La vocation ébranlée

[outretemps]

Dans ces années 50 insouciantes, les mômes couraient les rues à gambader cabris, à bondir crapauds crapules, copains d’école toujours contents, à se faire gonfler grandes jusqu’au nez les bulles des premiers bubble-gum Hollywood, que les gentils américains nous larguaient par pleines cargaisons.
Moi, endigué, tentaculé de partout, je me débattais dans la camisole familiale. C’était là, bulle autrement plus collante.

Dès le berceau je les avais senties toutes ces têtes soucieuses de la « belle famille », à la loupe sous la lampe, s’interroger, se pencher suspicieuses unanimes… Je les entendrai toujours, si tant fort elles pensaient, se demander comment qu’elles pourraient bien m’accommoder pour me faire le plus identique possible à leurs vues, éviter la trop grande dissemblance.
Ah, mais comme ça les avait très vite bien occupés tous, la fumeuse entreprise !

A les voir s’agiter dans leur moule, de tout satisfaits, comme d’eux-mêmes, ça me montrait que trop les carcans de vie qu’ils m’échafaudaient.
C’allait pas être du plus simple de me les grignoter, toutes ces laisses qu’ils me tricotaient dans leurs cerveaux. J’étais pas au bout de la peine, cerné comme j’étais par ces forcenés intentionnés, et leurs insistances à me tracer les directions !

C’était d’autant pas simple du tout, qu’on s’était assez rapidement rendu compte autour de moi, que j’étais porcelaine fragile pire que chinoise, et avec ça, petit foie, grosse tête, et guibolles baguettes bien trop, pour que j’échappe jamais. Voila comme j’étais à merci.

Ce qu’il leur avait dit, l’accoucheur, tout de suite, et bien d’autres depuis, c’est que le seul effort physique pourrait m’occire un jour, et que j’étais à ménager du manuel du plus qu’on pouvait, si on voulait m’éviter le bocal à formol prématuré.

Du côté du mental c’était pas moins pire.

Là, c’était la fontanelle qu’avait eu du mal à fermer. Forcément avec l’accouchement qu’on m’avait fait.
Des fers autour de la tête, pire que le Jésus, qu’ils m’avaient mis pour m’extirper.
Moi à m’accrocher, ovaires, trompes, tripes et boyaux, juste pour pas avoir à devenir, eux à me tirer sur la couronne du plus qu’ils pouvaient, c’étais pur miracle qu’ils m’aient sorti entier. Trois jours qu’il leur avait fallu à se relayer, pour me décoller de partout ! C’est dire mes résistances ! C’était donc, limite puzzle que j’en étais sorti de cette affaire, mais raccommodable tout à fait quand même. Il avait rassuré tout de suite, le médecin. Il avait ajouté néanmoins, après examen plus sérieux, avec raison sans doute, que pour ce qui était de l’intérieur, il garantissait pas vraiment, pour l’instant. Fallait voir venir.

Maintenant que j’allais sur mes onze ans, et qu’ils avaient bien vu venir tout, à en juger sur tronches, j’m’étais rattrapé que très moyen.

Bref, restait pas grand chose de bon à utiliser chez moi sans courir le risque extrême.
Moi, ça m’allait bien comme ça.
Les géniteurs, eux, c’était pas le même tabac :

Mon père, à la limite, se bilait pas trop. Il avait fait la guerre. Un souci de plus, ça lui varierait le cauchemar. Il voyait positif !

C’est du côté de ma vieille que ça coinçait surtout, vu que son obsession c’était de me faire un avenir. Ca la quittait pas.

- Qu’allons-nous devenir qu’elle arrêtait pas de miauler, qu’allons-nous devenir ?

Pour me caser, plus tard, ça laissait plus trop le choix, le cumul des handicaps faisant craindre sérieusement que je ne serais jamais que ce que j’étais déjà. Sans être pessimiste, c’était peu, très peu.
Toute une famille, par ma faute, sur trois générations et autant d’étages, à larmoyer, geindre, se tordre d’angoisse, fallait bien qu’un jour ça cesse.

A la surprise générale ce fut de ma mère que vint la bonne idée, un soir qu’elle s’était assoupie au salon, ayant oublié de couper « radio Vatican » après son rosaire de 20heures.

- Curé ! Curé ! Curé !!! qu’elle s’était mise à gueuler, éjectée de sa torpeur par la révélation. Bondissant dans la cuisine, alors que mon père, qu’était rentré plus tard ce soir-là pour cause d’ «arrosage de collègue », s’y trouvait, pile poil, entre deux louchées de potage, elle gueulait de plus belle :

- Curé, Curé, Curé !!!

Surpris total par la claironnade, mon vieux en avait giclé un kil de rouge complet sur la nappe.
C’était ma vieille qu’avait trouvé ! Alléluia, alléluia !

- Mais la bonne idée ! La bonne idée ! Qu’elle se gratulait elle-même, mais la bonne idée !

Comme électrisée, elle en avait secoué la table, soupière au plafond et s’était mise, sans plus se soucier que ça du dégât, à gigoter de long en large, exaltée, lumineuse, avec cette p’tite flamme sur la tête que je lui connaissais bien dans ses grands moments. Elle en litaniait toute sa sainte famille, qui du coup se faisait comme présente dans la cuisine pour la bonne nouvelle :

- Ernest, Camille, Alfred, Auguste, Gérard, Pierre, venez, venez, Fernande, Georgette, Louise, Berthe, Anna, Marthe, Laurette, venez, venez, j’ai trouvé : Un curé, on va en faire un curé du Michel!… Il est pas perdu complètement, j’ai l’emploi, j’ai l’emploi !

Pendant ce temps mon vieux pataugeait dans son potage à chercher ses lunettes qu’avaient giclé dans sa gamelle sous l’effet de la tornade.

- Nom de dieu, nom de dieu, Maria fait donc un peu attention, qu’il marmonnait tout en évitant soigneusement qu’elle entende , nom de dieu !
- Ahhh, c’est Monsieur le curé qui va être content ! Oh, mon dieu, Camille, Alfred, Antoine, j’ai trouvé !!!

Moi, j’étais pas dégoûté à l’avance, faut bien que je confesse.

Comme servant de messe, je les voyais s’éclater de suffisamment près les curés pour pas les plaindre trop. C’est qu’ils la tiraient plus que bien du jeu, leur aiguille, en ces temps bénits :
Et que j’te papouille à droite, et que j’ te magouille à gauche, à rien foutre jamais, et à mater en plus les femelles cochonneries à confesse, qu’elles en causaient pas le dixième à l’époux, à tout inventer, juste pour agiter la soutane ! Si c’était pas ça la belle vie…

Même les salades à déblatérer, ça m’faisait pas peur, à la vue de l’avantage. J’avais la causerie facile, alors les bobards à vie… Fond de commerce ? Inépuisable !

Pas un plan ça ?

C’était un plan effectivement et fameux encore. Vive ma vieille, vive ma vieille !
Le seul truc qu’empêchait le pied de se faire vraiment à la pompe, c’était qu’à toutes ces sornettes, j’y croyais plus trop.
A voir le curé lever son calice pour me dire stop à la première goutte de flotte versée et le baisser plus bas que terre pour surtout bien que j’lui rince jusqu’à la dernière la burette à vinasse, ç’avait eu vite fait de m’expliquer le Saint-Esprit et les trois quarts des miracles.

Mais toutes ces saintetés ne me tourmentèrent pas bien longtemps, car ma première pollution nocturne vint mettre très brutalement et définitivement fin à toute mes aspirations religieuses.

Non seulement j’avais désormais de quoi m’anesthésier les jours jusqu’à la fin de la vie, mais encore, pour l’éternité peut-être, le paradis… à portée de main.

[Invité]

Excellent ! J'aime beaucoup ce ton célinien, cette gouaille, cette jubilation visible de la langue... J'en veux encore !

...et bienvenue outretemps !

[Invité]

Ah oui, et le titre prend toute sa saveur quand on a lu le texte. Top !

[à tchaoum]

Outch !
Au début, je m'disais "tout d'même il peux faire attention, ça mérite la double négation ici ou là, merde !"
Et puis quand on fait mieux connaissance avec celui qui se raconte, ça se lit d'une traite, on regrette que ça s'arrête.

à tchaoum
df

[Yali]

Bienvenue Outretemps, j'ai pris beaucoup de plaisir à te lire et, qui plus est, ça m'a collé le sourire.

[Invité]

Vraiment chouette avec des formulations travaillées qui claquent même dans le tout court: Voila comme j’étais à merci.
Et au final le tout: humour et chapeau-bas. Il ne manque que des cédilles à ça en majuscules, mais c'est un problème mineur, que je rencontre personnellement depuis l'enfance.

[à tchaoum]

Il ne manque que des cédilles à ça en majuscules, mais c'est un problème mineur, que je rencontre personnellement depuis l'enfance.

Mais pisqueue jvoudis que Alt128 !!!

à tchaoum
df

[outretemps]

Il ne manque que des cédilles à ça en majuscules, mais c'est un problème mineur, que je rencontre personnellement depuis l'enfance.

Mais pisqueue jvoudis que Alt128
df

Pandaworks, qu'allez vous donc chercher là. D'abord, cette innocente virgule que vous mettez à l'index (droit, le pire qui soit), puis cette cédille qui vous allergise depuis le plus jeune âge...Que pourrait bien en penser ce cher Sigmund, si d'aventure...Que ce sont là des problèmes que l'on résoud pas par Alt 128? En toute sympathie :-)

[claire]

Outretemps, ça tape vite, haut et fort, du titre à la main finale; scotchée ébranlée à la lecture de ce texte; et puis la famille en prend pour son grade et les corbeaux et les femmes à confesse et... ah les bonnes gens!
Tu nous resservirais une nouvelle burette de ton cru si gouleyant ?

[Arielle]

Ah! L'avenir, l'avenir, Outretemps… Les lendemains qui chantent ou qui déjantent, elle avait bien raison ta mère de s'en soucier pour toi et te caser entre deux burettes n'était, somme toute, pas une si mauvaise idée mais tu as placé les tiennes sur un autre rayon que celui de la sacristie…Qu'importe le flacon après tout! En attendant le formol chacun choisit son vin de messe comme il peut et le tien ne semble pas avoir été trop triste. Je serais ravie de partager avec toi la prochaine rasade que tu nous en offriras.

[ninananere]

Pour ma part, je n'arrive pas à lire : les mots se heurtent les uns contre les autres. Ce n'est pas fluide, avec des "que", des phrases longues et alambiquées... Un écrit populaire qui ne coulent pas.
Tant pis, il semble que je suis la seule...

[outretemps]

Mais non, mais non vous n'êtes pas la seule et je comprends fort bien. Moi même des fois je m'afflige de pas écrire plus "coulé". Mais pour ça faut "le don", sans quoi, bonjour guimauve et moi je sais pas faire.

C'est vrai tout à fait qu'ils se heurtent mes mots, mais c'est parce qu'il y en a trop et qu'ils veulent tous se mettre sur la même ligne, et si posssible à la place l'un de l'autre, jamais contents.. A vouloir changer de lit tout le temps à espérer être mieux plus près de la fenêtre, puis à réclamer la chaleur du fourneau, comme dans "la vie est un hôpital" de Baudelaire. C'est ça le problème. Alors forcément, ça vire carnage fortement, et ça peut casser des oreilles et plus encore, comme dans la vie tout itou. Mais sans toutes ces tracasseries qu'ils me causent, mes mots, pour moi, écrire , ça serait perte de temps pure et ennui assuré pour ceux qui veulent bien lire. Cordialement

[Zou]

Un texte souriant mais dont le style trop almabiqué "alambiqué" à mon goût oblige à quelques contorsions de lecture qui nuisent à la fluidité de celle-ci.

[Zou]

Un texte souriant mais dont le style trop almabiqué "alambiqué" à mon goût oblige à quelques contorsions de lecture qui nuisent à la fluidité de celle-ci.

Voilà moins alambiqué de ma part. Au temps pour moi ;-)

[Invité]

Un texte souriant mais dont le style trop almabiqué "alambiqué" à mon goût oblige à quelques contorsions de lecture qui nuisent à la fluidité de celle-ci.

Voilà moins alambiqué de ma part. Au temps pour moi ;-)

Tu lambic trop Zou. Sinon le texte est pas mal sans qu'il constitue un véritable choc émotionnel, au regard des poèmes absolument abominables que je ne poste jamais sur Ve comme : "le sorbet des époux Courjaud" et autres.

[Invité]

Toutes mes excuses, le dernier commentaire de ma part touche bien sur le petit texte "morts-nés".

[claire]

Mais non, mais non vous n'êtes pas la seule et je comprends fort bien. Moi même des fois je m'afflige de pas écrire plus "coulé". Mais pour ça faut "le don", sans quoi, bonjour guimauve et moi je sais pas faire.

C'est vrai tout à fait qu'ils se heurtent mes mots, mais c'est parce qu'il y en a trop et qu'ils veulent tous se mettre sur la même ligne, et si posssible à la place l'un de l'autre, jamais contents.. A vouloir changer de lit tout le temps à espérer être mieux plus près de la fenêtre, puis à réclamer la chaleur du fourneau, comme dans "la vie est un hôpital" de Baudelaire. C'est ça le problème. Alors forcément, ça vire carnage fortement, et ça peut casser des oreilles et plus encore, comme dans la vie tout itou. Mais sans toutes ces tracasseries qu'ils me causent, mes mots, pour moi, écrire , ça serait perte de temps pure et ennui assuré pour ceux qui veulent bien lire. Cordialement

Pour moi, c'est une écriture nouvelle, granuleuse, elle granule, et je la salue comme telle, elle est pleine de copeaux et d'entailles, elle ne saigne pas forcément, elle force la lecture, elle prend dans un rythme à elle, elle n'est pas lisse, elle est du mouvement et d'une qualité indéniable dans son originalité et dans l'art de conter, de donner conjointement du corps aux corps et aux personnages et aux situations, tout ça agencé, pas n'importe comment et je ne sens pas la volonté (oh le vilain mot) de faire de l'effet ou d'en foutre plein la vue; c'est une écriture qui ne peut pas laisser indifférent et je la resalue comme qc. qu'on ne peut pas classer ou raccrocher à du déjà lu/écrit.

[Sahkti]

Peu de choses à ajouter à ce qui a été dit précédement, si ce n'est que j'ai beaucoup, vraiment, aimé ce texte, Outretemps. Il y a de l'humour, de la vivacité, une ironie certaine distillée à juste dose, un trait acéré sur nos contemporains et puis une fluidité dans l'écriture qui me plaît beaucoup. Bravo!

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