Matin sans concession

[Yali]

………Aujourd’hui le soleil balance de discrets rayons au travers des carreaux de la cuisine. Ce sont des rayons hyverneaux, palots, presque diaphanes, et nombre d’entre eux ont choisi de venir mourir ici, de venir s’éteindre chez moi donc. Assis derrière une tasse de café fumant, j’assiste au trépas de quelques uns : qui sur le bord d’évier, qui sur un coin de table, qui sur le tranchant d’un couteau, le rebondis d’une petite cuillère…
………J’en suis presque à me les compter, à dresser le bilan des décès lumineux afin de composer une oraison funèbre tout exprès pour chacun d’eux, quelque chose d’émouvant et qui sonnerait juste. Sauf que bien sûr, c’est impossible tant la cadence est élevée, tant les pertes défilent à grande vitesse : à celle de la lumière pour ainsi dire. Et pour ainsi dire, c’est triste de ne pouvoir honorer convenablement cette myriade de rais alors qu’ils se sont levés tôt ce matin, alors qu’ils ont parcouru quelque chose comme 149 597 870691 de kilomètres pour venir s’abîmer ici, entre toutes les cuisines de ce bas monde.
………C’est donc avec tristesse que j’avale mon café, un peu comme si d’un coup, je venais de perdre des milliards de frangins, tous plus brillants les uns que les autres, et que je réalisais ne pas avoir les moyens d’organiser leurs funérailles, aussi modestes soient-elles.
………Et mon humeur ne s’arrange pas lorsque je songe que demain j’en perdrai autant, le surlendemain : idem, et ainsi de suite jusqu’à l’été, jusqu’au jour le plus long où, c’est par centaines de milliards que ces frangins-là trépasseront, et que moi, toujours je serai sans moyen, toujours je serai dans l’incapacité de leur offrir une tombe avec dessus une belle épitaphe.
………Puis naturellement, me vient à l’idée de compter le nombre de tombes que cela ferait, si jamais par miracle, je m’enrichissais d’ici-là : un paquet, un gros paquet même. En réalité, il y en aurait tellement des tombes, que nul ne pourrait se mouvoir sans se heurter à une croix. Tenez, il est fort à parier même, que ma cuisine serait à ce point si encombrée que je ne pourrais trouver la place de poser une tasse de café, encore moins en trouver une pour m’asseoir et rêver dans la lumière du petit matin.
………Sur ce je me lève, abandonnant ma tristesse, délaissant mes pensées funèbres. Sur ce je gagne mon bureau pour, sourire aux lèvres, écrire un peu.
………« Inhumer les rayons du soleil », non mais, a-t-on jamais vu un homme concevoir une telle absurdité. Si ! Montrez-le moi que je le traite de fou.

[Invité]

Très jolie idée ! J'en ai aussi beaucoup aimé l'écriture, mais regrette la fin qui, je trouve, fait retomber dans la platitude (à partir de "Sur ce je gagne mon bureau")...

[Yali]

Très jolie idée ! J'en ai aussi beaucoup aimé l'écriture, mais regrette la fin qui, je trouve, fait retomber dans la platitude (à partir de "Sur ce je gagne mon bureau")...

Matin sans concession

Salut Socque,
je réponds rarement au commentaires, mais là, au vu des questions posées ici et là sur VE et relatives à « Comment fonctionne la journée de travail d’un auteur », je crois que cela pourrait peut-être servir — à quoi exactement, je n’en sais trop rien. En réalité, ce texte-ci, tout comme « C’est jour du poisson », n’est pas un texte, c’est-à-dire qu’il est plutôt une mise en tête : mise en bouche ; mise en main ? Lorsque j’écris du long, soit un roman, j’attaque ma journée par ce genre de chose, j’observe, lis l’actu, écris d’après observation pour retrouver les rouages de la veille, pour être dans la mécanique du geste, celle de la pensée, et seulement ensuite j’écris vraiment. Ce texte comme ses centaines de frangins, n’est que la corde à sauter du boxeur, l’apéro du dîner…
Ce peut-être long, ce peut-être court.
La veille j’écrivais :
"— Contre un petit bout de peau, je donnerais ma vie, elle a dit.
— Moi c’est le contraire, j’ai répondu.
On a fini au lit."

Tout ça pour dire, non pas que ce texte n’a pas d’ambition littéraire, mais qu’il est à reclasser dans le contexte : tour de chauffe.
Assez curieusement c’est ainsi que moi, j’identifie à coup sûr, les chapitres d’un roman.
C’est plus ou moins une sorte d’agenda, voilà.

[Alfosaure]

Eh bien, si ce texte est ton échauffement, qu'est-ce qu'il doit être bien ton roman!!
Moi aussi j'ai adoré l'idée. Cela semble surréaliste alors que c'est simplement le point de vue du narrateur qui est différent. J'apprécie très souvent ce procédé.
En plus, pour ne rien gâcher, le style est poétique mais fluide.
Chapeau!

[Tristan]

la fin, je trouve, fait retomber dans la platitude (à partir de "Sur ce je gagne mon bureau")...

Je ne trouve pas, j'aime bien cette autodérision qui vient rompre avec douceur le ton général

[Embruns]

Très sympathique ce texte ... !

[Lyra will]

J'ai bien aimé. La lumière est palpable, on les visualise bien tous ces rayons. J'aime particulièrement le premier paragraphe, belle énumération! "le rebondis" terme bien trouvé!

Sinon il y a une semaine j'écrivais dans un début de texte "fille lente comme une étoile, qui s'éteint à la vitesse de la lumière" On est pas loin, dans l'idée :0)

Bon, on attend le roman maintenant!

[claire]

le soleil balance de discrets
hyverneaux,
J’en suis presque à me les compter
tout exprès pour chacun d’eux,
vitesse : à celle de la lumière pour ainsi dire.
et que je réalisais ne pas avoir les moyens d’organiser
c’est par centaines de milliards que ces frangins-là
Tenez, il est fort à parier même,

J'ai plutôt aimé ce texte, bien, même parfois, bien bien, oui.
Tu permets que j'intervienne sur des mots ou des expressions qui me semblent heurter le rythme de tes phrases, du déroulement, qui cassent (un peu ou plus) la fluidité ?
"hivernaux", ça c'est pour l'ortho
"balance" donne bien du mouvement et de la rapidité, mais pas de la fulgurance et est trop lourd par rapport à "discrets", "rais de lumière" ...
"me" est de trop
"tout exprès pour chacun d'eux" a un très bon rythme + est musical
"à celle de (la lumière...)": le raccord avec ce qui précède marche mal.
"je réalisais ne pas avoir les moyens..." fonctionne mal, comme s'il y avait une mauvaise balance.
A la lecture je préfère sans "c'est .... que ..."
"Tenez" me semble superflu, dans la mesure où il apporte un changement de ton qui n'a pas de suite; le lecteur se sent apostrophé alors que le narrateur est dans un monologue.

J'espère ne pas te froisser par ces remarques qui évidemment n'engagent que ma lecture et je ne les ferais pas si je n'avais pas apprécié ton texte avec ce qu'il a de lancinant, de répétitif et de pointé sur le détail (re)transcrit. Voilà.

[à tchaoum]

Moi aussi, j'ai butté sur quelques formulations, mais ce texte me plait beaucoup dans sa spontanéité. Ce genre d'échauffement produit des surprises, même pour soi, et donne un matériau qu'il peut être intéressant de travailler ensuite (non que ce soit bâclé) mais par exemple (vu d'ma f'nêtre) faire des tombes avec des croix pour les rayons qui s'éteignent me semble le genre d'idée sur laquelle on glousse avec un pétard dans l'nez alors qu'en fait il y a là une grande et belle (et scabreuse ?) idée à creuser autour du parallèle mourir et s'éteindre.

à tchaoum
df

[Invité]

J'aime bien ce texte dont je sais qu'il est une épreuve vers quelque chose.
Littérairement, quelques inhabituels comme le "donc" inutile dans
C’est donc avec tristesse . La fin est à prendre comme on veut. Personnellement j'en suis froissé, car tu m'explique qu'en gobant ton histoire, je suis classifié dans la catégorie des dingues. Enfin, froissé d'un sourire.
Ah oui, ton texte transpire l'amitié, mais ça n'a rien à voir avec le texte proprement-dit. Nous ne connaissons en général rien des auteurs que nous lisons.

[bertrand-môgendre]

Tu as une fâcheuse tendance à répéter certains mots.
Exemples : …pour ainsi dire. Et pour ainsi dire. …toujours je serai…toujours je serai…. J’ai comme la sensation que tu souhaites enfoncer un clou, genre de pointe saillante perforant la semelle d’une chaussure qui blesserait notre ami sans qu’elle ne réussisse, pour autant, à titiller son ennui.
Remarque, de relever ces répétitives actions lancinantes m’amène à penser que tu as réussi à camper un personnage amorphe, lymphatique. Donc je veux corriger ma réaction primitive : ce n’est pas tant la formulation qui me gêne, mais l’individu lui-même. Ce monotone buveur de café ennuyeux. Ne serait-il pas en train de nous faire une super grosse déprime ?
Bref. Je ne l’aime pas ton mec triste, et si j’éprouve ce sentiment, c’est sûrement dû à un talent certain d’écrivain.

[Kilis]

Moi je l'aime beaucoup ce texte. Tel qu'il est là (hormis une faute d'ortho ou deux). Dans son écriture toute perso, je veux dire tellement propre au style de Yali. Je pourrais en lire des tomes de plusieurs tonnes sans me lasser jamais. C'est un univers qui est proposé là, un regard poétique, une réflexion originale.

[Yali]

Merci pour les diverses propositions de corrections, mais voyez-vous, si je les adoptais , il est fort à parier que toute particularité disparaîtrait de ce texte. Un style est une succession d’anomalies. Le style c’est l’inconvenance de la langue pas son contraire. À écrire comme il faudrait, on écrit comme tout le monde (hormis les fautes d’orthographe s’entend :-)

[claire]

À écrire comme il faudrait, (hormis les fautes d’orthographe s’entend :-)

Donc tu prends les remarques pour des prescriptions ??

[Yali]

À écrire comme il faudrait, (hormis les fautes d’orthographe s’entend :-)

Donc tu prends les remarques pour des prescriptions ??

Du tout, je raconte simplement pourquoi j'invalide les propositions. Ce qui pourrait nous entraîner dans un débat sur le style :-)

[apoutsiak]

Je vais oser contredire les précédents avis. Je trouve qu'à l'instar d'autres textes de ce site, le désir d'orginalité prime tant qu'il habille tout le texte. Derrière cet habillage (en lui-même réussi, je n'en disconviens pas) je ne lui trouve pas de saveur, de profondeur.

[claire]

À écrire comme il faudrait, on écrit comme tout le monde


Du tout, je raconte simplement pourquoi j'invalide les propositions. Ce qui pourrait nous entraîner dans un débat sur le style :-)

Why not?

Et pour là-haut, je ne comprends pas ce "à écrire comme il faudrait"; question: où trouves-tu qu'il faut écrire comme ça ou comme ça; pour ma part, je te donne des notes de lecture et je n'ai pas d'affirmation/vérité sur le style; je ne crois pas qu'il s'agisse d'un choix d'inconvenance, disons que là il faudrait préciser l'inconvenance dont tu fais état.

[mentor]

De la profondeur dans une écriture au ton léger, c'est comme ça que je ressens ce petit texte et ça me va bien ;-)

[Sahkti]

J'ai lu, ce n'est pas le Yali que je préfère et je me fiche du côté tour de chauffe ou non, le texte existe :-)
Au vu de ce qui a été dit avant dans les autres commentaires, je ne détaillerai pas davantage, pas utile :-)

[ninananere]

j'ai lu et j'ai aimé. Mais pareil que Sahkti, que puis-je ajouter, après ce qui a été écrit...?

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