Vos écrits
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment : -28%
Brandt LVE127J – Lave-vaisselle encastrable 12 ...
Voir le deal
279.99 €

Mamie Béa (1)

2 participants

Aller en bas

Mamie Béa (1) Empty Mamie Béa (1)

Message  ptipubi Mar 25 Nov 2008 - 20:41

Mamie Béa



Journal de Béatrice Radiac.

Paris, le 19 Mars 2001

Quelle journée abominable ! Huit mois que ma vie s’est arrêtée, roulée en boule dans un coin de cuisine attendant qu’on lui essuie les pattes pour ne pas salir le sol. Et la douleur. Elle me pétrifie chaque jour davantage. Je n’ai plus le goût à chiner comme on le faisait dans le Morvan ou la Drôme Provençale ; j’ai décidé de prendre la plume pour comprendre ce qui m’empêche de trouver le sommeil.
Le box-boutique d’antiquités du marché Biron, où des meubles, esthétiquement craquelés s’entassent pour fasciner des badauds à la recherche des fastes de la petite histoire, ne me manque pas. Leur gueule non plus !
Si je n’écris pas ce journal, tu resteras à jamais une mangrove dans mon existence instable. […]

……………………………………………………………………………………


Meudon, le 4 Janvier 2006

J’ai liquidé notre box aujourd’hui. Je n’ai plus la force de vendre des vieilleries. De me morfondre dans un fauteuil d’époque. De me sentir comme ce que je refourgue. Heureusement, il sera châtié.
Ma voix a changé autant que les mots qu’y en sortent. Qu’ils sont loin les haut-le-corps qui ont suivi mes premiers clients automnaux. Au milieu des fougères et des châtaigniers du bois de Meudon, je m’habitue, graduellement, à la brume et aux corps suants et acéphales des hommes. J’ai pris l’habitude de prendre deux thermos d’eau chaude, la première pour le café et l’autre pour soulager mes entrailles d’un peu de chaleur.
Six mois de calvaire et je ne regrette pas ma décision, seulement, ce journal auquel, au départ j’avais intimé humblement d’être l’ ersatz de ma pensée devient un pamphlet.
C’est pour toi que je leur sers d’étal, pour être parfaite, pour me venger avec tes souffrances en moi. Une répétition nécessaire avant l’envol pour la Lozère. Là-bas, le fils Gourbes s’empêtrera dans mon ruban tue-mouche. Le pauvre petit doit digérer la mort de sa mamie ; il doit être si fragile…si cristallin. Une gouttelette d’eau, lentement, à laper. […]

……………………………………………………………………………………


Langogne, 10 Août 2006

A la descente du car, une douce chaleur m’a tenu compagnie cet après-midi. Comme dans mes vieux cahiers de dessin, au loin les blocs de granit, imperturbablement, arrondissent, par petites touches, le relief que les genêts et les sorbiers nuancent. Désormais, je suis une catin avérée. Mon plan, aussi vil soit-il, ne souffre aucune retenue ici comme à Paris. Ma priorité est de trouver une location alentour de Langogne et m’astreindre à y allonger des chasseurs, paysans et autres bûcherons avinés. Regarde ce que je fais. Regarde comme je t’ai aimée !
J’espère que, la rumeur aidant, le fils viendra frétiller près de la nasse, effaré par mon œil à travers la vitre ; Je serai là. […]

…………………………………………………………………………………….


Paris, rue du poteau, 12 mai 2005

La providence est à mes côtés. Il y a deux jours, j’ai lu que la grand-mère du p’tit s’est jetée dans le Chapeauroux. Un coup de défibrillateur qui m’a réveillée et sortie de ma mollesse. J’ai envie de te venger, une fureur que je vais devoir apprivoiser. Je me souviens, gamine, de ces films de kung-fu que je regardais en continu Porte de la Chapelle. Le héros subissait toutes sortes d’humiliations que justifiait le combat final : Je veux être ce héros.
Le fils en bavera à la place du père. Cette ordure de Gourbes, planqué dans sa tour d’ivoire, sera le spectateur de la déchéance du fils. Je me vois déjà en appât insaisissable et oedipien, la tête ceinte d’un bandana.
Je n’ai plus de limites depuis ce matin d’août sur la plage du Canet. J’aurai raison de cette pourriture. […]

…………………………………………………………………………………….


Langogne, ferme de la Chazelle, 15 Novembre 2006

Je n’écris que très peu, les gens que je côtoie abîment mes souvenirs candides d’enfance mais rien à foutre.
Je suis passée d’un camping-car sans contrôle technique à une fermette toute en pierres qui me donnerait presque envie de la retaper avec un bon gars du coin mais je laisse tout en l’état ; autant la cour glacée et ombragée que la grange obscure et délabrée dans laquelle, jadis, les poutres vermoulues ont dû être ébranlées crescendo par des respirations métayères.
Malgré mes 55 ans, j’assure. Dans toute la Margeride, les hommes m’appellent mamie Béa et la transhumance de mon cheptel local attire les cancans des vieilles en tabliers fleuris bleu Tergal. Aujourd’hui, Bonnard, un bedonnant au style frénétique m’a appris post-coït que le fils Gourbes ne parle plus à son père depuis plus de deux ans. Il n’aurait pas apprécié le placement en maison de retraite de la grand-mère à Auroux. Enfin, un peu de plaisir…
Ho ! J’ai failli perdre ta broche, Estelle, tombée dans la chaussure d’un client. […]

…………………………………………………………………………………….


Langogne, ferme de la chazelle, 4 Octobre 2006

J’ai lancé un caillou et depuis, je scrute et j’attends, illogique, que de petits cercles convergent, à rebours, vers moi. Mais malheureusement, de Luc Gourbes pas l’ombre d’un poil !
Chaque samedi, aux halles de Langogne, le cou lové d’un foulard incarnat et le cabas garni des produits du coin, je m’intègre. J’écoute, j’observe et à la croisée de certaines allées, j’entends parfois des anatomies familières endimanchées prônant le mérite d’une société sans vagues. Tapie, j’attends.

…………………………………………………………………………………….


Langogne, café des halles, 8 janvier 2007

Depuis ta disparition, c’est la première fois que je ressens un peu de satisfaction. Ca y est ! Le fils est venu en moi. Je l’ai soigné le p’tit. Comment te le décrire ? C’est un noceur trentenaire et même s’il paraît charmant, il demeure dans ses yeux un vide, lors de nos silences. Bizarre qu’il veuille payer pour moi. Quand il s’est hissé sur mon corps avec ses muscles saillants et ses yeux imbibés d’amour, j’ai eu envie de ruer, de l’envoyer loin, loin de moi. Il m’emmerde au lit le p’tit, mais, il ne faut pas. Le marché Biron a toujours connu Mme Radiac, discrète et racée, celle des meubles vergeturés ; aujourd’hui place à mamie Béa et ses envolées cabotines. Bientôt il pleurera en écoutant mes berceuses, les cheveux caressés par mes mains sales. Il me parlera et je le mettrai contre moi, contre ma poitrine nourricière, léchant le mucus de cet être que je viens d’agneler. […]

…………………………………………………………………………………….


Bords du lac de Naussac, 28 Avril 2007

Le p’tit n’arrête plus de se servir de moi, il devient jaloux, il rechigne à payer après chaque spasme mais tout va bien. Il faut dire que je me fais moins pressante pour le faire casquer. Je crois que l’hameçon est en train de lui entailler délicieusement le cuir. Déboussolé, il ne sait plus comment m’appeler. Des fois c’est Béa, à d’autres mamie Béa et plus rarement mamie tout court. Même si nos ébats deviennent de plus en plus brutaux, j’ai toujours le contrôle. Mon tout petit, ta clairvoyance est mal en point, j’ai tué en toi ce que ton père t’avait donné de Cassandre. Je ne nous reconnais plus, l’oracle est là. […]

…………………………………………………………………………………….


Ferme de la Chazelle, 26 mai 2007

Tout, dans le même temps, se précipite, s’éclaircit et se complique.
Il a débarqué à la ferme, il y a trois jours, en hurlant qu’en plus de ne plus payer, il voulait le gît et le couvert et aussi se réveiller contre moi au petit matin. J’ai feint de le raisonner, ça l’a mis hors de lui et finalement il m’a frappé avant de s’effondrer, larmoyant, sur un pouf . Avec professionnalisme, j’ai encaissé. Je ne vais pas flancher si près du but. Je me suis allongée en face de lui, la tête posée sur l’épaule et j’ai écouté sa vindicte purulente : Sa famille, la mère inconnue, son grand con de père et le suicide de sa grand-mère. Balayette dans la main droite et pelle dans la main gauche, j’ai ramassé les miettes. Ensuite, l’idée que le papa allait jongler, impuissant, a été telle que j’ai joui sans retenue quand il m’a mal prise. La fourberie a ses limites. […]

……………………………………………………………………………………


Ferme de la Chazelle, 9 juin 2007

Etendu toute la journée sur deux poufs mis côte à côte, il lit, médite puis fait les cents pas. Il est mûr pour la scène finale et au lieu de m’en réjouir, je ne vois que désespoir quand tout sera fini. Ca ne m’amuse pas de maîtriser son esprit, d’être sa reine morte, de l’entendre gueuler mamie quand il benne sa semence ; hier, j’ai cru que j’allais pleurer heureusement il a les yeux en amande et le nez en trompette des Gourbes. Je les ai vite remplacés par ton visage d’ange.
Ce soir, j’ai mis la broyeuse en marche, faisant allusion à Bonnard, un client, qui est censé m’avoir frappée pour me forcer à travailler pour lui. Avancer de quelques pas vers moi a été sa première réaction avant de se raviser pour me regarder et sortir l’air entendu avec lui-même. Ce calme subit a mal dissimulé son envie de tuer. Mais qui ? Bonnard ou moi ? Hormis le duel final, rien n’habite mes pensées. Les objets en vitrine ont quitté ma vie, à la place je ne vois que des corps dans des box à Amsterdam ou ailleurs. Que la noirceur soit. […]

…………………………………………………………………………………….


Col de la pierre plantée, 18 juin 2007

En début d’après-midi, il a pris les clés de la voiture et m’annoncé qu’une balade nous ferait du bien. Je n’étais pas dupe mais j’ai suivi, fataliste. On a d’abord marché ensemble mais imperceptiblement j’ai senti son corps se mettre un pas en retrait, comme pour frapper sa proie sans la regarder. Le Gourbes est couard. Je dois dire que marcher la nuque et le dos offerts aux incertitudes meurtrières de Luc m’a terrifiée. Il a dû le sentir car il a provoqué une dispute et nous avons pris deux sentiers différents pour rejoindre la voiture.
J’ai marché seule sur ma sente empierrée, m’attendant à tout moment à le voir surgir de derrière un genet pour me fracasser le crâne avec ce qu’il lui serait tombé sous la main. Mille fois j’ai cru que ça allait arriver, mais rien.
Maintenant, je suis là, adossée à la voiture, en pleine montagne, sur ce parking désert à attendre son retour. Pourquoi ai-je pris mon journal ? Je ne sais pas.
S’il me tue j’enragerai d’avoir échoué. Pourtant ce sera une belle fin, mon sang se répandant sur le lichen jaunâtre des blocs inébranlables de granit. Entre chien et loup, mes lèvres incarnadines, fatiguée de combattre et me laissant mourir comme la protégée de M. Seguin.
Puisque ce sont mes derniers mots, je te les dédie. Je vais cacher le journal ici même et que celui qui le trouve, dans une décennie ou un siècle, témoigne de l’amour que je te porte. Adieu, Estelle.

…………………………………………………………………………………….
ptipubi
ptipubi

Nombre de messages : 80
Age : 57
Localisation : idf
Date d'inscription : 25/11/2008

Revenir en haut Aller en bas

Mamie Béa (1) Empty Re: Mamie Béa (1)

Message  Sahkti Mar 9 Déc 2008 - 11:07

La journée du 19 mars me paraît peu naturelle, pas comme une confession intime que l'on ferait à un journal mais plutôt comme un texte qu'on posterait sur un site :-)
C'est trop travaillé, pas assez spontané et "parlé" à mon goût.

Il n'y a rien entre 2001 et 2006? Pauvre journal !

Au final, je suis partagée. L'écriture n'est pas désagréable à lire, loin de là et ce personnage qui se raconte m'intéresse et finit par devenir attachant. Mais c'est son histoire qui manque un peu de relief. Non pas qu'il devrait lui arriver des choses extraordinaires mais je regrette que tu ne mettes pas plus l'accent sur l'un ou l'autre point, que le récit ne comporte pas d'accrocs de temps en temps et puis surtout, que ça ne sonne pas plus spontané dans la narration du quotidien. Quand on vit les événements au jour le jour et qu'on les raconte quasi immédiatement, on accorde beaucoup d'importance à des futilités sur lesquelles on ne s'arrêterait même pas des mois plus tard. Je ne ressens pas cela ici, cette frénésie de l'immédiat est absente et cela finit par créer un rythme un peu trop lisse pour moi.
Sahkti
Sahkti

Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005

Revenir en haut Aller en bas

Mamie Béa (1) Empty Re: Mamie Béa (1)

Message  Invité Mar 9 Déc 2008 - 11:56

Si j'ai bien compris, ce sont des extraits de journal ? Pas dans l'ordre chronologique (j'ai bien regardé les dates..) ? Ce qui expliquerait que pour le moment je m'y perds. Aussi peut-être parce que l'on suit le récit de l'intérieur et qu'on ne possède pas tous les éléments pour comprendre. Il y a là quelque chose qui m'attire : drame des campagnes, vengeance, passé lourd, mais pour le moment j'erre dans la touffeur du récit, bien écrit au demeurant.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Mamie Béa (1) Empty Re: Mamie Béa (1)

Message  ptipubi Mar 9 Déc 2008 - 12:11

Easter(Island) a écrit:Si j'ai bien compris, ce sont des extraits de journal ? Pas dans l'ordre chronologique (j'ai bien regardé les dates..) ? Ce qui expliquerait que pour le moment je m'y perds. Aussi peut-être parce que l'on suit le récit de l'intérieur et qu'on ne possède pas tous les éléments pour comprendre. Il y a là quelque chose qui m'attire : drame des campagnes, vengeance, passé lourd, mais pour le moment j'erre dans la touffeur du récit, bien écrit au demeurant.

Quand tu auras fini, je serai ravi de partager avec toi le cours des évènements qui je te l'accorde sont un peu tortueux pour un texte aussi court mais je suis joueur d'échecs et, plus c'est compliqué, plus j'aime. Merci pour ta lecture.
ptipubi
ptipubi

Nombre de messages : 80
Age : 57
Localisation : idf
Date d'inscription : 25/11/2008

Revenir en haut Aller en bas

Mamie Béa (1) Empty Re: Mamie Béa (1)

Message  Contenu sponsorisé


Contenu sponsorisé


Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut


 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum