Jo Mendes (un dernier extrait et puis j'arrête)

[maniak']

Ecrit récemment et probablement à relire et corriger.

…

- Speicher ? C’est quoi ça, comme nom ? C’est allemand ?

- Gordo ! Qu’est-ce que ça peut bien te foutre ce qu’il est ? C’est mon copain c’est tout.

Roland ne se sentait pas très à l’aise au milieu de ces gosses des rues. Jo lui avait proposé de venir jouer au foot à la Ferme Blanche presque comme on invite une fille à danser : timidement.

- T’es pas obligé tu sais. Mes copains y sont comme moi. Pas tellement éduqués. Tu vois le genre ? Pas comme toi quoi…

Ils se tenaient devant le portail de l’école. On était jeudi, c’était la fin des cours et il faisait beau.

- T’es pas obligé,… mais ça me ferait plaisir. Sûr.

Roland était venu. Il avait raconté à sa mère qu’il allait passer l’après-midi avec Romain Charlier et il avait retrouvé Jo sur la place de Verdun. Ils avaient descendu le boulevard de Bordeaux en direction de la mer et s’étaient engagés sur un chemin qui s’enfonçait dans un immense terrain vague.
- Alsacien… C’est alsacien comme nom.

Il se tenait debout face aux copains de Jo, Javi « el gordo » Martinez et Robert « Bob la crème » Durieux, au centre de ce champ de broussailles qui leur tenait lieu de quartier général.

- L’Alsace ? Comme la rue d’Alsace ? Y en a qui disent que c’est en Allemagne.

- Ben c’est des conneries mon pote. L’alsace c’est français, et moi aussi j’suis français.

Roland commençait à regretter d’avoir accepté l’invitation de Jo. Merde ! Il n’était pas venu pour se faire traiter de boche non ? Ils ne lui plaisaient pas les copains à Jo.

- Hé ! Gros ! L’Alsace c’est français y te dit. Et les boches, on va les foutre dehors. Ça te pose un problème ?

Bob s’avançait vers Javi, l’air teigneux, se rangeant sous le même drapeau que Roland.

- Javi, tu ferais mieux de la fermer ta gueule, sinon y vont essuyer leurs semelles dessus les frankaouis. Et tu l’auras bien cherché.

Jo s’était assis sur une grosse pierre et assistait en spectateur à la discussion.

- En plus, l’Alsace tu sais même pas où c’est. Déjà que tu sais à peine où est ton cul…

Un large sourire illumina la face de Javi. Il prenait plaisir à pousser toujours un peu trop loin le bouchon. En général il savait s’arrêter à temps, mais parfois ça donnait lieu à de sacrées bagarres. Il recula d’un pas et écarta les bras, mains ouvertes en signe d’apaisement.

- Oh ! Les gars ! C’était juste pour savoir. Moi j’suis ni français ni allemand… J’suis valencien alors…

Jo s’était levé. Il posa sa main sur l’épaule de Roland en souriant.

- C’est une sale race ces valenciens. Ç’ui là il est con, mais il est pas méchant. Tu verras.

Javi éclata d’un rire communicatif.

- Sûr, j’suis con mais j’suis pas méchant. Bienvenu à la Ferme Blanche, Speicher l’alsacien !

…

Jo était accroupi face à Abdelhak, un gamin du douar, et Roland se dit qu’ils n’étaient pas bien différents l’un de l’autre finalement. Deux gosses maigres et teigneux, au caractère bien trempé et aux genoux croûteux couturés de cicatrices. Ils discutaient, âprement, en arabe, les modalités du match qui allait les opposer. C’étaient là des points importants. Il fallait décider de qui jouerait la première mi-temps face au soleil, de qui profiterait de la légère pente du terrain, de combien de points il faudrait marquer pour l’emporter… Il fallait surtout, pour les deux capitaines, montrer à tous qu’ils avaient des tripes, qu’ils ne se laissaient pas intimider.

- On va jouer au foot avec les arabes ?

- Ouais. Y a pas mieux comme entraînement. Quand t’as joué contre les types du douar, les matchs de l’école après, c’est un truc de gonzesses.

El gordo avait souri en disant cela, les yeux brillants.

Roland debout entre Javi et Bob attendait avec les autres gosses de la Ferme Blanche que Jo ait fini sa mise au point. Il se demandait ce que penserait sa mère, l’honorable Arlette Speicher, si elle avait su que son fils s’apprêtait à disputer un match de foot avec les gosses des carrières.

Elle n’était pas spécialement raciste. Il ne l’avait jamais entendue dire de méchancetés à propos des arabes et elle gardait scrupuleusement ses vieilles affaires qu’elle donnait à Mahjouba, leur femme de ménage. Chez eux, les domestiques, même s’ils mangeaient dans la cuisine, avaient le même menu que leurs employeurs. Sauf, bien sûr, si on avait servi du porc. De là à aller jouer au foot avec les petits arabes du douar il y avait quand même un monde.

Jo venait de sortir une piécette de sa poche et la montrait à Abdelhak pour vérification. Le traditionnel pile ou face allait trancher pour eux. Roland observait son camarade de classe avec envie. Il parlait l’arabe mieux que le français ! Et il traitait ce type d’égal à égal. Ce type avec qui lui-même aurait eu du mal à échanger trois mots.

Il ne doutait pas qu’il soit capable de lui sauter dessus s’il y avait embrouille. Pas parce qu’il était arabe. Non. Simplement parce que Jo, il était comme ça. Qu’on soit blanc, noir, arabe ou chinois, grand ou petit… Jo, fallait pas essayer de l’embrouiller.

- C’est bon les gars. On peut enlever nos grolles. On va leur montrer qui on est, nous autres, de la Ferme Blanche.

- On va pas jouer pieds nus quand même Jo.

Jo sourit en délaçant ses chaussures et accrocha son regard à celui de son ami.

- Tu crois qu’ils en ont eux, des souliers ?

Roland ne répondit pas. Qu’y avait-il à répondre de toutes façons ? Les petits arabes allaient pieds nus. Ils étaient vêtus de loques informes et incolores, trouées et parfois rapiécées. La plupart avaient le crâne rasé, signe que les lentes et les poux avaient récemment fait des ravages dans les baraques en tôle du douar. Ils étaient maigres, mal habillés, et crasseux. Cela ne les empêchait pourtant pas de dégager une impression de vigueur et de vivacité que Speicher leur enviait. Ils avaient de la gueule. Il ne pouvait qu’en convenir.

- Yallah n’bdaou. Mendes ! Leuhlia l’cora. (Allez, on commence. Mendes ! Passe-moi le ballon.)

Jo s’exécuta et se tourna vers ses troupes.

- Les gars, si on perd ce match, c’est qu’on a rien dans les pantalons.

Et Roland Speicher sentit sa poitrine se gonfler. Il faisait partie d’un groupe. Il était accepté dans la tribu de la Ferme Blanche. Et il ne regrettait plus d’être venu. Ça non.

…

[Arielle]

Chouette, comme toujours cet extrait. Ces gamins sont plus vrais que nature et j'aime bien leur façon de refaire le monde autour d'un ballon sans badge "pour un monde meilleur"...

Juste une remarque:
"Ils étaient vêtus de loques informes et incolores, trouées et parfois rapiécées. La plupart avaient le crâne rasé, signe que les lentes et les poux avaient récemment fait des ravages dans les baraques en tôle du douar. Ils étaient maigres, mal habillés, et crasseux."
Une répétition qui ne s'impose pas, je trouve.

[maniak']

Merci pour le com Arielle. Moi j'aime bien les gens qui font parce qu'ils trouvent que c'est comme ça que ça doit être et pas parce que c'est politiquement correct.

C'est le profil que je veux donner à Jo : Un type qui sait ce qui se passe, qui sait très bien que parfois il en tire profit, mais qui ne se raconte pas d'histoires. Pas un héros sans peur et sans reproche... Je ne sais pas si je suis très clair là ?

Merci aussi pour ta remarque. J'avais pas vu la redondance.

[ninananere]

Ah, tu abordes pleins de thèmes... Toujours sur le fil, la limite... Bravo. Si je peux me permettre une petite refléxion, je ne suis pas certaine que tu ais besoin de traduire. On peut comprendre le sens par la suite, je pense...

[Sahkti]

Encore une tranche sympathique de la vie de Jo!
Je trouve que ça sonne très vrai, tu restitues avec justesse leur langage et la fraternité/complicité/rivalité qui existe entre ces gamins. L'ambiance est bien rendue aussi.
Je me serais passée de la traduction, c'est un détail et on devine aisément ce que cela signifie, dans le contexte.
Des comme ça, j'en veux encore! :-)

[maniak']

ninananere, oui, j'aborde plein de choses dans ce texte et en essayant de donner plusieurs points de vue. Et la vérité c'est que j'y prends un immense plaisir.

Sahkti, les traductions, elles devraient se transformer en notes de bas de page si je vais au bout du truc. Libre au lecteur, à ce moment-là, de s'y référer ou pas.

Merci de m'avoir lu.

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