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Enfin une bonne nouvelle (16)

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Enfin une bonne nouvelle (16) Empty Enfin une bonne nouvelle (16)

Message  Frédéric Prunier Lun 11 Mai 2015 - 20:50

XVI






        À peine sortie du parc, Yasmine fait une pause et vomit ce qu’elle vient d’ingurgiter, me maudissant pour lui avoir constamment servi à boire.
 Cette journée a été malgré tout heureuse, pleine d’instants exceptionnels. Quand je pense que cette furie avait presque réussi à commander Maria en lui réclamant à tue-tête de la bière et du champagne. Une main sur sa bouche, je la suppliais de se taire car j’imaginais la terreur que devait éprouver ma pauvre cuisinière en écoutant nos cris. Pour se dégager, Yasmine me mordait à pleines dents, j’ai bien failli l’étouffer.

  Le vent est glacé. Ses vêtements sont imprégnés de l’odeur de ma chambre et ce parfum l’écœure. Elle doit penser que je me badigeonne comme une cocotte de la ville. Quoiqu’elle se marmonne et se persuade, elle a profité de moi autant que j’ai eu envie d’elle, sans aucun frein ni calcul, je le sais, son corps n’a pas pu mentir.

  Sur ce sentier qui évite la grand-route et monte à l’auberge, elle se hâte, serrant discrètement dans sa main le couteau qu’elle a toujours dans un repli d’une doublure de poche. Elle se répète que mes goûts sont trop classiques, que ma vie doit être aussi terne que mes vêtements et que je suis à l’image de cette société ringarde qu’elle exècre. Elle n’a pas pu avoir envie de moi ! Et non seulement je l’ai saoulée mais je dois aussi l’avoir droguée, ce n’est pas possible autrement…
  Ses pensées n’arrivent pas à m’effacer totalement, elle parle à voix haute, oscillant entre rire et colère. C’est décidé, elle portera plainte pour viol. Ce que j’ai fait pour la dépouille de Zinedine laisse toutefois penser que je suis un gentil, ou au moins, que je suis différent de l’autre, le dindon de Château-Rouge. Celui-là, elle voudrait recroiser son chemin avec Maximilien et quelques-uns de la bande, un jour de délire à la cocaïne.

  Les bras de Samir lui manquent. Il a des mains si larges, si calleuses, si puissantes. C’est une brute épaisse qui la soulève de terre aussi facilement qu’une brassée de feuilles et quand il la force, il peut lui faire mal, ce n’est que du bonheur. Lui, c’est un vrai mâle, elle n’a pas honte d’y être soumise. Combien de fois ont-ils bivouaqué dans des endroits sordides, puant comme deux animaux sauvages en hibernation dans un terrier. Le matin, au réveil, elle n’a jamais eu envie de s’enfuir. Cet homme est si fort, d’une force quasi-monstrueuse. Qu’il ait dépassé la cinquantaine n’a rien altéré de sa puissance et je ne lui arrive pas à la cheville.

  Elle avoue volontiers que Samir n’est pas toujours drôle, qu’il ne faut pas le chercher, mais tous les chauffeurs de la bande sont pareils. C’est obligé, sinon ils ne survivraient pas longtemps dans la jungle des squats, au milieu d’autant d’interlopes que de psychopathes.

  Voilà enfin l’auberge. La pièce principale où tout le monde s’entasse est, comme tous les soirs, saturée de fumée.
—  Tu travailles de nuit maintenant ?
  Celui qui lui a parlé, c’est Fleur-d’Épine, un des anciens. Il est attablé avec deux cadres du gang, Robillard et Ben Farsat, dit Beau-François.
  Ce dernier accompagne le passage de Yasmine d’un mouvement de bras, mimant une claque sur les fesses, sans oser toutefois la toucher. Fleur-d’Épine commente ce geste de toréador :
— Elle est plus chaude que la braise cette garce. Elle vaut tous les brûlots de la garde, j’te l’dis…
  S’adressant à Yasmine :
— Tu comptes trouver des clients à enjôler dehors alors que ça gèle à pierre fendre ?
  Yasmine répond du tac au tac :
—  La prochaine fois que tu brûleras une ferme, appelle-moi, je te montrerai mes talents d’allumeuse !

     Cette tablée, tous les commissariats de la banlieue nord en rêvent et si nos égorgeurs ne connaissent pas le nombre exact de leurs crimes, ils étonneraient toutefois plus d’un juge. Ce soir et tous les soirs, ils sont pleins comme des outres et continuent à boire.
  N’ayant aucune envie de rigoler avec cette bande de soudards, Yasmine les abandonne et se dirige vers l’escalier, pour monter se reposer à l’étage. Ce qu’elle a vécu aujourd’hui lui suffit. Un des hommes, assis sur les marches, lui dit au passage :
— Monte pas, Max t’appelle.
  Il accompagne ces mots d’un signe pour indiquer que l’ordre vient du chef. Elle fait demi-tour et traverse la pièce.
—  Tu viens de chez le musicien ?
—  Oui. Ça te gêne ? J’ai le droit d’aller prier dans la chapelle. Zinedine est là-bas et tu le sais. Il a plus de chance que son grand frère, lui, il se repose dans un endroit bien.
— Tu pourrais peut-être ramener quelque chose en souvenir. N’oublie pas qu’ici tu es nourrie logée.
Elle le regarde sans broncher.
—  Tu comptes jouer les souteneurs avec moi ?
  Il attend.
  Elle sort de sa besace le bougeoir qu’elle a pris en sortant de ma chambre et le pose sur la table.
—  Ça te suffit pour le loyer ?
Maximilien le soupèse.
—  C’est dans la chapelle ce truc ?
—  Dans la maison.
—  C’est pour ça que tu as prié là-bas toute la journée ?
— Toi, tu t’occupes de ta bande de crocheteurs et moi je m’occupe de mon cul, d’accord ?
— T’énerve pas. Je sais bien que ton cul est plus libre que ta tête. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui se trouve à l’intérieur de ce palais, pas la causette que tu peux faire avec le proprio. Ça fait partie du job.
Yasmine s’énerve.
— Tant que le corps de Zinedine sera chez lui, tu ne touches pas au musicien, tu m’entends ?
  Au calme de Max s’ajoute maintenant la froideur.
—  Je ne suis pas tout seul à décider. Certains des joyeux drilles que tu vois autour de nous savent que ce bougeoir a des petits frères. Quand mes croquemitaines flairent un morceau avec du gras autour, difficile de les convaincre qu’il est interdit d’en profiter.
  Yasmine reste aussi impassible que possible. Max veut la provoquer,  savoir ce qu’elle éprouve à mon égard :
—  Si tu veux rester avec nous, tu me décris la maison et les pièces que tu as visitées. Ton musicien fait partie de la liste de ceux qui doivent payer l’impôt. La révolution est à la frontière, ce n’est plus qu’une question de jours. Si tu ne veux pas participer à ce coup, tu pars maintenant et on se débrouillera sans toi, on sait faire.
  C’est lui le chef, lui qui définit les rôles. Pour la première fois, elle ressent l’obligation totale de s’y soumettre. Il attend sa réponse.
—  Alors ? Tu t’en occupes ?
 Tournant le dos, elle se dirige vers l’escalier et gravit les marches, jetant un dernier coup d’œil vers Max avant de disparaître. Leurs regards se croisent. Elle n’a pas bien le choix.

  Maximilien rejoint la table de Fleur-d’Épine.
  Ce dernier doit son étrange surnom à l’excentricité de ses fringues, un savant mélange de mode disco et d’Incroyable du Directoire. Ses vestes cintrées et ses chemises à jabot dénotent foncièrement avec son statut de tueur en série ou les accoutrements skinheads de Max et des autres. Mais notre homme cultive cette originalité vestimentaire comme preuve de sa bonne éducation, voulant apparaître pour ce qu’il est, c'est-à-dire un assassin pervers, sans pitié, enrubanné de savoir-vivre.  
— Demain, tu livreras chez Seb, à Glane. Il a payé.
  Fleur-d’Épine boit une gorgée de vin et répond :
— Lui, tu devrais éviter.
  Bien qu’il n’y ait dans la salle que des gens de la bande, ils se parlent sans hausser le ton, un vieux réflexe d’habitués des coups en douce.
— Si je ne dois vendre ma dope qu’aux gens honnêtes, mon commerce va être compliqué…
  Le gros Robillard intervient :
— Tu sais à qui il revend notre came ce fumier ?
— Oui… Yasmine m’a raconté son trafic avec les jumeaux du château. Je sais aussi l’histoire des trois Français qu’ils ont pendus.
— Et tu crois que ces enflures nous achètent de quoi bourrer le pif à leur armée de poulets dans le seul but de la faire défiler au milieu de la basse-cour de Château-Rouge les jours de fête ?
— Jusqu’à preuve du contraire, leur milice n’a pas encore les autorisations nécessaires pour jouer les tape-dur au grand jour. Quant au Seb, il bouffe à tous les râteliers mais on continue de lui vendre tout ce que l’on peut, pour l’instant. Les Français affrètent de vieux cargos et débarquent de plus en plus nombreux, alors un peu de patience, on pourra bientôt tout casser et profiter du bordel pour le liquider.
  Max a raison, c’est encore trop tôt. La bande ne peut pas se priver d’un fourgue de cette trempe, en tout cas pas pour l’instant. Le plus compliqué n’est pas de piller mais de revendre, discrètement, sans retour de bâton.




*





  Tout à cette pensée, en pénétrant dans le café pour effectuer sa livraison le lendemain matin, Fleur-d’Épine se retrouve nez à nez avec une tablée de gus déguisés à la mode commando. Cinq coupes de cheveux en brosses exhibent les brassards de la nouvelle société de surveillance de Benoît.
  Pavanant comme des coqs, les miliciens tout neufs sont enchantés de l’accueil du patron, ce dernier vient d’offrir sa tournée. Ils profitent de l’aubaine et beuglent à tue-tête qu’ils espèrent bouffer un peu de Français avant de rentrer à la base.

  Janine ne supporte pas cette clientèle nouvellement importée par Benoît et Jean-Marie, la trouvant trop radicalement politisée. Elle prétexte une course urgente pour s’éclipser et empoigne son sac à main posé derrière le comptoir, tout en lançant à son crétin de mari un regard d’une noirceur qui en dit long sur ce qu’elle pense de ses tournées du patron à répétition.
  Fleur-d’Épine lui tient galamment la porte ouverte pour la laisser passer et souhaite le bonjour à la cantonade, avant de comprendre exactement à qui il devra faire face.  

— Entrez ! Entrez ! Monsieur Fleur-d’Épine… Vous tombez bien, nous parlions de vous.
  Seb prend les devants. Il veut désamorcer la crainte du nouvel arrivant. Fleur-d’Épine s’avance vers le bar.
— Ah oui… Comment ça ?
  Le truand est déjà prêt à faire payer sa carcasse un bon prix et pose son bâton de marche sur une table. Il ôte lentement son manteau et observe instinctivement la disposition du lieu et de ses occupants.
  Aux cinq crétins s’ajoute le patron, qu’il fracassera en premier, juste pour lui faire payer sa traîtrise. Reposant la main sur sa canne, un gourdin en spirale lesté de plomb, il laisse malgré tout une chance à l’aubergiste de lui expliquer ce qu’il en retourne :
— Ces messieurs viennent du château pour chercher la farine que vous me livrez. Et je leur racontais, pour les faire patienter, vos exploits. Ils sont heureux d’apprendre que vous récupérez les marchandises volées et stockées dans les caves des immeubles dont vous avez la surveillance. Ils s’accordent à penser qu’existent encore, quoiqu’on en dise, de vrais patriotes, prêts à risquer leur vie pour notre cause.
  Fleur-d’Épine analyse chaque phrase du bistrotier avec la même finesse que celui qui les prononce. Rassuré, il enchaîne naturellement :
— Concierge a du bon, je n’ai que peu de mérite…

  L’ambiance se détend. Seb envoie un clin d’œil complice à la tablée tout en félicitant le truand. Il l’invite à enjoliver son conte de quelques détails croustillants :  
—  …Chapeau bas, Monsieur Fleur-d’Épine, chapeau bas... Nous avons grande hâte d’en savoir plus…
  Et Fleur-d’Épine s’assoit au bout de la table, à califourchon sur une chaise, les avant-bras posés sur le dossier.
  Il explique alors à son auditoire la façon dont il remet sur le droit chemin les petits caïds de son territoire, sans rien omettre de la cruauté dont il aime accompagner cette action moralisatrice. Son récit impressionne les novices bien que ce que décrit l’énergumène ne peut être que de la vantardise provocante. Les miliciens n’ont jamais entendu parler de ces décapitations d’infidèles dont Fleur-d’Épine se flatte et qu'il agrémente avec force de détails. Il ne peut exister de telles pratiques, c’est d’une autre époque, quand les villes se barricadaient à la nuit tombée, au moyen-âge ou dans l’antiquité la plus reculée…

  Au bout de quelques minutes, les fiers-à-bras du parti national seraient presque écœurés de l’évocation du sang. Le bistrotier, s’apercevant de leur gêne, adoucit quelque peu les propos de l’égorgeur.
— Sacré Fleur-d’Épine ! Quel talent de conteur, quelle imagination… Il faut toujours que vous en rajoutiez. Un jour, j’organiserai une veillée et vous inviterai à venir nous distraire de vos aventures les plus savoureuses. Revenant au motif de cette réunion matinale, il continue :
— Vos aides attendent près de la remise, je présume ? Dites-leur de pousser jusqu’ici pour une fois, nous transvaserons directement les sacs dans le fourgon de ces messieurs.  
  Une bouteille à la main, Seb fait signe aux gardes de vider leurs verres, et après avoir resservi une rasade, abandonne le reste de la bouteille en libre-service sur la table.
—  Et ça, c’est pour patienter pendant que notre petite transaction s’effectue.
  Le chef de groupe est aux anges.
— Vu le froid qu’il fait dehors, un petit remontant d’antigel ne se refuse pas.
  On rit de sa boutade et Seb lui tapote le dos.
— Si quelqu’un entre, servez-lui à boire et gardez-le moi au chaud jusqu’à ce que je revienne. Nous n’en avons pas pour longtemps.


  En le suivant au-dehors, Fleur-d’Épine est presque admiratif.
  Avec sa trogne d’ordinaire et son troquet perdu au milieu des usines, l’aubergiste bluffe tout son monde, c’est un sacré comédien. Dommage qu’il s’affiche aussi ouvertement avec les demeurés du parti, sinon, ils pourraient tous les deux, pense-t-il, former une belle équipe et devenir les meilleurs amis du monde.
  Malheureusement La politique ne fait jamais bon ménage avec le commerce, il faudra statuer sur son compte. Il en reparlera sérieusement avec Max et les autres.
Frédéric Prunier
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Enfin une bonne nouvelle (16) Empty Re: Enfin une bonne nouvelle (16)

Message  jeanloup Mer 13 Mai 2015 - 9:42

Toujours très agréable à lire. Je me suis bien habitué à cette ambiance particulière et je ne me pose plus de question, j’attends la suite tout simplement.

jeanloup

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