Variation autour de Christmas card from… (1)

[Yali]

Variation autour de Christmas card from a hooker in Minneapolis

Tom Waits chantait Christmas card from a hooker in Minneapolis, dehors il pleuvait et cette pluie avait ça de particulier qu’entre ses gouttes on aurait pu y glisser le chagrin des hommes, leur joie et tout le reste. Une goutte tombait ici, puis une autre bien plus loin sur le trottoir.
   Sinon, il faisait chaud.
   Il tira sur le col de son pull pour s’offrir un peu d’air, caressa d’une main indifférente le moleskine rouge de la banquette. La toile râpait un peu sous ses doigts, il pensa « Comme la vie »
   Comme la vie…
   Sourit.

***

Tom Waits chantait Christmas card from a hooker in Minneapolis, dehors, le trottoir encaissait ses pas, les encaissait de ce bruit si particulier que font les talons hauts d’une femme pressée.
   Sinon, il ne pleuvait pas.
   Au coin de la rue, elle s’arrêta, patiemment attendit que le feu passe au vert pour les piétons et traversa.
   La croisant, un homme lui sourit. Elle l’ignora.
   Elle fit attention à ne pas s’aventurer, à ne pas marcher sur les grilles d’aération du métro : les talons hauts…
   Elle entra dans un bar.
   Elle portait des lunettes noires.
   Elle visa une affiche aux tons d’urgence, une affiche contre la violence conjugale.
   Haussa les épaules.
   Commanda un café.
   De jolies lunettes noires qu’elle avait chaussées ce matin pour dissimuler un coquard.

***

Tom Waits chantait Christmas card from a hooker in Minneapolis, c’était Noël et, moi, ce que j’aime Tom Waits lorsqu’il fait ça. Je veux dire lorsqu’il se met à me refourguer des images plein la caboche.
   Sinon, il ne neigeait pas.
   Sa voix rocailleuse semblait vouloir, traînante, longer le comptoir, s’éterniser quelque part dans les gestes lents du serveur auquel je demandais de passer la chanson en boucle : « S’il te plaît. »
   Il acceptait. De toute manière ce jour là il n’y avait personne à servir hormis le type du fond, celui caressant le moleskine de la banquette, et cette fille au regard violacé.
   Personne que ça dérangeait.
   — Au fait, quel temps il fait ? j’ai demandé.
   — Mitigé, il a répondu.
   — Bien ce que je pensais, j'ai dit.
   « Bien ce que je pensais », j’ai répété.

[mentor]

tu excelles vraiment dans ce genre de scènes courtes qui en disent tant sans en dire assez (pourquoi le coquard).
encore une belle observation de moments furtifs, focus sur 4 personnages, si on compte Tom Waits, il y a tout : l'atmosphère, la musique, les couleurs, on voit en lisant
mon bémol : Elle visa une affiche
pourquoi pas "elle avisa" ?

[Invité]

J'ai suivi les débats sur la nuance entre "viser" et "aviser", et je ne sais pas où mettre mon grain de sel, alors je le laisse ici. Juste pour dire - mais la mer a besoin de tous ses grains de sel - que si la nuance est discutable (même étymologie) le choix du verbe "viser" me paraît toutefois plus correspondre au "style" de Yali ; "elle visa une affiche aux tons d'urgence" sonne mieux à mes oreilles que "elle avisa une affiche aux tons d'urgence".
C'était l'arbre qui cache la forêt, un point de détail. ll y a aussi un texte inspiré par un hommage de saison, avec de belles choses, celle -ci en particulier, qui suffirait presque à mon bonheur complet : cette pluie avait ça de particulier qu’entre ses gouttes on aurait pu y glisser le chagrin des hommes, leur joie et tout le reste.

[Sahkti]

Bien aimé ces petites scènes, faites de riens et riches de tant de choses. J'aime le jeu de la répétition qui apporte pourtant son lot de différences à chaque fois. Une tranche supplémentaire aurait-elle été de trop? Difficile à dire, j'en aurais bien repris une en tout cas.

PS: Détail perso, la bouche du métro m'a d'abord fait penser à la jupe de Marylin et pas aux talons hauts qui se coincent.

[Invité]

J'en viens à l'instant, et je crois que je vais y retourner.
De ce pas.
Sûre de t'y rencontrer. A un moment.

[Invité]

PS: Détail perso, la bouche du métro m'a d'abord fait penser à la jupe de Marylin et pas aux talons hauts qui se coincent.

idem !

[Kilis]

J’aime beaucoup. L’idée et la manière: le fil conducteur qui est cette chanson de Tom Waits, les moments hors du temps chronologique, ou plutôt dans ce temps improbable lié à la mémoire, et les trois personnes qui pourraient être trois autres dans un autre endroit à une autre époque… et dont tu suggères à la fin qu’ils se trouvent rassemblés dans ce bistrot.

[lol47]

J'ai lu vite fait mais ça m'a bien plu, un p'tit bout d'histoire...et pis y a Tom Waits !

[Evanescent]

J'aime bien ces petites scènes :-)

PS: Détail perso, la bouche du métro m'a d'abord fait penser à la jupe de Marylin et pas aux talons hauts qui se coincent.

idem !

Aussi. C'est un peu universel, il me semble.

[Invité]

Beau moment, fugitif, qui en dit beaucoup sans s'appesantir... J'ai aimé un max.

[Lucy]

Relecture avec la chanson : un bon moment !

[Charles]

bien aimé ton texte. comme une prolongation nocturne, plus jazzie, plus rêveuse, de ton texte "itinéraire ordinaire". par contre, faudra que je me relise ça après avoir découvert la musique ... j'en aurais bien lu comme ça pendant des pages ...

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