Les lionnes

[Yali]

Les lionnes

— Ça en fait des mots à ne pas dire ou des mots à dire et qui plantent une excuse derrière d’autres bons mots : Un je t’aime est un mensonge à venir dans un présent qui s’égare à l’imparfait, il dit.
Le silence s’épaissit un moment comme s’épaissit la bière des mousses distribuées sur zinc.
— Et toi, c’est quoi ton histoire ? il reprend.
— Celle de ne pas en avoir, ou d’en avoir fini aucune.
Il a le visage défoncé des piliers de comptoir, et, ça se sent, dans ses poches et dans les replis de sa caboche, des extraits de vie dont chacun pourrait donner lieu à une nouvelle, un roman peut-être. Il a vu, voyagé beaucoup. Nous sommes deux. Il me fait penser à Jim Harrison, même moustache, même air de bouledogue pas méchant pour un sou.
— Pareil pour moi, il avoue.
Sa phrase se perd quelque part entre deux jolies filles désireuses de prendre un thé. À cette heure-ci, c’est pas le genre de la maison. Pas le temps, allez oust !
Elles s’en vont déçues, nos regards s’égarent sur leurs versos taille basse, doucement se referme la porte du bistrot.
Je recommande deux bières, lui offre la sienne.
— Merci, il dit et enchaîne alors que toujours il matte les deux silhouettes s’étiolant dans la nuit : «  Des lionnes ce sont des lionnes, des prédatrices. Elle pleurent en te quittant comme pour laver au sel le parfum de l’extase passée, disent : Ne m’oublie pas. Et le linge, dés lors qu’il sent bon, débarrassé de toi et de tes odeurs, elles le suspendent à l’étendage et rêvent d’autres culottes. Et bien sûr, elles se les offrent dans pas si longtemps que ça. Le lendemain le jour d’après, le suivant… Les félines n’ont pas conscience du temps. »
J’aimerais mesurer son propos, lui dire que non, que sans doute elles ne sont pas toutes ainsi, pas toutes lionnes, que certaine d’entre elles… Mais, si je cherche dans mes fouilles, me reste un passeport, quelques milliers d’euros, la veste que j’ai sur le dos, un sac avec le strict nécessaire, des Moleskine, un stylo plume : le mien fait à ma main, un roman : le mien encore. Un autre, un chef-d’œuvre celui-là : Dalva, et l’idée de m’envoler loin ailleurs. La vie s’est donnant donnant, rien de gratuit, jamais. Coup pour coup, et le premier qui se relève s’apprête à mourir une nouvelle fois
Je fini ma bière, il commande sa tournée, paye.
— Moi je suis déjà mort quatre fois, il dit, et toi ?
— C’est la deuxième.
Je délaisse mon verre, j’ai déjà trop bu, et je le plante là avec ces histoires de lionne. Mourir deux fois c’est une fois de trop. Une fois pas assez ?
Il devrait y avoir, quelque part affiché dans un aéroport une destination possible, un endroit où aller, un lieu vide de tout souvenir. Du neutre, j’ai besoin de neutre.
Elle a dit, «  Je m'inquiéterai pour toi. Tout le temps »
En partance je pense à cette phrase, y repense et me la croise avec une autre : un «  Je m'inquiéterai pour toi. Tout le temps », est un mensonge à venir dans un présent qui s’égare à l’imparfait.
Rien de plus vrai, rien de plus faux. Juste des mots pour dire et qui plantent une excuse derrière d’autres bons mots, et pouvoir étendre des culottes neuves sur l'étendage.
Rien de plus faux.
Rien de plus vrai.
Des mots vrais.
Des mots faux.
Rien que des mots.

[Invité]

Que de maux dans ce texte ...

[bertrand-môgendre]

Si l'écriture est art, ta réalisation ressemble aux contemporaines peintures d'un Baltus finalisant sa Thérèse rêvant.
Sur ta toile, se croisent lionnes, tigresses et rapaces. Pas de petits ours bruns.
Est-ce là une représentation de la réalité ? Si oui, il te reste l'éternité pour nous en faire partager son immortalité.

[Kilis]

Chapelet de petites culottes qu’on égrène en bord de zinc le nez dans une mousse d’amertume...

Tu fais ça mieux que personne, Yali : faire naître des images.
Simplement.
Et ce n’est pas simple.

[Invité]

L'une étend ses culottes, l'autre accroche ses mots sur le fil toujours trop mince, jamais suffisant pour s'y tenir...
Pauvres lionnes : elle sont obligées de les acheter, leurs culottes. Tes mots, tu les fais naitre . Et ça te donne une sacrée longueur d'avance !

[mentor]

un zinc, des potes et des petites culottes
ce serait un peu restrictif de résumer l'univers Yali à ça ;-)
mais quand même, c'est récurent
texte détente

[Lucy]

Je me laisse porter par la musique, du coup.

[le pilou]

J'adore mais je pense que tenir ce rythme sur plusieurs pages ce serait difficile autant pour l'auteur que le lecteur. Cependant je raffole de ce genre de trucs. et puis ces lionnes...tout un programme. Je ne sais pas si cela à un rapport (je pense que si mais bon, c'est comme pour les tableaux contemporains...) mais la lionne c'est bien choisi, mieux que la tigresse ou la louve ou ect... . En effet, la lionne se passe du mal, c'est bien la lionne qui s'achète sa subsistance, s'achète ses culottes. C'est l'indépendance, l'innacessible et la raison pour laquelle on court...ou ne court plus.

[le pilou]

OUHHHHHHHHHHAAAAAAAAAAAAAAAA le mal au lieu du mâle.....allo Freud, j'ai mâle à mal ibido

[Charles]

rien à ajouter ... "lu et approuvé" ;-)

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