Souvenirs de Motor Pool
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Souvenirs de Motor Pool
Souvenirs de Motor Pool
Pour Guillaume
Chaque soir, alors que le soleil dégringolait dans le lagon, que le monde se teintait de pourpre, nous allions au nakamal*. Prés du feu, après avoir bu le kava*, nous nous racontions notre journée. À cette époque, tu travaillais dans une librairie, la plus grande de Nouméa, tu étais fier de ça. À cette époque, je travaillais dans la com. On disait « La com » pour ne pas dire « La pub ». Entre deux shells* tu me parlais des auteurs américains : Faulkner te fascinait. Moi, je n’avais pas encore écrit une ligne, je n’y avais même jamais pensé.
Ils nous est arrivé, parce que Kava vert, de ne plus pouvoir nous lever du banc sur lequel nous étions assis.
Ils nous est arrivé, de nous finir dans un bar à grands coups de Number One**.
Il nous est arrivé, de rentrer bras dessus, bras dessous, la marche hésitante, le pétard collé au bec, naviguant d’un trottoir à l’autre, rigolant d’une blatte s’enfuyant, une blatte d’environ la taille de nos chaussures.
— Celle-là, elle chausse au moins du quarante et un.
— Du quarante trois ! je répondais.
J’avais les pieds plus grands que les tiens
Evidemment, les blattes étaient bien plus petites que ça, mais qu’est ce qu’on en avait à foutre, mais l’amitié…
Il nous est arrivé de finir la nuit au commissariat.
Il nous est arrivé de nous endormir, le nez collé sur bord de zinc, avec dans les oreilles, 667 de Noir désir.
Il nous est arrivé de prendre des bains de minuit à trois heures du matin.
Il nous est arrivé que le soleil se lève avant que nous nous levions.
Il nous est arrivé quantité de choses.
Des belles.
Des moches.
Des sordides.
Des : d’une beauté infinie.
J’écrase ma cigarette dans un cendrier blindé de mégots, en allume une autre, relis ce mail qui m’annonce que t’es parti des suites d’un cancer fulgurant. « Cancer fulgurant » putain de mots, je savais même pas qu’ils existaient ceux-là.
Il t’est arrivé de me dire que les journées étaient trop courtes, de le regretter et d’en rire.
Je riais avec toi.
Je savais pas encore que t’avais raison.
Je regrette pas.
Je regrette rien.
Si ce n’est de ne pas t’avoir dit à quel point ta compagnie m’était précieuse, à quel point je t’aimais toi qui prenais tout à la légère.
Même la vie, me dis-je.
Même la vie, je répète allumant une énième cigarette.
À cette époque je jouait de l’appareil photo, j’en jouais bien, j’avais — comme déjà dit —, pas encore découvert que l’on peut se passer d’outil pour dire.
Me restent les clichés.
Tous ceux que je viens de mettre en place ici.
Un paquet.
Les autres.
Tous ceux que par optimisme je n’ai pas gardés.
Et ceux des regrets…
Autrement, les clichés photographiques se nomment des épreuves.
Des épreuves.
On aurait ri de ça.
Et longtemps encore…
Ils nous est arrivé, parce que Kava vert, de ne plus pouvoir nous lever du banc sur lequel nous étions assis.
Ils nous est arrivé, de nous finir dans un bar à grands coups de Number One**.
Il nous est arrivé, de rentrer bras dessus, bras dessous, la marche hésitante, le pétard collé au bec, naviguant d’un trottoir à l’autre, rigolant d’une blatte s’enfuyant, une blatte d’environ la taille de nos chaussures.
— Celle-là, elle chausse au moins du quarante et un.
— Du quarante trois ! je répondais.
J’avais les pieds plus grands que les tiens
Evidemment, les blattes étaient bien plus petites que ça, mais qu’est ce qu’on en avait à foutre, mais l’amitié…
Il nous est arrivé de finir la nuit au commissariat.
Il nous est arrivé de nous endormir, le nez collé sur bord de zinc, avec dans les oreilles, 667 de Noir désir.
Il nous est arrivé de prendre des bains de minuit à trois heures du matin.
Il nous est arrivé que le soleil se lève avant que nous nous levions.
Il nous est arrivé quantité de choses.
Des belles.
Des moches.
Des sordides.
Des : d’une beauté infinie.
J’écrase ma cigarette dans un cendrier blindé de mégots, en allume une autre, relis ce mail qui m’annonce que t’es parti des suites d’un cancer fulgurant. « Cancer fulgurant » putain de mots, je savais même pas qu’ils existaient ceux-là.
Il t’est arrivé de me dire que les journées étaient trop courtes, de le regretter et d’en rire.
Je riais avec toi.
Je savais pas encore que t’avais raison.
Je regrette pas.
Je regrette rien.
Si ce n’est de ne pas t’avoir dit à quel point ta compagnie m’était précieuse, à quel point je t’aimais toi qui prenais tout à la légère.
Même la vie, me dis-je.
Même la vie, je répète allumant une énième cigarette.
À cette époque je jouait de l’appareil photo, j’en jouais bien, j’avais — comme déjà dit —, pas encore découvert que l’on peut se passer d’outil pour dire.
Me restent les clichés.
Tous ceux que je viens de mettre en place ici.
Un paquet.
Les autres.
Tous ceux que par optimisme je n’ai pas gardés.
Et ceux des regrets…
Autrement, les clichés photographiques se nomment des épreuves.
Des épreuves.
On aurait ri de ça.
Et longtemps encore…
* Nakamal : lieu ou l'on boit une boisson enivrante : le Kava, servi le plus souvent dans des moitiés de coque de noix de coco nommées "shell" le kava produit une sorte de torpeur, de calme, de bien-être…
**Bière de Nouvelle-Calédonie
Yali- Nombre de messages : 8624
Age : 59
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Souvenirs de Motor Pool
Simple, beau. Un peu trop appuyé peut-être à mon goût. Mais on s'y perd, dans ces nuits néo-calédoniennes...
Invité- Invité
Re: Souvenirs de Motor Pool
qu'il est con ce mentor
Yali, tu m'as serré la gorge, là.
Serré.
M'en vais boire une bière, je gouterais bien la number one mais on n'en trouve pas par ici
merci de cet hommage à ton ami Guillaume
Yali, tu m'as serré la gorge, là.
Serré.
M'en vais boire une bière, je gouterais bien la number one mais on n'en trouve pas par ici
merci de cet hommage à ton ami Guillaume
Re: Souvenirs de Motor Pool
Tes mots résonnent et je n'ai pas compris pourquoi. Très beau, et si simple.
Je m'en vais tenter de me remettre de cette lecture.
Je m'en vais tenter de me remettre de cette lecture.
Re: Souvenirs de Motor Pool
Beau comme vrai.
Kilis- Nombre de messages : 6085
Age : 78
Date d'inscription : 12/12/2005
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