Rue Moyenne

[Loupbleu]

Bourges, rue Moyenne

Rue Moyenne, passe dans les bras de sa mère une petite fille rousse qui tient par la patte une peluche de monstre rose. De l’autre côté de la rue, au premier étage, une fenêtre ouverte donne sur une bibliothèque dont on ne peut lire que le début d’un titre : “la”. Une fille élancée passe, sur son épaule gauche est tatoué un soleil. Des véhicules roulent et bruissent sur les pavés, une BMW sombre, une camionnette Peugeot sale, une Ford, un bus, une autre Ford dont le conducteur fait la moue, une Mégane coupée cabriolet capote fermée, il en passe une toutes les dix secondes et encore là : une autre Ford. Une grand-mère, robe aux petites fleurs bleu pastel, fouille quoi dans son sac en tirant la langue ? A l’arrêt de bus, un barbu qui ressemble à Socrate regarde sa montre.

Les montres n’existent peut-être que pour distraire les hommes quand l’heure passe.

A l’arrêt du bus, une anonyme rejoint Socrate et visiblement, pour elle, ce qu’il est en train de penser... Un papi, costume moutarde, mains dans le dos et penché vers l’avant traverse la rue ; il a une peluche de Titi - une peluche de Titi - d’au moins vingt centimètres accrochée à la boutonnière. La femme qui ferme la fenêtre du premier étage serre un mouchoir rose entre les dents. En bas de la publicité du portique de l’abris-bus, on lit : “Pratiquez une activité physique régulière”. Cette blonde souriante qui s’adresse vers le bas de la rue à quelqu’un que je ne vois pas, a-t-elle vraiment parlé ou juste mimé ? De là où je suis, je ne l’entends pas. Une fille en décolleté passe, sur son épaule gauche est tatoué un oeil.

La preuve : les morts n’ont aucune activité physique particulière.

Une fille voluptueuse passe, sur son bras gauche sont tatouées, tout autour du bras, deux portées musicales. A l’arrêt du bus, le papi à la peluche de Titi - Oui, le Titi de Titi et Grosminet - s’est assis sur le banc métallique et attend. De l’autre côté, un homme tenant un labrador par un harnais parle tout seul ; mais de là où je suis, je ne l’entends pas. Accroché à un sac à main blanc : la peluche d’un petit ours brun. Sur ma tasse de café est écrit “Cellini, la vita, la passione”. Un coup d’oeil à droite, un à gauche, l’homme au labrador n’est pas aveugle, même s’il parle tout seul.

On tient les gens qui parlent seuls pour fous, et ceux qui écrivent seuls ?

En discutant, une quadragénaire glisse ses doigts dans sa poche de pantalon, sauf le pouce, en tire entre l’index et le majeur un petit bout de papier qu’elle froisse, tout ça sans interrompre sa discussion un moment. Une fille avec une très belle poitrine passe, sur son bras gauche est tatoué un coeur transpercé d’une flèche molle. Sur le tee-shirt de ce mec est imprimé “serial buveur”, et au milieu de l’inscription, deux décapsuleurs s’entrecroisent. A l’arrêt de bus, une femme d’un bon âge a rejoint le papi au Titi, mais ne porte pas plus d’attention à l’homme qu’à sa peluche. Casquette à visière cachant son visage, une blonde a rejoint aussi l’abri-bus, à son sac en cuir beige est accroché un ours en peluche. A la terrasse, un couple est assis côte à côte, ils ne se parlent pas ; de toutes façons, je ne pourrais pas entendre...

Le coeur est un organe sanguinolent vraiment dégueulasse, j’en boufferais pas.

Plusieurs filles passent le long de la rue, leur portable à l’oreille, sans jamais dire un mot, je ne suis pas sûr qu’elles téléphonent, certaines le font peut-être pour des raisons esthétiques. Le papi au Titi s’est penché et observe le contenu du sac de la grand-mère à côté de lui, à moins qu’il ne mate ses cuisses. Sur le sac d’un passant, le dessin d’un ours en peluche mauve. Une fille passe, avec des seins incroyables, sur son bras droit est tatoué le petit prince de Saint-Exupéry. A l’arrêt de bus, le bus “4- Saint Germain” arrive enfin. A l’avant du bus, il y a écrit “un air nouveau, une ère nouvelle”.

Je soupçonne que certaines filles téléphonent à personne juste pour qu’on ne leur parle pas.

Sur un large porche vert, en face de moi, deux étiquettes sont collées que je ne peux pas lire. Par la fenêtre ouverte d’une voiture qui passe, j’entends deux mesures de la chanson “American Boy”. A l’arrêt de bus, il n’y a plus personne. En face, une femme est installée en terrasse, son bras gauche est replié et sa main passe sur sa nuque, tenant un stylo ; je ne vois vraiment pas ce qu’elle va trouver à écrire. Une fille passe devant moi, sans tatouage, mais avec des nénés gros comme ça ! Plus tard, on a demandé au papi au Titi pourquoi il portait cette peluche. “Pour qu’on sache qui je suis”, il a répondu.

[Crevette]

Raaaaaah loevly, exactement le genre de scène que j'adore....
La fixette sur les peluches, les poitrines de plus en plus opulentes...

Bref quand tu veux tu me refais ça.

Au fait, c'est quoi cette chanson "American Boy"?

[Charles]

Tout d'abord, ça fait plaisir de te lire !

Globalement, à la fin du texte, j'ai aimé. Au début du texte, un peu dubitatif, puis petit à petit conquis. tout d'abord un peu surpris car pas trop ton registre habituel, ensuite un peu sceptique sur le procédé de reprise, d'images, de phrases ... et puis au final, je me suis tout de même laissé emporter par ton texte.

J'ai apprécié le côté "exercice" de style, travail sur le texte, la progression "graduée". Ca m'a fait pensé à la jalousie de Robbe Grillet. sauf qu'il me semble qu'il revenait toujours sur les mêmes scènes alors qu'ici, tu reviens sur des images proches mais tout en assurant une certaine progression ... bref, je n'arrive pas trop à m'expliquer mais tout ça pour dire qu'on sent que tu as vraiment fait un bel effort de construction.

et puis surtout, ce que j'aime dans ton texte, c'est que cette construction a un but : créer un sentiment diffus (euh flute comment ça s'écrit ?) mélant l'ennui, l'oisiveté contemplative, une petite touche triste, quelques éclairs de vie ... bref, du style transparait l'état d'esprit de l'auteur, ça fonctionne bien !

[Charles]

Ah j'oubliais : peut être que tu devrais encore ralentir le rythme du texte. les enchainements entre les personnes sont peut être un peu trop rapide et contrecarre un peu l'effet de style recherché. A voir ?

[bertrand-môgendre]

Message effacé !
Tant pis .
J'arrête de pinailler.
Cette rue Moyenne de Bourges, rassemble des prises de vues dont les détails alignés décrivent les vies qui passent.
Ne mériteraient-elles pas l'intervention d'un bon monteur, d'une personne qui tranche, débite, assemble l'ensemble ?
Je pose la question sans en être convaincu, car le caractère de cette écriture peut aussi plaire, puisqu'il décrit les autres rues Communes de France.

[bertrand-môgendre]

Les répétitions ne peuvent plus être des répétitions puisque l'exiguïté du décor limite le travail des accessoiristes.
L'abri-bus constant dans son immobilisme me renvoie alors aux petits vieux de Brel avec la pendule d'argent qui ronronne au salon qui dit oui, qui dit non qui dit "je vous attends"
Oui ! J'ai trouvé !
Tes acteurs sont des morts en sursis.
La langueur leur va si bien.

[Invité]

Ainsi va le monde, ainsi vont les pensées de celui qui assiste au spectacle de la rue.
J'aime beaucoup ce regard extérieur, détaché mais pas totalement, qui se pose mais ne s'attarde pas, un côté nouvelle vague . C'est le 1er texte de toi que je lis, jolie découverte.

[Krystelle]

Une belle manière d'observer et une façon intéressante de raconter.
J'aime l'idée des reprises et aussi de ces petites phrases qui sonnent comme des aphorismes. Je reprocherai juste à ce texte sa démarche qui me semble encore un peu trop expérimentale pour être vraiment aboutie.
Il m'a manqué peu de chose pour être emballée par ce texte...
Mais ça fait plaisir de te lire Loup !

[Arielle]

Un peu déconcertant au début puis on se prend au jeu, on cherche, dans ce tableau mouvant, les ficelles qui relient les ours en peluche d'une part, les tatouages d'autre part puis les poitrines des filles (craignant pour elles l'explosion...)
Je ressens une certaine mélancolie du spectateur-metteur-en-scène comme s'il semblait regretter d'être incapable de rassembler toutes ces marionnettes dans un seul scénario. Mais je me trompe peut-être.
Finalement j'ai bien aimé et ce n'était pas gagné à la première lecture!

[Lyra will]

Etrange ce texte... je n'arrive pas à savoir si j'ai aimé ou pas :0)
J'aime bien la reprise des différents éléments, et, à la fois, j'aurais préféré qu'il y'ait une sorte de raison à tout ça, un moment où tout se recoupe, mais bon, difficile à concevoir et puis si tu ne l'as pas fait c'est que ce n'était pas l'objectif... C'est à la fois la force et la faiblesse du texte, beaucoup de monde passe. Donc c'est très visuel, les objets se succèdent, ils sont palpables, c'est bien rendu. On contemple. Mais j'aurais quand même aimé qu'il se passe un truc qui fasse voler tout ça en éclat et nous sorte de la torpeur. (Bon, pas forcément une bombe non plus !)
Donc mitigée :0)

[Yaäne]

J'aime beaucoup l'ambiance du texte : l'attente sous l'abris bus, comme une pause dans le train-train infernal de la vie.
Mais j'imagine un personnage un peu névrosé, qui cherche tout de suite les peluches, comme s'il regrettait quelque chose de son enfance, les belles poitrines, sans doute parce que c'est un homme ( :o) ) et les tatouages, allez savoir pourquoi ! Mais ce qui m'enbête, c'est qu'il semble attendre quelque chose qui ne vient pas. Peu être de l'inspiration pour une écriture qu'il ne parvient pas à saisir, d'où le sentiment de rancune que j'ai ressenti, peut-être à tord, lorsqu'il voit la femme s'assoir en face de lui, avec son stylo sur la nuque.
Je ne peux qu'apprécier la construction du récit, avec, comme ça a déjà été dit, des liens entre des images semblables...c'est un très joli travail.

Je le dis quand même parce que ça me turlupine : ce texte me met mal à l'aise parce que l'homme dit tout le temps qu'il n'entend pas ce qu'il se dit, comme s'il était sourd, ou que ceux qui l'entourent étaient incapables de communiquer entre eux. C'est pour ça, je pense, que je garde l'impression que le narrateur ne sait pas s'intégrer à son espace.

[mentor]

Un plaisir d'avant lire, celui de voir un texte from LoupBleu
Un plaisir de lecture, mais tempéré d'un sentiment diffus, confus, parce que c'est un registre que je ne te connaissais pas ? parce que je ressens comme un malaise ? Parce qu'il y a un message et que je ne l'ai pas capté ?
Il y a des trucs récurents, comme les filles aux gros seins, les peluches, les tatouages, et le papi en fil rouge. Et alors ? Je sèche.
Ne comprenant pas trop le but et ne trouvant pas là, de plus, une très grande qualité d'écriture, je vais laisser.
Vraiment navré, pour l'instant.
J'attends la clé, s'il y en a une, puis je relirai ;-)

[Yali]

il y a du savoir faire, certes, sauf que ça suffit pas, et puis la mécanique se voit de trop, tellement qu'en guise de forme elle se fait fond.

[Manu(manisa06)]

Au début,je me suis dit "ça va être bien" et puis les descriptions qui reviennent sans cesse...
J'ai pas compris le but. ça manque un peu d'action mais c'est bien écrit car on voit bien toutes les séquences en images.
Bref je préfère la forme que le fond.

[Invité]

Je le dis quand même parce que ça me turlupine : ce texte me met mal à l'aise parce que l'homme dit tout le temps qu'il n'entend pas ce qu'il se dit, comme s'il était sourd, ou que ceux qui l'entourent étaient incapables de communiquer entre eux. C'est pour ça, je pense, que je garde l'impression que le narrateur ne sait pas s'intégrer à son espace.

Quelle pertinence dans le commentaire de Yaane: je le reprend à mon compte. Bizarrement, le chef s'y met aussi, l'abandon du monde aux autres.
Il me manque que notre héros se lance enfin, qu'il dégaine ses paluches et suggère une branlette espagnole à toutes ces bourgeoises bien bâties.

[Sahkti]

Hmmmmmmm un texte de Loup!
Première impression, immédiate, du plaisir, celle de te relire enfin.

Seconde réaction: tiens, ce n'est pas le Loup habituel, celui-ci est plus posé mais aussi plus technique, son humour a cédé le pas à la subtilité. Ce n'est pas pour me déranger.

Relecture, donc et examen attentif. Une impression d'ensemble: on devine l'exercice, le canevas et cela a parfois tendance à trop se remarquer mais soyons objective, je dis cela parce qu'il y a Bourges dans le texte, que tu es Loup, que je te connais et que donc, je me dis que ça doit être un exercice ou quelque chose lié à une festivité oulipienne ou autre. Sous la plume de quelqu'un d'autre, honnêtement, cette sensation d'exercice de style m'aurait peut-être moins sauté aux yeux.

Changement de registre disais-je et j'aime bien cette tournure, cette manière de voir les choses. Obsessions fragmentaires, captures d'instantanés avec ruptures créées par des phrases qui sonnent comme sentences tout en étant réflexions. Oui, j'aime le procédé et j'aime aussi ce détachement habile que tu as glissé dedans, comme un spectateur qui décrit.
Il reste peut-être juste le rythme des descriptions, par moments trop rapide et empêchant de vraiment croquer les portraits, mais la vie c'est aussi ça, des rapidités qui se succèdent sans qu'on les arrête.

[Loupbleu]

Merci à tous pour ces commentaires que j'ai trouvé extrêmement pertinents (les bons comme les mauvais) !

Un petit mot pour dire comment j'en suis arrivé à écrire ça : je suis resté une bonne heure à la terrasse d'un café et j'ai noté ce que je voyais. Je conseille cette méthode, on finit par voir plein de choses étonnantes :-)

Ensuite, comme il y avait des éléments récurrents, j'ai essayé de mettre ça en forme avec le principe de la sextine (6 éléments récurrents qui "tournent"). Ca, c'est le côté purement expérimental qui n'est pas (la sextine étant usuellement une forme poétique), je l'avoue, tout à fait convainquant...

Finalement, je vois que ça marche pas terrible : la forme est visiblement trop lourde et surtout, elle ne porte pas de sens. J'ai l'impression grace à vos réactions et contrairement à ce que je pensais - ou espérais - qu'elle échoue à "divertir" (ce qui est une chose à laquelle je tiens !).

Je m'aperçois aussi qu'il y a un truc qui déconne franchement, c'est la "position" du narrateur, qui était au début purement "spectateur" (donc qui n'existait pour ainsi dire pas), puis je l'ai rajouté un peu, mais bon...

A la fin, ce que je voulais faire, c'est que tout tourne autour de l'identité des gens et de ce que l'on en voit.

Au fond, le texte porte sans doute en lui la raison de son échec, qui est que dans une description, c'est l'affect et non les choses décrites qui portent le sens.


Bref, je prends note de tout ça et je réécris le texte en essayant de trouver une tout autre façon, et probablement de développer aussi un peu plus avec de l'action (mais je promets pas les branlettes espagnoles !

Je note aussi les "bons points", les aspects que certains ont aimé ! (Je renie pas non plus le texte tel qu'il est, suis content d'avoir aussi tenté comme ça, et il y a des aspects qui me plaisent aussi :-)


En conclusion, merci pour l'aide et la sagacité de vos réactions diverses.

[muzzo]

J'arrive un peu tard, mais "mieux vaut...."J'ai bien aimé cette suite de diapositives animées, ces ambiances successives à peine différentes l'une de l'autre, ces "anonymes" presque palpables qui défilent... Nostalgie, attente de quelque chose qui va se passer, qui devrait se passer...mais rien , le rideau retombe sur "l' ordinaire" qui a été momentanément éclairé.Il ne se passe pas toujours quelque chose même dans la Chapelle (principe de la )sextine ... et pourtant....
Sur la forme, on trouve toujours un détail à modifier, mais je garde le fond.

[Invité]

Le monde selon Loup. Me souvenais de ce texte que je vais faire remonter pour aucune raison.

[Peter Pan]

Lu et approuvé (le commentaire du siècle !)

Je ne l'ai vraiment su que dans la réponse de Loupbleu mais au fur et à mesure que je lisais, c'est exactement à quoi je pensais : l'impression qu'un type observait avec un certain détachement le monde qui l'entourait... il n'aurait effectivement pas dû participer à l'action à mon avis.

Sinon, fait chier, j'ai Estelle en tête et je sens qu'elle ne va pas me quitter de la journée, je ne vous félicite pas pour ça !

[conselia]

J’aime les exercices de style, mais ce que je préfère c’est leur détournement. A ce titre, j’aurais été totalement séduit si j’avais été contraint de ne plus voir les ficelles à force de tressage fin. En d’autres termes, je l’aurais voulu plus long, Monsieur Cadburry.

[Contenu sponsorisé]