Auto école 1955

[outretemps]

Printemps 55 :
Ca lui était tombé dessus , à mon vieux, un peu impromptu, quand Monsieur Bertrand, son patron un coup, l’avait arrêté dans la cour de l’usine,

-Dites moi, mon petit Justin, vous n’avez pas encore d’automobile que je sache ?

A quoi le petit Justin lui avait répondu que « Non, Monsieur le directeur » il n’avait pas encore d’automobile

-Et, ça vous plairait d’avoir une automobile, je suppose mon p’tit Justin.

- Ben….

-Vous savez combien il y en a de ces machines là sur tout le village ? qu’il lui fait alors

- Oh, je pense qu’il n’y en a pas beaucoup, si je compte bien il doit y avoir…la vôtre, celle de l’usine celle du Docteur

-Ah ! pas celle du médecin, il n’habite pas le village ! qu’il affirme alors, histoire de bien lui pointer la rareté du moyen de locomotion ! Puis devant la perplexité de Justin, il lâche :
Cherchez plus. Au village il y en a cinq en tout…. Eh bien, moi je vous propose d’être le sixième!
-C'est-à-dire que, …Monsieur le directeur…

-Tout ce que je veux c’est votre accord. Si vous acceptez, demain votre voiture sera là ! qu’il lui avait fait alors en lui montrant du doigt, le bas de l’escalier principal qui mène aux bâtiments de l'administratif.

-Mais… c’est que je n’ai pas de permis de conduire et que…

-le permis vous l’aurez en fin de semaine, début de la prochaine au plus tard, je vais voir…
Je vous libère pour la semaine et je mets mon chauffeur à votre disposition pour qu’il vous apprenne le rudiment.
Pour les manœuvres les plus délicates, vous aurez la cour de l’usine.

-Je ne sais quoi dire, cela est tellement … enfin je ne m’attendais pas…

-Alors c’est d’accord, on n’en parle plus, et il lui tend la main, c’est moi qui vous remercie, vous avez fait du bon travail, mon petit Justin . C’est une traction-avant, onze chevaux!

Mon vieux, ça l’avait un peu laissé rond de flan tout ça.

La moitié des terres du village et plus, appartenaient à l’usine dont une bonne partie en cités ouvrières à loger le personnel et quand il y avait du mérite à quelque niveau que ce fut, on savait arroser large.

C’était comme ça que ça marchait alors le travail, le paternalisme industriel.
Et c’est comme ça aussi, que le soir même de la discussion, mon vieux, histoire de se faire expliquer le fonctionnement automobile dans ce qu’il peut avoir de général, s’était fait ramener à la maison par le chauffeur du patron pour bien qu’il voit où étaient tous les boutons, à quoi ça pouvait bien servir, s’il fallait appuyer dessus ou les tourner ainsi que le sens dans lequel c’était le mieux..

Les trois jours suivants, comme lui avait dit de faire son patron, mon vieux avait tourné en rond dans la cour de l’usine avec toujours le chauffeur à portée de voix :

-Un peu plus à gauche, Monsieur Margot, Un peu moins à droite, Monsieur Margot !

Puis ils avaient disposé des bidons vides pour faire plus ring-ga-la-ran-ga-la, et pour éviter ennui et vertiges. Enfin ils avaient tenté la route.
Fin de semaine, c’était au volant de son auto que le Justin nous était revenu du boulot , parfaitement tout seul , nous déclarant qu’il passerait son permis, lundi matin.
C’était un copain à Bertrand, son patron, qui s’occuperait de ça.

Cela allait simplifier pas mal!
Le permis à cette époque là, c’était encore un peu comme la première communion, les invités en moins, l’effort en moins, suffisait d’avoir l’âge et de se présenter, pour être reçu!
Mais qui va t’amener à l’examen avait inquiété la vieille?, tout en touillant son omelette.

[outretemps]

-Ah bien je vais y aller avec l’auto. « Prenez la voiture, comme ça il verra mieux l’examinateur à quel point vous maitrisez » qu’il m’a dit Bertrand !
Tu peux m’accompagner, si tu veux Michel, je te fais un billet pour l’école. Ca t’apprendra la vie.

Pour ce qui était de m’apprendre la vie, ça m’en avait appris un bout.
C’était pas très loin pour aller, mais il avait fallu un certain temps quand même.

Arrivé à la hauteur d’un type planté au beau milieu de la route, à lui faire des grands signes de son chapeau, mon vieux sort sa flèche et se gare presque normal, une roue sur le trottoir.
Le gars vient vers nous :
- Bonjour, Monsieur Margot, enchanté ! Ahhh .., belle voiture une Citroen , pas mal ! Un peu trop d’enthousiasme dans le volant, mais, il s’est pas foutu de vous le Bertrand, Sacré Bertrand… Ha Ha Ha ….
-Comment va-t-il donc, le cher homme, toujours entre deux bonnes femmes, hein, je suppose… Ha Ha Ha ! Il m’a parlé de votre problème, venez donc, on va arranger ça !.. Entrons, il fait un peu frisquet pour moi là dehors!
On s’était retrouvé attablés dans le boui- boui carrelé de blanc avec plein de sciure par terre, dans laquelle tout le monde crachait sans vergogne. Y avait là dedans plein de bouchers, accoudés ou assis au bar, avec des tabliers blancs dégueulasses, à se bouffer, matinée à peine entamée, des viandasses à sanguinoler de partout

Ils amenaient, tous ces abatteurs dès tôt le matin, chacun son morceau choisi direct sur les victimes, emballé journal.
Puis, ils filaient le tout au cuistot qui préparait.
A peine s’il avait à réchauffer, le tôlier, tellement ça sortait tout chaud de la bête !
"Aux abattoirs » ça s’appelait, le troquet.
Difficile de trouver plus parlant !
Ca foutait une ambiance café, vinasse, barbaques, bidoches, boudins, à coller de ces gerbes !
Je trouvais bien curieuse l’idée de faire passer les permis dans ce rendez vous des abattoirs.
Il se trouvait simplement que les essayages de conduite se faisant à proximité des maisons d’abattage et qu’on avait trouvé bien pratique de faire passer les « oraux » des dites épreuves dans ce bistrot.

Moi devant mon diabolo je me sentais virer menthe aussi.
Comme colorié de l’intérieur, au fur que j’avalais.
Ca me nauséait complètement ces tripailles du matin à fumer casseroles, grasses à vous encoller coudes sur table et reluire plafonds brun-cigarette, jusqu’au fond des verres, assiettes et carafes collés.
Du côté de mon vieux et de l’examinateur ça gazait nettement mieux. Comme cul et chemise en moins d’une demi -heure .
Ils devaient en être à leur troisième jaune, et se tutoyaient à tire-larigot à se taper les cuisses et trinquer blagues sur blagues, quand l’examinateur, brusquement reprit sérieux :

-T'as regardé sous le cache, la roue de secours, des fois qu’il y ait rien dessous. J’ai déjà vu ça, des petits malins ? pense à vérifier Ha Ha Ha !
Pour l’ordre pratique, justement, tu sais je suppose , le cric, le frein à main, tout ça t’as compris aussi, le chauffeur a du t’expliquer.

Le démarreur n’a plus de mystères, qu’il rigole brusquement, sans quoi tu serais pas là ! Ha Ha Ha ! Un truc quand même chez les Citroen, des fois la flèche elle coince, faut taper un coup, ou alors tu sors le bras.
De l’autre côté c’est pas grave, tu coupes la route à personne, juste les vélos, mais la vitesse qu’ils vont, ça risque peccadille ! Ha, Ha, Ha !

-Bon allez je te signe tout ça et je te laisse. Un pour le préfet, un pour toi, eh Hop, t’as l’ bonjour d’Alfred !
Et maintenant, faut que je file. Le lundi, c’est jardinage ! Et ça, le potager, ça n’attend jamais, toujours quelque chose sur le feu… Comme ici les viandes, Ha Ha Ha… T’en fais pas du jardinage toi, hein, t’as pas une tête à ça !

- Tu sais, moi les outils qu’il répond mon vieux…

-Ah oui, l’exémas, l’allergie, le ciment…Ha Ha ha , il m’a raconté Bertrand, sacré vieux ! Le manuel, faut laisser ça aux spécialistes. Moi c’était Indochine, un peu partout, c’est toujours mieux que les pelles … Ha Ha.
Puis se baissant vers moi
- Allez salut mon bonhomme, qu’il me serre la paluche comme à un grand, et surveille ton papa quand il sera au volant. Il m’a semblé qu’il avait tendance un peu à trop rouler du côté du milieu. La peur du fossé sans doute. C’est très courant chez les débutants. Ha,Ha ,Ha.

[mentor]

"rouler du côté du milieu" j'aime beaucoup :-))))

En tout cas ça sonne le vrai tout ça, le vécu, j'ai tendance à y croire
Un peu trop, peut-être, d'expressions où "manquent" les articles, je trouve que Yali fait ça beaucoup mieux que toi parce que moins souvent ;-)
Toujours très pittoresque mais je redis que sur la longueur, un roman par exemple, ça me fatiguerait vite comme style.
Distillé comme ça par tableaux, ça me va bien !

[Sahkti]

Histoire amusante, avec une ambiance bien restituée, pas mal de drôlerie et puis il y a un air là-dedans qui sent bon le passé, la nostalgie, le terroir, que sais-je encore... bref, j'ai passé un bon moment.
Notamment parce que tu prends le temps de poser le tout, de manière moins speedée que dans d'autres textes.

[outretemps]

Merci Sahkti. Tu as raison sans aucun doute, d'autant qu'on m'a déjà fait la remarque, Mentor entre autres. Je crois que je vais couper les textes un peu plus court et faire dilué (un peu). Le problème c'est comment faire de la matière qui prenne, avec un "évèmementiel" aussi pauvre? Mais c'est vrai que moins touffu, ça peut pas nuire. Merci encore.

[Sahkti]

comment faire de la matière qui prenne, avec un "évèmementiel" aussi pauvre?

Tu y arrives très bien ici, donc c'est possible et c'est sans doute, à mes yeux (mais c'est perso) un exercice plus intéressant à accomplir que remplir de 1001 petites histoires pour en écrire une grande.

[outretemps]

Ben , on va toujours essayer. Merci encore pour les encouragements-:)

[Invité]

Puis ils avaient disposé des bidons vides pour faire plus ring-ga-la-ran-ga-la

original.

[maniak']

J'aime bien. C'est vivant et ça se lit comme on regarde un court-métrage. Le style "particulier" va bien sur ce format de texte à mon avis. Sur du long ça deviendrait gavant. Mais ça n'engage que moi bien sûr.

J'aime bien l'ambiance du bistrot.

[Jaguar]

J'ai beaucoup aimé, effectivement on est bien pris dans l'ambiance rurale d'époque, pas d'argot mais un phrasé bien plus simple

Juste une chose qui m'a un peu gêné : la manière dont tu présente le personnage principal, on croirait qu'il a 12-13 ans à tout casser, alors que vu la suite il en a forcément plus

Sinon, bravo

[outretemps]

Bonjour et merci pour ton commentaire, Jaguar.

Ce que tu me dis concernant l'âge, c'est ce qui me fait le plus plaisir. d'autant que personne n'avait fait la remarque.
J'écris quelque chose qui se passe alors que j'ai entre 8 et 10 ans. C'est la raison pour laquelle j'essaye d' écrire môme.C'est comme ça pour tout ce que j'ai gribouillé sur cette époque de ma vie. Merci d'avoir remarqué

[Jaguar]

Pas de quoi
Mais du coup j'avoue que je trouve ça un peu invraisemblable, le directeur d'usine qui offre une voiture à un gamin de 8-10 ans ! Surtout vu la rareté de la chose à l'époque...... (directeur pédophile? lol)

[maniak']

Il offre la caisse au père du gamin !

[Jaguar]

Je me sus demandé j'avoue, mais en lisant et relisant j'ai un gros doute quand même

[outretemps]

Si, Si Jaguar, maniak' a raison. D'ailleurs ça serait pas vraiment crédible.
Les vieux ils picolent et moi je bois mon diabolo. Au début,mon vieux me propose de m'emmener. Voila. A+

[claire]

Ben, c'est toujours du plaisir de te lire outretemps, c'est vrai que le style change ou a changé, quoi que dans la 2ème partie, ça repart quand même fissa dans les expressions qui dégomment, donc des alternances dans un même texte, c'est ça que je vois, pas une unité totale de style; on dirait que t'essaies autre chose, plutôt autrement.
Et pour la situation ou l'air qu'on y respire, ça sent vraiment les films français noir et blanc des années 50; y aurait pas Maurice Birot dans le coin?

[Jaguar]

Si, Si Jaguar, maniak' a raison. D'ailleurs ça serait pas vraiment crédible.
Les vieux ils picolent et moi je bois mon diabolo. Au début,mon vieux me propose de m'emmener. Voila. A+

Ouf lol
Dans ce cas là soit je suis un gros neuneu lent à la comprenette, soit le texte manque un peu de précision
Sinon bravo!! (ils me manquent les smileys, sur ce forum!!)

[outretemps]

Salut Claire et merci pour ta visite. c'est vrai que je merdois un peu du côté style, je sais pas trop. On m'a dit que c'était fatigant à la longue, alors j'essaie de diluer par endroits pour pouvoir remonter un petit coup après, mais bon. Tu trouve que c'est trop net les changements? Est-ce que ça dérange au niveau de la lecture?
Merci en tout cas de ta visite et très content de ton retour. Vous étiez tous partis en même temps. Vous aviez réservé un bus?-:)???

[claire]

Salut Claire et merci pour ta visite. c'est vrai que je merdois un peu du côté style, je sais pas trop. On m'a dit que c'était fatigant à la longue, alors j'essaie de diluer par endroits pour pouvoir remonter un petit coup après, mais bon. Tu trouve que c'est trop net les changements? Est-ce que ça dérange au niveau de la lecture?
Merci en tout cas de ta visite et très content de ton retour. Vous étiez tous partis en même temps. Vous aviez réservé un bus?-:)???

Outretemps, comme tu me causes direct et que j'aime ça, ça se bouscule alors au portillon pour répondre; d'abord, salut à toi, et joyeuse de te retrouver; ben on n'a pas dû prendre le même bus, parce qu'au terminus, j'ai retrouvé personne que je connaissais mais c'est vrai qu'on revient à l'heure où ... bref, c'est pas le momenbt.
Non, outretemps, je trouve pas que "ça merdoie" dans l'écriture", j'ai juste été surprise du côté plus .... (je cherche un mot) linéaire, plus lisse ou lissé de ton histoire; après y a les surgissements qui font que je m'accroche à tes textes pas comme un morpion mais comme au tableau de bord d'une citroën qui ferait des embardées (et j'aime le côté éruptif de ton écriture); pour moi, pas de souci, j'y vois des variations et peut-être comme je te disais plus haut une expérimentation d'écriture ; c'est compréhensible ce que j'écris là, j'ai un doute?

[outretemps]

français noir et blanc des années 50; y aurait pas Maurice Birot dans le coin?

Merci pour ta réponse! T'es tout à fait compréhensible. T'es même au possible perspicace vu que t'as deviné pour Birot alors que t'as pas l'âge pour ça..., ou alors t'étais excessivement vachement précoce.
En tout cas il y était, mais il a du nous quitter pour retrouver Zappy Max après son feuilleton: Ca va bouillir, c'était, je crois.
Comme quoi, il y a pas que les voyages en bus à pas être parfaits! Je vais sans doute bientôt en envoyer une autre, mais faut que je la choisisse et c'est pas simple, parce que pendant que Panda se promène et que toi tu vaques, eh bien moi j'ai noirci pas mal de papier. mais bon, faut que je trie!
...Allez bonne soirée Claire!

[claire]

français noir et blanc des années 50; y aurait pas Maurice Birot dans le coin?

En tout cas il y était, mais il a du nous quitter pour retrouver Zappy Max après son feuilleton: Ca va bouillir, c'était, je crois.

Outretemps, ya pas d'âge pour Birot !!
Zappy Max, je connais pas, alors, c'est daté (!?), donc je suis allée rapido jeté un oeil, t'as raison, un de ses feuilletons s'appelait "ça va bouillir"; on peut trouver des vidéos où il chante ( "mon scooter et moi", "faites-moi confiance"); ouais, en plein dans les années 50!! Bonne soirée à toi, outretemps.

[outretemps]

[quote="Jaguar"]

Si, Si Jaguar, maniak' a raison. D'ailleurs ça serait pas vraiment crédible.
Les vieux ils picolent et moi je bois mon diabolo. Au début,mon vieux me propose de m'emmener. Voila. A+

Ce qui t'as fait planter, je pense, c'est que le patron appelle mon père "Mon petit Justin!" , alors que bien sûr, il est adulte.
C'était très courant à l'époque, c'est ce qu'on appelait le "paternalisme industriel".

[Jaguar]

C'est exactement ça

[ninananere]

Celui-ci m'a plu. Oui.

[outretemps]

Celui-ci m'a plu. Oui.

Merci ninananère, surtout pour avoir persévéré, malgré les premiers qui ne t'avaient pas plu du tout! J'ai essayé de tenir compte un peu de tout ce qu'on m'a dit, pour fluidifier un peu. Merci, tu as témoigné là d'une belle patience.

[ninananere]

Non, j'ai juste tout naturel. Ils ne me plaisaient pas, non pas pour les histoires mais pour la façon dont c'était écrit. Celui-là, j'arrive à le lire, et c'est très agréable. Ce qui m'a plu, c'est le côté "populaire" mais juste ce qu'il faut (en comparaison avec tes textes précedents). J'ai lu un roman d'Ishiguro (si je ne me trompe pas) "Les vestiges du jour"où il est question d'un voyage en voiture ( entre autre...). Ton texte m'y a fait pensé, en nettement plus "populaire".

[apoutsiak]

Tu as bien fait de m'en causer tout à l'heure, Boutre tangue, parce que le présent texte me semble plus réussi, comme qui dirait en équilibre entre montagnes russes et vallons lorrains, entre petit porto entre amis et cuite de Cht'i, pas trop de zigzags de mots mais en même temps assez pour voir que t'as posé ta patte sur le macadam où qu'elle roule, la Citroën.

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