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Chroniques du Monde Souterrain 1 : Métro Flamenco

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Message  Gobu Sam 8 Mar 2008 - 14:53

METRO FLAMENCO


Première fois que je trouvais la station Panthéon déserte. Même après minuit. A part moi, il n’y avait de vivant que les gros rats qui filent entre les rails. Ils ne sont font jamais électrocuter ni écraser : on ne voit jamais de cadavres de rats sur les voies. Peut-être les SDF les mangent-ils ? J’avais relevé le col de mon grand pardessus gris souris. Une mauvaise bruine glacée avait détrempé mon feutre blanc à larges bords. J’ai allumé une cigarette pour faire venir la rame : c’est toujours quand tu veux t’en griller une qu’elle arrive. A l’époque on pouvait encore fumer pour tuer le temps, sur le quai tout au moins.

En aspirant la première bouffée, j’ai vu un autre voyageur, peureusement réfugié à l’autre bout du quai. Il était frileusement engoncé dans un imper mastic de blaireau, et un parapluie dégoulinant pendait au bout de son bras comme un corbeau passé à l’essoreuse. Il serrait entre ses pieds une serviette de cuir, de peur sans doute qu’un rat la lui dérobe pour en ronger le cuir. Le métro tardait, et je commençais à craindre de rater ma correspondance à Châtelet. La dernière. Ca chaloupait furieusement sous ma voûte crânienne, joyeux mix de fumée, de vapeurs d’alcool et de rythmique électrique. Chez ce bon vieux Olaf, les soirées swinguaient toujours. Surtout quand mon pote Whadee le Riffeur se joignait à la partie. Ce qui n’était, hélas pas le cas ce soir-là, sinon je n’aurais pas été forcé de prendre le RER pour retourner dans mes lointaines plaines de l’Ouest.

Le métro n’en finissait plus de tarder lorsqu’un nouveau s’est pointé sur le quai d’en face. Un costaud en blouson de peau, pas rasé de trois jours ou du matin seulement s’il avait le poil tonique. Ses longs cheveux noirs retombaient sur ses épaules, serrés par une casquette de marin à visière en cuir. Il sentait le gitano à plein nez, ce que ne contredisait pas la guitare qu’il portait en bandoulière. Son pas résonnait jusqu’à la voûte de béton ; il prit possession de son quai comme un suzerain de son fief. Ca allait chauffer. Pourvu que le métro tarde encore un peu.

Il a tardé et ça a chauffé. A peine en position, solidement campé sur ses deux jambes, torse cambré et la tête relevée en signe de défi aux puissances souterraines, il a fait voler en mille éclats de porcelaine la quiétude incertaine de la station, couvrant sans difficulté la soporifique bouillie musicale diffusée entre deux messages de service. D’une seule falseta acide et nerveuse, il a fait se lever sur nous le soleil noir du flamenco, éclore la lune de cuivre qui baigne les patios de Grenade au crépuscule, cascader sur nos têtes une pluie de météorites qui crépitaient au rythme de son razgueado saccadé. Quatre mesures hachées, mordantes, insidieuses, pour installer le tempo conquérant de la buleria, six un deux trois quatre cinq, et le pied martèle ce six inversé pour la syncope, six un deux trois quatre cinq, et que frappe dans ses mains le cercle imaginaire des danseurs que convoque sa frénésie, six un deux trois quatre cinq et que frétillent comme serpents de vif-argent les six cordes sous la délicieuse torture de ses doigts frénétiques.

Ses dents étincelaient de toutes les lames de tous les couteaux de tous les bas-fonds de la terre, et dans l’obsidienne de ses prunelles, entre paradis et enfer, dansait comme une flamme la plus jeune la plus souple et la plus cambrée des gitanas flamencas. Ca ne chauffait plus, ça brûlait et que tarde encore ce putain de métro, car la fantasmagorie de son jeu halluciné me replongeait dix ans en arrière, dans la moiteur de cette nuit de Valence, où j’avais joué deux heures, sur le banc d’un square, avec un prince d’Andalousie et sa princesse au regard de bitume liquide, pâles tous deux comme des revenants d’avoir depuis le crépuscule fait tournoyer les buveurs des bodegas, beaux tous deux de la beauté sauvage des éléments primitifs. La buleria n’en finissait pas de rouler et s’entortiller, peuplant l’air de la station de perles de musique qui éclataient comme des bulles d’harmonie contre les affiches publicitaires, et j’ai à mon tour tapé dans les mains, d’abord timidement, uniquement sur ce temps six qui donnait vie à toute la musique, puis sur les contretemps pour renforcer la saccade, et si mon pote Wahdee avait été là nous aurions fait crépiter les doubles croches en alternance comme une mitrailleuse, rythmique, et le guitariste, sans cesser de marteler son instrument, a hoché la tête en signe d’approbation.

Lorsqu’il cessa de jouer, dans un véritable bouquet final de chandelles ignées, l’air confiné de la station frémit plusieurs secondes encore du souvenir de ce feu d’artifice musical, et, après avoir applaudi sobrement, je n’ai pas trouvé autre chose à faire que retirer mon chapeau pour lui adresser le salut d’un disciple émerveillé face à un maître. Après avoir fait basculer sa guitare dans son dos, il daigna me gratifier d’un petit hochement de tête en signe de remerciement pour l’hommage. L’anecdote aurait pu en rester là si le petit blaireau en imper mastic n’avait pas eu l’idée saugrenue de plonger une main dans sa poche et de lui lancer, par-dessus les rails, une pièce de dix francs qui roula jusqu’entre les bottes de l’artiste. Que n’avait-il fait là ! Le gitan darda sur lui un regard fulgurant de tout le mépris de la terre, et lui cria d’une voix de stentor qui fit vibrer l’air tout autant que sa prestation enchantée qu’il ne se baisserait même pas pour ramasser sa méprisable obole, qu’il avait joué toute la soirée dans des cafés et bien gagné sa journée, et qu’il avait cette fois-ci joué uniquement pour le plaisir.

Alors j’ai d’un deuxième coup de chapeau salué ce seigneur.

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Message  Reginelle Sam 8 Mar 2008 - 15:06

Ah !!!!!!! et coup de "sombrero" pour moi aussi... et là, c'est l'andalouse qui parle !
J'ai beaucoup aimé... pour les quais du métro, pour ces "gratteurs de cordes" qui nous y enchantent, pour ces instants "hors du temps", pour le flamenco, pour les échos, les images...

J'y étais en plein !

merci !


(ps : juste ça à reprendre : Ils ne sont (se) font jamais... )
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Message  Gobu Sam 8 Mar 2008 - 15:46

Reginelle a écrit:Ah !!!!!!! et coup de "sombrero" pour moi aussi... et là, c'est l'andalouse qui parle !
J'ai beaucoup aimé... pour les quais du métro, pour ces "gratteurs de cordes" qui nous y enchantent, pour ces instants "hors du temps", pour le flamenco, pour les échos, les images...

J'y étais en plein !

merci !

(ps : juste ça à reprendre : Ils ne sont (se) font jamais...
Gracias à toi aussi.
Serais-tu andalouse ?
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Message  Arielle Sam 8 Mar 2008 - 15:55

J'ai adoré depuis "un parapluie dégoulinant pendait au bout de son bras comme un corbeau passé à l’essoreuse" jusqu'à ce " véritable bouquet final de chandelles ignées" en frémissant quand "il a fait voler en mille éclats de porcelaine la quiétude incertaine de la station" et "éclore la lune de cuivre qui baigne les patios de Grenade au crépuscule"
Tu me ferais presque regretter les métros de la capitale, engluée que je suis dans le sommeil paisible de ma campagne!
Un peu trop technique pour moi à certains moments mais il fallait ça pour qu'on sente, dans le narrateur, l'amateur véritable, celui qui sait de quoi il cause et qu'on sache ainsi qu'on n'a pas vibré pour rien ;-))

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Message  Invité Sam 8 Mar 2008 - 16:18

Olé. Je l'ai lu une fois dans l'ordre où il est écrit et une fois en six un deux trois quatre cinq. J'aime bien la réverb de station aussi.

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Message  Kash Prex Dim 9 Mar 2008 - 10:55

Beau texte, qui m'a rappelé une anecdote, un guitariste sur un quai de metro aussi... Et c'est vrai que certaines scènes sont magnifiques =). Il y a notamment un groupe qui joue sur la ligne 14 (à Bibliothèque François Mitterrand je crois), littéralement bouleversant...
Un belle force descriptive dans ce texte, des phrases qui touchent et qui sont bien formulées, bien construites. C'est technique c'est vrai, comme d'habitude venant de toi. Juste une remarque en début de texte :

...j’ai vu un autre voyageur, peureusement réfugié à l’autre bout du quai. Il était frileusement engoncé dans un imper mastic de blaireau...
Je trouve que ça fait répétitif sur la forme, en tout cas à la lecture ça m'a paru lourd.

Mais globalement j'ai aimé =)
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Message  Reginelle Dim 9 Mar 2008 - 11:22

Gobu a écrit:Gracias à toi aussi.
Serais-tu andalouse ?
Mon père était d'Alfacar, un village à une vingtaine de kilomètres de Grenade, à flanc de la Sierra Nevada. Ma mère de Grenade même...

Oui, andalouse d'origine ! Alors, ton flamenco... il a vibré de toutes ses cordes !
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Message  bertrand-môgendre Lun 10 Mar 2008 - 19:59

au commencement, c'était pas du gobu, pur jus.
Phrases courtes, hachées menues, respectueuses du décor à planter, ou des consignes à respecter (près d'une voie férrée, remarque...c'est un peu normal...(pardon)).
Et puis tu plantes cette phrase
Il a tardé et ça a chauffé.
Et à partir de ce moment je t'ai reconnu.
ça s'en va et ça revient, c'est fait de tout petits riens, mais c'est bien (j'ai une musique dans la tête, terrible à s'en défaire).
Merci pour ce moment.
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Message  ninananere Mar 11 Mar 2008 - 10:55

Moi aussi j'incline mon chapeau... comme d'hab'...
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Message  Sahkti Jeu 13 Mar 2008 - 10:10

serviette de cuir, ronger le cuir: on remarque la répétition de cuir, mais c'est un détail :-)

Le passage dans lequel tu parles de l'explosion des notes musicales ("il a fait voler en mille éclats, etc) me paraît un brin trop lyrique, trop chargé. Il y a quelques phrases très longues, presque trop.
Je suis moins séduite par ce texte en raison de cette surcharge et uniquement pour cela. L'idée me plaît, c'est une scène de vie qui est belle mais j'aurais préféré davantage de sobriété. Question de goût, bien sûr.
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Message  mentor Sam 15 Mar 2008 - 18:13

Pas eu souvent l'occasion de fréquenter le métro parisien, mais celui de Caracas est identique, je m'y suis retrouvé, c'est clair, l'ambiance, tout, ce texte est très fort
même si parfois quelques longueurs apparaissent, il se lit bien et j'irais jusqu'à dire que je l'ai trouvé passionnant autant que passionné
chapeau itou sieur Gobu

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Message  Numériplume Lun 17 Mar 2008 - 12:31

C’est superbe, tu sais créer une ambiance et nous faire plonger dedans. J’avais l’impression d’être sur le quai moi aussi.
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Message  Charles Lun 17 Mar 2008 - 12:38

Tout comme l'a déjà fait Nina, Mentor ... Chapeau !

Belles qualités d'écriture, on y est, on l'entend, on le vit ... et avec un grand plaisir
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Message  apoutsiak Lun 17 Mar 2008 - 12:46

.

Je suis aussi d'accord sur le fait que ta voix ne s'entend pas tout de suite, mais quand l'air commence à chauffer. Avant ce moment, le style manque un peu de chien, mais après... tout a été dit avant moi. J'entendais même Birely Lagrène, c'est dire...

.
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Message  apoutsiak Lun 17 Mar 2008 - 12:48

Je sais, c'est une référence manouche, mais c'est la correspondance de ton texte avec mon univers musical.
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Message  silene82 Dim 14 Juin 2009 - 17:41

Vaya puto texto! Bravissimo!
Et c'est vrai que sous les voûtes du métro, on a un sustain d'enfer.
Ton texte, c'est un régal. Comme celui sur Bernard Allison. Comme celui sur Miller. Mais bordel, comment t'as fait pour rencontrer tous ces mecs? On a a peu près le même âge, j'ai pas d'aussi beaux souvenirs, en tous cas musicaux. Bon, je déconne, j'en ai. Sur Baden-Powell. Sur John Lewis. Il va falloir que je les écrive.
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