncer. Le judas s’entrebâilla sur un regard noir et soupçonneux ; l’examen dut se révéler positif car la porte s’ouvrit. Derrière elle, une tenture de velours masquait un escalier qui s’enfonçait entre des moellons luisants d’humidité qui avaient dû voir passer les premiers chrétiens. A Rome, même quand les maisons sont récentes, les caves datent souvent de l’antiquité.

L’endroit, chichement éclairé, ressemblait à n’importe quelle boîte de nuit minable de n’importe quel quartier chaud européen ; on pouvait trouver sa copie conforme à Pigalle la parisienne, Soho la londonienne ou Sankt Pauli la hambourgeoise. Au centre de la salle s’étendait une petite piste de danse circulaire au dessus de laquelle tournoyait l’inévitable boule à facette. Seul un touriste asiatique au col largement dégrafé, visiblement fin saoul, y gesticulait pathétiquement. Dans la pénombre alentour se dressaient quelques tables garnies de photophores, et derrière le comptoir baignant dans une lueur sanguinolente, un barman en gilet noir à la coiffure afro trompait son ennui en astiquant un verre avec apathie. Cependant, à peine fûmes-nous assis qu’un serveur en veste de velours rouge surgi des ténèbres vint prendre notre commande. Vodka orange, double ration per favore. Apathie ou pas, nos verres arrivèrent sur la table en un temps record. L’alcool provenait sans aucun doute de l’alambic d’un contrebandier sicilien et aurait fait s’étrangler un cosaque mais au moins ils n’avaient pas pleuré la dose. Aucune importance : nous avions le gosier blindé et fermement l’intention de nous mettre minables. A peine torchée la première tournée, nous en commandâmes une autre.

C’est à ce moment qu’elle vint s’asseoir près de nous. Dans un recoin encore plus sombre de la salle, se tenaient trois jeunes filles assises autour d’une table ; l’obscurité empêchait de distinguer leurs traits, tout au plus pouvait-on se rendre compte qu’elles étaient semblablement vêtues de courtes robes noires dévoilant leurs longues jambes dénudées. Le look Chanel, ça fait toujours son petit effet. Un lourdaud en bras de chemise au col béant sur un tapis de poils lui fit signe de se lever et elle se dirigea vers nous d’une démarche ondoyante sensée évoquer les plaisirs qu’on pouvait espérer d’elle.

Bonjour, mon nom est Tracy, se présentait-elle d’une voix rauque de grande fumeuse. Sans doute s’appelait-elle Maria ou Claudia, comme toute romaine qui se respecte mais la mode était aux prénoms US. Va pour Tracy puisqu’il le faut. La tradition aurait voulu que nous lui offrions une coupe de prosecco vendue au prix du meilleur champagne, puis une autre et encore une autre jusqu’à épuisement de notre pécule, mais ne nous l’entendions pas de la sorte. Nous avions l’intention de jouer les affranchis et elle méritait mille fois que nous flirtions avec le danger. Une frange brune à la Louise brooks caressait ses sourcils arqués, dans ses prunelles violettes brasillait une flamme dorée et sa bouche fardée scintillait à la lueur du briquet avec lequel je lui offrais du feu, tandis qu’elle promenait sa langue sur ses lèvres avec une gourmandise professionnelle. La petite robe noire moulait ses formes succulentes et elle croisait haut ses cuisses pleines. Elle n’avait sans doute pas vingt ans ; elle était d’une beauté à fracasser le regard.

- Vous m’offrez une coupe de champagne ?
- Pas ici, ma belle. On connaît la combine, lui dis-je avec un grand sourire.

Ses sourcils s’écarquillèrent de surprise. Ca devait être la première fois qu’on lui interprétait ce numéro-là ; en général, le touriste en mal de compagnie la joue plutôt profil bas.

- Mais il faut commander quelque chose. Le patron va se fâcher si vous ne m’offrez rien.
- Ta ta ta. Je te dis qu’on ne nous la fait pas. A Paris, on fait ça tous les soirs. Par contre, si tu veux, on t’invite à prendre un verre après la fin de ton service. Dans le bar le plus chic de Rome, si ça te fait plaisir.
- Mais ce n’est pas possible, je vous dis. Je travaille ici. Si vous ne m’offrez pas une coupe de champagne, je vous assure que le patron il va se fâcher.
- Et après ? Il va pas nous tuer, quand même ?

Je voyais à la mimique crispée du Migou qu’il trouvait que j’y allais un peu fort, mais il ne pouvait faire autrement que m’emboîter le pas sur ce coup-là.

- Il a raison. Il va pas nous tuer, le patron, n’est-ce pas ?

Elle resta pensive un moment et articula d’un timbre voilé, en italien cette fois-ci :

- Voi siete della famiglia ?

Le Migou, qui avait passé plusieurs années dans le pays durant son adolescence, maîtrisait correctement la langue.

- Si si, bella, siamo della famiglia. E il mio fratello.

Perplexe, elle se leva et retourna vers celui qui nous l’avait envoyée.

- Pourquoi tu lui as dit qu’on était frères ?
- Ben pour le fun. Elle m’a demandé si on était de la même famille, non ?
- Euh, je crois que là t’as pas vraiment percuté, grand. Elle nous a pas demandé si on était de la même famille, mais de LA Famille, capisci ?

Ce qui, en Italie, a une signification tout à fait différente. Restait à savoir comment allait réagir la direction. A ma grande surprise, après qu’ils se furent chuchotés quelques propos à l’oreille, l’homme des tavernes la réexpédia à notre table comme on chasse une mouche importune, non sans qu’on nous ait porté une troisième tournée que nous nous expédiâmes cul sec. On ne sait jamais.

- Mais qu’est-ce que vous voulez, au juste ?

On y était. Son chaperon l’avait renvoyée au charbon pour nous tirer les vers du nez. Fallait la jouer fine.

- Nous ? On est venus à Rome pour faire la fiesta, pardi !
- Vous venez d’où ? Parigi ?
- Naturalmente. Parigi.
- Et vous faites quoi, dans la vie ?
- Disons…qu’on est dans les affaires.
- Bizness ?
- On peut dire ça comme ça. Bizness.

Encore un mot à double sens, dans le secteur. Visiblement, elle ne savait sur quel pied danser avec nous, la pauvre Tracy. Elle était plus accoutumée aux gogos américains ou japonais qui se laissaient plumer en roucoulant avec l’espoir de poser leurs pattes sur elle. Tu peux toujours rêver, mon petit pigeon, ici on peut se rincer l’œil, mais pas touche à la marchandise. Ou alors faut montrer patte blanche et étaler le grand jeu.

- Vous ne dansez pas ?

Après tout, c’était une boîte à entraîneuses. A défaut de nous faire cracher au bassinet pour des coupes de mousseux de kermesse qu’elle se serait empressée de vider en douce l’une après l’autre dans un palmier en pot, elle pouvait toujours nous pousser à la consommation en nous faisant cracher notre sueur sur la piste. Mais nous nous montrions intraitables.

- Tu rigoles ? Y a pas d’ambiance, dans cette taule. Et la musique, elle est nulle !

Là elle a froncé le sourcil et fait la moue, ce qui n’arrivait pas à l’enlaidir. La sono passait je ne sais quel crooner autochtone au timbre dégoulinant de sirop. Fallait pas débiner les gloires locales. Elle n’osait pas nous rembarrer, mais on voyait bien qu’elle en avait gros sous le corsage, au demeurant joliment rempli. D’un autre côté, elle n’avait pas l’air de nous trouver antipathiques. Nous avions le même âge qu’elle, l’air de se foutre de tout et d’avoir envie de rigoler, et je suis sûr que sans le cerbère au torse velu et les contraintes de ce sale boulot, nous n’aurions pas eu beaucoup de mal à l’embarquer en java avec nous. Mais ça n’était ni le bon endroit ni le bon soir. Brusquement, j’en ai eu ma claque de cette boîte minable et enfumée, de ses alcools frelatés, de sa musique de bastringue et de ses filles tenues en laisse par des demi-sels de bas quartier. J’avais envie de ciel nocturne étoilé et d’air pur.

- Allez, Grand, on met les voiles. J’en ai ras la gapette de cette turne.
- Vous partez déjà ? Vous me laissez tomber ? elle minaudait, Tracy.

J’ai pas pu résister à l’envie de la jouer mot d’auteur.

- Ouais, ma belle. On a besoin de changer d’atmosphère, et pour le moment, notre atmosphère, c’est toi.

La référence cinématographique a dû lui passer au dessus de la frange, et pourtant Dieu sait qu’elle avait une belle gueule d’atmosphère.

- Ciao, bella, alla revedere, et si t’as envie, tu peux nous retrouver plus tard au Gigi’s Bar. C’est juste derrière la Stazione Termini et c’est ouvert toute la nuit.

Elle a haussé les épaules, mais s’est quand même laissé faire la bise. Toujours ça de pris. Tandis que nous montions les marches vers la sortie, j’ai glissé au Migou :

- Gaffe, mon pote, j’ai comme le pressentiment qu’ils vont pas nous laisser filer comme ça.

En effet, des pas résonnaient dans l’escalier derrière nous, et quand nous débouchâmes à l’air libre, un comité de réception qui se tenait sur le trottoir d’en face traversa pour fermer le cercle de l’amitié. Ils étaient trois ; un bref coup d’œil en arrière en révéla le même nombre dans notre dos. On y était. Mais on s’en foutait : même pas peur. Et puis quand des lascars sont vraiment décidés à te faire ton affaire, ils attendent pas que t’aies eu le temps de réagir, c’est direct la charge de la horde sauvage. Celui qui paraissait être le chef s’avançait en roulant des mécaniques, mais il ne m’impressionnait guère, avec son imper mastic de gangster de cinoche et sa tignasse calamistrée de garçon  coiffeur napolitain.

- Momento, il faut payer, quand on consomme, signori.

Alors là, pas question de me laisser entuber. J’étais sûr et certain que nous avions laissé du fric sur la table avant de partir.

- Tu rigoles, mon pote ? On va pas casquer deux fois, faut pas rêver. Tu parles qu’on connaît la musique. A paris, tous nos potes font ça, alors basta cosi.
- Va fanculo !

Je pouvais pas laisser passer. Avec ce genre de terreurs, deux solutions : tu t’écrases et c’est la porte ouverte à toutes les déchéances ou alors tu réagis. Illico. Advienne que pourra, l’aventure c’est l’aventure, pas vrai ?

- Quoi, qu’est ce que t’as dit ? Répète-moi donc ça en français.

Là le mec m’a toisé, le regard en biais. Il a aussi maté le Migou et ce que lui a révélé le coup d’œil n’a pas eu l’air de le rassurer. Nous n’étions que deux, mais avec l’air d’en avoir quatre. Au moins. Avec nos casquettes dont s’échappaient nos longs cheveux, nos gueules aux traits durs et décidés et notre haute taille, nous ne devions guère avoir la mine avenante, surtout le Migou qui les dominait tous d’une bonne tête. Il a réitéré, mais avec moins de conviction.

- Va fanculo.

Je l’ai doucement chopé par l’épaule en le fixant bien droit dans les yeux.

- Je t’ai dit de me répéter ça en français.

C’est lui qui a craqué.

- Je sais pas comment on dit. Je parle pas francese.
- Mais si, tu parles très bien français. Ca se dit : va te faire enculer. Va te faire enculer toi-même, connard.

Il a plus rien dit. Les autres ne mouftaient pas non plus, tétanisés. Je me suis retourné vers le barman. Il n’en menait pas large sous son gilet noir, et malgré le froid, son visage ruisselait de sueur. Et puis je me suis dit qu’après tout, c’était peut-être vrai qu’on avait pas payé, va savoir, on avait plus les idées très claires, avec leur gnôle frelatée. J’ai marché vers le pauvre type en mettant la main sur le portefeuille dans ma veste.

- C’est toi qui dis qu’on a pas payé ?

Jamais vu un type se déballonner de la sorte. Me voyant faire, le Grand avait aussi mis la main à la poche intérieure du veston.

- Ah mais j’ai rien dit, moi.

Il a fait demi-tour sans demander son reste et dévalé l’escalier de la boîte. Les autres nous ont dévisagé un instant avec des chauves-souris dans la prunelle, mais j’avais pigé qu’ils pensaient dur comme fer qu’on avait la pogne sur le gun et on les a regardés sans broncher avec un sourire goguenard se débiner en bouclant la lourde sur eux.

- Bon, là, mon vieux Migou, faut filer fissa avant qu’ils se ressaisissent et aillent chercher l’artillerie.

On a piqué un cent mètres jusqu’à l’avenue, mais personne ne nous a emboîté le pas. Dans le taxi qu’on avait chopé Via Veneto, on a éclaté de rire en se tapant dans les mains. Comment on les avait feintés, ces baltringues, à la parisienne, mes gueux ! Tu parles qu’on s’en souviendra, de la nuit du Pipistrello.

Epilogue :

   Deux heures plus tard, après avoir remis ça au scotch dans une taverne d’artistes du Trastevere histoire de marquer le coup et décompresser, on s’est pointés à tout hagard au Gigi’s Bar avant de rentrer mettre la viande au torchon. L’endroit ne se trouvait qu’à quelques pas de notre pension. Crois-le ou pas, mais sagement assise à une table près du comptoir, dans un coquet manteau au col de lapin, nous attendait Tracy. Elle était loin d’être finie, la notte del pipistrello.

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