J'écume

[Yali]

J'écume*

« Moi ça me débecte toutes ces conneries », j'ai dit.
Elle tanguait un peu, je tanguais beaucoup, la mer tanguait pour deux.
Au loin, le soleil s'épaississait au point de n'être qu'aveuglement posé sur ligne d'horizon bleutée.
Plus près de nous, le barman faisait son boulot.
Remplissait verre sur verre.
Il les poussa vers nous.
Je croisais son regard, en profitais pour recommander la même chose : faut battre le zinc quand il est chaud.
« Je sais plus de quelles conneries tu parles, mais sans doute que ça me débecte aussi » elle a répondu. Et là dessus elle a été se jeter à l'eau.
Entendez par là qu'elle a titubé jusqu'à la balustrade, qu'elle l'a enjambée, qu'elle a prononcé quelques mots que le vent à emportés : des mots importants sûrement, puis elle s'est laissée tomber.
Y'avait bien trente mètres de la balustrade à la flotte.
Plouf lointain, trace légère de robe fleurie en interstice à l'écume, un instant seulement, et puis plus rien.
On a pas dit un mot.
Ni le barman ni moi.
Rien.
Depuis, je reviens ici chaque jour à la même heure.
On ne parle jamais de ça.
Jamais.
Quelquefois, on observe la balustrade du même regard, puis, comme au sortir d'un rêve on secoue la tête pour en virer le trop plein de souvenir et l'on trinque en silence.
Au silence peut-être…
Et toujours la mer s'en va et vient, coule son écume sur les rochers, la plage, le reste, comme ça lui plaît à la mer d'aller et venir, comme ça lui plaît de n'avoir qu'une mémoire immédiate.
— Elle en a de la chance, la mer !
— Ça tu peux le dire, il répond. Ça tu peux le dire, il répète.








*J'écume : Au large, les barges se gondolent dans le roulis. Ici on cuit, Au bain-marie… Bashung. J'écume

[Invité]

Une femme à la mer et un homme de peu mots ... Il écume et il écluse aussi. Souque gondolier !

[Anne Veillac]

J’accroche bien. C’est un texte fluide, sobre même (sic). J’aime beaucoup cette écriture. J’aime bien les retours fréquents à la ligne. Une phrase qu’on déguste avant de passer à la suivante. Un petit blanc, une petite pause donc. Et une autre phrase, pareille.

Il y a beaucoup d’émotion dans ce texte et, bizarrement peut-être, beaucoup de nostalgie. Ça me fait penser à une BD dont je ne me souviens pas du nom… Dommage…

[Alexandra]

très bon style. Cela se lit facilement. La construction des phrases me plaît beaucoup.

[Invité]

un peu secouée hier. Oublié de dire combien je me sens à l'aise dans cette écriture aérée qui laisse le lecteur respirer, sans l'étouffer de mots, sans diriger son imagination.

[kazar]

J'ai adoré.

C'est simple, bien tourné et bien amené, ça respire, ça va vite.

C'est une histoire comme il fait bon en lire, ancrée dans le réel, dans la vie.

Il y a quelques fautes d'orthographe (mais bon, c'est pardonné ^^)

"Je croisai son regard, en profitai pour recommander "

M'enfin bon, à partir du moment où la critique se porte sur l'orthographe (aussi insignifiante que ces deux minuscules fautes), c'est bon signe !

J'en redemanderais bien !

Bravo

[Arielle]

Qui a dit que la mer mettait moins de sentiment à tituber dans son écume que l'homme à tanguer dans sa mousse?
Sans chercher la morale de l'histoire je reviendrais bien demain à la même heure en reprendre une rasade...

[Invité]

j'écume aussi, mec, sauf que la mousse est pas d'la même couleur.

[mentor]

"faut battre le zinc quand il est chaud" : excellent ! :-)))
Un texte dans la veine yaliesque, un style bien à toi, un environnement idem, un bar, une jolie fille, de la légèreté dans la profondeur, ou l'inverse
j'aime beaucoup

[Lucy]

Pour plagier Vercors sans en avoir l'air, j'ai bien capté le silence de l'amer.
Merci pour ce texte, Yali.

[Kilis]

Aligner des mots, tout le monde peut le faire.
Mais.

Mais ça.
Cette qualité d’image.
Qui charme et qui dérange.
Et.

Et qui reste.
Qui reste.
Restera.

[Invité]

Tu a raison Pili, laisser la porte de l'imaginaire ouverte comme ça, ça remue vraiment très fort. J'ai pensé à ça tout le soir. Le vide et le plein.

[Charles]

Rien à redire, très réussi, efficace, poétique et désabusé ...

Souvent quand je commence un texte de toi qui se passe dans un bar, je me dis qu'à un moment donné, tu vas tourner en rond et à chaque fois, je suis étonné de trouver quelque chose de nouveau dans ton texte ...

Ceci dit, je te lance un défi : écrire un texte sans zinc / bar / verre et qui sais, sans femme ;-))

[bertrand-môgendre]

ça sent les embruns teintés d'iode.
Juste une accroche ici

trace légère de robe fleurie en interstice à l'écume,

où ce mot paraît rugueux.

[kazar]

Et hop, petit fil, remonte !

Parce que CA, mes aïeux, c'est un texte.

[Lyra will]

Dans la veine Yaliesque :0)
Plutôt visuel, aéré oui, c'est un bon texte, mais pas celui que je préfère de toi.
Belle idée la "mémoire immédiate" de la mer.

[Kilis]

Hop ! Hop ! Hop !

[Invité]

ouais ouais ouais !!!

[silene82]

Comme tu le sais, nous sommes diamétralement opposés dans nos conceptions et notre pratique de l'écriture: j'administre à mon lecteur une bonne dose de lacrymo, pas léthale, non, ce serait dommage d'annihiler les clients, mais paralysante, afin qu'il la boucle et me laisse lui expliquer. Tu ouvres grand les croisées, suggérant de manière subtile, aquarelliste. Je commence à prendre plaisir à te lire, notamment là. Je ne suis donc pas tout à fait irrécupérable.
Merci pour le moment évoqué.

[Sahkti]

Qu'est-ce que tu veux que je te dise... que j'ai aimé. Ben oui, y a un bistrot, un terrasse, une fille, des jambes qui traînent quelque part jusque dans la flotte et voilà. Suffit pas d'aligner les ingrédients, faut aussi réussir le plat, c'est pas simple et dans un tel format, le court s'entend, t'es doué pour ça, y a pas à dire.
J'ai particulièrement apprécié la fausse froideur qui émerge de ce texte, dans le comportement des protagonistes et la manière de raconter. C'est de la froideur qui est chaude (hum, pas terrible la formule :-)

[Chako Noir]

faut battre le zinc quand il est chaud.

Tiens tiens, une de ces phrases que tu affectionnes beaucoup.. ^^
Comment dire? J'aime encore, j'aime toujours, la tambouille sobre du père Yali, les phrases sans chichis mais percutantes, tout particulièrement la chute (sans mauvais jeu de mots).
Un chaleureux coup de froid, pour reformuler Marielle!

[CROISIC]

Et dire que Juin m'a fait passer à côté de ce petit "bijou" !
Merci Yali !

[Evanescent]

Oh, je l'avais loupé moi aussi.

C'est beau. À part ça, je ne crois pas qu'il y ait quelque chose à dire.

[milo]

...

je sors de ma lecture avec une impression étrange ( j'allais dire un goût amer, mais pour le coup c'était malvenue je crois...), comme si il y avait quelque chose qui me gênait quelque part sous la peau.
Un texte dérangeant, je trouve. Un texte magnifique, surtout.
Tu arrive à faire passer tellement de choses, avec juste quelques mots... ç'est balèze !

Voilà ! J'ai trouvé ! la sensation étrange que j'ai ressentis est celle que me procure certains Haïkus.
Ca n'a rien à voir, sans doute, et ça n'est pas constructif, je sais, mais je tenais vraiment à te donner mon ressentis.

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