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Les meuniers

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Message  roro Dim 28 Sep 2008 - 1:56

Hissée sur une petite caisse en bois, depuis une frêle bâtisse côtière, je contemplais le rivage doré. Mon âme était comme envoûtée par le mouvement hésitant des vagues et par le flux et reflux d’une mer taquine caressant lascivement le corps abandonné d’une plage de septembre… J’étais charmée par ce paysage enchanteur aux accents ocre et olive, tonalités digne d’un tableau de millet. Le soleil peinait à annoncer l’aube, derrière ses couvertures de nuages. Les mouettes encore ensommeillées titubaient en silence dans les airs. La mer écumait de rage contenue puis déversait son amertume contre le sable jauni d’un paysage d’automne.

Dans mon moulin j’étais à l’abri et du froid et du vent matinal. Je me sentais aussi solitaire et abandonnée que ce petit bout de moulin oublié sur la plage.

J’ai toujours été fascinée par les paysages côtiers. Et par les travailleurs de la mer. Mais aujourd’hui la Dame avait revêtu des couleurs étranges et le rythme du temps avait décéléré. Les rayons tardaient à percer. Le silence devenait de plus en plus oppressant. Je commençais à somnoler. J’allais sombrer dans un profond sommeil quand je fus subitement réveillée par un bruit de pas. Je sentis une présence tout près de moi, sur le rivage. Qui pouvait bien s’aventurer à l’aube de ce désert matinal ?

Je jetai un coup d’œil. Deux hommes – des meuniers – coiffés d’un bonnet s’avançaient tranquillement vers le rivage. Ils étaient habillés de manière très curieuse. Non pas à cause de la forme de leurs habits, mais plutôt à cause de la couleur de ceux-ci. Leurs pantalons et chemises étaient vert-ocre et se fondaient parfaitement avec les couleurs du paysage. Une vraie prouesse de camouflage. Ils avançaient péniblement. Je vis qu’ils tiraient derrière eux un lourd objet : un sac de farine en toile tissée.

Deux bons meuniers s’étaient levés avant l’aube pour gagner à la sueur de leur front leur pain quotidien. Deux pauvres meuniers fatigués, harassés par le labeur : figures intemporelles associées au soleil, au blé et à l’humanité… Dans cette aube naissante je vis là un symbole et une allégorie de la vie humaine. Sans se plaindre, sans se retourner, les deux hommes s’avançaient, traînant derrière eux ce pauvre sac, résumant à lui seul les efforts d’une saison. Ils allaient bientôt atteindre l’eau. Des meuniers tirant un sac de blé vers… Le rivage ?

Soudain je pris peur. Je regardai autour de moi : la pièce était remplie de sacs en toile rembourrés. Et je compris. Je compris tout en un éclair ! Je sus ce que contenait en réalité ce sac. Je le sus instinctivement. Sans explications. Sans symboles. Sans gestes. Sans signes. Ils jetaient un cadavre à la mer. Un cadavre morcelé. Ils rendaient cette lugubre marionnette déchiquetée à l’eau glacée du matin. Une pâture aux requins… Le pain quotidien d’un banc de poissons argentés ? Ils jetaient un cadavre à la mer, et moi je me trouvai là, entourée d’une dizaine de sacs molletonnés. Je jetai un autre coup d’œil par la fenêtre : sans me voir, sans me regarder, sans me prêter aucune attention, les « meuniers » tiraient de toutes leurs forces ce sac qui rechignait soudain à s’avancer vers sa dernière demeure. Mon sang se glaça d’horreur. Je me sentis défaillir.

Et je me réveillai, le cœur en tambour, les draps en nage… Et plutôt soulagée. Je tirai les rideaux pour voir la couleur du ciel ce matin. Je vis quelques rayons pâles percer timidement à travers le voile cotonneux des nuages, au-dessus d’une grève bleutée…
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Message  Invité Dim 28 Sep 2008 - 8:08

Voilà quelqu'un qui rêve en couleurs !
Intéressant comme tu sais rattraper ton écriture juste avant qu'elle ne bascule dans le pathos (je pense au paragraphe des "deux pauvres meuniers"). Pas mal du tout.

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Message  Invité Dim 28 Sep 2008 - 9:17

Je trouve le texte assez envoûtant, avec une ambiance intéressante, mais non exempt de défauts.

Ainsi, le ton du premier paragraphe est pour moi trop sophistiqué, plombé d'adjectifs :
"une frêle bâtisse côtière"
"par le mouvement hésitant des vagues et par le flux et reflux d’une mer taquine caressant lascivement le corps abandonné d’une plage" (trop ! La phrase est comme saturée.)

Mais ensuite j'ai bien aimé ; la conclusion "réveil après rêve" est un peu facile, mais la dernière phrase me plaît, je la trouve bien balancée quoiqu'un chouïa trop riche (peut-être est-ce simplement l'adverbe qui la fait basculer)...

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Message  roro Dim 28 Sep 2008 - 19:08

Moulée dans ma robe de soirée noire, j’attendais l’ascenseur. L’hôtel était luxueux, l’ambiance feutrée et chic. Mais ce qui m’attirait plus que tout était la lumière éclatante jaillissant des murs, du plafond et même des sourires du personnel. Armée de ma robe scintillante laissant deviner mes formes rebondies, je me sentais confiante de mes charmes. Il faut dire qu’ils étaient haut perchés sur talon aiguille et que je me débrouillais bien en marchant. Quelques clients qui attendaient avec moi me lancèrent des regards de connivence. Je me sentis vraiment dans mon élément. La soirée commençait à m’intéresser. Il faut dire que j’adorais jouer au chat et à la souris. Et justement, je promenais mon regard sur la foule qui patientait, dans l’espoir de trouver quelque proie pour l’apéritif.

Mais je fus vite déçue. Il y avait là une vieille mémé en tenue bon chic bon genre : veste à carreaux saumon fumé enfilée par-dessus une chemise à froufrous dentelés et jupe droite descendant jusqu’aux genoux. Je n’osais même pas imaginer l’odeur du parfum : à en juger d’après la couleur de son voisin, il devait être fort capiteux… Justement, son voisin direct virait au violet en tournant la tête de l’autre côté. Il essayait, en vain, d’éviter les effluves de venin poivré. La dame semblait ne pas s’apercevoir de son effet fatal sur ce dernier. Il devait avoir une trentaine d’années, maigrelet, les oreilles décollées et vêtu d’un costume cravate classique. Il tenait d’une main son ordinateur portable et de l’autre un attaché-case noir. Dans son regard, à part la gêne occasionnée par le parfum de Madame, on pouvait lire la lassitude d’un cadre dynamique, rescapé de quelque réunion harassante… Il rêvait sans doute de prendre une douche chaude et un bon dîner avant de reprendre les rounds des négociations… Pas mon genre : trop sérieux et timoré.

Un couple attira mon attention : une belle blonde élancée et un grand brun aux yeux de jais. Même s’il me semblait intéressant, je ne le choisis pas comme cible. De une parce que ses mains patientaient sur la poignée d’une poussette bleu-marine. Et de deux parce que sa compagne semblait sortir d’un magazine de mode. Elle portait un simple jean et une tunique fleurie, mais avec quelle classe !

Dépitée, je laissai mon regard porter sur le dernier phénomène : un petit monsieur rondelet qui me faisait penser pour je ne sais pour quelle raison à un pot de confitures. De groseilles. Sa moustache était longue et recourbée ; elle me semblait bien entretenue. Pour couronner le tout, il tenait une laisse avec à son bout un vrai saucisson en forme de chien… Le Monsieur et son fidèle ami patientaient calmement.

Et soudain : Bing ! L’ascenseur arriva ! Une grande fébrilité s’empara de l’assemblée qui se mit en garde-à-vous. Celui-là tira sur la poussette, l’autre attira son chien, la vieille dame se dandina sur ses talons… Quant à la blonde, sans surprise, elle ne cilla pas et ne bougea pas d’une semelle. Avec grande classe elle attendait, immobile. La porte automatique s’ouvrit… Et là, je l’aperçus ! Un groom bien souriant nous accueillit avec ces mots :

- Service royal de l’hôtel du Grand Duc ! Mesdames, Messieurs, vous voilà servis ! Vous avez sonné à la bonne porte ; que puis-je faire pour vous ? Madame, besoin d’un coup de main pour porter la valise ? Veuillez entrer, je vous en prie, nous sommes là pour vous servir…

Et tout en s’emparant de la valise de mémé, le groom s’arrangea pour reluquer la blonde et froncer les sourcils en regardant le petit Watson. Quant à moi, je me sentais réfrigérée et je n’arrivais plus à bouger. Mes membres étaient comme glacés. Il me faisait tellement d’effet, celui-là…

Fin observateur, il me lança :
- Allons Mademoiselle, soyez courageuse ! Le voyage commence pour vous, ne restez pas seule sur ce marbre frais. Accompagnez-nous et faites vite : le ciel n’attend pas !

Comme hypnotisée, je m’introduisis dans cette cage enflammée de couleurs… Et je ne remarquai plus les autres. « Le ciel n’attend pas »… J’avais déjà entendu cette phrase sous multiples formes et de la bouche d’une trentaine de gens. « L’amour n’attend pas… », « la jeunesse passe … », « cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie… »… Une phrase si juste mais pas toujours anodine ; souvent manipulatrice, énoncée pour faire peur à l’autre, pour l’amener à revoir sa position, en jouant sur… la peur du temps.

Dans l’ascenseur je ne vis que lui : le rosé de sa peau enfantine, ses dents d’un blanc impeccable, son sourire espiègle, ses doigts agiles qui tapotaient sur les boutons et oeuvraient à déplacer les valises et à refermer les portes… Ses phrases à double sens et surtout son air espiègle. Cet air de dire : je sais tout de vous, et de ce qui va vous arriver…

Je me sentis assaillie de couleurs : le rouge de sa tunique m’agressait, le jaune de ses boutons m’éblouissait, les lumières du plafond se riaient de moi. Et tout tournoyait. Les autres sortaient étage par étage et je demeurais là, accrochée à la rambarde. Etage après étage, l’ascenseur devenait plus rapide, et le temps s’accélérait. J’avais sommeil. Je me sentis ivre. Je perdis mon assurance de panthère séduisante. Je redevins enfant apeurée, les yeux rivés sur la bouche de mon bourreau. Je buvais ses mots.

Le dernier client sortit. Le groom ferma la porte et me regarda de son air lubrique. Il me lança:
- Le temps n’est plus aux regrets désormais. On y est…

L’ascenseur allait de plus en plus vite. Aussi vite qu’un ascenseur rapide. Aussi vite qu’un cheval au galop. Aussi rapide qu’une voiture de formule 1. Plus vite qu’un avion… Je pris peur. Je suais. Ma tête tournait. Mon âme hululait et mon ventre cauchemardait. Soudain je m’écriai :
- Stop ! On s’arrête ! Je descends là ! C’est mon étage !

Comme s’il n’attendait que cette phrase de ma part, il partit d’un rire si long et si éclatant que j’en fus presque consternée. Puis gênée. Puis énervée.
- Parfaitement Monsieur ! Stop ! Arrêtez-vous ! Je descends là !

Son rire partit de plus belle, et il souffla entre deux hoquets de joie, les larmes aux yeux :
- Mais… C’est qu’elle n’a rien compris ! L’ascenseur… Il ne s’arrête pas !

Je pris peur ; je m’élançai vers le bouton de commande, il me laissa faire. J’appuyai sur stop. Rien ne se passa. J’insistai : la vitesse s’accéléra. J’appuyai encore : la vitesse s’accéléra encore plus. Alors je commençai à crier, à pleurer, à l’implorer. Me répondait son long rire hystérique en volume crescendo. Je tapai contre la porte, je frappai le groom, je me tapai la tête contre les murs… Rien n’y fit.

Et je compris. Nous n’étions plus à l’hôtel. Nous avions dépassé le dernier étage. Depuis bien longtemps. Nous n’étions plus connectés avec la Terre. Nous avions décollé depuis bien longtemps. Nous n’étions plus dans l’atmosphère : nous nous en étions déjà détachés. Nous étions seuls, lui et moi. Une triste panthère barbouillée de mascara et un groom blondinet hilare. Dans une cage d’ascenseur brillant de mille feux. Tous deux ensemble dans un parallélépipède de l’impossible. Une fillette affolée et un groom omniscient ensemble voyageaient. Dans le temps s’élançaient. Destination : l’infini.

J’avais enfin compris. Notre voyage intemporel n’aura pas de fin. Je me résignai. Je levai alors mes yeux larmoyants et vaincus vers mon tortionnaire. Je le vis à travers mes larmes : il s’était maintenant calmé. Son visage angélique me lança alors son plus pétillant sourire. Il m’avait dominée.
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Message  mentor Dim 28 Sep 2008 - 20:11

J'aime bien le premier texte pour son ambiance, intrigante, lourde, même si le coup du rêve est un peu surfait de nos jours
Pour le deuxième c'est plus insouciant et déjanté, mais plaisant malgré tout
En tout cas on sent bien que tu aimes écrire et que ta palette est variée
Faut donc continuer, continuer, continuer ;-)

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Message  roro Dim 28 Sep 2008 - 20:19

Merci mentor pour tes encouragements... C'est vrai que j'écris avec beaucoup de plaisir, mais depuis que j'ai découvert les forums d'écriture je n'arrive plus à m'arrêter! C'est très intéressant de lire tous les styles et surtout d'avoir des commentaires variés...

Juste pour information : ce sont de vrais rêves que j'ai dû faire à 16 ans... Ils étaient tellement bizarres et esthétiques que je m'en rappelle encore dans les moindres détails...
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Message  mentor Dim 28 Sep 2008 - 20:20

roro a écrit:Juste pour information : ce sont de vrais rêves que j'ai dû faire à 16 ans... Ils étaient tellement bizarres et esthétiques que je m'en rappelle encore dans les moindres détails...
ha le deuxième texte est aussi issu d'un rêve ?! je n'avais pas deviné
c'est bien de rêver en couleurs, effectivement ;-)

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Message  roro Dim 28 Sep 2008 - 20:23

Oui je l'ai rêvé avec les couleurs, le rythme et le rire sadique... Tout y était! Et le Groom : un vrai Spirou!

Mais je n'ai pas voulu l'écrire en tant que rêve (j'ai triché) Sinon ça devient redondant.

Je n'ai pas besoin d'imaginer : je transcris mes anciens rêves! C'est plus pratique et moins fatiguant!
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Message  mentor Dim 28 Sep 2008 - 20:25

roro a écrit:je n'ai pas voulu l'écrire en tant que rêve (j'ai triché)
ben non, c'est pas du tout tricher ! celui qui écrit a tous les droits sauf de piquer le texte du voisin ou diffamer ;-)

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Message  Lucy Dim 28 Sep 2008 - 22:34

Voilà des rêves bien utiles qui forment un petit ensemble intéressant. Tu as un univers bien à toi, Roro, et j'aime ça.
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Message  roro Dim 28 Sep 2008 - 23:32

Je vous propose une suite différente pour mon texte "Les meuniers". On m'avait en effet reproché la fin un peu facile au réveil! Alors je vous offre cela... Est-ce que cette suite vous plait d'avantage?
PS: vous trouverez en bleu la nouvelle fin...


Hissée sur une petite caisse en bois, depuis une bâtisse côtière, je contemplais le rivage doré. Mon âme était comme envoûtée par le mouvement hésitant des vagues. J’étais charmée par ce paysage enchanteur aux accents ocre et olive, tonalités dignes d’un tableau de Millet. Le soleil peinait à annoncer l’aube, derrière ses couvertures de nuages. Les mouettes encore ensommeillées titubaient en silence dans les airs. La mer écumait de rage contenue puis déversait son amertume contre le sable jauni d’un paysage d’automne.

Dans mon moulin j’étais à l’abri et du froid et du vent matinal. Je me sentais aussi solitaire et abandonnée que ce petit bout de moulin oublié sur la plage.

J’ai toujours été fascinée par les paysages côtiers. Et par les travailleurs de la mer. Mais ce jour-ci la Dame bleutée avait revêtu des couleurs étranges et le rythme du temps avait décéléré. Les rayons tardaient à percer. Le silence devenait de plus en plus oppressant. Je commençais à somnoler. J’allais sombrer dans un profond sommeil quand je fus subitement réveillée par un bruit de pas. Je sentis une présence tout près de moi, sur le rivage. Qui pouvait-t-il bien s’aventurer à l’aube de ce désert matinal ?

Je jetai un coup d’œil. Deux hommes – des meuniers – coiffés d’un bonnet s’avançaient tranquillement vers le rivage. Ils étaient habillés de manière très curieuse. Non pas pour la forme de leurs habits, mais plutôt à cause de la couleur de ceux-ci. Leurs pantalons et chemises étaient vert-ocre et se fondaient parfaitement avec les couleurs du paysage. Une vraie prouesse de camouflage. Ils avançaient péniblement. Je vis qu’ils tiraient derrière eux un lourd objet : un sac de farine en toile tissée.

Deux bons meuniers s’étaient levés avant l’aube pour gagner à la sueur de leur front leur pain quotidien. Deux pauvres meuniers fatigués, harassés par le labeur : figures intemporelles associées au soleil, au blé et à l’humanité… Dans cette aube naissante je vis là un symbole et une allégorie de la vie humaine. Sans se plaindre, sans se retourner, les deux hommes s’avançaient, traînant derrière eux ce pauvre sac, résumant à lui seul les efforts d’une saison. Ils allaient bientôt atteindre l’eau. Des meuniers tirant un sac de blé vers… Le rivage ?

Soudain je pris peur. Je regardai autour de moi : la pièce était remplie de sacs en toile rembourrés. Et je compris. Je compris tout en un éclair ! Je sus ce que contenait en réalité ce sac. Je le sus instinctivement. Sans explications. Sans symboles. Sans gestes. Sans signes. Ils jetaient un cadavre à la mer. Un cadavre morcelé. Ils rendaient cette lugubre marionnette déchiquetée à l’eau glacée du matin. Une pâture aux requins… Le pain quotidien d’un banc de poissons argentés ? Ils jetaient un cadavre à la mer, et moi je me trouvais là, entourée d’une dizaine de sacs molletonnés. Je jetai un autre coup d’œil par la fenêtre : sans me voir, sans me regarder, sans me prêter aucune attention, les « meuniers » tiraient de toutes leurs forces ce sac qui rechignait soudain à s’avancer vers sa dernière demeure. Mon sang se glaça d’horreur. Je me sentis défaillir.

Mon instinct de survie dirigea mes yeux vers la sortie… Heureusement, elle était située à l’opposé du rivage, à l’abri du regard des meuniers. En descendant de mon carton, je percutai une barre supportant divers hameçons et objets métalliques. Affolée par ce fracas, je courus et me fracassai violemment contre… une porte vitrée !

Assommée, émergeant à peine de mon sommeil forcé, je retrouvais peu à peu ma conscience, dans les bras d’un charmant monsieur ! Il était bien jeune et un peu palot. Hébétée, je regardais autour de moi sans comprendre. Le décor avait bien changé. Il n’était plus question ni de mer, ni de farine ni de porte-clés. Je me trouvais dans une immense pièce blanche éclairée par des spots jaunâtres et très puissants. Un peu comme dans un bloc chirurgical, avec l’odeur de désinfectant remplacée par une senteur de lavande. De petits tableaux étaient accrochés à intervalles réguliers sur les murs de la pièce.

Mon sauveur m’examinait avec insistance. Il était très attirant, avec dans les yeux cette flamme de rare intelligence. Il me semblait un peu… anachronique. Vêtu d’une redingote de prestidigitateur cirée et d’une chemise blanche impeccable. Ses cheveux noirs de jais légèrement bouclés lui arrivaient jusqu’aux épaules. Je l’examinais aussi. Avec défiance. Il le sentit ; son expression s’adoucit et il me demanda gentiment : "je vous sers quelque chose, ma gente dame ?".

Je ne compris pas du tout la question. Encore sous le choc, je ne saisissais pas la signification de cette phrase.
- Je vous sers quelque chose ? Du thé ? Un café ? Des biscottes ? Vous m’avez l’air bien fatiguée…
- Ah oui, certainement… Euh… Un thé… Avec des biscottes. Ce sera parfait.

Alors il sortit de sa poche un trousseau de clés, et je le vis se diriger vers la seule issue, ouvrir doucement la porte métallique puis la refermer. J’entendis ensuite le cliquetis d’une serrure. Je ne pris pas peur. Je le savais : il allait revenir.

Curieuse malgré tout, et très attirée par les arts, je me mis à contempler les dessins. Des peintures à l’huile, et plus exactement des portraits. Très fins et délicats, avec des couleurs vives. Un portrait de femme me retint particulièrement. Une jeune fille au regard absent. Assise sur un rocher, au milieu d’une nature dénudée, elle regardait dans le vide… Ses yeux étaient tellement chargés d’émotion qu’on ne pouvait en distinguer les couleurs… Juste quelques nuances : une touche de nostalgie, un brin de tendresse, un soupçon de sacrifice… Une main se posa subitement sur mes épaules me rappelant à la réalité.
- Ah, je vois ! C’est Mademoiselle de la Madeleine qui vous tracasse autant ? Sacrée rêveuse celle-là… Elle a passé ainsi sa courte vie… A aimer !
- Elle est donc morte jeune ? Mais de quoi ? Une aussi belle fille… Ca devait être terrible !
- Son histoire était bien terrible, c’est vrai… Mais je ne vais pas vous importuner avec cela. Vous êtes déjà si mal en point ! Tenez, asseyez-vous et mangez… Reprenez donc quelques couleurs…

Je sentis un sourire sarcastique se dessiner sur ses lèvres… Mais il le balaya rapidement. Il avait l’expression du visage tellement changeante ! On aurait dit un ciel Néerlandais !
- Elle est née aux Pays-Bas !
- Pardon ? De qui vous parlez ?
- Mademoiselle de la Madeleine. Une Française née à l’étranger…
Encore ce sourire cynique. Très vite effacé. J’essayais de ne penser à rien. Et de finir rapidement mon petit déjeuner improvisé.
- Et, hum… Vous travaillez ici ? Vous devez être…
- Le gardien du Musée… Enfin, Musée c’est un bien grand mot. Disons, boudoir artistique. Ici, comme vous l’avez certainement remarqué, on ne reçoit que des portraits de femmes. Des femmes intelligentes, passionnées, rêveuses… Qui ont été prêtes à sacrifier grande partie de leur vie pour une passion dévorante. Justement Mademoiselle de la Madeleine s’était entichée d’un bien gringalet chevalier ! Ha Ha ! Il ne revint jamais de sa guerre ! Mais la Madeleine elle, en pleura des rivières et des rivières… Une inondation ! Elle finit…
- Comment a-t-elle fini ?
- Dans un portrait !
Son ton était si tranchant et assuré que je crus préférable de ne rien ajouter.

- Voyez-vous, aujourd’hui on ouvre vers 9h00. Les visiteurs vont commencer à affluer. Puisque je vois que vous avez terminé votre collation, je vous propose une visite guidée… Toute courte, hein ? Ne soyons pas trop gourmands ! Histoire de reprendre quelques couleurs.
Cette dernière phrase, assortie à un clignement des yeux sadiques acheva de me mettre mal à l’aise. Je le suivis malgré tout, élève docile. Il me conta mille et une anecdotes croustillantes sur ses femmes, leurs passions, leur courage, leurs tragédies…

On en était à Madame de la Chesse, une Marquise dont la passion pour la musique avait été contrariée par un mariage arrangé, quand mon sauveur s’arrêta brusquement de parler. Il regarda sa montre : c’est l’heure, se dit-il. Il ne semblait plus s’apercevoir de ma présence. Il commença à s’affairer, sortit à maintes reprises, revint avec des sacs molletonnés noirs et divers objets. Il ne répondait plus à mes questions. Je regardai ma montre : huit heures quarante cinq. Je me dis qu’il devait être en train de préparer la salle avant l’arrivée des visiteurs. Il me restait encore un ou deux tableaux à voir. Je me hâtai pour avoir terminé avant l’afflux des invités. Le dernier tableau me sembla bien étrange : il était vide… C’était un paysage côtier, peint dans le style de Millet. On y distinguait une petite cabane délabrée près de la grève. L’aube commençait à peine à poindre, rendant la visibilité difficile. J’eus soudain un flash de lucidité. Je compris tout mais trop tard. Je me sentis étouffer tellement mes poumons se comprimaient contre mon cœur. Ma cage thoracique m’asphyxiait et j’avais la gorge nouée comme une corde de pendu. Je voulais crier, parler, émettre un bruit, chuchoter... Aucun son ne sortit de ma bouche. Alors je me retournai et je le vis. La hache à la main, il s’avançait vers moi. De l’autre main il tenait un sac en toile tissée…




« Mesdames et Messieurs, bienvenue à vous dans ce Musée-boudoir unique en son genre. Ces femmes, Mesdames et Messieurs, ces femmes ont aimé plus que de raison. Et elles en sont mortes. Silencieusement. Sans un cri. Sans un bruit. Elles se sont sacrifiées pour l’objet de leur amour. Pour donner un sens plus noble à leur passion elles ont donné ce qu’elles avaient de plus cher : leur vie ! Je vous laisse donc en compagnie de notre cher Lorenzaccio qui saura mieux que moi vous commenter chacune de ces œuvres. Et avant de terminer, je voudrais vous prévenir : vous assisterez aujourd’hui à une première. Le Musée vous présentera sa nouvelle acquisition : « La Jeune Fille sur la Grève ». Quelle tragédie ! Cette pauvre fille aimait tellement l’aube et les flots marins… Elle aurait passé toutes les aubes de sa vie à contempler les vagues. Qu’il vente, qu’il neige ou qu’il fasse beau, on la retrouvait là, les yeux perdus au loin, contemplant on ne sait quel beau trésor qu’elle était seule à voir… Mais, chut ! J’en ai trop dit. Je vous laisse entre les mains averties de Lorenzaccio. Et… Bonne visite à vous tous! ».
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Message  Invité Lun 29 Sep 2008 - 6:36

Oh ben ! Elle déchire, cette fin-là. Je la préfère infiniment.

J'ai bien aimé aussi le texte un peu plus haut, très visuel. Les descriptions sont réussies je trouve.

Une erreur dans "qui me faisait penser pour je ne sais pour quelle raison" et une maladresse dans "Il rêvait sans doute de prendre une douche chaude et un bon dîner avant de reprendre".

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Message  roro Lun 29 Sep 2008 - 12:09

Merci Socque, je vais les reprendre
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Message  roro Lun 29 Sep 2008 - 12:10

Merci pour ton passage Lucy...
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Message  mentor Mar 30 Sep 2008 - 18:42

Pas mal ce Barbe-Bleu "conservateur" qui prémédite avec autant d'art !
C'est bien vu et original. Et horrible...
Quelques maladresses style "Affolée par ce fracas, je courus et me fracassai violemment contre… une porte vitrée !", fracas-fracasser, hum
Bon, alors c'est bon hein, tes meuniers ça ira comme ça :-)))

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Message  roro Mar 7 Oct 2008 - 3:58

Ben oui! Ce fracas m'a fracassée! Ça vous fracasse?? Moi personnellement ça ne me fracasse pas trop...?? :):)
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Message  roro Mar 7 Oct 2008 - 3:59

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Message  roro Mar 7 Oct 2008 - 4:00

:-) c'est le petit homme qui rit j'arrive pas à le dessiner! :-) ah voilà
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Message  Sahkti Jeu 16 Oct 2008 - 9:34

Les meuniers:
Le début me paraît trop tarabiscoté, trop d'ajectifs et des tournures grandiloquentes qui alourdissent le texte. Finalement, on passe ainsi à côté de l'âme du meunier, son boulot, etc, mais ce n'était peut-être pas vraiment l'objectif du texte de nous parler du métier.
Tu poursuis avec une tension, une action, ça s'améliore et puis blam, tu flirtes de très près avec le pathétiquement ennuyeux. Heureusement, tu t'arrêtes avant avec une pirouette de fin déjà vue maintes fois mais qui marche assez bien dans le cas présent.

Ton écriture me paraît soignée et travaillée, il y a du potentiel dans tout ce que tu racontes mais je me demande si tu ne te laisses pas étouffer par une volonté de trop bien faire et que ça tue vie et spontanéité dans ton texte; ça ne respire pas beaucoup, c'est dommage.
Avis perso, bien sûr :-)
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Message  Sahkti Jeu 16 Oct 2008 - 9:39

Hum, je lis et je commente au fur et à mesure sur une autre fenêtre, donc c'est après coup que je vois les suites et autres commentaires.
Donc... second commentaire :-)

Les meuniers, suite:
Ce texte conserve les défauts que j'ai relevés dans le premier.
La suite me laisse par contre dubitative. Outre cette impression de trop en faire, trop en dire, il me semble que cette idée est incongrue par rapport au début et finalement, j'aimais mieux la pirouette; je suis compliquée, je sais :-)
Tu racontes ici une histoire dans l'histoire et finalement, je me demande un peu ce que le début vient faire là-dedans, au fur et à mesure que je te lis.
Encore quelques bémols de ma part sur la longueur des phrases et la surcharge de vocabulaire.
Sur le fond, l'idée est intéressante et moins banale que la première version. Il suffirait sans doute d'alléger la forme, de la modifier pour la rendre plus vivante et ça serait tout à fait réussi.
Tu crées une ambiance et des personnages qui ne demandent qu'à être exploités et tu disposes des moyens pour le faire roro, je n'ai pas de doutes là-dessus :-)
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Message  Sahkti Jeu 16 Oct 2008 - 9:52

Femme dans un hôtel:
J'aime beaucoup ces observations sociologiques, où qu'elles se déroulent. Tu imagines des pensées et des situations, c'est toujours un exercice plaisant que celui-là.
Je suis un peu plus réservée sur le discours du groom qui me paraît bien cavalier, surtout pour un hôtel de classe :-)
Mais la suite explique sans doute cela et notre groom machiavélique révèle enfin son vrai visage.
J'ai particulièrement apprécié le fait que tu ne fournisses pas d'explications sur la destination finale et le pourquoi du comment, j'aurais trouvé ça superflu.
De la sorte, le tout est agréable à lire et bien mené.
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Message  roro Jeu 16 Oct 2008 - 11:43

Merci Sakhti pour ton passage... Je suis toute novice dans ce secteur (écriture pour les lecteurs :-) ) donc tous les commentaires m'aident à me situer et à avancer.

L'écriture c'est tellement passionnant. On m'a déjà reproché de vouloir trop en dire et de noyer le lecteur sous ces vagues de descriptions et d'images... C'est certainement vrai. Ca doit être du au fait que je découvre tout juste. Je vais devoir modérer ma passion! :-)

Je n'ai pas du tout de formation littéraire, donc si vous avez des titres de livres sur le style, la construction des nouvelles, des personnages, etc. Je suis preneuse.

Je vous remercie à tous,
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Message  pierre-henri Jeu 16 Oct 2008 - 11:58

Grand amateur de rêves, j'ai pris plaisir à ton récit.
Quelques lourdeurs, un peu d'affectation plombent la lecture de ci, de là. Dommage, car l'étangeté de l'étoffe du rêve me semblent globalement bien rendue.



J’étais charmée par ce paysage enchanteur

d’un tableau de millet.
Ce doit être bon...
Les mouettes encore ensommeillées titubaient en silence dans les airs.
Les mouettes muettes ? Mais c'est un rêve- tu as raison.


La mer écumait de rage contenue puis déversait son amertume : là aussi, je trouve que tu en fais un peu trop...
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