Ça cogne

[le pilou]

Alors pour commencer en ce moment j'écris des trucs bizarres sur le travail en collaboration interprofessionnelle. Des trucs pas marrants pour deux sous. Des machins qui triturent la cafetière, genre :

Ainsi il serait litigieux de souhaiter transposer, transgresser, transversaliser les pratiques d’une profession. Celle-ci s’exprime certes au travers d’une pensée disciplinaire mais aussi par une spécification de l’action. Au-delà du principe de l’agir qui nécessite le respect de règlements et d’usages, la pensée propre à une profession risquerait ainsi de se perdre dans une confusion des genres peut propice à l’élaboration d’un projet d’action collective tel que le projet thérapeutique. D’ailleurs, nous avons préalablement affirmé que l’élaboration d’une « action d’équipe de travail » efficace nécessitait une clarification des rôles en même temps que leur respect dans un processus de reconnaissance conjoint.

ou encore bien pire :

Mais ces représentations sociales concernent aussi les relations entre groupes et les représentations que chaque groupe va se faire de l'autre groupe. Ces groupes peuvent avoir des normes référentielles différentes et coexister sur un même territoire. De ces représentations inter-groupes vont découler un certain nombre de prises de position et de comportements. C’est par exemple le groupe infirmier et le groupe des non médicaux / non paramédicaux (psychologue, assistante sociale, etc.…). D’ailleurs, D. J. nous rappelle que l’intégration récente des concepts de culture et de représentations sociales dans le mode de la santé est lié « […] au besoin d’une approche pluridimensionnelle des phénomènes propres au monde de la santé » . L’objectif retenu étant alors, de favoriser « un décloisonnement des disciplines » . Nous rejoignons bien là le champ de notre recherche

[le pilou]

C'est pourquoi je préfère vous parler d'un gamin, un gamin que je connais bien. Un marmot nommé John Fat Unbreath.

CA COGNE

Samedi matin, tu te sens si mal
Demain tu oublieras tes rêves
Et tu penseras peut-être sans mal
A ces jours qui s’achèvent

Samedi matin éveille ses cris
Qui montent d’en dessous
Samedi matin étale ses soucis
Ses larmes et ses coups

Les portes claquent et attrapent
Tes cheveux qui traînent
Alors tu frappes, frappes
Frappes et dégaines

Samedi matin, John Unbreath soulève sa masse hors du lit, refuge de ses peurs d’enfant. John Unbreath c’est 11 ans de ras le bol et des espoirs en miettes. A 8 ans la maîtresse lui demanda : « que veux-tu faire de ta vie ? ». « Me barrer ! », s’entendit-il répondre. Elle réitéra avec prudence sa question en précisant : « oui mais comme métier, tu veux faire quoi John ? ». « Un truc où ça cogne, un truc où c’est moi qui dis ce qu’il faut faire ». John Unbreath 50 kilos, 140 cm épanche ses tracas sur la figure du premier qui le regarde de traviolle. Toujours en salopette cradingue, il reste souvent après les cours pour méditer ses actes. Rien ne peut l’en dissuader, il est toujours mieux là qu’à la maison où son ivrogne de père va encore sévir pour un rien. Wilson le patron du pub connaît bien ce type pour ses montées d’agressivité. D’ailleurs, il en est momentanément interdit de séjour. Résultat, le vieux bourrin se torche à domicile. Décidément John est bien, très bien à l’école, près d’une maîtresse qui sent le parfum, la tendresse et l’intelligence féminine. Enfin, il ne l’aurait pas dit comme cela mais il a compris une chose : plus il fera régner la terreur dans la cour et plus il pourra rester auprès d’elle, Mme Tellbird aux lunettes d’écaille et au sourire comme sur les photos de magazines.

Mais le samedi il n’y a pas école, il n’y a pas d’élèves qui vont le traiter de gros lard, il n’y a aucune baffe à donner mais un chargement de brimades et de beignes à recevoir sans partage. L’allée de Birthstreet résonne d’un petit transistor qui grésille toute sa friture sur un air de Bill Haley. Ce petit machin a été récupéré par l’audace d’une main déjà adroite dans la vitrine du seul magasin de produits électroménagers de Carstone. John Fat Unbreath a choisi ce petit bout de plastique gris car il était le seul à pouvoir entrer dans sa poche d’enfant. Désormais il a quelque chose à lui pour s’échapper, il aime Bill Haley, il aime aussi les ouvertures de Wagner, les rythmiques BeBop, les trucs quand ça cogne, que ça bûcheronne. Mais il apprécie pas trop les chanteuses d’opéra, c’est triste, c’est beau, ça lui rappelle sa mère.
Mais là c’est différent, c’est Bill Haley, c’est un Américain et les Américains ils sont forts. Alors John monte le volume, le potard à fond, il est bien, étalé comme une loutre repue au soleil sur son lit d’impertinence. Il se dit que ça doit être chouette l’Amérique avec ses rockers, ses boxers, ses one, two, three, four qui veulent enfin dire quelque chose. Ca doit être chouette cette Amérique de pop corn et d’actrices péroxydées. Ca doit être un truc terrible les cinémas où on est la tête à l’air. Ca doit être grand L’Amérique, il y aurait bien une place pour lui et sa salopette, sa chemise rapiécée et ses yeux qui regardent fixement la porte de la chambre. John n’a rien vu venir, le loquet a tourné si vite, John a oublié de fermer à clef. La gueule rouge vociférante, les émanations de mauvaises bières envahissent en un bond le petit univers. C’est une mauvaise blague, ça ne peut pas être vrai un truc pareil. En un mouvement, la main répugnante du vieux porc se saisit du minuscule transistor et le projette contre le mur. Bill Haley et ses comètes s’écrasent dans un dernier gargouillis, un gamin éclate en sanglots et parvient à éviter le coup de pied qui lui frôle la tronche. Puis la machine à pleurer interrompt sa production d’un coup sec. John déboule sa graisse, quatre à quatre dans les escaliers en hurlant : « fils de pute, j’te créverai, j’te créverai, j’te ferai bouffer la mort, salaud ! ». L’ivrogne tanguant sur ses quilles se vautre avant même d’avoir commencé la périlleuse descente derrière son fils. John se barre, loin, loin, il ira jusqu’en Amérique, il gagnera un million de dollars, il sera libre. Il verra enfin, il entendra enfin, il ressentira, il pourra toucher, vivre.

L’Amérique c’est loin et un tipi c’est parfois une cabane dans un terrain vague. John a tellement couru qu’il gerbe tout ce qu’il a dans le bide. Mais bon sang, c’est agréable un cœur qui tape vite, des muscles qui font mal. C’est bon de s’asseoir et de chialer comme un môme. C’est bon de prendre deux bâtons et de frapper, de cogner, « une – deux », « une - deux – trois », pour oublier. C’est bon de se venger en cadence sur un vieux tonneau et sur des bidons, c’est bon, oui, c’est si apaisant. Faire le vide, penser à un truc simple, un truc sympa, un truc américain, un truc de Bill Haley. En rythme, en rythme, en rythme, un jour, ouais un jour, je gagnerai, one ! Un million, two ! De dollars, three ! Parce que ça fait tellement du bien de cogner en rythme, four ! Quand je serai grand, je ferai un truc qui cogne, qui cogne en rythme. Quand je serai grand, je ferai un truc qui cogne, qui cogne en rythme…

[apoutsiak]

ça cogne, en effet, et je trouve que ça sonne encore plus juste que le précédent texte, moins d'effets spéciaux, plus uppercut direct, bravo. Les deux écrits me semblent tirés de romans (les as-tu écrits ?), car on n'est pas dans la nouvelle classique avec mystères et chutes surprises.

[le pilou]

C'est des petits personnages qui me trottent dans la tête, ils trottent trottent...

[mentor]

C'est des petits personnages qui me trottent dans la tête, ils trottent trottent...

oui, je me souviens du type qui se faisait virer comme un malpropre du pub lors de la lecture de ton premier texte, c'était donc ce père ivrogne
tout ça se tient bien et ton style est déjà assez affirmé
ce "gamin" est attachant, au demeurant
et donc s'il y a suite, je suis preneur ! ;-)

[Do]

chapeau bas....
j'étais à fond, j'ai vu un thelonious Monk surgir de ses cendres, Kenny Clark à la batterie dans un bebop déchainé.... sans parler bien sûr de Bill Haley l'endiablé... rien que ça! beau style en parfaite harmonie avec son sens...

merci...

[Krystelle]

Bon je passe sur les "trucs bizarres sur le travail en collaboration interprofessionnelle" parce qu'effectivement ça n'a pas d'intérêt pour les non-collaborateurs interprofessionnels :-)

Concernant le texte : le poème initial annonce mal la couleur, il est bien fade au regard de ce qui suit et n'apporte rien à la lecture.
Quelques redondances, notamment ce père violent que tu introduis à plusieurs reprises avec une insistance qui n'est pas utile (cf :
"son ivrogne de père va encore sévir pour un ", "connaît bien ce type pour ses montées d’agressivité", "le vieux bourrin se torche à domicile", "un chargement de brimades et de beignes à recevoir sans partage" etc...). Ces piqures de rappel sur la violence familiale sont d'autant moins utiles qu'il se dégage d'autres passages une véritable force suggestive.
La manière dont tu retraces les pensées ton jeune personnage est bien plus efficace que les quelques phrases descriptives dont je parlais plus haut.
Le mode de narration est, dans ce cas, pertinent, bien mené. Ce môme parvient à nous toucher et les répétitions finales martèlent le texte à coups de mots, à l'image des coups de bâtons.
Le passage au "je", n'était, à mon avis, pas nécessaire. Le glissement vers les pensées de ton personnage était implicite et n'avait pas besoin d'être matérialisé par un changement de narrateur.
Donc un bon texte de mon point de vue malgré quelques petites fragilités.

[le pilou]

En fait le plat poème est volontairement plat. Il doit avoir une musicalité simple, c'est un texte un peu comme dans Tommy des Who, l'opéra rock. Donc des paroles trés simples, voir enfantines.
En tout cas mille merci pour tes commentaires Chrystèle avec un K et deux L.

[Sahkti]

C'est vraiment superbe, fort et émotionnellement chargé.
J'aime comme tu amènes le propos avec quelques lignes poétiques qui peuvent égarer, avec un découpage du temps et de l'espace aussi; ça rend le tout visuel et palpable.
L'écriture est fluide, le style agréable; j'ai aimé la noirceur de la situation et le pathétisme teinté de révolte de ce garçon peu choyé par la vie. Il n'est pas vraiment attachant, pas d'empathie particulière pour lui, mais en même temps, y a un truc qui passe.

[Invité]

Oui-oui, validés, la rotation du potard tout ça... les sept samouraïs rock en culottes courtes sont en marche, et tout cela me plait.
On oscille entre fragilité et puissance. La violence du père un peu trop détaillée en effet, nous savons déjà que ton garnement est dans le genre plus fort.
Tout ça donne envie d'écouter la suite.

[maniak']

Comme les autres... J'aime beaucoup. Même si par moment je trouve que tu en fais un peu trop. En même temps c'est pas évident de trouver le juste équilibre quand on écrit en langage familier et je trouve que tu t'en sors plutôt bien. Tu as un gros potentiel en tous cas.

[claire]

2ème texte que je lis de toi, le pilou, là tu fais très fort; quelle tension avec ce gamin et dans ce gamin; tu nous mènes tour à tour dans lui et avec lui; on est dans la chambre, j'ai eu la trouille quand la porte s'est ouverte. Un très bon texte, super. (j'ai squeezé la première partie que j'avais déjà lue il y a quelques jours)

[Alfosaure]

Bravo!
Je n'ai rien à apporter de plus (j'ai cherché en vain un point négatif), sauf la satisfaction d'un lecteur supplémentaire.

[pierre-henri]

Le poème / la chanson (?) m'a bloqué.
Techniquement, le rythme se cherche et le lecteur ne trouve pas de solution entre une diction de chanson ou de poésie.
Les images ne me semblent pas assez fortes pour emporter l'esprit.
Bref, ça m'a coincé.
Tant pis pour moi.

[Loupbleu]

De petites remarques pour un texte que j'ai trouvé d'une très grande qualité !

Une réserve moi aussi sur la poésie qui ouvre (moins forte que la suite), et la description du père peut-être un petit peu trop chargée.

J'ai adoré le rythme, l'art de l'élision, l'information descriptive distillée habilement au cours du texte. Bref, beaucoup de savoirèfaire à mon sens pour se concentrer sur l'émotion qui est passé pour moi parfaitement bien.

Bref : globalement, j'ai beaucoup aimé ce texte, et lui ai trouvé de rares qualités !

[Invité]

On est complètement dedans, rien de superflu. Convaincant.

[marilyn]

succulent à souhait, comme un gâteau qu'on dévore, et qu'on en remande encore. C'est tellement bien écrit que j'avais plein d'images devant les yeux, l'écriture est fluide les mots sont forts. il n'a rien d'autre à dire. Simplement relire et relire et me dire, merde ! Jj'ai encore du travail à faire. On dit que la perfection n'existe pas mais là, chapeau bas. des amis à moi ont lu ton texte, et on eu le même avis. J'aimerai savoir est-ce que tu écris des romans ? Si ce n'est pas le cas tu devrai te lancer.

[le pilou]

Merci beaucoup mais j'ai des progrés tout plein à réaliser. Ca ne fait pas trés longtemps que j'écris. En tout cas tes (vos) encouragements me vont droit aucoeur. Grâce à vous je réalise un rêve déjà ancien. Enfin pour le moment j'ai plein d'idées mais pas beaucoup de temps pour les coucher sur papier virtuel. J'ai plusieurs dossiers à rendre, un oral, un mémoire (dur dur). mais je vous invite cordialement à lire mes autres textes (La génèse du plomb en fusion _ La millième _ leather and rubber (celui là est...un peu différent)).
Encore merci et à bientôt

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