La plainte

[Mano]

- Une boulette de haschich c’est deux ou trois baffes. C’est tout.

- Et ma plainte ?

- Il n’y a pas de plainte. Vous reconnaissez avoir fumé du haschich, c’est illégal, vous vous en sortez bien.

- Une atteinte à mon intégrité physique, à ma dignité humaine, pour vous c’est sur le même plan qu’une taffe sur un joint ? Faut m’expliquer ...

- Jouez pas les naïfs. Vous avez reconnu posséder une boulette de haschich, être consommateur occasionnel, et tout cela est illégal. C’est pas sorcier à comprendre, non ? Alors, votre plainte parce qu’on vous aurez soit-disant un peu malmené le nez je crois que vous feriez mieux de l’oublier et rentrer dans vos petits souliers.

- Mais il n’y a aucune commune mesure entre fumer une joint et rester 24 heures dans un commissariat à répondre à des questions sous la menace physique d’un inspecteur qui cherche à vous humilier. Rien à voir !

- Mais si, mais si ... imaginez un peu ... faite un effort ... imaginez vous un peu plus bronzé, fumant plus souvent, et ayant choisi ce moyen là pour gagner du fric parce que trouver du travail ça ne risque pas de vous arriver. Et là, tout devient lumineux ! Deux trois bonnes tartes et où vous êtes dégoûté à jamais ... rarement c'est vrai, où vous choisissez votre camp et vous plongez. Vous, vous êtes un petit bourgeois, jamais sorti de votre trou, mais c’est démocratique de vous cogner un peu aussi. Après tout, une grosse partie du fric de ces mecs vient de vous, les petits fumeurs occasionnels et biens pensants. Eux, au moins, ils ont des couilles, ils savent plus où moins ce qu’ils veulent tandis que des mecs comme toi, deux trois baffes ça peut pas leur faire de mal de temps en temps... tu comprends ça ?

- Qui vous a permis de me tutoyer ?

- Oh, pardon ... j’oubliais, monsieur à des droits ... vous avez raison, je m’emporte, je m’emporte… je tente de vous expliquer un peu la vie, pour vous rendre service, mais ça ne vous intéresse pas ... ce qui vous intéresse, c’est votre plainte. Pour laver cet affront fait à votre petite personne ... eh bien, sincèrement, ta plainte, tu te la fourres dans le cul et tu dégages vite fait si tu veux pas t’en prendre d’autres !

- Je crois qu’il y a erreur, que c’est vous qui ne comprenez pas tout. Je crois que c’est vous qui êtes passé de l’autre côté de la barrière. En sortant du poste, j’ai fait un constat médical. Après, je suis allé voir un avocat, qui n’est pas un ami de mon père mais un jeune mec brillant qui débute, un beur qui sait de quoi il parle ... alors vos conneries de morale sur la vie, et je passe sur les tentatives de culpabilisation maladroites, vous pouvez vous les garder et faire votre métier. A savoir, enregistrer les plaintes et enquêter avant de transmettre les informations à la justice qui, elle, décidera. Suis-je assez clair ?

- D’accord, j’ai voulu être sympa ... éviter les complications. Mais maintenant il faut que tu ... que vous compreniez que cela va être la parole de trois policiers contre la votre et qu’ils vont également déposer plainte contre vous pour coups et blessures. Que cela va aller chercher beaucoup plus loin dans les peines lorsque vous aurez été condamné, car vous le serez, faite-moi confiance.

- Vous voulez rire !

- Plus maintenant que ça fait une demi-heure que je perds mon temps.

- Très drôle ...

- Vous inquiétez pas, ça marche, la méthode est éprouvée. Alors, il veut toujours porter plainte ?

- Plus que jamais !

- Alors il reprend ... Nom, prénom, date de naissance ?

- Encore !

- C’est la procédure.

- Combien de fois il faut la faire, la procédure ?

- Tant qu’elle n’est pas parfaite ... je voudrais pas voir votre plainte déboutée pour vice de forme ... hein ?

- J’hallucine ...

- Vous voyez, pas besoin d’un petit joint, suffit de venir ici ...

- Ecoutez, moi non plus je n’ai pas de temps à perdre. Ravarolle, Jacques, 26/09/72, à Paris, XIVème ...

- Pas si vite ! Il peut épeler, Ravarolle ?

- R.A.V.A.R.A, non ! R.A.V.A.R.O.L.L.E. ... mais ça je vous l'ai déjà dit, vous l’avez devant vous ...

- Du calme. Clinique ou hôpital ?

-Quoi, quelle clinique ?

- Où il est né, dans une clinique ou dans un hôpital ?

- Hôpital Saint-Joseph.

- Ah oui, je connais bien par là bas ...

- Mais de quoi vous parlez ? D’où vous avez besoin de savoir où je suis né ?

- Simple curiosité. Bon, il me raconte les faits.

- Eh bien j’étais assis dans le bureau depuis trois heures quand le flic aux cheveux blancs et revenu pour me ...

- Qui ?

- Le flic aux cheveux blancs ...

- Et il veut porter plainte avec ça ? Le flic aux cheveux blancs. Quel numéro de matricule, nom, prénom, grade. Ça peut-être n’importe qui ça, le flic aux cheveux blancs, même ma grand-mère !

- Mais je peux le reconnaître ! Et les deux autres aussi, et j’ai mon certificat médical et ...

- Bon, je crois qu’on peut lâcher l’affaire. Même s’il était tombé sur Barbi la description collait ... je crois qu’il a de quoi inculper la moitié de la terre. Sans plaisanter, retourne chez toi, oublie tout ça, fume un joint, bois un coup, saute ta copine, mais vient pas me faire chier avec ton histoire de plainte.

- Je reviens avec mon avocat.

- C’est ça. Reviens avec lui qu’on rigole ensemble.

- Mais putain, ils m’ont frappé !

- Et alors ? Quand tes parents te foutaient une raclée tu portais pas plainte.

- Mes parents ne m’ont jamais touché !

- Eh bien maintenant tu sais ce qu'il manque à ton éducation, mon petit.

[Invité]

C'est banal et ça révolte toujours autant.

[Invité]

Un ton très juste, on s'y croit ! Chapeau.

[loic]

c'est comme ca que ca se passe alors

beau dialogue ca pourrait être une scène de série sur TF1

[Sahkti]

Quelque chose, difficilement identifiable, me dérange un peu et je me demande si ce n'est pas une certaine forme de caricature, même involontaire. Je ne dis pas que les choses ne se passent, hélas, pas comme ça mais raconté de la sorte, ça en serait presque drôle et ça me gêne un peu, car je n'arrive plus dès lors à considérer ce texte tel qu'il devrait (sans doute) l'être.

[Mano]

Non, en fait ça a été écrit pour être un texte drôle. Un dialogue "à la Audiard" mais n'est pas Audiard qui veut... TF1, ça ira comme ça.
Je ne dirai pas non à un petit poste de scénariste télé, il y a pire pour bouloter.

[Invité]

Et bien, c'est gagné ! J'étais à pouffer (tout en culpabilisant " c'est pas drôle" ! Je crois que je suis dotée d'une capacité à rire taille équipement de survie !

[Sahkti]

Non, en fait ça a été écrit pour être un texte drôle. Un dialogue "à la Audiard" mais n'est pas Audiard qui veut... TF1, ça ira comme ça.

Ha ben ok alors, objectif presque réussi!

[Arielle]

Même problème que Coline : c'est si proche de ce que j'imagine être la réalité que je culpabilisais d'avoir envie de rire. Maintenant que tu m'en accordes le droit, je savoure l'humour de cette scène à sa juste valeur et j'en redemande.

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