Grise mine.
+4
Zou
Sahkti
bertrand-môgendre
maniak'
8 participants
Page 1 sur 1
Grise mine.
- Oriel ! Je t’en foutrais moi des oriels ! Crétin ! Peut pas dire fenêtre ce snobinard ?
Bob leva les yeux sur la façade du bâtiment et observa la protubérance vitrée juste au-dessous du drapeau bleu blanc rouge. Y pouvait bien dire ce qu’y voudrait l’abruti galonné, son oriel c’était pas aut’chose qu’une fenêtre. Fallait pas le prendre pour un con non plus !
Il repoussa son calot en arrière et sortit une gitane maïs de sa poche de poitrine. La fumée acre lui irrita la gorge mais il l’aspira à pleins poumons. Crever de ça où d’autre chose… au point où il en était…
Après avoir traversé le hall, au mur duquel une carte du département était accrochée, il se dirigea vers l’escalier, négligeant l’ascenseur. Il était toujours monté à pieds, quelle ironie, et il n’allait pas changer ses habitudes aujourd’hui. Sous le regard étonné d’une secrétaire bon chic bon genre à la croupe rebondie, il attaqua péniblement l’ascension jusqu’au troisième étage et son fameux oriel.
Elle était pas mal la fille. En d’autres temps il lui aurait probablement souri. Peut-être même qu’il aurait été plus loin que ça. Il était plutôt joli garçon et avait toujours eu un certain succès auprès des femmes… Mais aujourd’hui il n’aurait pas la moindre chance. C’était en tous cas ce qu’il pensait. Et puis, de toutes façons, il n’en avait même pas envie.
Malgré toute sa volonté, il dût faire une pause au premier étage pour reprendre son souffle, puis au second. Quand, enfin, il déboucha sur le palier du troisième, il donnait l’impression d’en finir avec son premier triathlon. Et pas en haut du classement en plus. Dire que quelques mois seulement auparavant il aurait grimpé ça avec le sourire.
Les autres étaient déjà là. Ils attendaient, chacun dans son coin, évitant de croiser les regards, comme isolés les uns des autres par des bulles individuelles. Il préféra lui-même se tenir à distance en attendant le début de la cérémonie.
Le général arriva, accompagné de son aide de camps et, comme le voulait l’usage, ils le saluèrent, puis le suivirent dans la grande salle.
Ça sentait le propre là-dedans, la cire et l’encaustique. Le parquet rayonnait comme un soleil et lui, ça le mettait mal à l’aise. Comme si cette netteté, cette quasi perfection, n’était qu’un leurre visant à masquer ce qu’il vivait. Ce qu’ils vivaient tous.
Le général s’éclaircit la voix et prononça un nom. Un homme s’avança avec difficulté et resta là, immobile en avant des autres, pendant que l’officier supérieur attaquait son laïus.
Bob n’écoutait pas. Il espérait qu’il n’y en aurait pas pour trop longtemps. Il était fatigué et à bout de nerfs.
Quand enfin on l’appela, il salua tant bien que mal et essaya de rester digne. Le plus digne possible.
Il entendait sans l’écouter, le vieillard, sanglé dans son uniforme d’apparat, qui faisait l’éloge de ses états de services. Il faisait de son mieux pour ne pas céder à l’émotion. Rester stoïque, quoi qu’il en coûte. C’était ce qu’on lui avait appris après tout.
Et puis, son regard se posa sur son pied. Cette unique pompe, parfaitement cirée entre ses deux béquilles. Et il fondit en larmes.
Putain de mine...
Bob leva les yeux sur la façade du bâtiment et observa la protubérance vitrée juste au-dessous du drapeau bleu blanc rouge. Y pouvait bien dire ce qu’y voudrait l’abruti galonné, son oriel c’était pas aut’chose qu’une fenêtre. Fallait pas le prendre pour un con non plus !
Il repoussa son calot en arrière et sortit une gitane maïs de sa poche de poitrine. La fumée acre lui irrita la gorge mais il l’aspira à pleins poumons. Crever de ça où d’autre chose… au point où il en était…
Après avoir traversé le hall, au mur duquel une carte du département était accrochée, il se dirigea vers l’escalier, négligeant l’ascenseur. Il était toujours monté à pieds, quelle ironie, et il n’allait pas changer ses habitudes aujourd’hui. Sous le regard étonné d’une secrétaire bon chic bon genre à la croupe rebondie, il attaqua péniblement l’ascension jusqu’au troisième étage et son fameux oriel.
Elle était pas mal la fille. En d’autres temps il lui aurait probablement souri. Peut-être même qu’il aurait été plus loin que ça. Il était plutôt joli garçon et avait toujours eu un certain succès auprès des femmes… Mais aujourd’hui il n’aurait pas la moindre chance. C’était en tous cas ce qu’il pensait. Et puis, de toutes façons, il n’en avait même pas envie.
Malgré toute sa volonté, il dût faire une pause au premier étage pour reprendre son souffle, puis au second. Quand, enfin, il déboucha sur le palier du troisième, il donnait l’impression d’en finir avec son premier triathlon. Et pas en haut du classement en plus. Dire que quelques mois seulement auparavant il aurait grimpé ça avec le sourire.
Les autres étaient déjà là. Ils attendaient, chacun dans son coin, évitant de croiser les regards, comme isolés les uns des autres par des bulles individuelles. Il préféra lui-même se tenir à distance en attendant le début de la cérémonie.
Le général arriva, accompagné de son aide de camps et, comme le voulait l’usage, ils le saluèrent, puis le suivirent dans la grande salle.
Ça sentait le propre là-dedans, la cire et l’encaustique. Le parquet rayonnait comme un soleil et lui, ça le mettait mal à l’aise. Comme si cette netteté, cette quasi perfection, n’était qu’un leurre visant à masquer ce qu’il vivait. Ce qu’ils vivaient tous.
Le général s’éclaircit la voix et prononça un nom. Un homme s’avança avec difficulté et resta là, immobile en avant des autres, pendant que l’officier supérieur attaquait son laïus.
Bob n’écoutait pas. Il espérait qu’il n’y en aurait pas pour trop longtemps. Il était fatigué et à bout de nerfs.
Quand enfin on l’appela, il salua tant bien que mal et essaya de rester digne. Le plus digne possible.
Il entendait sans l’écouter, le vieillard, sanglé dans son uniforme d’apparat, qui faisait l’éloge de ses états de services. Il faisait de son mieux pour ne pas céder à l’émotion. Rester stoïque, quoi qu’il en coûte. C’était ce qu’on lui avait appris après tout.
Et puis, son regard se posa sur son pied. Cette unique pompe, parfaitement cirée entre ses deux béquilles. Et il fondit en larmes.
Putain de mine...
Re: Grise mine.
lu, apprécié car le titre et le sujet sont identiques au petit court tourné par le gamin Pablo pour son bac. Traité différement (car il touche des enfants), la conclusion est identique. Tout comme était identique le constat de Boris Vian (les fourmis) : déminons ces "saloperies".
Une question cependant maniak (pour revenir à ton texte) :
pourquoi cette cérémonie a-t-elle lieu si haut dans l'immeuble ?
Une question cependant maniak (pour revenir à ton texte) :
pourquoi cette cérémonie a-t-elle lieu si haut dans l'immeuble ?
bertrand-môgendre- Nombre de messages : 7526
Age : 104
Date d'inscription : 15/08/2007
Re: Grise mine.
Bonne question. C'était un jeu d'écriture et il fallait placer certains mots, dont oriel. Ensuite, ben je me suis dit que s'il y avait un ascenseur tout le monde pouvait y avoir accès... J'y ai pas pensé plus que ça en fait.
merci d'avoir lu.
merci d'avoir lu.
Re: Grise mine.
J'aime bien ton texte Maniak, fluide et bien écrit, agréable à lire, qui raconte une histoire triste et drôle à la fois.
J'apprécie notamment le fait que le chute ne serve pas de prétexte à tout le reste, le texte vit bien de lui-même et cette dernière phrase est là en guise d'explication et non de démonstration.
J'apprécie notamment le fait que le chute ne serve pas de prétexte à tout le reste, le texte vit bien de lui-même et cette dernière phrase est là en guise d'explication et non de démonstration.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Grise mine.
Je me souviens de cet exercice Maniak ! Je ne me rappelle même plus si j'y avais participé ou pas, tiens. Mais "oriel" ça marque, y pas à dire.
J'ai relu avec plaisir, suis toujours fan des textes à chute et le format 3000 + 10 %, je le trouve vachement confortable tant à l'écriture qu'à la lecture. Paresseuse, vous avez dit paresseuse ? ;-) Un bon souvenir.
J'ai relu avec plaisir, suis toujours fan des textes à chute et le format 3000 + 10 %, je le trouve vachement confortable tant à l'écriture qu'à la lecture. Paresseuse, vous avez dit paresseuse ? ;-) Un bon souvenir.
Zou- Nombre de messages : 5470
Age : 62
Localisation : Poupée nageuse n°165, Bergamini, Italie, 1950-1960
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Grise mine.
Et chapeau pour le titre, voilà que je le remarque !
Zou- Nombre de messages : 5470
Age : 62
Localisation : Poupée nageuse n°165, Bergamini, Italie, 1950-1960
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Grise mine.
Vois le commentaire de Sahkti, j'aurais dit cela en substance. Ou en deux mots : texte éclatant !
Re: Grise mine.
Apprécié bien entendu. Le gros ennui des textes à chute est que je le sens dès le premier quart. Pour les utilisateurs du genre, je demanderais de "dissimuler" mieux votre intention. L'écriture est fluide, le format aéré lui donne une qualité indéniable.
Invité- Invité
Re: Grise mine.
Merci pour vos coms. Pandaworks, t'es bien le premier à avoir anticipé la chute. Chapeau !
Sinon ce texte a au moins un mérite : celui de m'avoir appris ce qu'est un oriel.
Merci à tous de m'avoir lu.
Sinon ce texte a au moins un mérite : celui de m'avoir appris ce qu'est un oriel.
Merci à tous de m'avoir lu.
Re: Grise mine.
Je n'ai pas deviné la chute, j'ai ressenti le "creux" du texte à chute.
L'écriture ne se livre pas à fond, quelque chose est suspendu, incomplet.
C'est cela que je sens très rapidement.
L'écriture ne se livre pas à fond, quelque chose est suspendu, incomplet.
C'est cela que je sens très rapidement.
Invité- Invité
Re: Grise mine.
Un texte sobre, qui n'en dit ni trop, ni pas assez.
C'est efficace de mon point de vue et l'écriture est bien menée.
C'est efficace de mon point de vue et l'écriture est bien menée.
Re: Grise mine.
Terrible, bravo...
ninananere- Nombre de messages : 1010
Age : 48
Localisation : A droite en haut des marches
Date d'inscription : 14/03/2007
Re: Grise mine.
Excellent. D'autant que si on attend une chute, c'est pas celle qu'on attend qu'arrive. Moi je voyais plutôt un essouflé, un cancéreux pulmonaire, vu la cigarette qui fait malicieusement diversion. C'est nickel! D'autant que pour une fois c'est moins sportif et que moi les trucs trop physiques rien que pour lire, ça m'essouffle!
outretemps- Nombre de messages : 615
Age : 77
Date d'inscription : 19/01/2008
Re: Grise mine.
Merci à vous. Quant à la chute, la vérité c'est que, au début du texte je ne savais même pas où j'allais aterrir, alors j'imagine que le lecteur...
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
|
|