Jo Mendes, un autre extrait.

[maniak']

Paoli.

La Citroën était stationnée dans l’impasse depuis bientôt une heure. Il était presque minuit. Pierre-Jean Paoli, les mains crispées sur le volant, essayait de résister à l’envie de fumer qui le tenaillait. Assis à ses cotés, Albert Maurice se trémoussait nerveusement. C’était un grand type maigre d’une trentaine d’années au crâne prématurément dégarni, au nez fort et busqué. A l’arrière, François Gamez essayait de se détendre. Les yeux fermés, les mains enfoncées dans les poches de sa veste sombre, il appuyait sa tête au dossier du siège, l’esprit vide.

- T’arrêtes de remuer ton cul oui ?

Paoli s’était tourné vers Maurice, l’air mauvais. Les manches de sa chemise bleu clair étaient retroussées sur ses avant-bras massifs comme des jambons. Un rictus nerveux étirait ses lèvres minces, quasiment inexistantes.

- A force de secouer la bagnole tu vas nous faire repérer.

- Excuse-moi, j’sus nerveux… C’est ma première opération.

- T’inquiète, tu vas vite t’y faire… Mais putain ! Arrête de remuer bordel !

Le silence retomba, troublé uniquement par les échos de musique arabe provenant de l’immeuble à un étage de l’autre coté du carrefour. La fête battait son plein.

Albert Maurice frotta ses mains moites sur son pantalon, essayant de maîtriser leur tremblement. Il commençait à regretter de s’être laissé convaincre par Gamez. Et il était à présent bien trop tard pour reculer. Paoli le terrifiait, c’était un géant aux épaules d’une largeur impressionnante. Mais plus que sa carrure, c’était son regard qui lui donnait des frissons. Ses petits yeux gris, presque transparents, qui semblaient lire en lui comme dans un livre.

La nuit était fraîche pour la saison et la température dans la voiture était glaciale. Pourtant, cela ne semblait pas incommoder les autres. Maurice remonta son col et se renfonça dans son siège. Putain ! Cette attente était insoutenable !

…

Malika Ghellab souriait, exhibant sa dent en or. Elle était heureuse. Bouchaïb, son fils cadet se mariait et tous les hommes du quartier étaient là, tapant dans leurs mains au rythme des darboukas et de la kamanja. Youssef avait bien choisi les musiciens. Les femmes avaient fêté les noces la veille et, comme l’exigeait la tradition, elle-même ne participait pas directement aux festivités de ce soir. Elle se tenait sur la terrasse, avec ses deux plus jeunes filles, se contentant de passer les plats à Nourredine, le fils des voisins qui, pour l’occasion, faisait office de serveur.

Tout s’était parfaitement déroulé. Les invités étaient satisfaits, ils avaient bien ri, mangé plus que de raison, chanté et dansé jusqu’au vertige. Oui, on parlerait certainement longtemps des noces de Bouchaïb et Rabîa dans le quartier.

Et Malika en était heureuse. Enfin, autant qu’on pouvait l’être avec un fils emprisonné par les français et soupçonné de terrorisme. C’était une inquiétude constante. Najim avait été arrêté le mois précédent à la sortie de l’usine par quatre hommes en civil et si Monsieur Ancelin, son patron, n’était pas intervenu immédiatement, nul doute qu’il eût disparu sans laisser de traces, comme tant d’autres avant lui.

Monsieur Ancelin. Que Dieu les protège, lui et sa famille. A lui seul, il rachetait la conduite de tous les autres n’saras. Chaque jour, il s’était rendu au commissariat central, faisant jouer ses relations et ses avocats pour obtenir qu’on libère ce pauvre Najim. Et il s’était déplacé personnellement jusqu’ici pour la voir, elle, Malika, et lui assurer qu’il touchait au but. Dans moins d’une semaine Najim serait libre. Promis.

Les noces de Bouchaïb n’avaient pu être repoussées, mais, dans une semaine, ce serait à nouveau la fête chez les Ghellab.

…

- Hé ! Ça commence à bouger chez les ratons.

Paoli avait parlé d’une voix rauque, sourde, mais Maurice l’avait perçue comme un hurlement strident. Ses entrailles s’étaient nouées et il avait eu soudainement très chaud. Mais pourquoi avait-il fallu que cet enculé d’Ancelin aille se mêler de faire relâcher ce putain de terroriste ? Et lui-même pourquoi avait-il fallu qu’il s’amuse à jouer les fiers à bras devant Gamez et les copains du quartier ?

- Moi, ces terroristes de merde, je te les descendrais sans même les juger – avait-il dit en bombant le torse – Deux balles dans la tête et on en parle plus... Ouais.

Ces phrases qu’il avait lâchées devant une anisette, dans un bistrot du boulevard de la Gare et sur le ton de la conversation, il n’était pas prêt de les oublier. Quand, le soir même, François « Paco » Gamez l’avait pris à part dans la Peugeot qu’il avait emprunté à son père, il n’avait tout d’abord pas compris où il voulait en venir.

- Ça me fait vraiment mal qu’il relâche cette ordure de melon. Comme t’as dis, on devrait tous les buter ces enflés là.

Et Maurice avait renchéri. Par vantardise ou par imbécillité, il avait expliqué ce que lui ferait s’il en avait les moyens. Comment il les ferait marcher droit, lui, les bougnoules. Comment il leur « donnerait le compte » à ces enfoirés.

Et Paco Gamez avait fait son boulot de recruteur.

- Tu sais. J’en connais des gens moi, qui les ont les moyens…

Et maintenant, il était là. Dans cette voiture. Avec ce Paoli qui lui foutait la trouille. Et il en pissait presque dans son froc.

Effectivement, là-bas, de l’autre coté du croisement, dans le couloir de l’immeuble, une ampoule s’était allumée. Une silhouette se découpa dans l’encadrement de la porte. Un homme en djellaba blanche. Et puis, un autre sortit à son tour, et un autre encore. Il y avait à présent une quinzaine de personnes sur le trottoir, devant le bâtiment aux murs blanchis à la chaux, qui discutaient à voix haute.

La culasse du neuf millimètres de Gamez claqua sèchement dans le dos de Maurice.

- C’est bon Mau. Je démarre tous feux éteints, toi tu arroses. Paco reste en couverture, des fois qu’y en aurait un qu’est armé… On sait jamais avec ces bâtards… Quand y sortira de taule le terroriste, il verra ce que ça coûte de jouer au con.


Paoli souriait en disant cela. Et Albert Maurice se mit à trembler de plus belle.

…

[Mano]

Je suis content de le rencontrer enfin ce Jo Mendes, depuis qu'Oméga en parlait en train de me dire que les montaniens c'était tout comme le Jo Mendes de Maniak, sans intérêt, j'avais envie de le lire. J'sais pas pourquoi...

Trève de plaisanteries, c'est du noir, du classique, ça fleure bon les tontons flingueurs niveau ambiance, niveaux dialogues je ne sais pas encore, mais au niveau suspens ça a l'air pas mal parti par contre. Et puis ça fait du bien de lire des trucs qui se passent pendant la guerre d'Algérie... c'est pas si courant que ça. Ferrandez en BD, oui.

Maintenant, auras-tu un scénario original ou une intrigue à couper le souffle, je ne sais pas. ce que je sais par contre c'est que ce que je viens de lire est bien construit, fluide et direct. T'as cherché des éditeurs déjà ? Parce que ça m'étonnerais que tu ne trouves pas de public pour ce type d'histoire.

[maniak']

Trop d'honneur. Oméga (Siphon, Silmaris, Baygon, pour ceux qui ne le connaissent pas) parle de moi !!! Moi aussi j'aime bien ce qu'il fait ce guignol... Nan, je rigole... je comprend rien à ce qu'il écrit.

Non, le seul point commun entre les montaniens et Jo Mendes c'est que ça ne plait pas à Oméga. Ce qui, selon moi, serait plutôt une qualité. Sinon, c'est tout à fait différent à mon avis.

Jo Mendes il y en a pour l'instant une centaine de pages qui racontent l'histoire d'une famille espagnole arrivée au Maroc au début du 20ème siècle, à l'époque du protectorat français et qui vit donc la résistance marocaine à l'occupation, la guerre civile en Espagne, l'indépendance du Maroc... C'est un projet de roman. Et non, je n'ai jamais cherché d'éditeurs parce que je suis loin d'en avoir fini la rédaction.

Merci de ton com.

PS : Je n'ai pas lu tous les montaniens, faute de temps. Je te dirai ce que j'en pense.

[Mano]

Oui c'est tout à fait différent, c'est juste que ça m'amusait de te faire coucou.

Le fait que ça se passe au Maroc rend la chose encore plus originale. Ce qui s'est passé là-bas à cette époque doit être encore moins connu. A mon avis tu as un vraie piste romanesque c'est sûr.

Bon travail alors.

[maniak']

Merci.

[Krystelle]

J'aime la construction du récit, les retour en arrière qui nous éclairent sans lourdeurs, c'est plutôt bien fait.
D'ailleurs, c'est presque étonnant que ce texte s'inscrive dans un ensemble plus vaste parce que tout y est, où presque. Les personnages sont campés, leurs motivations aussi et l'action n'a pas besoin de se dérouler davantage, le lecteur visualise parfaitement une suite possible. Ces lignes se suffisent presque à elles-même...
Pour le reste, je regrette la manière avec laquelle tu insistes sur le caractère haineux et raciste de ces types. La répétition des injures dérange, mais peut-être est-ce aussi le but recherché...

[outretemps]

Tranche de vie sévère, mais excellent, vivant et terriblement efficace. Contrairement à Krystelle, je trouve tout bien dosé. Je ne connais ni haine ni racisme qui soit bémolisé. Aussi faut-il ce vocabulaire pour causer de quoi tu causes.

[maniak']

Krystelle, j'aimerais tellement que tu ais raison... J'ai entendu bien pire et dans les deux sens. Mais je relirai tranquillemnt en tenant compte de ta remarque.

Merci outretemps pour le com. Je collerai la suite de ce passage prochainement.

[Krystelle]

Krystelle, j'aimerais tellement que tu ais raison... J'ai entendu bien pire et dans les deux sens. Mais je relirai tranquillemnt en tenant compte de ta remarque.

Peut-être que ce sont juste les mots qui choquent, pas le fait que tu les retranscrives. Je ne sais pas trop à vrai dire...

[maniak']

Bon, je vous en colle un autre passage pour que vous puissiez vous faire une idée.…

Il faisait relativement frais mais ce n’était pas désagréable. Malika se tenait sur le seuil de la porte. Najat et Khadija ses deux filles regardaient par-dessus son épaule les hommes qui discutaient sur le trottoir. Houssine, son époux devisait avec Abdelkader, un lointain cousin, à grand renfort de gestes de la main. Il souriait et elle s’en réjouit, depuis l’arrestation de Najim il semblait avoir eu, plaqué sur le visage, une expression de constant désespoir qu’elle espérait ne plus jamais revoir.

Du coin de l’œil, elle détecta un mouvement dans l’impasse mais n’y prêta pas réellement attention. C’était une soirée de bonheur et l’inquiétude de ces dernières semaines s’était envolée. Elle ne comprit qu’il se passait quelque chose d’anormal que quand elle entendit crier en français.

- Vas-y arrose merde ! Qu’est ce que tu fous ?

Tous les regards se tournèrent alors vers la Citroën noire qui débouchait de l’impasse, tous feux éteints et moteur au ralenti.

…

- Je peux pas bordel ! Il y a des gamines, faut laisser tomber !

- T’es marteau non ? – Paoli écumait – Tire bordel ! Tire !

Mais les mains d’Albert Maurice refusaient de s’exécuter, soudées qu’elles étaient à la crosse de la mitrailleuse Thompson. Complètement déconnecté de la réalité, il était incapable de faire autre chose que de fixer les deux fillettes, inconscientes du danger, qui s’avançaient sur le trottoir pour mieux voir ce que faisaient les n’saras dans leur voiture sans lumière.

Les hommes eux ne comprenaient que trop bien. Ce ne serait pas la première opération de représailles d’une organisation « anti-terroristes » dans le quartier. Déjà, ils s’éparpillaient, sachant que rester groupés c’était offrir une cible facile.

Paoli, enragé, freina brutalement au milieu de la rue et arracha son arme à Maurice, résistant à l’envie de lui écraser le crâne à coups de crosse. Ce crétin était en train de tout faire foirer ! Ces salopards de terroristes se barraient déjà dans tous les sens.

- Tire Paco ! Tire !

D’un geste rageur, il ouvrit sa portière et, un pied sur le macadam, pressa la détente.

La première rafale toucha un homme d’une soixantaine d’années qui s’enfuyait en boitant le long du trottoir. Il s’affala sans un cri et sa tête heurta violemment le sol, défaisant son turban alors que claquait le 9 mm de Paco Gamez. Un jeune homme d’une vingtaine d’année, tomba à genoux, les deux mains crispées sur son estomac tandis qu’un autre, fauché en pleine course par les balles de la Thompson, percutait un réverbère avant de s’écrouler, le dos de sa djellaba blanche teinté de rouge carmin.

Houssine, lui, ne pensait qu’à une chose : Najat et Khadija, ses filles, étaient en première ligne devant la porte de l’immeuble. Rien ne les séparait du n’srani à la veste sombre qui venait d’abattre le jeune Brahim. Alors, au lieu de fuir comme les autres, il courut de toutes ses forces en direction de la Citroën et de l’homme au pistolet.

La première balle l’atteignit à l’épaule et il décrivit une espèce d’embardée qui le fit dévier de son objectif. Son pied gauche glissa sur le sol et il faillit tomber. Il réussit cependant à retrouver son équilibre et à reprendre sa course. Il n’était plus qu’à deux ou trois mètres de Gamez et put voir le sourire qui étirait ses lèvres quand il pressa de nouveau la détente.

Le hurlement de Malika se confondit avec la détonation. La tête de Houssine, rejetée en arrière par l’impact, sembla vouloir se désolidariser de son corps juste avant qu’il tombe sur le dos aux pieds de son assassin, les yeux blancs et du sang sur le visage…

…

[Gobu]

Personnellement, je ne trouve pas du tout les caractères outranciers. Nous sommes en plein dans la période ratonnades de la guerre d'Algérie, je suppose, voire même la bataille d'Alger et les personnages sont fort bien typés. Ca me paraît plutôt destiné à devenir un roman que rester simplement comme cela. L'histoire gagnerait à se développer et présenter des rebondissements.

Ce qui me gêne davantage, en revanche, c'est le manque de repères historiques et géographiques. A part les patronymes arabes et méditerranéens, cette histoire pourrait se situer n'importe où n'importe quand. Tu gagnerais en densité et en intensité dramatique en situant mieux l'action (ville, date, références à des événements contemporains de l'action, plus de détails du qotidien tels que mode vestimentaire, musique ou films d'époque, etc...)

En tous cas c'est encourageant et je te souhaite de pouvoir continuer et enrichir ce récit. As-tu déjà un canveas ? Est-il en cours d'achèvement ? (tu parles d'extraits)

[Invité]

C'est quoi un canveas Gobu ? je suis largué. Un terme d'édition ?

[maniak']

Comme je l'expliquais à Mano un peu plus haut, c'est effectivement extrait d'un roman qui est en cours d'écriture. Roman qui traite du Maroc du début du siècle dernier, du protectorat et de la résistance marocaine, mais aussi de la guerre d'Espagne, du débarquement américain à Casablanca, de la vie des pieds-noirs et de la peur du changement. Tout ça vu par les membres d'une famille espagnole arrivée à Casablanca en 1911.

Etant moi-même espagnol et casablancais de la troisième génération je marche un peu sur des oeufs en écrivant ça. Mais bon, j'écris ce que je pense, en essayant de donner tous les points de vue. J'ai dû en pondre une centaine de pages à ce jour.

Concernant ce passage en particulier, je sais qu'il y a eu une organisation anti-terroriste au Maroc, proche de l'O.A.S., et qu'il y a eu quelques actions de ce type avant l'indépendance. Rien de comparable cependant avec l'Algérie.

Merci d'avoir lu.

[Gobu]

C'est quoi un canveas Gobu ? je suis largué. Un terme d'édition ?

CANEVAS : c'était une co-quille :-)

[Gobu]

Comme je l'expliquais à Mano un peu plus haut, c'est effectivement extrait d'un roman qui est en cours d'écriture. Roman qui traite du Maroc du début du siècle dernier, du protectorat et de la résistance marocaine, mais aussi de la guerre d'Espagne, du débarquement américain à Casablanca, de la vie des pieds-noirs et de la peur du changement. Tout ça vu par les membres d'une famille espagnole arrivée à Casablanca en 1911.

Etant moi-même espagnol et casablancais de la troisième génération je marche un peu sur des oeufs en écrivant ça. Mais bon, j'écris ce que je pense, en essayant de donner tous les points de vue. J'ai dû en pondre une centaine de pages à ce jour.

Concernant ce passage en particulier, je sais qu'il y a eu une organisation anti-terroriste au Maroc, proche de l'O.A.S., et qu'il y a eu quelques actions de ce type avant l'indépendance. Rien de comparable cependant avec l'Algérie.

Merci d'avoir lu.

Ok. Je connais moins les péripéties de l'indépendance du Maroc que celles de l'Algérie. J'ai lu jadis d'excellents polars mettant en scène un flic pied-noir marocain proche des indépendantistes, le commissaire Gonzalès, de l'auteur de Série Noire Tito Topin. Peut-être connais-tu ? En tous cas, ça pourrait t'intéresser et t'aider dans ta démarche.

[Reginelle]

Une nouvelle lecture de "Jo Mendes"... avec la même impression de "vérité". Et pour avoir rencontré deux ou trois fois un pied-noir (d'Alger) chez des amis, qui avait raconté quelques évènements vécus, j'entends même "l'accent" à la lecture.
La suite est très dure, si je m'en souviens bien... Je crois que le réalisme est abordé sans concession. C'est cela qui donne toute sa dureté à ce texte.

[maniak']

J'essaie toujours de faire crédible quand j'écris. C'est presque une obsession. Pour ce genre de textes je n'ai pas à me forcer beaucoup.

Dur ? Oui, mais je crois qu'on ne peut pas raconter ce genre de choses en mettant des gants. Mais l'ensemble du roman n'est pas toujours aussi dur. enfin je ne crois pas.

Gobu, non je ne connais ni Tito Topin ni le commissaire Gonzales. Je vais voir ce que je peux trouver là-dessus.

Merci de m'avoir lu et commenté.

[bertrand-môgendre]

maniak, comme j'ai déjà dû te le dire, tu maîtrises parfaitement ton histoire.
Tu as un sens affiné du récit comportant, action, soupir, silence et lyrisme.
Pourtant, je n'aime pas ce genre d'aventure, relatant faits historiques romancés ou non.
Peu importe, je reconnais ton travail, sérieux, presque maniaque (là, c'est facile)

[maniak']

bertrand-môgendre, tu as le droit de ne pas aimer ce genre de textes. Question de goût j'imagine.

Jo Mendes, en dehors du plaisir que je prends à l'écrire, est le texte auquel je tiens le plus. Une façon de donner mon avis sur l'histoire de ce pays que je considère comme le mien. Une façon aussi d'essayer de montrer que rien n'est jamais tout noir ou tout blanc.

Merci en tous les cas pour ce commentaire.

J'apprécie.

Je vous colle la suite et la fin de cet extrait.

…

Albert Maurice était en état de choc. Du regard, il allait de l’un à l’autre des quatre corps étendus sur le bitume, hébété. Il mesurait à présent le gouffre qu’il pouvait y avoir entre la discussion et l’action. Tous les détails qui pouvaient paraître insignifiants quand on était attablé, entre grandes gueules, dans un café de la place de France, et qui, soudainement, prenaient une incommensurable importance. Comme le tintement des douilles en cuivre rebondissant indéfiniment sur le macadam. Comme l’odeur de poudre, acre et piquante, dont, il le savait à présent, il n’arriverait que difficilement à se débarrasser. Comme le hurlement de cette femme, debout devant chez elle, serrant ses enfants contre sa poitrine, les yeux rivés au corps sans vie de son époux encore agité de tremblements nerveux.

Comment avait-il pu en arriver là ? Comment une simple discussion, comme il en avait eu des centaines auparavant, avait-elle pu le conduire à ce désastre ? Lui, dont les seuls contacts avec la violence se résumaient aux films américains qu’il allait voir le samedi soir au cinéma Empire sur le boulevard de la Gare.

Il fallait que tout cela s’arrête, qu’ils remontent en voiture et qu’ils s’en aillent. Qu’ils repartent vers le quartier du Maârif et ses rues animées, ses cafés et ses rires. Qu’il oublie à tout jamais ce à quoi il venait d’assister…

Paco cherchait des yeux une autre cible. Son chargeur était encore à moitié plein et ce n’était pas tous les jours qu’il pouvait faire d’aussi jolis cartons. Mais les hommes qui, quelques secondes auparavant, discutaient devant la maison des Ghellab, s’étaient éparpillés comme une volée de moineaux. Alors son regard se posa sur les deux gamines et la grosse femme qui hurlait.

Putain de moukère ! Elle lui cassait les oreilles à crier comme ça, la fatma. Et ça, c’était un carton facile, ces trois silhouettes immobiles sur le trottoir. D’abord la grosse. Une balle dans le citron. Facile à cette distance.

Du pouce il releva le percuteur et ajusta le front de Malika…

- C’est bon Paco… Arrête. Faut qu’on se tire.

La main de Maurice s’était posée sur le poignet de Gamez. Son ton était suppliant, sa voix sanglotante. Gamez lui jeta un regard méprisant. Cette lopette puait la trouille.

- Putain ! Mais t’es une vraie gonzesse toi ! Grimpe dans la caisse si t’as les jetons… et fais pas chier !

- Non Paco, il a raison. On s’en va… File-moi ton pétard…

Paoli avait fait le tour de la Citroën. Il avait l’air sérieux et moralisateur d’un père s’adressant à ses enfants. Le ton juste pour la circonstance. Paco le regardait, surpris, et ne réagit pas quand il lui prit le pistolet.

- Ok… On y va…

Maurice, qui n’attendait que ça, se retourna et repoussa la portière. La balle de 9 mm se logea dans son cerveau avant même qu’il n’entende la détonation. Quand sa joue toucha le bitume, il était déjà mort.

Paoli cracha par terre.

- Terroristes de merde ! Ils ont encore tué un français.

Sous les yeux de Malika et de ses filles pétrifiées, il contourna la voiture et se remit au volant pendant que Gamez repoussait le corps de l’autre n’srani et s’installait à ses côtés.

- Toi ! La fatma ! Quand ton fils sortira,… dis lui comment son père est mort… Et pourquoi.

La Citroën démarra sur les chapeaux de roues et le silence retomba sur le quartier, troublé seulement par les sanglots de Malika et de ses filles.

…

[à tchaoum]

J'essaie toujours de faire crédible quand j'écris.

C'est pire que crédible, c'est vrai.
J'ai pensé à "Cauchemar blanc" de Moebius, mais surtout ça m'a rappelé des petits connards de marseillais qui se vantaient d'aller casser du "canadien" sur le vieux port, la promenade autour du Fort Saint Jean pour les gens du "panier"... Juste pour le plaisir, sans même l'alibi de la peur ou de la vengeance. Ils disaient "canadien" pour ne pas dire arabe ou bougnoule ou raton ou melon...
Maniak, ta lecture me tétanise... me fout le vertige.

[maniak']

Je suis en train de me documenter sur ce qui est pour les marocains la révoluton du 20 août 1955 et pour les pieds-noirs le massacre de Oued Zem. Je peux te dire que ça non plus c'est pas triste. Et c'est là toute la difficulté d'écrire un roman sur le sujet en essayant de donner les deux points de vue. En restant factuel.

J'ai lu hier soir des témoignages de survivants. J'ai eu du mal à m'endormir.

La guerre c'est moche.

[maniak']

Merci pour le com au fait.

[Mano]

Maniak tu tiens bien ton sujet et tu nous tiens bien en haleine.

peut-être que : "Le hurlement de Malika se confondit avec la détonation. La tête de Houssine, rejetée en arrière par l’impact, sembla vouloir se désolidariser de son corps juste avant qu’il tombe sur le dos aux pieds de son assassin, les yeux blancs et du sang sur le visage…
détacher passerait mieux car moins compliquer à assimiler au milieu de l'action. Plus direct.

Et je ne comprends pas l'intérêt pour Paoli de tuer Maurice en laissant des témoins. Personne ne gobera l'histoire, non ?

[maniak']

A l'époque du protectorat qui aurait écouté une "fatma" ? L'aurait-on seulement interrogée ?

Sa parole contre celle d'un français... Par contre, celle de Maurice...

Merci d'avoir lu.

[Sahkti]

J'aime bien ton écriture Maniak, posée, travaillée et élégante. Sans parler du contenu de ton texte, qui sonne vrai, qui raconte avec pudeur, malgré tout. Un texte ni militant ni violent mais terriblement engagé, l'air de rien, car on ne peut rester insensible à ces tranches du passé que tu nous sers là. On sent que le sujet te tient à coeur, ça passe fortement à travers tes lignes.

[maniak']

Ben merci. Je suis vraiment touché. On ne peut pas me faire de plus beau compliment.

[ninananere]

Tu nous emmènes dans ton récit tranquillement. Tu fais vivre une floppée de personnages, sans nous perdre. Oui, tu nous tiens bien la main. Le décor est en clair - obscure, tu vas à l'essentiel : le trottoir, la voiture, l'embrasure de la porte... Et je trouve que tu jongles habilement entre la vue d'ensemble, et les points de vus de chacun.
Et le plus important, tu ne nous donnes pas de leçon.
Alors Bravo !

[maniak']

Merci beaucoup ninananere. Si vous avez réussi à bien suivre le déroulement de l'action, à ne pas vous perdre entre tous les personnages, c'est que j'ai atteint une partie de mon objectif.

Quant à donner des leçons, ce n'est pas mon but. Et puis, je crois que dans les deux camps il y a eu des choses pas racontables. Qui peut dire qu'il a gardé les mains propres dans un conflit quel qu'il soit.

Pour donner des leçons, il faut soit-même être irréprochable. Ce que je ne suis pas.

Merci encore pour ton commentaire que j'apprécie à sa juste valeur.

[Mano]

Salut de nouveau Maniak.

Je reviens car ta réponse me turlupine. Plus j'y pense, plus je pense que c'est une connerie de tuer ce mec à ce moment là et que le prétexte n'est pas crédible. Qu'un mec comme Paoli ne veut surtout pas laisser de traces en opé. Un cadavre à cet endroit c'est pas un français (blanc) de plus dézingué par les arabes, c'est de la légitime défense au pire ou de l'incompétence au mieux. En plus, c'est un quartier, un cercle d'amis, des connaissances qui peuvent permettre aux enquêteurs de remonter la filière avec ou sans témoignage de la Fatma. Il ne faut pas oublier que de l'autre côté du trotoir il y a d'autres cadavres...

En plus je trouve dommage du point de vue de ton histoire de te priver de se personnage qui par ses scrupules semble intéressant à suivre. A mon avis tu peux nous tenir en haleine avec lui : va-t-il plonger ou pas, Paoli va-t-il le tuer ou pas ? C'est un élément par lequel tu peux faire passer pleins de sentiments contradictoires ce qui n'est pas le cas des deux autres si je ne me trompe.

Pour le fun et la documentation : ton Paoli m'a fait penser à un livre qui s'appelle "Par le sang versé" qui parle de la Légion étrangère en Indochine de Pierre Bonsergent (ça ne s'invente pas...). Tu devrais le lire parce qu'il montre bien la réalité des actions militaire de cette époque et de la mentalité des gens qui les faisaient.

Je pense aussi que c'est un élément crucial pour comprendre cette époque : l'armée française vient de perdre l'Indo et ils ne veulent pas perdre le reste. Ils sont prêts à tout et ils ont des méthodes pour ça. Des méthodes que l'on retrouve dans toutes les guerres actuelles.

Ces guerres de la France sont très importantes pour comprendre ce qui se passe maintenant et comment on en est arrivé au terrorisme... la resistance française (entre autre) et le mythe qui est naît avec, celui de la résistance par le sabotage et les coups de mains par des civils organisés en armée de l'ombre, a inspiré tous les mouvements indépendantistes. On est rapidement passé du sabotage à l'attentat.

Et puis tous ces gars qui sont passés directement de la résitance dans l'armée française parce qu'ils ne savaient rine faire d'autres et qui se sont retrouvés sans même y penser du côté de "l'oppresseur" après avoir été chassé eux-même. Et tous ces militaires "indigènes" qui se sont battus contre leur corps d'origine...

Bref, sans faire trop long (trop tard ?) tu veux peut-être chercher un peu derrière histoire de bien poser tes gars.

Et si je reviens c'est parce que j'ai envie de lire la suite bien sûr... ce ne sont que des remarques, le texte t'appartient évidemment.

[maniak']

J'apprécie le fait que tu ais pris le temps de me faire ce commentaire. Là, j'ai pas trop le temps d'y réfléchir mais ce que tu dis n'est pas con, même si j'aurais probablement certaines objections.

Il y a d'autres extraits sur le forum, si tu as le temps d'y jeter un oeil et que tu peux me faire d'autres critiques aussi constructives, je suis preneur.

Merci encore.

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